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Rome, l’unique objet de mon ressentiment (Suivi d’une lettre de Cesare Battisti).

Que se passe-t-il au Brésil, en Italie, au Parlement européen, dans la tête d’un misérable député du Modem et dans celle de Cesare Battisti ? On va l’apprendre ci-après.

Le 17 janvier 2009, Cesare Battisti a été déclaré réfugié politique par le gouvernement brésilien et son extradition a, de ce fait, été refusée, car la justice italienne ne garantit pas suffisamment les droits des détenus. Toutefois, une procédure judiciaire est toujours en cours et la décision définitive des autorités brésiliennes devrait être arrêtée dans les semaines à venir.

Le JDD International en date du 5 février 2009 nous renseigne sur les basses manoeuvres du Parlement européen.

Le Parlement européen a émis jeudi le souhait de voir le Brésil extrader l’ancien activiste italien Cesare Battisti vers son pays d’origine, où il a été condamné par contumace pour quatre homicides. La résolution, pas fiérote, soutenue par les libéraux-démocrates, la droite et les socialistes européens, ne demande pas explicitement cette extradition par souci de respecter une procédure qui fait encore l’objet d’un recours devant la cour suprême brésilienne. Le Parlement se dit en revanche convaincu que « le réexamen de la décision concernant l’extradition de M. Battisti tiendra compte du jugement rendu par un Etat membre de l’Union européenne dans le plein respect des principes de l’Etat de droit au sein de l’Union ».

PROPOSITION DE RÉSOLUTION du Parlement européen sur le cas de Cesare Battisti, déposée avec demande d’inscription à l’ordre du jour du débat sur des cas de violation des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit conformément à l’article 115 du règlement par des députés italiens au nom du groupe ALDE (alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe).

Le Parlement européen,

1) Regrette la décision du gouvernement brésilien qui ne respecte pas l’arrêt définitif prononcé par les magistrats d’un état membre de l’UE ; est de l’avis que cette décision contrevient à l’image de l’UE, car elle prétend accepter que la persécution politique ou la torture se pratique dans un état membre de l’UE,

2) Regrette le fait que M Battisti, condamné pour charge de terrorisme par la justice de l’Italie, état membre de l’UE, puisse se voir octroyer le statut de réfugié politique dans état tiers, et par conséquent échapper à l’application de la peine pertinente,

3) Demande aux autorités brésiliennes de reconsidérer l’extradition de M. Battisti sur la base des épreuves et de la documentation fournies,

4) Demande à son Président d’envoyer cette résolution au Conseil, à la Commission, au Président de la République fédérative du Brésil, au président du Congrès brésilien, ainsi qu’au président de la commission parlementaire du Mercosur.

Le Parlement espère donc que le réexamen de la décision concernant l’extradition de Cesare Battisti tiendra compte du jugement rendu par un État membre de l’Union européenne dans le plein respect des principes de l’état de droit au sein de l’Union.

Les députés ont observé une minute de silence en hommage aux personnes assassinées par Cesare Battisti (sic).

La résolution a été adoptée par 3 pelés et un tondu, c’est-à -dire par 46 voix. 8 voix se sont prononcées contre. Le parlement compte 785 députés. Deux députés français ont pris part au vote : Jean-Marie Beaupuy (Mouvement des démocrates, MODEM) qui a soutenu la résolution anti-Battisti et Gérard Onesta, (Vert) qui a voté contre la résolution.

Battisti a toujours nié les crimes qui lui sont reprochés, il a été jugé par contumace alors qu’il était au Mexique, il a été chargé au procès par un « repenti » qui a ainsi obtenu la clémence du jury et qui pouvait allègrement charger un camarade hors de portée de la Justice. Aucun témoin oculaire n’a témoigné contre Battisti, etc.

Des dizaines d’activistes italiens, dont ceux qui ont fait sauter la gare de Bologne en occasionnant 82 morts sont libres.

