RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher
Commentaire
Erdogan s’offre un coup d’Etat cousue main.
Jacques-Marie BOURGET

Comme dans un dessin, il est possible de faire de la caricature avec des mots... Dialoguant avec un fonctionnaire agissant à bon niveau au sein des services de renseignements extérieurs français, le tout à propos de la Turquie, celui-ci me surprend en déclarant : « pour Erdogan ce coup d’Etat est l’équivalent de ce que fut l’avenue de l’Observatoire pour Mitterrand »... Pour les oublieux rappelons que le 16 octobre 1959, afin de faire de lui un héros menacé par les « factieux », le futur président a monté un faux attentat visant sa personne. Et tout juste, avec les heures qui passent à Ankara, la caricature prend l’allure d’une photo bien authentique. Pour Erdogan le « coup » ne serait pas manqué, mais réussi : il trouve dans cet accès d’urticaire militaire les arguments pour établir son pouvoir absolu, plus hégémonique encore et bâtir ses rêves de grand calife. Un demi-Dieu « qui défend la démocratie », comme le font si bien ses modèles de l’Arabie Saoudite et du Qatar.

Puisque les militaires turcs, putschistes compris, – l’armée d’Ankara est la deuxième de l’OTAN – ne sont pas tombés de la dernière tempête de sable, les bras tombent chez qui analyse l’opérette montée par ceux qui voulaient renverser Erdogan et son régime AKP... Imaginez un peu. Le temps des crosses en l’air a été plutôt bref. A l’évidence, les rebelles n’étaient pas vraiment déterminés. En dehors de mettre sous cloche le chef d’état-major des Armées, il n’est venu à l’idée d’aucun comploteur d’arrêter aussi quelques-uns des dirigeants détestés. Inutile de relire Technique du coup d’Etat de Curzio Malaparte pour savoir que le b-a-ba de l’art consiste à neutraliser d’abord les chefs. Pour faire méchant, les révoltés de Topkapi ont bien tiré un missile sur une résidence d’Erdogan à Istanbul... mais ils la savaient vide et, visiblement, le cœur n’y était pas.

L’autre démonstration de force a été d’envoyer des chars dans les rues proches du Bosphore. Mais ces blindés étaient seuls, sans troupes d’accompagnement. L’affaire était pliée d’avance : un char sans fantassins dans son sillage est une cible dans les rues d’une ville, un Pékinois plein de courage les a même stoppés net sur la place Tian’anmen. Enfin, aussi sots que le général Tapioca, les militaires sortis de leurs casernes n’ont pas coupé Internet et les réseaux de téléphonie mobile. Non, ils se sont précipités dans l’immeuble d’une chaine de télévision « amie de l’AKP », la belle affaire ! Pendant ce temps par tweets, Facebook et le système vidéo des portables, Erdogan et Yildirim, le premier ministre, pouvaient mobiliser leurs nombreux fidèles. Voilà pour la force de ce putsch qui a si vite fait pschitt.

On a le sentiment que le scénario en a été écrit par Jacques Offenbach, alors qu’en matière de « coups », les militaires turcs sont de grands experts. Ils en ont même la culture. Naguère, pour ramener le pouvoir politique dans le chemin tracé par Atatürk, périodiquement les soldats prenaient en main le gouvernement avant de le rendre aux civils. A force de purges Erdogan a réussi à contenir ce contre-pouvoir en galons et s’apprête à finir de se tailler une constitution à sa mesure de Président-Calife.

En revanche la mobilisation des supporters d’Erdogan et de l’AKP a été parfaitement réussie. Depuis leurs minarets les imams des Frères Musulmans ont appelé à descendre dans la rue qui fut assez rapidement tenue par des citoyens « démocrates » hurlant Allah Akbar et vive le jhad ! Ces mêmes partisans en colère firent feu tout autant que les « putschistes ». Ils capturent de jeunes soldats, des appelés auxquels on avait fait croire qu’ils participaient à un exercice. Nombre de ces gamins ont eu la tête tranchée et jetée dans le Bosphore. Dessine-moi un Calife !

La mise en cause de celui qui aurait fomenté le complot a été longue à venir, mais on l’attendait : il s’agit de Fethullah Gülen, le religieux-philosophe réfugié aux Etats Unis, fondateur du mouvement Hizmet. Ce saint penseur, qui est à l’islam ce que Jean XXIII est au catholicisme, représente en Turquie un peu plus de dix pour cent des voix. Il a des amis dans l’armée qui, régulièrement sont mis aux arrêts et « purgés ». Gülen est la bête noire d’Erdogan, donc celle des Frères Musulmans. L’occasion était belle de leur mettre l’émeute militaire sur le dos et de réclamer à l’allié Obama son extradition. Fait amusant quand on sait, histoire de se tenir prêt à toute éventualité, que Washington a travaillé sur un changement de tête à Ankara, changement par la force au « cas où »... Jamais en reste, Poutine avait, lui aussi dans les cartons son plan de transmutation. Très bien informé par ses tout puissants services et milices, Erdogan n’a rien ignoré des préparatifs de ses amis-ennemis. Il leur a fauché la luzerne sous les pieds.

