L’innovation, les hautes technologies, les produits à haute valeur ajoutée, les produits dits de « transition énergétique et écologique » et les services, devaient et doivent toujours, selon eux et selon vous, nous assurer des emplois en nombre suffisant en dépit de la destruction de pans entiers de notre industrie manufacturière. Le domaine des énergies renouvelables, pressenti pour créer des centaines de milliers d’emplois, ne crée finalement que quelques milliers de postes par an. Son nombre de créations est passé de 58 460 en 2006 à seulement 83 260 emplois en 2012.
Ce dogmatique et récurrent discours est pourtant inlassablement réitéré par la plupart des personnalités politiques qui ont participé ou participent au gouvernement de la France.
Pourtant, l’échec est avéré et rares sont les produits qui échappent à la délocalisation.
Tous les indicateurs économiques sont au rouge, le chômage a plombé les comptes de tous les régimes de protection sociale et touche bon nombre d’entre-nous. Aussi, conformément au souhait de la grande majorité des français, peut-être convient-il de rompre avec la politique dictée par l’idéologie.
La relance d’une part importante de l’industrie manufacturière des biens de consommation est possible et pourrait permettre la création d’un nombre significatif d’emplois et une revitalisation de régions françaises très appauvries.
Changer un modéle economique paupérisant
Le financement de l’industrie nécessite généralement l’apport financier d’actionnaires, qui, en retour, exigent le plus souvent un rendement ne pouvant être obtenu qu’en délocalisant la production.
Ce mode de fonctionnement met fin à la complémentarité de l’entreprise potentiellement créatrice d’emploi et de la collectivité riche en infrastructures et généreuse en subventions.
La plupart des plus grandes entreprises remplissent de moins en moins un rôle social et économique en termes de création d’emploi, de financement des régimes de protection sociale, de contribution à l’augmentation de la croissance productive et de baisse du déficit commercial.
Aujourd’hui, ce modèle ne semble plus adapté. Peut-être est-il indispensable de le repenser afin de créer de nouvelles perspectives d’emploi en France, notamment dans l’industrie manufacturière des biens de consommation.
Pallier le manque d’investisseurs
Les investisseurs s’intéressent surtout aux pays à bas coûts et qui peut croire que ceux-ci vont revenir financer l’industrie manufacturière française et investir massivement dans un pays au coût de main d’œuvre élevé ?
La relocalisation demeure un épiphénomène. Les cinq ou six groupes industriels régulièrement cités en exemple pour avoir relocalisé en France une part de leur production, ne totalisent actuellement que 300 à 350 maintiens ou créations d’emplois internes et externes. Déjà en 2005, Jean-Pierre Raffarin avait mis en place un crédit d’impôts à la relocalisation doté d’1 milliard d’euros, qui n’avait rencontré aucun succès. Puis Christian Estrosi avait créé en 2010 une prime à la relocalisation créditée de 200 millions d’euros dont un peu plus d’un tiers seulement a été utilisé.
Peut-on escompter que des entreprises qui ne sont plus habituées aux négociations, conflits sociaux et grèves syndicales, consentent également à renouer avec des salaires et charges sociales plus élevées ainsi qu’une baisse de leurs bénéfices ?
Il est bien peu probable que cela se produise et peut-être devrions-nous cesser de soumettre l’économie de la France, l’avenir de l’industrie et de millions de nos concitoyens, au bon vouloir de spéculateurs et décideurs d’entreprises souvent déjà délocalisées.
Aujourd’hui, usines et ateliers de fabrication de biens de consommations ne disposent plus de circuits pour distribuer leurs produits et disparaissent parce que les marques, les enseignes de la distribution et les boutiques multimarques préfèrent vendre des produits provenant des pays à bas coûts pour réaliser des marges plus importantes.
Afin de juguler la disparition de cette industrie et de ses savoir-faire, il conviendrait de créer des structures mutualisant les moyens de commercialisation et de distribution. Ainsi, nous pourrions rapidement rouvrir des usines dans des bassins d’emploi dont les activités délocalisées étaient rentables ou pourraient parfois le devenir en rationalisant la gestion et en modernisant les processus de production. De même, des usines risquant de disparaitre faute de repreneurs pourraient être reprises. Le gouvernement déclarait récemment que 50 000 à 300 000 emplois disparaissent chaque année parce que de nombreuses entreprises pourtant rentables ne trouvent pas d’acquéreurs.
