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La torture au Maroc comme politique d’Etat.
Lotfi CHAWQI, Ouadie EL HANKOURI, Mohamed JAITE

« … Ils m’ont enlevé mes vêtements. Tous mes vêtements. J’étais nu. Toujours les yeux bandés. Menottes derrières. Les pieds ligotés avec les menottes. Ils ont commencé à me taper. Ils m’ont mis par terre. Ils ont ligotés mes pieds. Il y avait deux mecs. Ils ont sorti une barre de fer sur laquelle ils ont attaché mes jambes. D’autres personnes me frappaient les pieds avec des tuyaux et des cordes. . J’ai reçu des coups partout. Sur le ventre. Sur le torse. Ils se sont acharnés sur moi en disant tout le temps, sans arrêt, qu’ici c’est l’abattoir des hommes. On va te tuer. On va te découper. On va faire de toi de la viande hachée. On va te mettre dans des boîtes de conserves et personne n’en saura rien … »

Ceci n’est qu’un extrait [1] de la torture qu’a subit Zakaria Moumni, champion du monde de Kick Boxing (1999). Zakaria a eu la « mauvaise » idée de réclamer ses droits hauts et forts (l’application d’un décret royal donnant droit à une indemnité aux champions du monde marocains). Il a été enlevé le 27 septembre 2010 à l’aéroport de Rabat à sa descente de l’avion en provenance de Paris où il vit depuis plusieurs années avec sa femme. Il a été conduit secrètement, les yeux bandés, au centre de torture de Temara où il a subi les pires sévices. Le passage cité ci-dessus n’est qu’un exemple des pratiques en œuvre dans ce lieu de torture selon les différents témoignages des victimes. Le centre de Temara a une mauvaise réputation au point que certaines personnes l’appellent Temara-ntánamo (en référence au camp américain de Guantanamo) et d’autres la surnomment le « Tazmamart » [2] de « la nouvelle ère ».

Face aux accusations régulières de « peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant » pratiqué par l’Etat marocain, ce dernier a recourt, généralement, à deux stratégies. Nier la torture de manière systématique, ou relativiser les cas révélés qui seraient selon lui « isolés » (En se référant, par exemple, aux « années de plomb », pour dire que c’était pire avant ! Quand même !).

L’usage de la torture n’est pas spécifique à un lieu particulier. Les marocain(e)s habitué(e)s des commissariats de police ou des postes de gendarmerie (pour militantisme ou autre) connaissent très bien l’accueil qui leur est réservé en général dans ces lieux dits du « Makhzen ». Les témoignages ne manquent pas.

Samir Bradely, militant du mouvement contestataire du 20 février [3], ancien prisonnier politique et d’opinion est arrêté le 23 juillet 2012 et condamné à 6 mois de prison : « J’étais, toujours les yeux bandées, torturé dans la voiture de police ainsi que dans le commissariat ; j’ai reçu des coups de poings et des coups de pieds, on m’a obligé à dormir par terre pendant deux mois. Jusqu’à aujourd’hui, j’endure les conséquences de la torture ; j’ai une sciatique. »

Zahra Boudkour, militante de l’Union Nationale des Etudiants Marocains, est arrêtée le 15 mai 2008 et jugée le 19 mars 2009 après 10 mois de détention provisoire. Elle raconte les conditions de son interrogatoire : « … A minuit, on m’a descendu, nue, encore une fois, à la cave. On m’a demandé des noms et des adresses. Quand j’ai refusé de répondre, j’ai reçu une pluie de claques et de coups de pieds. Ce fut la même violence, lorsque qu’ils m’ont accusé d’avoir falsifié mon nom. Lorsque j’ai eu mes règles, on m’a laissé saigner pendant deux jours. Sans vêtements ! … » [4]

Ezedine Erroussi, ancien détenu politique à la prison locale de Taza, militant de l’Union Nationale des Etudiants Marocains (UNEM) est arrêté le 1er décembre 2011 et libéré le 18 avril 2012. Il a mené une longue grève de la faim pour réclamer sa libération, protester contre ses conditions de détention et réaffirmer son combat politique. Dans une lettre, il dit [5] : « ... Alors un des agents a mis encore une fois un pistolet dans ma bouche et sur ma tempe, il m’insultait et me menaçait « je vais t’exploser la tête si tu ne parles pas.. » J’ai quand même gardé le silence. Alors ils ont commencé à arracher mes cheveux à tel point qu’ils arrachèrent mon cuir chevelu ... Ils se sont mis à me provoquer pour m’obliger à parler. Comme ils n’ont pas réussi, ils ont repris la torture. Ils ont mis un torchon plein de boue et d’huile de moteur dans ma bouche. J’ai failli m’étouffer car ils ont continué à me rouer de coups sur la totalité de mon corps, surtout sur les parties sensibles ... »

