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Pourquoi l’Islam politique échoue (Publico.es)
Nazanin ARMANIAN

Il y a deux ans, des millions de personnes en Afrique du Nord et au Proche-Orient se sont levées pour obtenir la démocratie, politique mais aussi économique. Certains annoncèrent alors que l’islamisme touchait à sa fin [1]. De même, à la suite de la chute du gouvernement du Frère musulman Mohamed Morsi, provoquée par le soulèvement de 20 millions d’Égyptiens, réapparaît cette question : s’agit-il de la fin définitive d’un mouvement avide de pouvoir ? Il est étonnant qu’un an à peine ait suffi pour que les Égyptiens « musulmans » tournent le dos à une organisation qui, cantonnée dans l’opposition depuis 80 ans, apportait une aide sociale aux plus démunis. Mais ceux qui appellent à la patience un peuple affamé ont, eux, la peau du ventre bien tendue.

Les Printemps arabes sont condamnés à échouer, en partie en raison de la nature des groupes islamiques qui s’en sont emparés et les ont détournés [2].

Dresser une analyse de la situation dans cette partie du monde qui serait uniquement axée sur les aspects religieux serait aussi absurde que d’aborder la crise économique en Europe au travers du christianisme. En Iran, la grande révolution nationale démocratique de 1979 a aussi été qualifiée à tort de « Révolution islamique », comme si ce que 30 millions d’Iraniens réclamaient au péril de leur vie était plus de mosquées et de spiritualité [3].

Le verset 9:38 du Coran nous montre que le bien-être personnel est primordial, même pour les militaires religieux qui refusaient d’aller à la guerre : « Ô vous qui croyez ! Qu’avez-vous à rester cloués au sol, lorsqu’on vous dit : « Allez combattre pour la Cause de Dieu ? » Préférez-vous la vie présente à la vie future ? Mais les plaisirs de cette vie ne sont-ils pas bien peu de chose, comparés à l’au-delà ! » Le verset 9:81 nous donne la raison de ce refus : la chaleur ! « Dis-leur : le feu de l’Enfer est bien plus ardent encore », leur rappela Dieu d’un ton menaçant.

À l’époque en Iran, comme en Égypte actuellement, les révoltes d’une telle ampleur sont profondément liées à la situation économique et politique. Mais face à l’absence de partis politiques (persécutés sans pitié) qui les représentent, la religion devient l’élément fédérateur unissant les peuples.

L’islam politique est une idéologie récente. Auparavant, l’absence d’un pape puissant, la diversité des centres religieux et la séparation des pouvoirs temporel et spirituel permettaient aux rois de mener la belle vie. L’islam politique apparaît dès 1978 en pleine Guerre froide (l’année où Jean-Paul II, polonais, est nommé Pape). L’objectif était d’encercler l’URSS d’une barrière religieuse. En Afghanistan, les États-Unis créent les moudjahidin, qui avaient pour mission de renverser le gouvernement marxiste du docteur Najibullah.

En Iran, les hommes en noir se mêlent aux manifestations après 6 mois de protestation et obligent les femmes à porter le tchador. Ils prennent le pouvoir sans même posséder la base sociale dont se vantent les Frères musulmans en Égypte. Pourtant, un des fondements du chiisme était de rester en marge du pouvoir jusqu’à l’arrivée de Mahdi, leur Messie. L’ayatollah Khomeini change ce principe avec son Velayat-e faghih (Gouvernement du docte) et devient chef de l’État théocratique d’Iran, une terre regorgeant de pétrole, voisine de l’URSS et occupant une position stratégique. Une réunion du G4 en Guadeloupe avec les représentants de l’ayatollah fait le reste : il fallait éviter que l’Iran tombe aux mains de forces progressistes. Ces dernières seront éliminées [4], ainsi que les généraux de l’Armée et les islamistes modérés et libéraux – le premier président de la République islamique, Hassan Bani Sadr, fuira le pays, imité par cinq millions de personnes.

La répression est si terrible qu’Hossein Montazeri, le successeur de Khomeini, démissionne en signe de protestation [5]. Les Iraniens s’opposent tellement à la « ré-islamisation » du pays qu’un an plus tard, il quitte complètement le pouvoir et réintègre l’école théologique de Qom, laissant la politique aux politiciens. Pris de regrets, il fera ensuite son retour.

Plus tard, après plusieurs révoltes contre cet extrémisme, et probablement dans une tentative d’en corriger les excès, cette forme de gouvernement est rebaptisée « démocratie religieuse » par le président Khatami qui, en huit ans d’inefficacité, démontrera à quel point il était illusoire de vouloir réconcilier les urnes et le divin. Le nouveau président de l’Iran, l’ayatollah Rohani, aura également pour tâche de prolonger cette chimère.

En Irak, la guerre sectaire déclenchée par le gouvernement installé par les Etats-Unis continue de tuer des dizaines de personnes chaque jour. Un gouvernement moyenâgeux dans un pays arabe développé, voilà qui est venu compléter l’œuvre de Bush. Mais ensuite, en 2010, les élections parlementaires ont vu la coalition laïque l’emporter, le Conseil suprême islamique n’obtenant plus que 8 petits sièges sur 325.

Ces différentes formes d’islam politique issues des laboratoires islamiques ont donc échoué.

Une crise existentielle

Marx disait que « tous les grands faits et les grands personnages de l’Histoire universelle adviennent pour ainsi dire deux fois […] : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ». Prétendre imiter le prophète Mahomet, reproduire la vie des tribus bédouines de l’Arabie du VII siècle et introduire la charia (centrée sur le comportement moral des sujets) comme norme étatique, voilà, à des degrés divers, l’essence des idées de l’islamisme.