Le coût exponentiel des dépenses pour l’emploi
Les dépenses pour l’emploi (DPE) s’élevaient en 2009 à 87 milliards d’euros (source DARES). Celles-ci pourraient représenter en 2013, si l’on ajoute les dépenses connexes, 120 à 130 milliards d’euros soit 6 à 6.5 % du PIB. Cette somme pourraient également constituer plus de 70 % des 170 milliards d’euros que la France va devoir emprunter en 2013 sur les marchés financiers.
Notre pays n’a plus le choix et doit maintenant mettre en œuvre un modèle économique susceptible d’alléger la charge de la collectivité. En l’absence d’investisseurs, il est nécessaire de réorienter les aides aux entreprises qui se sont avérées inopérantes pour l’emploi ainsi qu’une part des dépenses « passives » pour l’emploi vers des dépenses « actives ». Cela permettrait de repenser notre industrie et contribuerait au financement des nouveaux outils de fabrication et de distribution.
Pour relancer la croissance et faire baisser le chômage, nous devons favoriser l’émergence de grands projets manufacturiers qui contribueront à recréer un tissu industriel au lieu de financer à fonds perdus, la précarité ou de grandes entreprises qui délocalisent la production.
Réinventer l’entreprise manufacturière de biens de consommation
L’industrie manufacturière des biens de consommation pourrait bien constituer l’un des rares leviers majeurs dont nous disposons pour recréer à terme plusieurs centaines de milliers d’emplois, auxquels s’ajouteraient par effet mécanique, deux à trois fois plus d’emplois indirects et induits.
De plus, l’implantation d’usines dans des régions exsangues redonnerait vie à des territoires entiers.
Certes, face au dumping salarial, fiscal, social, environnemental ou monétaire des pays à bas coûts, la fabrication française est souvent peu compétitive.
Néanmoins, en se limitant le plus souvent à la fabrication de produits moyen/haut de gamme, avec un outil de production plus automatisé qui corrigerait les coûts de produits exigeant parfois davantage de main d’œuvre, un circuit de distribution court avec une réduction des intermédiaires, de la fabrication à la vente au consommateur et une limitation des dividendes versés à l’actionnariat, la compétitivité serait considérablement augmentée.
Ce mode de gestion pourrait accroître les capacités de financement et permettre également le versement aux salariés d’un intéressement motivant qui contribuerait à assurer le développement dans un climat social paisible.
Par ailleurs, le postulat selon lequel il n’existe pas d’alternative au financement de l’industrie par des actionnaires, qui le plus souvent, cherchent la rente et prônent la délocalisation des productions, mérite une remise en question. L’économie française s’appuie depuis toujours sur un financement hybride privé et subventions.
Une réaffectation de subventions inefficaces pour l’emploi parmi les 120 à 130 milliards d’euros de DPE (Dépenses pour l’emploi) qui seront dispensés en 2013 ou les 100 milliards d’euros annuels d’aide aux entreprises, pourrait permettre le financement de projets industriels manufacturiers de biens de consommation, réellement créateurs d’emploi.
Un accord de partenariat État/entreprise pourrait être conclu lors de la mise en œuvre de projets incluant l’objectif commun de préserver l’emploi et les savoir-faire. Afin de compléter leurs prêts bancaires ou apports, les porteurs de ce type de projet d’intérêt public, s’engageraient en retour d’avances remboursables, prêts et subventions européennes, nationales ou régionales, à limiter leur perception de dividendes à une quote-part raisonnable et déterminée, et une obligation, en cas de revente des parts, de cession uniquement à des salariés de la société. Celle-ci n’aurait pas vocation à s’introduire en bourse et pourrait être une société par action simplifiées. Elle ne compterait pour actionnaires que les porteurs du projet et l’État, par l’intermédiaire de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). Une participation minoritaire même symbolique de la CDC au capital permettrait à l’État d’être cosignataire d’un pacte d’actionnaires régissant les obligations des parties, mais dont le faible nombre de parts écarterait pour l’entreprise et ses salariés, le danger d’être un jour revendus à un Fonds d’investissement par la CDC, aujourd’hui acteur majeur du capital investissement.L’entreprise pourrait réunir des femmes et des hommes partageant une même volonté de développer un grand projet industriel manufacturier et commercial qui redistribuerait les fruits de sa réussite sans pour autant demander d’apport financier à ceux-ci.
Ce modèle à mi-chemin entre entreprise classique et coopérative, susceptible de générer combativité et réactivité mais aussi partage de réussite, pourrait avantageusement succéder à un modèle trop capitaliste dont les intérêts vont de plus en plus souvent à l’encontre de ceux de notre collectivité dans un contexte de mondialisation et de libre échange trop peu régulé.