D’autres exemples encore : en juillet 2002, Mohammed Ait Si Rahal [6] (immigré marocain en France) succombe aux violences subis par le commissaire du commissariat de Marrakech. Le 17 septembre 2010 ; Foudail Abderkane [7] est mort suite aux blessures sous la torture au commissariat central de Hay Salam à Salé. Récemment, fin janvier 2014, une jeune femme affirme avoir été violée par un policier lors de sa garde à vue dans un commissariat à Rabat. A Marrakech, encore, début février, un jeune est mort dans le commissariat de police. Une fois encore, durant le mois de février 2014, une autre personne, Salah Eddine Saki, est décédée lors de sa présence au service régional de la police judiciaire à la ville d’Asfi.

A cela, s’ajoutent les interventions des forces de l’ordre qui entraînent la mort. A titre d’exemples, Karim Chaib (Ville de Séfrou), Kamal Ammari (Ville de Safi), Mohamed Boudouroua (Ville de Safi), Kamal Hussaini (Ville Aït Bouayach) ont tous trouvé la mort pendant l’année 2011. Respectivement le 20 février, le 29 mai, le 13 octobre et le 27 octobre.

Après sa mission menée du 15 au 22 septembre 2012, le rapporteur spécial des Nations-Unies, Juan Mendes, a rendu public son rapport. Il parle d’un « recours accru aux actes de torture et aux mauvais traitements lors de l’arrestation et pendant la détention » [8]. Il se dit « vivement préoccupé par plusieurs témoignages relatifs au recours à la torture et aux mauvais traitements dans des cas présumés de terrorisme ou de menace contre la sécurité nationale » [9].

On remarque d’ailleurs une similitude dans les méthodes et outils de torture entre des commissariats dans des lieux pourtant éloignés géographiquement. Il y a un ’savoir-faire’ (pour emprunter la terminologie de Michèle Alliot-Marie [10]) qui circulent entre les tortionnaires. Il est probable que les tortionnaires aient suivi des formations dans le domaine.

Le Maroc est allé plus loin en sous-traitant ses services de professionnels de la torture à la Central Intelligence Agency (CIA). Binyam Mohamed est emmené, en juillet 2002, « à bord d’un avion affrété par la CIA jusqu’au Maroc, où il est détenu au secret pendant environ dix-huit mois » [11]. Binyam révèlera au journal hebdomadaire anglais The Mail on Sunday  [12], les pratiques cruelles et inhumaines qu’il a endurées. Il s’est fait découper la poitrine et les parties génitales à l’aide d’un scalpel. Selon Reprieve [13], une organisation qui lutte à travers le monde contre la peine de mort, plusieurs responsables seraient impliqués directement dans ces opérations. Comme son prédécesseur Hamidou Laânigri, patron de la DST (de 1999 à 2003) et de la DGSN (jusqu’à 2006), Abdellatif Hammouchi, l’actuel patron de la DST, « qui aurait supervisé les différentes opérations entrant dans ce cadre » [14].

De son côté, l’ambassade du Maroc à Paris serait impliquée dans la préparation d’une entreprise criminelle [15] contre deux Franco-Marocains à la demande de l’industriel Serge Dassault. Le numéro 2 de l’ambassade à Paris aurait déclaré, selon les révélations de France Inter : « Ces gens-là vous font chanter ? On va s’en occuper Monsieur Dassault ! » [16]. D’ailleurs, l’Etat français, quelque soit le parti au pouvoir (UMP comme PS), reste complice de la politique répressive menée par le régime monarchique. Il serait même impliqué dans le « blocage » des dossiers comme celui de l’enlèvement et l’assassinat de Mehdi Ben Barka [17], le 29 octobre 1965 devant la brasserie Lipp à Paris. Or, ce dossier n’évolue toujours pas au nom de la « raison d’Etat » et par absence de décision politique. Dans le même temps, l’avocat de la famille Ben Barka, Maurice Buttin, est poursuivi devant la justice française certainement pour l’intimider. Il ne sera pas étonnant d’étouffer les plaintes déposées récemment par l’Action Chrétienne pour l’Abolition de la Torture [18] et Maître Joseph Breham, contre le patron de la DST marocain par le pouvoir politique, d’une manière ou d’une autre.

