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Cette « école française » de la guerre contre-révolutionnaire
Mustapha Benfodil

Sollicitée par nos soins pour décrypter le « cas » Aussaresses, Malika Rahal, historienne, chargée de recherche à l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS), mettra, avant tout, en exergue la complexité du personnage.

« La figure du général Aussaresses, témoin rare de l’usage de la torture et des méthodes contre-insurrectionnelles durant la guerre d’indépendance, me semble finalement assez complexe. D’une part du fait de la personnalité de l’homme : il existait chez lui une dimension bravache et ‘‘plastronneuse’’ (…) qui jette une ombre de suspicion sur son témoignage. Compte tenu des relations entre les officiers parachutistes, et notamment entre Paul Aussaresses et Jacques Massu, il n’est pas entièrement à exclure, à mon sens, qu’Aussaresses ait endossé des responsabilités et des actes revenant à d’autres. (…) Mais sur le fond, cette répartition des responsabilités ne change rien, et l’éventuel “serment de silence” entre eux ne recouvre désormais que les cas individuels – même s’ils sont parfois infiniment douloureux », analyse-t-elle.

L’auteur de Ali Boumendjel, Une affaire française, une histoire algérienne (Barzakh, 2011) dissèque avec précision le dispositif politico-militaire qui a engendré la machine répressive incarnée par Aussaresses : « Ses mémoires confirment de l’intérieur le mécanisme de la répression — notamment durant la « Bataille d’Alger » tels qu’ils ont été décrits par les historiennes Sylvie Thénault et Raphaëlle Branche.

Et le tableau est accablant : l’armée joue le rôle qu’on lui demande de jouer dans les guerres contre-révolutionnaires, elle agit en contravention de tous les principes démocratiques de fonctionnement de la justice et de contrôle du pouvoir civil sur le pouvoir militaire », observe l’historienne, avant d’ajouter : « Et l’on en sait beaucoup plus grâce à lui sur l’existence et le fonctionnement de ce qu’on a appelé un ‘‘escadron de la mort’’, la façon dont les parachutistes liquidaient leurs détenus par dizaines ». Malika Rahal revient ensuite sur le deuxième acte de la vie d’Aussaresses : son récit. Le tortionnaire se met à écrire et se fait l’apologiste de ses propres crimes. Et cela fait désordre.

Perversité du tortionnaire

Elle rappelle comment la publication des Mémoires d’Aussaresses lui ont valu une condamnation alors qu’il jouissait de l’impunité la plus totale, « du fait des lois d’amnistie », pour les atrocités qu’il avait commises. « Il est donc — faute de mieux — poursuivi pour avoir parlé. Il y a à cela un effet pervers », relève la chercheuse du CNRS.
Pour la petite histoire, Malika Rahal avait tenté d’interviewer Aussaresses. Voilà comment cela s’est terminé : « Je travaillais lors de son procès sur la biographie de l’une de ses victimes, l’avocat du FLN Ali Boumendjel. Une fois la condamnation d’Aussaresses confirmée en appel, il a définitivement refusé de me parler. Peut-être le procès aura-t-il servi de leçon à d’autres qui auraient pu vouloir parler, les encourageants plus encore au silence ? » Le récit d’Aussaresses, souligne l’historienne, renvoie forcément au débat sur la torture « initié par l’intervention de Louisette Ighilahriz, animé par les journalistes du Monde et de L’Humanité, qui secoue la société française profondément ».

Elle précise que « cette fois, les révélations étaient nombreuses et installaient durablement le thème : le rôle de pédagogue des méthodes contre-insurrectionnelles à Fort Bragg (plus grande base d’entraînement pour les forces commandos au monde, située en Caroline du Nord, ndlr) joué par le général Aussaresses révélait qu’il existait une ‘‘école française’’, avec des ramifications jusque dans les régimes dictatoriaux d’Amérique latine ».

Malika Rahal insiste sur le fait que le personnage, si exubérant soit-il, ne doit pas occulter la responsabilité du pouvoir politique qui a couvert ses crimes :

« L’image du parachutiste retors et sans principes qu’il véhiculait, comme celle du fort-en-gueule construite par le général Bigeard, ne doivent pas faire oublier que la guerre contre-révolutionnaire est initiée par le pouvoir politique. Et que les scandales se multiplient en 1957 à mesure que les parachutistes du général Massu s’en prennent à des figures identifiables depuis la France : Larbi Ben M’hidi, dont Aussaresses raconte l’assassinat, était considéré comme un chef militaire en février 1957, et le scandale autour de sa mort est en France de faible ampleur ; mais Ali Boumendjel, autre victime nommée par Aussaresses, est un avocat, un homme politique qui compte à Paris assez d’amis pour que son ‘‘suicide’’ par les parachutistes fasse scandale en mars et avril. (…)
La cible de la répression menée par l’armée française s’élargit désormais à l’ensemble de la population civile ; les intellectuels et autres figures publiques ne sont plus à l’abri (…) ».

L’historienne estime que « la disparition progressive des acteurs (à peu d’écart les généraux Massu, Bigeard et Aussaresses) ouvre d’autres perspectives : elle ouvre le temps d’une histoire sans doute un peu différente, moins focalisée sur des figures, sur des histoires particulières, et où l’on pourra contempler plus aisément une vision d’ensemble. Un temps aussi où il faudra bien admettre que certaines informations sont perdues ; que l’on ne saura jamais tout (…) ».

Malika Rahal termine sur une pointe d’émotion :

« Comme historienne, plutôt qu’au général Aussaresses, je pense ce jour aux personnages ‘‘rencontrés’’ dans mon travail : Larbi Ben M’hidi et Ali Boumendjel. Et aux vivants qui ont témoigné ou témoignent encore, et que la nouvelle de la mort du tortionnaire ne laisse pas indifférents. Et parce que j’ai beaucoup travaillé avec elle pour la biographie de son mari, c’est Malika Boumendjel qui occupe mes pensées, Malika avec son désir de vérité et de justice, que cette nouvelle secoue certainement. »

Mustapha Benfodil, le 09.12.13 | 10h00

 
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