En conclusion, que dire à notre député français du parti de Bayrou et aux 47 autres qui ont voté pour la vengeance de la clique de Berlusconi contre Cesare ?

On pourrait parodier Corneille :

« Que le courroux du Ciel allumé par mes voeux

Fasse pleuvoir sur eux un déluge de feux !

Puissé-je de mes voeux y voir tomber ce foudre,

Voir leurs partis en cendre, et leurs mandats en poudre ».

Ce qui permettrait de ne pas tomber dans la trivialité d’un sobre : Va fan culo !

Maxime Vivas


LA LETTRE DE CESARE BATTISTI

(Transmise le 20 février à son comité de soutien français par Fred Vargas qui souhaite qu’elle soit diffusée).
Cette lettre de Cesare a été lue en séance plénière au Sénat brésilien, par le sénateur José Nery. Elle circule à présent à travers tout le Brésil et l’Italie. Tenez compte que Cesare l’a écrite en portugais, et que ceci en est une traduction.

Brasilia, 18 février 2009-02-20

Pourquoi moi ?

Même si je n’ai jamais cru, comme l’a dit Voltaire, que nous vivons dans un monde où l’on vit ou meurt « les armes à la main », l’ironie du destin a fait qu’aujourd’hui, je me trouve condamné pour quatre homicides. Ma situation est terrible. Je suis effrayé, désarmé, devant l’hostilité, la haine pleine de rancune que manifestent mes adversaires. Je sais que je devrais combattre l’avalanche de mensonges, de faussetés historiques, mais ce qui me manque pour me lancer dans la lutte, c’est le désir de gagner. Gagner quoi ? Mes adversaires, au contraire de moi, semblent avoir quelque chose à défendre. Qui sait, leur misère, ou leur richesse ou, peut-être, comme dans le cas de quelques actuels ministres du gouvernement italien, maintenir caché leur passé en tant qu’activistes de l’extrême droite (fasciste), responsables directement ou indirectement des massacres à la bombe. Je ne sais pas exactement ce qui motive mes adversaires à entrer dans cette lutte, mais, ce n’est certainement pas la soif de justice.

De mon côté, je ne prétends pas me faire le défenseur de tout ce qui s’est passé pendant les sanglantes années 70. Nous sommes en plein XXIe siècle, je n’ai plus de vérités absolues sur la société idéale, et je ne suis pas important au point de défendre ce qu’il y avait de bon dans les rêves de ces années. Je ne peux pas me jeter dans une telle guerre. Je dirais même que je ne suis pas non plus intelligent au point de générer autant d’ennemis ; si j’ai dérangé tant de personnes importantes, cela fut sans aucun doute le résultat de mon inconscience.
La vérité est que je n’ai rien fait pour éviter tant de problèmes, mais reste encore à comprendre comment je fus capable d’arriver à des résultats aussi désastreux. Reste, de toute manière, cette question : pourquoi tant de haine ? Ce n’est pas pour m’esquiver que je me déclare inapte et que je laisse la réponse à cette question à des personnes plus intelligentes, qui n’ont pas l’habitude de jouer le rôle d’« anges vengeurs ».

Cette interminable persécution et toute cette histoire des années 70 en Italie sont une longue agonie, une lamentation honteuse couchée sur le papier jauni des justiciers. C’est l’expression d’un visage rongé par une maladie nerveuse, comme un péché originel qui souille le corps politique italien. Pauvre Italie de Dante, ou celle de Beccaria, de Bobbio et d’Umberto Eco. Pauvre patrie balayée par le vent de l’orgueil, du cynisme et de la vanité, qui l’empêche de reconnaître ses propres erreurs, ses propres péchés, ne voulant pas s’abaisser au niveau de ces pays latino-américains en admettant courageusement que, elle aussi, elle a souffert à la même époque d’une guerre civile de basse intensité (lire les déclarations de l’ex-Président de la République, le sénateur Francesco Cossiga), et que, pour la combattre, elle a recouru à toutes sortes d’illégalités.