Comme leurs homologues chrétiens, les islamistes affirment que l’immoralité (et non l’accumulation aberrante de richesses par quelques privilégiés) est la source de tous les déséquilibres sociaux. Après plus de trente ans d’expérimentation, que ce soit en Iran, en Afghanistan, en Arabie saoudite, au Yémen, en Irak, en Turquie, en Tunisie, en Égypte ou au Soudan, on peut constater les résultats suivants :

  • Les islamistes ont une approche aveugle des questions complexes propres aux États modernes. La maxime surréaliste selon laquelle « l’islam est la solution » à tous les problèmes est non seulement simpliste, mais aussi dangereuse.
  • Le Coran est leur constitution, parole divine, figée et infaillible. Un ordre à exécuter. Aucune critique, aucune remarque, aucune modification n’est permise.
  • Les citoyens n’y sont pas égaux en droits devant la loi, puisque celle-ci se base sur le Coran, dans lequel est, par exemple, inscrite au verset 4:34 la préférence de l’homme sur la femme. Pourtant, tous sont égaux devant Dieu !
  • Leur conception de l’économie : l’ayatollah Khomeini disait en s’adressant aux travailleurs que « l’économie ne devait préoccuper que les animaux », tandis que les hommes devaient rechercher la spiritualité. Mais cette incapacité à venir à bout de la pauvreté ne serait-elle pas à l’origine des jeûnes religieux et de la sanctification de la faim, ou des promesses de mets exquis au Paradis, dans le but d’éviter les révoltes des peuples affamés sur terre ? L’échec économique mène à l’échec politique. Au final, les islamistes défendent le modèle capitaliste du XIX siècle qui ne reconnaît aucun droit aux travailleurs.
  • Ils ne reconnaissent pas le droit à la santé et à l’éducation universelle et gratuite pour tous. Il y a des différences de classe, avec l’aval du Seigneur. Ils laissent le désir d’une société égalitaire aux marxistes.
  • Ils méprisent la dignité humaine et l’intégrité physique via le système juridique appelé « Hodud », basé sur la loi du Talion œil pour œil, dent pour dent, vieille de quatre mille ans. La torture et la peine de mort sont par exemple toujours en vigueur actuellement. Même le « modéré » Erdogan envisage de réintroduire la peine capitale.
  • Par crainte du pluralisme de la pensée et du savoir, ils interdisent certaines études ou réduisent la diversité des orientations proposées en sciences humaines (droit, histoire, sciences politiques, journalisme, sociologie, etc.) Darwin, Shakespeare, Kant, Rousseau ou Voltaire disparaissent des salles de cours, laissant place à un grand vide dans ces disciplines et à une piètre façon de gouverner. En Iran, les représentants du peuple, souvent médecins ou ingénieurs, ne parviennent pas à détecter l’origine des problèmes et manquent de connaissances pour y apporter des solutions. Cette réduction du choix d’études explique que l’Iran est un des premiers exportateurs de nanotechnologie, ou qu’il gagne année après année l’Olympiade internationale de mathématiques.
  • Leur système politique est totalitaire : ils suppriment non seulement les libertés politiques, mais aussi les libertés individuelles ; ils sont obsédés par le contrôle de chaque individu. Ils réglementent jusqu’à la couleur des vêtements, et punissent par de très sévères châtiments les démonstrations de joie comme s’embrasser, rire, danser, chanter. Ils détestent que chacun affirme son individualité singulière ; c’est ainsi par exemple qu’ils imposent un uniforme à leurs femmes.
  • Ils créent des groupes civils de répression pour effrayer la population. Leurs tribunaux rappellent parfois ceux de l’Inquisition chrétienne et les sceptiques y sont accusés de blasphème ou d’athéisme. Tandis qu’ils envoient des patrouilles pour surveiller la moralité des gens, ils commettent les atrocités les plus immorales, tout en exhibant sur leur front l’empreinte du Mohr, petit disque d’argile sur lequel ils posent le front pour prier.
  • Ils disent rendre compte devant Dieu, pour ne pas avoir à se justifier face au peuple. Ils sont la nouvelle oligarchie, sans scrupules.
  • Ces islamistes revendiquent leur indépendance vis-à-vis des grandes puissances pour n’avoir à rendre compte de leurs actes à personne et pour empêcher que les structures du pouvoir traditionnel ne soient affaiblies par les influences de la modernité. Leur pays est leur “fief”. Cela ressemble au national-catholicisme. Ils ne reconnaissent en général aucun traité international relatif aux droits des femmes, des enfants et des travailleurs.

Rien qui soit mortel

L’expérience de la mort ne peut se comprendre qu’en y étant confronté personnellement. Ces groupes islamistes continueront d’obtenir le soutien des milieux pré-capitalistes, des exclus, des défavorisés, de certains milieux prolétaires (pas les travailleurs dans le sens capitaliste du terme), puisqu’ils représentent une idéologie primitive, tribale, voire pré-féodale, et par conséquent réactionnaire, à 1000 lieues des besoins et des revendications des « pauvres modernes ».

La leçon la plus importante que les Frères musulmans peuvent tirer, c’est de ne pas s’être entourés d’une armée fidèle, comme les Gardiens de la révolution islamique en Iran. Ils ne réalisent pas que s’ils ne rencontrent pas les besoins et les désirs des citoyens, ils disparaîtront.

Il n’y a pas de guerre contre l’islam, mais contre son utilisation par les opportunistes, habiles manipulateurs de la foi aux dépends de peuples appauvris et désespérés. L’alliance entre la religion et la politique n’a pas fonctionné. Mais pourtant, elle aura encore de beaux jours devant elle, tant que les États-Unis continueront à utiliser des groupes religieux comme leur cinquième colonne contre la Russie, la Chine et l’Inde.

Nazanin Armanian
Traduction : Collectif Investig’Action

 
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