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La dette des étudiants américains : une violence insupportable faite à une génération
Escroqués par des universités privées US à but lucratif, des étudiants exigent l’annulation de leur dette et l’éducation gratuite
Ann LARSON, Patrick SAURIN

Aux États-Unis, la crise des subprimes qui a débuté en été 2006 a révélé au grand jour les malversations des banques et de la finance qui ont escroqué des millions de familles, en particulier les plus pauvres, avec des prêts immobiliers que celles-ci n’allaient pas pouvoir rembourser.

Mais ces prêts hypothécaires ne représentent qu’un dispositif parmi une vaste gamme de crédits prédateurs dans laquelle on retrouve les prêts pour dépenses de santé, les prêts personnels, les crédits attachés aux cartes bancaires, les prêts aux collectivités, mais également les prêts aux étudiants.

Faire des études aux États-Unis coûte cher car la scolarité est payante. Résultat : deux-tiers des étudiants sortent de l’université avec une dette en moyenne de 27 000 dollars. En 2012, on estimait que la dette totale des étudiants dépassait les 1 000 milliards de dollars, une dette supérieure à celle des cartes de crédit ou à toutes les autres sortes de prêts aux particuliers à l’exception des prêts immobiliers |1|.

À la fin de leurs études, beaucoup d’étudiants sans emploi se trouvent pris au piège d’une dette qui les étrangle. Isolés, ils sont à la merci des banques et de leurs créanciers. Mais depuis quelques années, un collectif citoyen, combatif et imaginatif, a entrepris de les fédérer et de les appuyer dans leur combat contre les banques mais également contre les universités qui ont empoché de conséquents frais d’inscription sans leur assurer les débouchés annoncés. Ce collectif, c’est Strike Debt (annuler la dette) |2|.

Strike Debt est un mouvement de réfractaires à la dette qui se bat pour la justice économique et les libertés démocratiques. Il appuie son action sur un certain nombre de principes : la lutte contre l’oppression, l’indépendance, la prise de décision démocratique et l’action directe. Des groupes de ce mouvement se battent partout dans le pays aux côtés des populations victimes du système de la dette en mettant à leur disposition des stratégies de lutte, des outils et un cadre pour structurer leur action.

Ann Larson, une militante très active de Strike Debt, nous relate le combat mené fin 2014 par des étudiants endettés contre une université privé américaine et contre le ministère de l’éducation nationale.

Escroqués par des universités privées à but lucratif, des étudiants exigent l’annulation de leur dette et l’éducation gratuite

En novembre 2014, un groupe de 10 étudiants endettés accompagnés de membres de Debt Collective (Collectif de la dette), une organisation militante de la ville de New York, a perturbé une audition publique du ministère de l’éducation des États-Unis pour exiger l’annulation totale de leurs dettes et la gratuité de l’enseignement supérieur. Tous ces étudiants étaient inscrits à l’université Everest qui fait partie d’un ensemble d’établissements d’enseignement privé à but lucratif appartenant à Corinthian Colleges (Corinthian Colleges est une entreprise américaine spécialisée dans l’enseignement post-secondaire).

Beaucoup de gens ne comprennent pas la différence entre institutions à but lucratif, publiques, et privé sans but lucratif. Les trois génèrent des revenus, mais seule celle à but lucratif a pour vocation première d’enrichir ses propriétaires. Les plus importantes de ces institutions sont des sociétés nationales conçues pour maximiser les profits de leurs actionnaires plutôt que d’assurer l’éducation des étudiants.

Aujourd’hui, environ 10 % des étudiants des universités américaines sont inscrits dans ces établissements d’enseignement qui encaissent pourtant plus du quart de toute l’aide financière fédérale, jusqu’à 33 milliards de dollars pour une seule année. Les universités privées à but lucratif peuvent être jusqu’à deux fois plus chères que les universités les plus cotées du pays et coûter généralement cinq à six fois le prix des centres universitaires.

Quatre-vingt-seize pour cent des étudiants qui parviennent à obtenir un diplôme dans un établissement privé à but lucratif le quittent en devant de l’argent, et ils sont deux fois plus endettés que les étudiants des établissements traditionnels.