Outre des dizaines de prisonniers politiques enterrés vivants dans les prisons italiennes, il y a des centaines d’autres réfugiés dans le monde entier. Nous avons ici, au Brésil, le cas d’un extradable italien qui appartenait à une organisation nazi-fasciste et qui fut impliqué dans l’attentat de Bologne, 82 morts. Étrangement, l’Italie ne fait pas mention de ce cas, n’émet pas de protestations ni ne fait de chantage au peuple brésilien. Pourquoi ? Pourquoi l’Italie n’a-t-elle pas agi de la même manière quand Sarkozy a refusé l’extradition de Marina Petrella en France, dont la situation pénale dépasse de loin la mienne ? Pourquoi cette obstination féroce contre moi, alors qu’il n’y eut aucune protestation quand fut refusée [note : par le Brésil] l’extradition de quatre autres Italiens, également condamnés pour homicide ? Serait-ce que mon activité d’écrivain et de journaliste puisse constituer un danger pour la manipulation historique de cette Italie gouvernée par la Mafia ? Je ne sais pas.

Ce qui est sûr, c’est que, malgré tous mes efforts, je ne réussis pas à agir devant ces attaques virulentes contre moi. Je ne peux pas m’identifier à l’image de moi qu’ils me renvoient et associer ce reflet désolant à mon identité sociale. Ils peuvent continuer à dire que je suis un « terroriste », un « assassin », etc., de toute façon, je ne réussis pas à me penser comme quelqu’un capable d’au moins le centième de tout ce qu’ils m’attribuent.

C’est curieux d’observer la réaction des personnes qui, pour une raison ou une autre, sont en contact avec moi : les agents pénitentiaires, d’autres prisonniers, des visiteurs et même mes avocats. Dans les premières minutes de la conversation, je lis dans leurs expressions un « brin » de déception, comme s’ils pensaient : « Alors, c’est celui-là , le dangereux terroriste ? » C’est exactement ce que les gens s’exclament quand je me trouve dans des situations similaires, n’ayant pas réussi à éviter le bombardement médiatique, principalement de la « presse marron », qui fait tout pour tenter d’intervenir négativement dans les décisions judiciaires.

Je reste perplexe, surpris et gêné par tout ce que je provoque et, sans aucun doute, je finis par sembler un peu idiot, avec un air distrait, voire incrédule, de voir que c’est moi le sujet concerné. Cela parce que je n’ai jamais eu le sentiment, quand il s’est agi de contester les accusations, d’agir pour ma propre défense. J’ai toujours l’impression que, en rétablissant la vérité historique, les faits, je ne fais qu’accomplir un devoir civique.

J’aimerais crier la vérité au peuple italien, mais comment le faire ? Car la foule manipulée est devenue lyncheuse et résolue à notre perte. Le fauve qui se cache derrière la masse, derrière un sourire de circonstance, derrière des mots vides, et qui n’attend que l’occasion de se révéler, je le connais bien. Déjà avant qu’ils ne me désignent, en particulier, je savais qu’à un moment ou un autre, mon heure arriverait.
Et j’ai laissé parler. Je me suis laissé traiter d’assassin, de voleur, de dépravé, et de beaucoup d’autres choses. J’ai laissé faire tout cela par imprudence ou par supériorité, ou encore parce que je me sentais invulnérable à ces insultes, ou par goût qu’on parle de moi, que ce soit en bien ou en mal. Si je n’ai pas protesté vigoureusement contre de telles obscénités, ce n’est pas seulement parce que, d’une certaine manière, je reste un optimiste. Inutile d’être conscient que, quand la multitude se rassemble, elle le fait toujours contre quelqu’un, celui-là même qui l’avait mise d’accord, au début. Ce quelqu’un est le rejet d’une molécule de cette multitude qui, en règle générale, l’avait idolâtré un jour. Même si dans mes pensées je me soulève, avec raison, contre les bas instincts de la multitude manipulée, je n’ai toujours pas perdu l’espoir qu’une lumière puisse soudain s’allumer au milieu de ces gens, pour les ramener au monde des êtres pensants et des esprits libres. Mon attitude peut sembler suicidaire, au moins contradictoire, mais elle est partie intégrante de l’idée que je me fais des raisons qui me lancèrent dans l’aventure de l’écriture. Car c’est bien vrai que, avant d’être transformé en monstre, j’ai été un écrivain.