La société ne disposerait pas d’un conseil d’administration protégeant la rente actionnariale mais serait dirigée par un directeur général qui animerait un comité exécutif composé d’un collège de cadres dirigeants soucieux du maintien de l’emploi et agissant pour la pérennité de l’activité.
Ce type de gouvernance exclusivement professionnelle conférerait à l’entreprise, une agilité industrielle et une réactivité décisionnelle car non soumise à des intérêts particuliers extérieurs.
Compatibilité avec les règles européennes
Bien que l’avenir de l’Union Européenne semble chaque jour un peu plus incertain nous devons encore compter avec les règles européennes aujourd’hui en vigueur.
L’article 107 du traité de fonctionnement de l’Union Européenne http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:12008E107:FR:NOT interdit « les aides accordées par les États sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».
L’article 107 est peu cohérent car par essence, toute aide accordée par un État à une entreprise, fausse évidement la concurrence à des degrés divers. Par ailleurs, il serait tout à fait déraisonnable d’imaginer que notre système économique puisse être viable sans intervention de l’État mais les recommandations de l’article ne semblent guère faire obstacle au versement annuel de 100 milliards d’euros d’aides de l’État aux entreprises françaises. Depuis toujours, le financement de notre économie repose partiellement sur l’aide de la collectivité. Pour exemple, le premier groupe mondial du luxe LVMH n’existerait probablement pas si, en 1984, l’État n’avait pas donné près de 2 milliards de francs à Bernard Arnault pour reprendre Boussac. Bon nombre d’entreprises, petites, moyennes, grandes ou figurant au CAC 40, n’auraient pu voir le jour, prospéré ou survécu sans subventions.
Les cas compatibles avec le marché intérieur, prévus dans le traité :
2b) « Les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires »
Les séquelles de la crise de 2008, le coût du sauvetage de l’euro, des banques, des États européens en difficulté, l’explosion du chômage avec l’équivalent certains mois, de la population d’une ville comme Bobigny ou Quimper, qui grossit les rangs des chômeurs, pourraient constituer un contexte extraordinaire compatible.
3a) « Les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi, ainsi que celui des régions visées à l’article 349, compte tenu de leur situation structurelle, économique et sociale, »
Les régions ultrapériphériques (RUP) visées par l’article 349 comptent en moyenne 23 % de chômeurs en Martinique, Guadeloupe et Guyane, plus de 30 % à la Réunion, et sont habilitées à recevoir des aides européennes, notamment en raison du chômage massif.
Aujourd’hui, de nombreuses régions de métropole ont perdu la plupart de leurs industries et parfois la population de territoires entiers, vit majoritairement du chômage et de minimas sociaux. Le taux national de chômage chez les jeunes approche 26 % et il n’est plus rare de voir des territoires dont le taux de jeunes demandeurs d’emploi avoisine 40 %. Il convient d’interpréter cela comme un grave sous-emploi.
3b) « Les aides destinées à promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt européen commun ou à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre, »
Un grand projet de relance de l’industrie manufacturière des biens de consommations très orienté vers l’exportation hors Europe contribuerait à un rééquilibrage de la balance commerciale française ainsi qu’à l’augmentation de la croissance européenne.
De plus, la hausse exponentielle du chômage fragilise considérablement l’économie du 2e contributeur financier de l’Europe.
Il ne manque que la volonté politique
Certes, de nombreux articles ne peuvent plus être produits en France en raison de la perte de savoir-faire, du manque de fournitures ou parce qu’ils ne satisfont pas aux critères de viabilité économique.
Cependant, nous sommes parfaitement capables de nous adapter à notre nouvel environnement économique et pourrions fabriquer à nouveau en France, la plupart de nos biens de consommations.
Par ailleurs, il est quelque peu vain de demander aux français de consommer du « made in France » au moment où la fabrication française est devenue anecdotique.
Il convient donc maintenant de produire en usant de processus visant à offrir des articles compétitifs aux consommateurs.
Un concept de base viable et jugé « complet et convaincant » par le ministère du Redressement productif, un modèle économique approprié, des solutions de financement, un projet compatible avec les règles européennes, des savoir-faire et de grandes compétences, pourraient constituer de sérieux atouts.
Francis JOURNOT
Association « VÊTEMENTS MADE IN FRANCE » http://www.vetements-made-in-France.com est une association citoyenne indépendante et sans appartenance politique