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“Un drone, ça ne fait pas de prisonniers”, Grégoire Chamayou, chercheur au CNRS
Juliette Cerf

Entretien. Avec les drones, on peut tuer sans être tué. Ces engins bouleversent les règles de la guerre, nous explique le philosophe Grégoire Chamayou.

Les travaux de Grégoire Chamayou, chercheur au CNRS, croisent histoire des techniques et histoire des rationalités politiques. Il vient de publier Théorie du drone (éd. La Fabrique), un essai passionnant qui interroge les implications éthiques, juridiques et politiques de cette technologie militaire.

A quel type de drones vous êtes-vous intéressé ?

Mon livre traite des drones « chasseurs-tueurs », justifiés par une logique très retorse : leurs partisans voient en eux un progrès majeur dans la technologie humanitaire, puisqu’ils permettent de sauver des vies. Personne ne meurt, si ce n’est l’ennemi… Mais comment qualifier d’humanitaire une machine à tuer ?

Emblème de la « guerre sans risque », le drone fait éclater toute réciprocité : avec lui, on peut voir sans être vu, et surtout tuer sans être tué. Il modifie ainsi en profondeur la structure traditionnelle du rapport d’hostilité (tuer en pouvant soi-même être tué). L’écusson du drone MQ-9 Reaper, qui figure la faucheuse, rictus inquiétant et gouttes de sang sur sa lame, le dit clairement avec sa terrifiante devise : « Que les autres meurent »…

“On ne combat plus l’ennemi, on le tire comme un lapin.”

Le drone redéfinit-il le droit de la guerre ?

C’est, en tout cas, ce à quoi s’activent des armadas de juristes liés aux intérêts militaires. Un Etat ne peut pas tuer qui bon lui semble n’importe où dans le monde. Or, en utilisant leurs drones hors zone de conflit armé, au Yémen ou au Pakistan, les États-Unis s’arrogent pourtant ce droit : faire du corps de l’ennemi un champ de bataille mobile, et du monde un terrain de chasse – la guerre dégénère en abattage, en mise à mort.

Autre principe du droit : on ne peut cibler directement que des combattants. Mais lorsqu’on remplace les troupes au sol par des drones, il n’y a plus de combat. A quoi peut-on reconnaître, depuis le ciel, la silhouette d’un combattant sans combat ? De fait, la plupart des frappes de drones visent des individus inconnus, que leur « forme de vie » signale comme des « militants » potentiels, soupçonnés d’appartenir à une organisation hostile.

On ne combat plus l’ennemi, on le tire comme un lapin. Sur le plan du droit, on glisse de la catégorie de combattants à celle, très élastique, de militants présumés. Cela revient à légaliser les exécutions extrajudiciaires.

Quelle vision de la morale et de la vie les drones reflètent-ils ?

On assiste au passage d’une éthique officielle à une autre, de celle du courage et du sacrifice à celle de l’autopréservation et de la lâcheté plus ou moins assumée. Le drone, c’est l’antikamikaze : arme sans corps et mort impossible, d’un ­côté ; arme-corps et mort certaine, de l’autre. Au sein de l’armée américaine, le drone a été très critiqué, tant il incarne la fin de l’héroïsme guerrier, viril. Alors que l’éthique s’est classiquement définie comme une doctrine du bien-vivre et du bien-mourir, la « nécroéthique » du drone se présente comme une doctrine du bien-tuer. On disserte sur les procédés « humains » d’homicide. Cela donne des discours abjects, qui moralisent le meurtre, et qu’il est urgent de critiquer.

Le drone, c’est l’arme d’Obama. Comment comprendre cela ?

Un drone, ça ne fait pas de prisonniers. C’est l’instrument de la doctrine antiterroriste officieuse du Président : « Tuer plutôt que capturer. » Predator plutôt que Guantá­namo. Le ministère français de la Défense est aujourd’hui en pourparlers avec les États-Unis pour l’achat de drones Reaper. Si l’entourage du ministre Jean-Yves Le Drian avait annoncé qu’il envisageait d’importer en France les méthodes de torture de la CIA, il aurait sans doute déclenché un tollé. Mais la nouvelle est parue dans un silence assourdissant. L’opinion publique française est mal informée sur la question des drones.

A lire Théorie du drone, de Grégoire Chamayou, éd. La Fabrique, 368 p., 14 €.

 
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