L’impunité des tortionnaires, l’absence d’enquêtes indépendantes, la répétition fréquente d’actes de « peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant » sans poursuite des responsables, le retour à l’enfermement carcéral, dans des conditions inhumaines, pour les voix dissidentes (comme en témoigne la longue liste des prisonniers politiques) appuieraient l’interprétation que l’Etat marocain a recours systématiquement à la torture. Déjà en 2000-2001, l’Association Marocaine des Droits Humains (AMDH) avait publié une liste des noms de responsables [19], certains [20] toujours en poste, pour lesquels l’association dispose de présomptions sur leur implication dans les crimes d’enlèvements, d’assassinats, d’arrestations arbitraires et de torture. L’Etat n’a pas jugé utile de réagir à cette liste. D’ailleurs, nonobstant l’opération de communication qui a accompagné l’annonce de « la nouvelle ère », largement relayée en Europe, notamment en France, l’Etat marocain a gardé le même appareil sécuritaire répressif que lors du règne d’Hassan II. Certains même de ceux présentés comme des « nouveaux visages » ont passé des stages de formation chez le ministre de l’Intérieur Idriss Basri, connu pour sa main de fer au service de la dictature d’Hassan II.

Le point commun entre les différents cas de tortures c’est l’impunité. Il faut se battre, parfois des années (cas de Zoubida Aït Si Rahal épouse de Mohammed Ait Si Rahal évoqué plus haut), pour obtenir un jugement contre un des tortionnaires ; puis il faut encore se battre pour que le jugement soit appliqué. La somme importante des cas rapportés permet de douter de la justification officielle selon laquelle ceux-ci seraient des « cas isolés ». La torture touche une large partie des citoyen(ne)s ; passant de simples personnes à des « militant(e)s » de l’Union Nationale des Etudiants du Maroc (UNEM), des « islamistes », des « syndicalistes », des « activistes » des mouvements sociaux, des « défenseur(euses) des droits humains », des « militant(e)s sahraouis », des « militant(e)s du mouvement amazigh », des opposant(e)s politiques, etc.

Tous ces faits mènent à penser que la pratique de la torture au Maroc, par son caractère systématique, est une politique d’Etat. Elle est un des maillons d’un système répressif ancré au cœur des mécanismes du pouvoir. Comme le reste des régimes despotiques, malgré une façade démocratique, le pouvoir en place dispose d’un vaste arsenal d’interventions pour contrer les mouvements sociaux et démocratiques qui combattent l’arbitraire policier, la corruption et les politiques anti sociales au service d’une logique de prédation internationale et locale menée et soutenue au plus haut niveau de l’appareil d’Etat.

En France tout comme au Maroc, intellectuels, médias et partis institutionnels dominants sont totalement muets face à une situation pourtant connue. Sans doute, le rôle que joue le pouvoir marocain comme tête de pont et allié stratégique dans le maintien de la Françafrique, le poids des intérêts des entreprises du CAC 40, la défense de l’Europe forteresse y sont pour beaucoup. Il serait judicieux d’ouvrir une enquête détaillée sur les coopérations sécuritaires, qui loin d’être seulement techniques, aboutissent à transférer un savoir-faire dans « la gestion des débordements sociaux » et à faire face, par tous les moyens, au risque d’un soulèvement populaire. Car le Maroc est loin d’être une exception par rapport aux autres pays de la région, même si le pouvoir « bien conseillé » par les officines impériales a pu maitriser la première vague de contestation. Cette complicité va jusqu’au soutien affiché des initiatives royales pour leur donner un label démocratique avec l’aval de la communauté internationale. Au Maroc, on réprime, on torture, on assassine dans l’impunité totale.. Nous ne pouvons nous résigner à cette situation et il est urgent que se développe un large mouvement de solidarité contre la pratique de la torture et la répression sous toutes ses formes au Maroc, condition pour dessiner un avenir démocratique pour notre peuple mais aussi d’une région où l’exigence d’un changement radical soit portée par des dynamiques progressistes.

  • CHAWQI Lotfi, militant du mouvement du 20 février.
  • EL HANKOURI Ouadie, militant du mouvement du 20 février.
  • JAITE Mohamed, militant du mouvement du 20 février.
 
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