Corinthian est une des entreprises les plus répréhensibles en cette matière. Cette société qui a inscrit plus d’un demi-million d’étudiants sur une vingtaine d’années, s’est attaquée à de personnes à faibles revenus, et les a encouragés à s’inscrire dans des formations coûteuses qui ne débouchaient sur aucun emploi. La société a préféré utiliser le montant des prêts fédéraux des étudiants pour enrichir des actionnaires et des dirigeants. Le ministère de l’éducation a soutenu ce projet en déversant des milliards provenant de l’argent des contribuables sur plus d’une centaine de campus dans deux douzaines d’États.

Au cours de l’été 2014, après que plusieurs États et agences fédérales ont commencé à examiner le modèle économique de Corinthian, le ministère de l’éducation a finalement annoncé l’ouverture d’une enquête sur les finances de la société. Corinthian a déclaré qu’il mettrait la clef sous la porte. Mais pendant ce temps, les étudiants sont tenus de continuer à rembourser leurs emprunts.

L’audition publique à Los Angeles a amené d’anciens étudiants et des avocats à exiger ensemble que le ministère annule leur dette.

Latonya Suggs, de Cincinnati, a expliqué comment Corinthian, avec le concours du ministère de l’éducation, avait instrumentalisé son rêve de trouver un emploi. À la fin de son intervention, Suggs a déclenché les acclamations de l’assistance en envoyant sa toque portée lors de la remise de son diplôme. « Vous pouvez garder cette toque, je n’en ai plus besoin ! », leur a-t-elle lancé, « je n’en veux plus. »

Tasha Courtright, dont le jeune enfant est handicapé, a exposé en donnant de poignants détails, comment Corinthian lui avait promis de façon mensongère que son investissement dans son éducation lui garantirait un emploi bien payé. « J’ai été trompée. Ils m’ont volée l’argent que je n’avais même pas », a-t-elle dit.

Pendant que les étudiants se succédaient toute l’après-midi pour témoigner, il est apparu de plus en plus évident que le ministère avait soutenu financièrement une société dont le but principal était de rapporter de l’argent aux investisseurs aux dépens des étudiants et de la population.

Chris Miller est un des quatre membres d’une famille prise au piège de Corinthian. Vétéran de l’armée, Miller a obtenu un diplôme d’Everest mais il a été dans l’incapacité de trouver un emploi. Arborant ses médailles militaires, il a mis au défi les représentants du ministère en leur demandant de régler les dettes des étudiants. « Avez-vous un peu d’honneur et de dignité ? » a lancé Miller au Sous-secrétaire Ted Mitchell.

Après l’audition, les étudiants et leurs soutiens se sont réunis sur un campus de l’université Everest du lieu en signe de protestation. Ils portaient des pancartes exigeant la fermeture de Corinthian et ont fait part de leur histoire avec les étudiants présents d’Everest.

En décembre 2014, le ministère de l’éducation a annoncé que des douzaines de campus de Corinthian seraient vendus à un nouvel acheteur, réduisant sérieusement les chances des étudiants de voir leurs dettes annulées. Mais le combat continue. Les étudiants et les animateurs du mouvement sont en train de préparer une nouvelle série d’actions pour maintenir la pression sur le ministère de l’éducation.

En plus d’obtenir l’annulation des dettes des étudiants trompés, les animateurs du mouvement pensent que la campagne contre Corinthian et le ministère de l’éducation pourrait servir de modèle pour une nouvelle sorte d’action collective. Les collectifs de débiteurs pourraient réunir des personnes qui ont traditionnellement du mal à s’organiser, en incluant notamment les travailleurs précaires sous-payés qui vont d’un emploi à l’autre, et les jeunes qui terminent leurs études à l’université avec devant eux une vie faite de remboursement d’échéances.

Tout comme le mouvement ouvrier s’est développé durant des décennies pour protéger les droits et les conditions de vie des travailleurs, le mouvement des débiteurs pourrait lui aussi aider à contrecarrer les pratiques les plus prédatrices de la classe des créanciers. Un vieil adage dit : « Si vous devez à la banque 100 000 dollars, vous êtes à la merci de la banque, mais si vous devez à la banque 100 millions de dollars, c’est la banque qui est à votre merci. » Démultiplier cette puissance collective est l’idée qui anime le Collectif de la Dette.

Traduction Patrick Saurin

Notes
|1| Strike Debt, The Debt Resisters’ Operations Manual, PM Press, 2014, pp. 65-66.

|2| Voir le site de Strike Debt.

Ann Larson est membre du collectif Strike Debt

Patrick Saurin, porte-parole de Sud BPCE, membre du CADTM et du Collectif d’audit citoyen (France)

 
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