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Comment se libérer de la contrainte d’un capitalisme de plus en plus financiarisé ?
L'Humanité.fr

Face au coût du capital Débat avec Maryse Dumas membre du groupe CGT du Cese, Esther Jeffers, membre des Économistes atterré et d'Attac et Nasser Mansouri Guilani, responsable du pôle économique de la CGT

Un retour à un capitalisme « normal » ne suffirait pas

Par Nasser Mansouri Guilani, responsable du pôle économique de la CGT

Dans la société capitaliste, le capital ne représente pas une chose, un objet, mais bien un rapport social. Par conséquent, la rémunération du capital dépend des rapports de forces entre le capital et le travail et de l’évolution du système. La phase actuelle du développement du capitalisme, appelée «  capitalisme financiarisé  », se caractérise par une ponction de plus en plus forte des valeurs créées par les travailleurs au profit des actionnaires qui se comportent comme des financiers. Contrairement au postulat libéral, le développement des marchés financiers ne permet pas de réduire le coût du capital, au contraire. Lorsqu’on fait la somme des intérêts, des dividendes et des rachats d’actions, on arrive à un coût nettement plus élevé. Ainsi, le montant des dividendes versés comparé à la valeur ajoutée a été multiplié par quatre depuis trente ans.

Dans leur étude (1), les chercheurs du Clersé de l’université de Lille-I introduisent la notion de «  surcoût du capital  », estimé à 100 milliards d’euros. En dépit de ses vertus analytiques et pédagogiques, cette notion mérite clarification. Certes, les valeurs créées par les travailleurs ne peuvent pas leur être attribuées totalement. Il faut affecter une partie au renouvellement et au développement des capacités productives et au financement des biens et services publics. Mais la rémunération du capital relève d’une logique d’exploitation : au nom de «  l’esprit d’entreprise  » et des risques associés, les propriétaires et actionnaires revendiquent un prélèvement sur les valeurs créées par les travailleurs. Or, une caractéristique majeure du capitalisme financiarisé est que le risque est reporté sur les travailleurs, alors que la rémunération du capital devient de plus en plus onéreuse. Ce renchérissement du coût du capital est systémique, inhérent au capitalisme financiarisé. Il représente les conditions d’exploitation des travailleurs aujourd’hui. En d’autres termes, le surcoût du capital fait partie intégrante du coût du capital dans une économie financiarisée.

Il ne suffirait pas de reprendre le surcoût du capital et de le redistribuer pour mettre fin à la financiarisation. Certes, si on arrivait à le faire, cela serait déjà une avancée, mais cela ne réglerait pas notre problème avec le capitalisme financiarisé, car la hausse du coût du capital, qui est la contrepartie de l’intensification de l’exploitation des travailleurs, mène à l’impasse, à la crise systémique, comme c’est le cas actuellement. Pour en sortir, il ne suffirait pas de revenir à un capitalisme «  normal  », de corriger l’anomalie, reprendre le surcoût du capital et le redistribuer. Il faut établir un nouveau mode de développement économique et social, une société plus solidaire, plus humaine et plus respectueuse de l’environnement.

Cette approche systémique permet aussi de faire le lien avec le secteur public. La logique fondamentale du capitalisme financiarisé est de répondre avant tout aux exigences financières. Elle s’applique aussi bien dans le privé que dans le public, comme en attestent les arguments du gouvernement pour justifier ses choix budgétaires.

Enfin, les aides accordées par la puissance publique, qui s’élèvent chaque année à des dizaines de milliards d’euros, représentent aussi un coût indirect du capital, car au moins une partie de ces sommes va, en dernière analyse, vers les actionnaires, alors qu’elles pourraient être utilisées pour améliorer les conditions économiques et sociales.

La démarche syndicale est constitutive de l’alternative

Par Maryse Dumas, membre 
du groupe CGT au Conseil économique, social et environnemental

Non seulement le travail n’est pas un coût mais sa richesse, celle qu’il crée, celle qu’il répand dans la société ne saurait s’évaluer en termes de balance comptable, pas même en comparaison coût du capital/coût du travail. La vraie valeur du travail n’est pas de répondre aux objectifs de rentabilité, elle n’est même pas d’assurer une rémunération (même si c’est très important) à celles et ceux qui travaillent. La vraie valeur du travail est de répondre à leur soif de reconnaissance et d’utilité sociale, de lien social et de réalisation de soi, d’émancipation. La revalorisation du travail passe par la fierté du travail qui est elle-même essentielle pour mener les batailles salariales et de protection sociale. La vraie valeur du travail est de permettre à la société de mieux vivre, de maîtriser son devenir et celui de la planète. Elle détermine le droit pour les salariés à intervenir sur les stratégies de gestion des entreprises et, au-delà, sur tous les rouages économiques et sociaux : pas seulement pour un autre partage des richesses mais pour décider de ce que l’on doit produire ou pas, au service de quels besoins, comment et avec qui.