Enfin, les autorités italiennes d’aujourd’hui me poursuivent, comment expliquer cela, comment expliquer cette Italie, la même qui me transmit un jour l’amour des mots écrits, ce rêve de liberté et de justice sociale, qui fit de moi un homme, et à présent un pestiféré ? Comment expliquer cette Italie qui a oublié sa récente pauvreté, ses émigrants traités comme des chiens qui mouraient dans les mines belges, allemandes et françaises. Qui a oublié ses fascismes jamais enterrés, ses tentatives de coup d’état, la Mafia au pouvoir, la stratégie de la tension, Gladio, les bombes des services secrets sur les places publiques, les tortures des militants communistes, ces mêmes qui, en dépit de leurs erreurs, ont déchiré leur vie pour contribuer à faire de l’Italie un pays à la hauteur de l’Europe et qui aujourd’hui, 35 ans après, sont traités de terroristes, et dont certains pourrissent encore dans les « prisons spéciales ».

Ce serait cette Italie, dont le chef du gouvernement fut un excellent membre de la célèbre Loge P2, et qui aujourd’hui promulgue des lois racistes ? Est-ce l’Italie qui se refuse à laver son linge sale en public ? De toute façon, l’histoire ne se juge pas dans les tribunaux, nos seuls juges ne peuvent être que ceux, encore à venir, combattant pour une société juste. Car ceux-là seulement nous jugeront impartialement.
La vérité fait mal, mais elle éclaircit. Notre histoire récente nous a montré l’erreur et la tromperie de l’inquisition, et que des cicatrices jamais oubliées doivent être réparées pour que soient ainsi reconnus les excès commis face à la vérité unique imposée. Il ne sert à rien de cacher la saleté sous le tapis. Tôt ou tard la saleté apparaît.
Je reconnais avoir fait partie d’une page de l’histoire qui a été écrite avec du sang, de la sueur et des larmes ; et j’espère qu’aujourd’hui mes adversaires reconnaissent que jamais les bourreaux ne touchent pas leur dû. L’histoire s’est toujours montrée implacable avec ceux qui essaient de supplanter et cacher leurs erreurs.

Nous vivons une ère démocratique. Des barrières et des murs ont été renversés, les concepts ont été révisés. L’heure n’est-elle pas arrivée pour l’Italie de montrer son côté chrétien ? Car le pardon est un acte de noblesse. Si je suis considéré comme un ennemi de l’Italie, même les ennemis font la trêve et se pardonnent. L’histoire a fait sa part et a donné à l’Italie une ère de progrès et de développement. On s’attend à ce que l’importance de ceux qui ont fait de l’Italie, l’Italie de tous, soit reconnue, et que le rôle fondamental qu’ils ont eu pour le rétablissement de l’État Démocratique de Droit, bien que non compris, fut essentiel. Italie, Italie, qui tue le rêve de tes fils et ferme les yeux sur ceux qui t’ont défendue, il n’est jamais trop tard pour un geste de noblesse, à l’exemple du Vatican qui reconnut ses activités pendant l’Inquisition. La chasse aux sorcières est finie. « Que justice soit faite, non pas après que périsse le monde, mais justement pour qu’il ne périsse pas ». La société souffre davantage de l’emprisonnement d’un innocent que de l’absolution d’un coupable.

Amitiés aux Brésiliens et aux Brésiliennes,

Cesare Battisti (Trad. Dorothée de Bruchard).

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