Il est plus que probable que Hollande et Valls ont choisi la stratégie du pourrissement du conflit sur la loi travail. Tout en faisant des concessions aux cheminots, aux aiguilleurs du ciel etc ..., sur des revendications sans lien avec la loi travail. Ils auraient tort de s’en priver, s’il devait se confirmer que la CGT et FO sont incapables d’éviter ce piège du pourrissement, comme cela a été le cas en octobre 2010, quand Sarkozy a réussi à imposer sa réforme des retraites contre l’avis de 75 % des Français.
En 2010 à Marseille, quand les éboueurs sont partis en grève reconductible, 90 % des Marseillais les soutenaient. Deux semaines plus tard, devant les montagnes d’immondices, 90 % des Marseillais avaient basculé dans l’opposition aux grévistes. Il en ira de même en 2016 pour les Français, si la CGT et FO font les mêmes erreurs qu’en 2010. Depuis 10 jours les Français soutiennent majoritairement les grévistes, mais ça va très vite s’inverser et pas seulement à cause de la pluie et de l’Euro de football. Le fait que la multiplication des actions, des blocages et des manifestations soit due à l’autisme de Hollande, Valls, Gattaz et Berger ne changent rien à l’affaire. Il appartient aux dirigeants de la CGT et de FO de choisir la bonne stratégie pour déjouer le piège du pourrissement. En trouvant les solutions pour concilier 2 objectifs un peu contradictoires. D’une part, se préparer à poursuivre la grève, dans quelques secteurs stratégiques bien délimités (comme les raffineries), aussi longtemps que Hollande et Valls n’auront pas renoncé à l’inversion de la hiérarchie des normes. D’autre part, en évitant des grèves qui pénaliseraient inutilement les Français, par exemple la collecte des ordures ménagères. Les citoyens sont prêts à soutenir dans la durée la grève dans quelques secteurs (1), comme je l’explique dans « La grève par procuration est probablement la seule solution pour faire reculer un pouvoir anti démocratique ».
Allons à l’essentiel : malgré le degré élevé de la mobilisation depuis 4 mois, Mailly, et maintenant Martinez, ont estimé que l’heure n’était plus à exiger le retrait du projet de loi. Par contre, il apparaît tout à fait possible d’exiger et d’obtenir le retrait de l’article 2. Les citoyens, les politiques et même les journalistes honnêtes ont maintenant compris que le plus grave danger c’est l’inversion de la hiérarchie des normes qui ouvrirait la voie au dumping social généralisé. Même la direction de la CFE-CGC vient de déclarer dans une interview aux Echos « Je ne vois pas ce que la loi travail apporte de positif pour l’emploi » et demande la renégociation du projet de loi. La direction de la CFDT est donc de plus en plus seule à tenter de justifier l’injustifiable. Ainsi, sur France Inter le 2 juin à 8 heures 20, Laurent Berger a été totalement incapable de contester la démonstration de Benoît Hamon du 30 mai, que Patrick Cohen lui a fait réécouter. Des spécialistes en droit du travail ont expliqué pourquoi l’inversion de la hiérarchie des normes constituerait un recul historique sans précédent (2).
Résumons : ce projet de loi de 588 pages (!), par lequel le gouvernement prétend « simplifier » le code du travail et dont la version initiale a été rédigée sans négociation avec les syndicats, est un pur scandale. Sans même parler du recours au 49-3. A lui seule, le droit donné à chaque entreprise de majorer les heures supplémentaires de seulement de 10 %, au lieu de 25 %,
• conduirait à la généralisation de cette régression, puisque toutes les entreprises en concurrence seraient obligées de s’aligner sur ce moins-disant
• conduirait les employeurs à privilégier l’augmentation du temps de travail au détriment des embauches, donc de la création d’emplois
• entraînerait l’abolition définitive de ce qui reste des 35 heures.
L’inversion de la hiérarchie des normes, c’est la porte ouverte à la généralisation du chantage à l’emploi et au dumping social généralisé sur les salaires et les conditions de travail, comme le répètent les nombreux députés du PS qui n’ont pas l’intention de voter un tel recul historique.
Si l’on veut éviter un nouvel échec retentissant des grèves comme en 2010, la seule solution c’est d’organiser immédiatement la solidarité financière avec les grévistes des secteurs stratégiques, avec l’appui de Solidaires, de la FSU, de l’UNEF et de toutes les associations progressistes (comme Attac). Un appel national unitaire permettrait de recueillir plusieurs dizaines de millions d’euros (3). A condition d’avoir une organisation rigoureuse et transparente des collectes de soutien dans un maximum d’entreprises, de réunions, de lieux publics et via internet.
André Martin