Aujourd’hui le Calife triomphe. Le monde entier est venu lui déposer le cadeau de son indéfectible soutien, à lui le Frère Musulman « défenseur de la démocratie », l’ami à géométrie variable de Da’ech auquel il a acheté du pétrole et fourni des armes. Des centaines de journalistes, de syndicalistes et d’opposants croupissent dans les geôles de cette démocratie-témoin qui continue à vouloir intégrer l’Union européenne...

Après avoir fait la paix avec Israël (auquel il livre du pétrole de Dae’ch et de l’eau par tankers) et renoncé à son ambition de protéger Gaza, après avoir présenté des excuses à Vladimir Poutine pour le Sukhoï russe pulvérisé dans l’espace aérien de Syrie, Erdogan est un homme renouvelé qui ne compte que des amis. Les Kurdes, auxquels Ankara a déclaré une guerre féroce, devront s’accommoder d’une solitude qu’ils connaissent bien.

Avec 2745 juges limogés ces dernières 24 heures, dix conseillers d’Etat mis à pied et 2 800 militaires en prison, le calife a fait un fructueux ménage d’été. Croyons donc que Dieu est grand et qu’Erdogan est son prophète et ne nous leurrons pas : il y a bien deux Turquie, celle d’Istanbul avec ses hommes épris de « Lumières » et l’autre tenue d’une main d’acier par la confrérie des Frères Musulmans, la plus nombreuse malheureusement.

Jacques-Marie BOURGET

 
COMMENT AMADOUER LES MODERATEURS : Les lecteurs sont priés de poster des commentaires succincts, constructifs, informatifs, polis, utiles, éventuellement drôles, élogieux (tant qu'à faire). Les modérateurs sont parfois sympas mais souvent grognons. Sachez les apprivoiser.
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Ajouter un document

  • Merci de limiter le nombre de vos interventions
  • Merci de ne pas dévier du sujet
  • Merci d'éviter les commentaires totalement anonymes...
  • Merci d'éviter les empoignades stériles
  • Merci d'éviter le prosélytisme
  • Souriez ! Vous êtes filmés lus par des milliers d'internautes.
COMMENTAIRES
MODE D'EMPLOI
Les commentaires sont modérés.
Votre adresse IP est automatiquement enregistrée avec votre commentaire (mais ne sera pas divulguée). L'adresse IP sera supprimée au bout de 2 mois.

Merci de préciser votre nom (ou un pseudo). Ca facilite les échanges éventuels.

Notez que les commentaires anonymes ou sous pseudo, ainsi que les utilisateurs de proxy et autres "anonymiseurs", sont plus sévèrement filtrés que les autres. Mais n'oubliez pas aussi qu'un commentaire posté sous un vrai nom laisse des traces sur Internet...

Merci aussi de surveiller le ton et le style de votre intervention.

Ne soyez pas impatients si vous ne voyez pas apparaître votre commentaire, les modérateurs ne sont pas toujours devant un écran. Plusieurs heures peuvent donc s'écouler (ou pas) avant sa publication (ou pas).

Si votre commentaire n'apparaît toujours pas après un "certain temps", vérifiez s'il ne rentre pas par hasard dans une des catégories énumérées ci-dessous...


NE SERONT PAS PUBLIES :

  • les racistes, xénophobes, sionistes, etc,
    (la liste habituelle quoi)

  • les adeptes du copier/coller.
    Des extraits et un lien devraient suffire.

  • les "réactionnaires" visiblement à côté de la plaque.
    Certain(e)s prennent le temps d'écrire. Ayez la gentillesse de prendre le temps de lire - avant de réagir.

  • les représentants de commerce.
    Le Grand Soir ne roule pour (ni contre) aucun groupe ou organisation particuliers. Si vous avez quelque chose à vendre, attendez le prochain Salon.

  • les Trolls
    (qui se reconnaîtront)

NE SERONT PAS PUBLIES NON PLUS :

  • les propos insultants, méprisants, etc à l'égard des contributeurs du site.
    Un minimum de respect s'impose.

  • les rapporteurs des clichés habituels véhiculés par les médias dominants
    Le Grand Soir n'a pas pour vocation de servir de relais aux discours dominants. Si vous ne supportez que le politiquement correct, adressez-vous à France-Inter.

  • les attaques contre les pays en état de résistance.
    "Des Révolutions et des révolutionnaires : il faut les examiner de très près et les critiquer de très loin." Simon Bolivar

  • les réglements de compte au sein de la gauche.
    Apportez vos convictions et laissez vos certitudes au vestiaire. Si l'un d'entre vous avait totalement raison, ça se saurait... Précision : le PS, jusqu'à preuve du contraire, ne fait pas partie de la gauche.

  • les "droits de réponse" à la noix.
    Ceux qui occupent déjà 90% de l'espace médiatique aimeraient bien occuper les 10% qui restent au nom de leur liberté d'expression. Leurs droits de réponse seront publiés chez nous lorsqu'ils nous accorderont un droit de parole chez eux.

  • les "appels aux armes" et autres provocations.
    Vous voulez réellement monter une guérilla dans la forêt de Fontainebleau ?

SERONT SYSTEMATIQUEMENT PUBLIES :

  • les compliments
  • les encouragements
  • les lettres d'amour
  • etc.