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Les Jours heureux : regarder en arrière pour construire un avenir meilleur.
Rosa LLORENS

Gilles Perret s’est déjà fait connaître pour sa réflexion sur le libéralisme (Ma Mondialisation) et comme un cinéaste de la mémoire (De Mémoire d’ouvriers). Avec Les Jours heureux (titre qui évoque un tableau de Fernand Léger sur l’époque des congés payés, mais qui est en fait le titre, volontairement utopiste, du Programme du CNR), il nous offre une contre-partie française à L’Esprit de 45 de Ken Loach (qu’on peut encore voir, avec de la chance, au Brady 10e). Comme lui, il se centre sur le programme de nationalisations et de services sociaux mis en oeuvre après la guerre, et sa destruction, à partir des années 70 en Angleterre, des années 80 en France (la date inaugurale de ce retour au libéralisme sauvage était soulignée d’un sourire de l’historien interviewé, et le public a parfaitement saisi l’intention !).

Mais le film de Perret tarde à prendre son élan, tout au contraire de l’appréciation de Télérama :"Première partie passionnante [...]. La deuxième (le démantèlement de ces acquis sociaux par le libéralisme) est beaucoup moins réussie".

Dans la première partie, en effet, Perret donne à son film un tour trop muséistique (comment s’est formé le CNR) et un esprit "ancien combattant" peu stimulant. A Paris, on voit se succéder de grands témoins, parfois anciens ministres de De Gaulle, filmés dans des appartements cossus. Dans les Glières et à Lyon, Perret se rapproche de sa terre natale, la Savoie, dans laquelle s’enracine son cinéma. Mais on peut trouver que la visite dans un musée de la Résistance, où on filme avec insistance l’émotion d’une classe de collégiens, est de trop : la larme à l’oeil n’est pas une pédagogie, l’objectif d’un professeur doit être de susciter la réflexion. C’est là aussi, dans les Glières, qu’on voit Stéphane Hessel dans un exercice d’indignation (juste après, un de ses vieux camarades résistants prend un groupe de jeunes à part pour ajouter : ’L’indignation, ça ne suffit pas : il faut agir.")

Que manque-t-il à cette partie, pourquoi n’a-t-elle pas la force et le rythme du film de Loach ? Le mot de "contexte" revient dans les témoignages, et c’est bien cela que montrait Loach, en donnant la parole à de vieux ouvriers qui avaient connu la misère d’avant la guerre, et en montrant dans des images d’époque cette misère, ou le retour des soldats démobilisés, qu’on ne pouvait pas renvoyer à leur ancienne situation de quasi-esclavage. Le film de Perret aurait été plus éclairant s’il nous avait parlé des espoirs déçus du Front Populaire, du retour au Pouvoir de la droite de toujours (avec, à sa tête, les Radicaux et les socialistes modérés), des sympathies actives de la classe dirigeante pour Hitler, des grands patrons (L’Oréal) finançant les groupes d’extrême-droite, puis, à la Libération (au lieu des images convenues de foules en liesse), la misère (le contexte de la Libération, on peut s’en faire une bonne idée dans le film de Carné, Les portes de la nuit, sorti en 1946).

C’est donc seulement dans la deuxième partie que le film devient percutant, retrouvant l’esprit mordant et même les gags visuels des Nouveaux Chiens de garde, de Balbastre et Kergoat, pour raconter la destruction du programme du CNR. Les interventions des dirigeants actuels se succèdent, criantes de vacuité, ou provocantes jusqu’à l’indécence, quand Copé nous explique que nous devrions nous considérer comme heureux quand, au lieu de craindre une arrestation par la Gestapo, nous nous préoccupons seulement pour le remboursement d’une boîte de Doliprane. Nos hommes politiques semblent se caricaturer eux-mêmes, il suffit pour cela de juxtaposer des images de Sarkozy, Copé, Hollande, se référant tous, en écho, au programme du CNR alors qu’ils sont occupés, selon l’ordre de route si lumineusement énoncé par Denis Kessler en décembre 2011, à le "défaire méthodiquement".

Mais le clou du spectacle, c’est, à tout seigneur tout honneur, l’interview de Hollande : il semble qu’à l’ENA les étudiants s’entraînent prioritairement à un exercice rhétorique consistant à improviser sur n’importe quel terme (crise, chômage, pouvoir, démocratie...) en enchaînant des généralités qui mènent l’interlocuteur très loin de la question soulevée de façon à noyer le poisson.

Certains politiciens (Emmanuelli) font entendre un autre accent, le regret, mais sur fond de résignation : "Seul contre tous, Que vouliez-vous que je fisse ?" Mélenchon, lui, rompt ce climat consensuel en reprenant le thème du contexte : ce qui manque aujourd’hui, c’est un contexte révolutionnaire, un contrepoids à la classe dirigeante : tant que les politiciens de tous bords se réuniront entre eux, et avec les représentants du Medef, aucune politique nouvelle ne pourra en sortir ; comment croire que les bénéficiaires du régime libéral actuel vont conclure : "les actionnaires sont trop avantagés, nous allons rééquilibrer en faveur des travailleurs" ?

Le patronat d’aujourd’hui, et ses représentants politiques, pourraient prendre pour devise le slogan de la dernière campagne de pub de Kinder bueno : "C’est trop bon pour en laisser aux autres."

Rosa Llorens

 
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