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Quand Jacques Chirac se démenait pour nos voisins : le cas Iter

Qu’y a-t-il en commun entre un agriculteur de Corrèze, un sumo, un combattant palestinien, un pêcheur kéta de Côte d’Ivoire et un homme d’affaires russe ? Des intérêts communs ? Non. Un avenir commun ? Pas vraiment. L’appétit, le groupe sanguin, la rage de vivre ou de mourir, l’espoir, l’amour ? Encore moins.

Le point en commun de ces 5 hommes très différents, c’est Jacques Chirac. Chacun d’entre eux l’aime bien, mais pas pour les mêmes raisons. Le Corrézien se souviendra avec émotion des bénéfices de la PAC, le sumo du goût du président pour son art, le palestinien de l’incident du souk de Jérusalem en 1996, le pécheur ivoirien de sa fierté retrouvée et l’homme d’affaires russe… du magnifique projet ITER.

A l’annonce en 2005 de l’implantation dans les Bouches-du-Rhône de ce réacteur expérimental de fusion nucléaire, la France entière chantait cocorico. Jacques Chirac avait travaillé d’arrache-pied pendant de longs mois pour obtenir cette décision, multipliant les interventions, acceptant les conditions, ne reculant devant aucun compromis pour doubler son principal concurrent : le Japon. Premier VRP de France, il était même allé jusqu’à comparer la douceur du climat provençal au froid austère de Rokkasho-Mura dans le nord du Japon. Ce travail de lobbying intensif avait payé. La France était finalement choisie pour être le pays hôte. Pendant l’été qui suivit, l’esprit du général de Gaulle souffla du CEA à Cadarache, charriant avec lui l’espoir d’un avenir radieux pour l’industrie nationale et l’emploi.

Soucieux de ne pas faire perdre la face à ses amis nippons, Jacques Chirac s’empressait de saluer « le remarquable sens et esprit de responsabilité et de consensus » du Japon. Joueur habile, dans ses habits de perdant fair-play, le Premier ministre M. Koizumi acceptait la décision et s’inclinait devant la sagesse du consortium…le sourire aux lèvres en songeant aux substantielles compensations qu’il avait su tirer de l’affaire. Un accord conclu le 5 mai 2005 entre l’Europe et le Japon stipulait en effet que ce dernier obtiendrait 20% des contrats industriels liés à la construction du réacteur, ainsi que 20% du millier de postes permanents créés pour ce projet. De plus, Bruxelles s’engageait à soutenir la candidature japonaise pour le poste de directeur général d’Iter. Enfin, le Japon devait bénéficier d’un programme de recherche complémentaire d’environ 700 millions d’euros cofinancé par Bruxelles et Tokyo.

En un mot, Chirac recueillait les roses, Koizumi l’argent. Mais ce n’était pas le seul.

Quid de notre homme d’affaires russe dans tout cela ? Il se porte très bien et ne ferait pas montre d’ingratitude en s’inclinant quotidiennement devant une icône au portrait de l’ancien président français.

Les russes se préparent en effet à honorer les termes de l’accord définissant la répartition des contrats de fournitures entre les membres d’ITER. Les premiers convois achemineront des bobines et autres composants situés dans les niveaux inférieurs du bâtiment qui abritera la machine ITER. La Fédération de Russie hérite aussi de la fabrication d’une partie du conducteur des bobines PF et TF, certaines pénétrations de la chambre à vide, des couvertures et organes d’assemblage, du dôme et essai du divertor, de l’appareillage électrique et de certains klystrons. Gain attendu : 100 millions d’euros.

Les industriels américains peuvent également remercier Jacques Chirac pour la qualité de son accueil. En provenance des Etats-Unis, de grands réservoirs de six mètres de diamètre sur 10 de long pour un poids de 55 tonnes seront installés pendant la construction du bâtiment. Les principales livraisons américaines concerne les transformateurs électriques (de l’ordre de 200 tonnes) à partir de fin 2013. Nos amis américains s’occuperont également de l’enroulement du solénoïde central, d’une partie du conducteur des bobines TF, de limiteurs des pénétrations, d’une partie du système de refroidissement, d’une partie du système de pompage de vide et d’alimentation en combustible, du traitement des rejets du tokamak, d’une partie de l’alimentation électrique permanente, des lignes de transmission des radio-fréquences et de certains systèmes de diagnostic du plasma.

D’ici fin 2013, devraient arriver les premiers éléments du cryostat, grande structure en acier inoxydable qui enveloppera et confinera l’ensemble de la machine ITER. Construits en Inde, ils seront assemblés sur place par soudage dans un bâtiment temporaire réservé à cet effet. Les indiens livreront également les inserts ferromagnétiques de la chambre à vide, le cryostat, les lignes cryogéniques et cryodistribution, le système d’évacuation de chaleur, l’alimentation électrique des systèmes ion cyclotron et du démarrage du chauffage cyclotronique électronique.

Puis ce sera au tour des équipements d’assemblage en provenance de Corée du Sud qui fourniront aux équipes les moyens mécaniques de soutenir et d’assembler en parallèle des éléments aux masses et aux dimensions hors du commun. C’est entre 2015 et 2016 que sont attendus les neuf secteurs de la chambre à vide du tokamak ITER, livrés eux aussi par la Corée du sud, ainsi que les équipements d’assemblage, un écran de protection thermique, une partie de l’alimentation électrique et certains systèmes de diagnostic. De Chine, ITER recevra le conducteur des aimants, des bobines de correction, des systèmes d’alimentation, des couvertures, des caissons de transport par télémanipulation, le système d’injection de gaz.

La question qui vient immédiatement à l’esprit après cette longue énumération est « Que reste-t-il pour l’Europe ? » La réponse est disponible sur le site net d’ITER lui-même : « Europe : éléments restants, avec partage de la plupart des contrats ci-dessus, et bâtiments. » Et pour la France ? Silence radio. Sans doute les éléments restants des éléments restants...

Faut-il rappeler cependant que l’Hexagone, en tant que pays hôte, prend en charge 20% de la contribution financière européenne, soit le double des autres participants. La moitié du budget est par ailleurs à la charge de l’Union européenne. En outre, les besoins de financement globaux qui avaient été estimés à 5 milliards d’euros, lors du lancement du projet, ont été revus à la hausse plusieurs fois pour atteindre aujourd’hui un coût total de 16 milliards d’euros… L’addition pour la France s’avère salée et le retour sur investissement reste à démontrer. ITER aurait pu constituer une formidable opportunité pour les entreprises françaises de haute technologie, il n’en est rien ou presque. Nos fleurons industriels recueillent les miettes laissées par leurs concurrents internationaux dans le cadre des appels d’offres. Dans ce contexte, il n’est pas illégitime de s’interroger sur les bénéfices qu’auraient pu tirer nos entreprises et l’emploi en France des centaines de millions d’euros investis par l’Etat dans ITER s’ils l’avaient été au service de projets nationaux.

Ce serait sans compter sur la grandeur d’âme et la générosité de notre ancien président. Alors espérons que le nouveau gouvernement ne répètera pas les errements de la droite et qu’il s’emparera enfin du dossier, pour qu’ITER devienne, à travers ses innombrables marchés et au-delà du coût engendré pour nos concitoyens, un facteur de croissance économique et de création d’emplois dans l’industrie française.

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