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Le dernier homme de Fukushima
Pierre FETET

Antonio Pagnotta vient d’écrire et de publier un livre remarquable sur Fukushima, « Le dernier homme de Fukushima » où il raconte comment il a réussi à rencontrer un homme hors du commun, Naoto Matsumura : cet agriculteur a refusé d’évacuer la zone interdite en mars 2011 pour rester sur sa terre natale et nourrir les animaux abandonnés des hommes.

L’histoire de Naoto Matsumura est loin d’être banale. Plutôt que de subir une vie déracinée, d’un centre d’hébergement provisoire à un autre, plutôt que de supporter le regard discriminatoire de ceux qui ont eu la chance de ne pas être contaminés, il a choisi de retourner vivre dans sa terre natale, à Tomioka, à quelques kilomètres des centrales nucléaires de Fukushima Daiichi et Daini. Il vit désormais seul dans sa ferme, tel un ermite, et s’est donné pour mission de venir en aide aux animaux domestiques, les siens mais aussi ceux de ses compatriotes évacués. Mais il connaît le prix du sacrifice : « Je suis un homme césium. Je le sais depuis que j’ai fait une spectrométrie du corps entier en octobre 2011. Je suis un hibakusha, un irradié. Je pisse et chie le césium. Je dors et mange dans la radioactivité ».

Il a rencontré des troupeaux de vaches entièrement décimés, il ne peut plus pêcher tant les poissons sont radioactifs, il a vu une grande partie de ses abeilles dépérir, on lui a volé ses chiens ; malgré ces tristes évènements et cet environnement hostile, il a choisi de rester, mais pas seulement pour les animaux : il ne veut pas abandonner sa terre, qui est aussi celle de ses ancêtres. Pour lui, si tout le monde part, sa terre n’existera plus. Il veut garder espoir et croire en l’avenir en protégeant la vie et cherche des moyens pour décontaminer les sols. Une des méthodes testées est de faire brouter les vaches au lieu de les abattre. Selon un scientifique avec qui il est en contact, le césium se fixe très peu dans le corps des bovins et se retrouve concentré dans les bouses. Il suffirait de récupérer et traiter les litières pour décontaminer les prairies petit à petit (1). Son combat et ses actions semblent dérisoires face à la tâche immense de décontamination de milliers de kilomètres carrés, mais c’est un homme debout, résistant à Tepco tout puissant, combattant de l’ultime pour conserver sa dignité humaine.

En lisant ce livre, j’ai rencontré un autre grand témoin de Fukushima, le photo reporter Antonio Pagnotta. Quand j’ai eu son livre dans les mains, j’ai été étonné de ne voir qu’une seule photo, celle du héros de Tomioka. Car paradoxalement, ce photographe n’a pas publié un album de ses œuvres, mais a tenu à écrire le récit de ses multiples rencontres avec Naoto Matsumura entre juin 2011 et novembre 2012. Et il a eu bien raison, car non seulement l’auteur a une écriture limpide, mais en plus le livre regorge d’informations très précieuses concernant la catastrophe de Fukushima : l’omnipotence de TEPCO, les fausses mesures du METI, la distribution d’iode retardée, les araignées radioactives, le trafic de voitures contaminées, les policiers sacrifiés, le lavage de cerveau des employés, le formulaire kafkaïen de dédommagement, le suicide de Mme Watanabe, les avortements cachés, etc. Tout en racontant l’histoire de Naoto Matsumura, Antonio Pagnotta décrit ainsi la catastrophe de Fukushima telle qu’elle se déroule depuis deux ans et dénonce sans contrainte la société de consommation à outrance et l’impasse du tout électrique nucléaire.

Durant ses incursions non autorisées dans la zone interdite, il vit des moments très difficiles, comme l’incapacité de sauver un animal trop faible pour se nourrir, ou le simple fait de se sentir l’unique être vivant dans un endroit déserté. Il vit aussi des moments qu’on ressent comme terribles, car quand on en prend connaissance, on se demande immédiatement comment nous-mêmes nous aurions réagi. La première fois qu’il va en zone contaminée, il porte un masque. Mais dès qu’il rencontre Matsumura, il comprend tout de suite qu’il faut qu’il enlève cet écran pour communiquer et mener à bien son reportage. Dans le même temps, il sait aussi ce qu’il risque. Lors d’une visite en zone interdite, il se fait surprendre par un hélicoptère et pour éviter d’être arrêté il se plaque au sol. Qu’a-t-il pu ressentir face contre terre à 35 µSv/h ? Il l’exprime avec force dans tout son récit.

Ce livre nous met face à nous-mêmes quand nous serons face à un accident nucléaire, en France ou ailleurs. Quand l’accident surviendra – et cet instant n’est pas imaginable – personne ne s’y sera préparé. Que ferons-nous ? J’ai toujours pensé qu’il y aurait deux types de réponse : la fuite ou le confinement. Faudra-t-il croire aux messages des autorités qui nous diront que ce n’est pas grave ? Faudra-t-il évacuer de force ? Et si oui pour combien de temps ? Et d’abord, que faudra-t-il emporter si on ne sait pas combien de temps on part ? Avec « Le dernier homme de Fukushima », on comprend qu’il existe aussi une troisième voie, celle de rester malgré les radiations. Qu’aurions-nous fait à la place de Naoto Matsumura ? Qu’aurions-nous fait, et surtout, que ferons-nous ?

Merci infiniment, Antonio Pagnotta, d’avoir rapporté ces faits ignorés, d’avoir bravé les interdictions et les radionucléides pour raconter la cruelle réalité d’un territoire contaminé. Merci d’avoir été le premier, par vos photos dès 2011, à faire connaître cet agriculteur abandonné des siens et aujourd’hui admiré par le monde entier. Merci enfin de m’avoir confié ces photos, qui témoignent de manière directe de la dureté et de la tristesse des faits dont vous êtes un témoin de premier ordre, mais aussi de la grande leçon d’humanité donnée par le dernier homme debout de Fukushima.

Pierre Fetet

 
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