La démarche syndicale est de ce fait constitutive de l’alternative : elle transforme en revendications collectives les mécontentements individuels, elle vise l’intervention de chacune et chacun en solidarité avec les autres, elle cherche une pratique démocratique impliquant le plus grand nombre. Dans le contact quotidien avec les salariés, les militantes et militants ont besoin d’un bagage de connaissances et de repères pour décrypter le réel, mettre en évidence les contradictions et les leviers d’action, construire des perspectives. L’enjeu des formations est alors essentiel, notamment des formations syndicales afin, d’une part, de ne pas se laisser abuser par les prétendus arguments économiques des directions d’entreprises, d’autre part, de garder le cap de l’exigence de revalorisation du travail.

L’action syndicale a déjà remporté des acquis, notamment pour obliger les directions d’entreprises à rendre des comptes et fournir des éléments chiffrés. Mais il est évident que ces présentations ne sont pas neutres, les lire pour en extraire l’essentiel, ce qui est utile à la mobilisation et aux contre-propositions, ne va pas de soi. D’où l’importance, outre les formations, d’entourer les élus et mandatés de collectifs de syndiqués nombreux et actifs. La volonté du ministre du Travail de supprimer les seuils d’effectifs obligeant les entreprises à reconnaître les institutions représentatives des salariés démontre à quel point ce sujet est décisif dans l’affrontement capital/travail. Construire une perspective d’émancipation du travail consiste bien à permettre aux salariés de disposer de droits et garanties qui leur permettent de dépasser le lien de subordination que concrétise le contrat de travail et de faire reculer la notion même de «  marché  » du travail. C’est ce qu’ambitionne la CGT, au travers de sa vision d’un nouveau statut du travail salarié construit dans un processus de conquêtes et rapports de forces progressifs pour reconnaître au travail sa place centrale dans la société, et débarrasser celle-ci de la domination du capital.

Quelles réformes pour le financement de l’économie ?

par Esther Jeffers, membre des Économistes atterrés 
et du conseil scientifique d’Attac

Alors que les entreprises non financières (SNF) de la zone euro sont particulièrement dépendantes du crédit bancaire, nous constatons aujourd’hui que les banques financent de moins en moins l’économie. Les autorités françaises et européennes encouragent, comme alternative au crédit bancaire, la titrisation (actifs transformés par les banques en titres échangeables sur les marchés de capitaux, ce qui permet aux banques de sortir les créances de leur bilan), notamment pour les PME. En France, ce mouvement de désintermédiation semble s’accélérer : les financements de marchés représentent, aujourd’hui, 36 % de la dette des SNF françaises contre 26 % début 2009 (1). La crise a pourtant illustré les dangers de la titrisation et ceux du shadow banking (les institutions financières non bancaires qui font du crédit mais qui ne sont pas surveillées ou régulées comme les banques de détail).

Autre constat : en dépit des injections massives de liquidités par la BCE pour lutter contre la paralysie du marché interbancaire et faire repartir l’économie, les banques n’ont pas joué le jeu. Une étude réalisée par l’agence Fitch Ratings (2) montre que, entre décembre 2010 et décembre 2012, les seize grandes banques européennes d’importance systémique ont accru leur exposition totale à la dette souveraine d’environ 550 milliards d’euros alors que, dans le même temps, elles réduisaient leur exposition aux entreprises de 440 milliards d’euros. Ainsi donc, les grandes banques européennes ont préféré acheter de la dette publique et spéculer contre les États de la zone euro, plutôt que de financer les entreprises.

Dans ce contexte, quelles propositions pouvons-nous avancer ? D’abord, il n’est pas normal que la BCE fournisse toutes ces liquidités aux banques sans contreparties et sans conditions quant à l’usage qui en est fait, alors que, s’agissant des États, toute aide est conditionnée par des mesures d’austérité strictes, et la BCE refuse d’être le prêteur en dernier ressort. En fait, la banque centrale devrait garantir toutes les dettes publiques et monétiser les déficits publics si nécessaire. N’importe quel déficit ? Non. Pas ceux qui résultent de l’évasion fiscale ou des cadeaux fiscaux... D’où la nécessité de refondre la fiscalité et tarir les sources de déficits qui tiennent à la défiscalisation.

S’agissant du système bancaire, il faudrait une réforme qui aboutisse à un pôle financier organisé autour de banques publiques contrôlées démocratiquement. Les banques sont nécessaires à l’économie car, sur le plan macroéconomique, un investissement net implique une création monétaire. C’est ce que les banques, seules, peuvent faire. Il est donc nécessaire qu’elles soient publiques et contrôlées démocratiquement. Avec une séparation nette des banques commerciales (dont la fonction est d’accorder des crédits aux ménages et aux entreprises) et des banques d’affaires. Rien ne justifie que les banques d’affaires bénéficient de la garantie de la banque centrale et donc d’une subvention implicite.

Les taux de refinancement des banques devraient être modulés en fonction de l’usage fait de ces financements. Car le rôle du pôle public ne devrait pas être d’assurer le financement de tous les projets qui lui seront soumis, ni a fortiori de prendre en charge ce qui n’est pas rentable pour laisser le reste au secteur privé. Il aura pour mission d’assurer le financement des investissements qui seront jugés socialement et écologiquement utiles. Du secteur du logement au domaine des services publics (hôpitaux, écoles, eau, énergie, transports, etc.), les besoins sont nombreux.

Original de l’article.

 
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