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L’assassinat médiatique de Julian Assange
Le film « We Steal Secrets » : un cas d’école de propagande (Information Clearing House)
Jonathan COOK

Je viens de regarder le film « We Steal Secrets » (Nous volons des Secrets), le documentaire d’Alex Gibney sur Wikileaks et Julian Assange. Une chose utile que j’ai apprise est la différence entre un travail de massacre et un travail de diffamation. Gibney est trop intelligent pour faire un travail de massacre, et sa propagande en est d’autant plus efficace.

L’argument du film est que Assange est un égoïste-né et, si noble soit son projet initial, Wikileaks a fini non seulement par alimenter sa vanité, mais aussi accentuer en lui les qualités mêmes - secret, manipulateur, malhonnête et soif de pouvoir – qu’il méprise tant chez les forces globales auxquelles il s’est attaqué.

Cela aurait pu être une thèse plus intéressante, et peut-être plausible, si Gibney avait abordé le sujet avec plus d’honnêteté et d’impartialité. Mais deux défauts majeurs discréditent l’ensemble de l’entreprise.

Le premier est qu’il déforme gravement les faits dans l’affaire de la Suède contre Assange pour viol et agression sexuelle, au point que ses motivations pour la réalisation du film posent question.

Pour étayer son argument central sur les défaillances morales d’Assange, il lui faut présenter des arguments convaincants que ces défauts ne sont pas seulement perceptibles dans les travaux publics d’Assange, mais aussi dans sa vie privée.

Nous obtenons donc un compte-rendu très partiel de ce qui s’est passé en Suède, principalement à travers les yeux de A, une de ses deux accusatrices. Elle est interviewée sous un épais déguisement.

Gibney évite de faire allusion à des aspects importants de l’affaire qui ont jeté le doute dans l’esprit du public sur A et son témoignage. Il n’a pas, par exemple, mentionné que A a refusé, au nom d’Assange, des offres faites par ses amis lors d’un dîner d’héberger ce dernier dans leur maison – et ce peu de temps après l’agression sexuelle dont elle l’accuse.

Le film ne tient pas compte non plus de l’étroite relation qui existait entre A et l’enquêteur de la police et de l’éventuelle incidence sur le fait que l’autre plaignante, S, a refusé de signer sa déclaration à la police, ce qui laisse entendre qu’elle ne cautionne pas la version présentée des faits.

Mais la preuve la plus accablante contre Gibney est l’accent mis sur un préservatif déchiré soumis par A à la police, et de l’accepter sans broncher comme preuve d’une agression. Le film montre à plusieurs reprises une image en noir et blanc du prophylactique endommagé.

Gibney se permet même d’échafauder une théorie construite autour du préservatif et établissant un défaut de personnalité important chez Assange. Selon cette théorie, Assange l’a déchiré parce que, emprisonné dans son monde numérique, il voulait engendrer des bébés de chair et de sang pour donner un sens concret à sa vie.

Le problème est que les enquêteurs ont admis qu’aucun ADN d’Assange n’a été trouvé sur le préservatif. En fait, aucun ADN de A non plus n’a été trouvé. Le préservatif, loin de rendre le témoignage de A plus crédible, suggère qu’elle aurait pu le placer comme « preuve » pour soutenir un dossier si mince que les procureurs ont d’abord décidé de ne pas donner suite.

Il est impossible que Gibney ne soit pas au courant de ces éléments troublants très médiatisés sur le préservatif. La question est donc de savoir pourquoi a-t-il choisi de tromper le public ?

Sans A, le dossier à charge du film contre Assange se résume uniquement à son combat via Wikileaks pour publier les secrets des cénacles de l’appareil de sécurité de l’Etat américain. Et c’est là que le second défaut majeur du film se révèle.

Gibney prend soin d’aborder la plupart des grandes questions relatives à Assange et Wikileaks, rendant ainsi plus compliqué une accusation d’avoir effectué un travail biaisé. Cependant, en dehors des allégations de viol, sa malhonnêteté s’exprime non pas dans ce qu’il raconte ou pas, mais dans son choix des éléments sur lesquels il s’attarde.

Le travail d’un bon documentaliste est de considérer le matériel disponible et ensuite de présenter dans la mesure du possible un compte-rendu honnête de ce que ce matériel révèle. Au mieux, s’il prend partie pour les faibles et les victimes, cela devient une œuvre polémique et au pire, s’il prend au contraire partie pour les puissants, une œuvre de propagande.

Le film de Gibney traite Assange comme si ce dernier et l’énorme complexe militaro-industriel étaient engagés dans un simple jeu de chat et souris, deux joueurs qui tentent de se déjouer mutuellement. Il ne dit pas grand chose des vastes forces déployées contre Assange et Wikileaks.

Les accusations suédoises ne sont abordées que pour jeter un doute sur la moralité d’Assange. Aucun effort sérieux n’est fait pour mettre en évidence les énormes ressources que l’appareil de sécurité US a déployé pour façonner l’opinion publique, notamment à travers les médias. La campagne de haine contre Assange, et le rôle de la Suède dans l’alimentation de cette campagne, sont ignorés.

Rien de tout cela n’est vraiment surprenant. Si Gibney avait mis en évidence les efforts de Washington pour diaboliser Assange, il aurait laissé entendre à nous, son public, sa propre position vis-à-vis de ce système global de désinformation.

C’est une honte parce qu’il y a probablement là bien matière à affirmer que quiconque s’en prend à la puissance de l’empire moderne de surveillance et de sécurité que les États-Unis sont devenus, sera lui-même condamné à plus ou moins reproduire les mêmes travers.

Comment est-il possible de demeurer transparent, ouvert, honnête – et même sain d’esprit - quand tous les appareils électroniques que vous possédez sont probablement sur écoute, quand chacun de vos mouvements est enregistré, lorsque vos proches sont menacés, alors que les meilleurs juristes sont en train de comploter votre chute, quand vos mots sont déformés et manipulés par les médias pour vous transformer en un ennemi officiel ?

Assange n’est pas le seul dans cette situation. Bradley Manning, la source d’informations la plus importante de Wikileaks, a forcément menti à ses supérieurs et usé de subterfuges pour mettre la main sur les documents secrets qui nous ont révélé les horreurs déchaînées en Irak et en Afghanistan en notre nom.

Depuis qu’il a été capturé, il subit des tortures en prison et est actuellement au milieu d’un simulacre de procès.

Un autre des grands dénonciateurs du moment, Edward Snowden, n’a pas été plus honnête avec son employeur, une entreprise sous-traitante de l’appareil de surveillance américain, lorsqu’il a accumulé de plus en plus de preuves sur les opérations d’espionnage illégales menées par la NSA et d’autres.

Il est à présent retenu dans un aéroport russe et tente de trouver une alternative à la prison à vie ou la mort. S’il réussit, comme il l’a déjà fait en fuyant Hong Kong, ce sera sans doute grâce à des opérations secrètes et des manipulations.

Ce documentaire aurait pu être une étude fascinante sur les dilemmes moraux auxquels sont confrontés les dénonciateurs à l’ère de surveillance du super-État. Au lieu, Gibney a choisi la facilité en faisant un film qui se range du côté du problème plutôt que du côté de la solution.

Jonathan Cook

Jonathan Cook est un journaliste biritannique récompensé basé à Nazareth, Israel, depuis 2001. - http://www.jonathan-cook.net

Traduction "j’espère que la protection de l’ambassade équatorienne est plus solide" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les faute et ciquolles habituelles...

 
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