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Ockrent en Arabie ou Bichonne chez les Wahhabites…

Pas de chance pour Christine, notre petite soeur des riches. Au moment où elle publie un livre laudateur sur le magnifique prince MBS le "réformateur" d'Arabie... voilà que ces apprentis démocrates découpent un opposant en morceaux.

Dotée d’un grand sens du marketing, Christine Ockrent vient de nous livrer une dernière compilation dédiée à MBS, « Le Prince mystère de l’Arabie. Bon... c’est à peu près comme si on demandait à un patron de McDo de nous parler grande cuisine... Ben voyons !

Comprenant qu’elle n’est pas d’emblée la personne à qui l’on pense spontanément pour essayer de comprendre l’Arabie saoudite et ses tribulations, la dame nous rassure dès son préambule : « travaillant à l’époque pour 60 Minutes, le magazine d’information de la chaîne de télévision CBS News où je faisais mes classes, j’eus l’occasion de me rendre en Arabie saoudite (...) Depuis, je n’ai cessé d’être intriguée par ce royaume hors du temps, dont le rôle, dans les tourments du Moyen-Orient, est allé grandissant ».

Ce rappel biographique appellerait bien des commentaires, notamment quant à son surnom de « Reine Christine », du seul fait d’avoir « fait ses classes » dans un média étasunien. Sans épiloguer davantage sur l’état d’aliénation coloniale des propagandistes de ce sobriquet, l’auteur de ces lignes se souvient avec un étonnement durable de Claude Bartolone – alors président de l’Assemblée nationale – qualifiant l’ancienne de CBS, des trémolos dans la voix... de... « grande professionnelle », alors qu’il était interrogé sur l’évident conflit d’intérêt avec son mari Bernard Kouchner, lorsqu’elle fut nommée à la tête de l’Audiovisuel public extérieur.
En l’occurrence, et depuis longtemps, la dame était plutôt connue comme reine du marketing et des ménages. Pour plus de détails, on lira ou relira avec bonheur le chapitre – Comment la « Reine Christine » est devenue femme de « ménages », puis la « Voix de la France » – dans le livre définitif du grand journaliste (lui) Pierre Péan Le monde selon K (1). Toujours est-il que, par obligation professionnelle, nous devions chercher à comprendre pourquoi l’Arabie saoudite « intriguait » tant, et depuis longtemps Madame Christine, et par conséquent nous imposer la lecture de son dernier opuscule.

Sans surprise, on voit aussitôt qu’elle n’est pas familière – ni du royaume en question, ni des problématiques de la région, ni de la moindre parcelle de la langue arabe –, tant elle aligne les reprises de fiches Wikipédia plus ou moins bien rédigées. Entre ses copier-coller, elle reproduit – plus ou moins bien aussi – quelques interviews de spécialistes dont l’excellent Stéphane Lacroix – l’un des meilleurs experts français de l’Arabie saoudite – et Gilles Kepel, qui en connaît un rayon sur la géopolitique des Proche et Moyen-Orient. Mais qu’apportent aux lecteurs ces besogneuses transcriptions ? Autant aller tout de suite à l’essentiel et lire directement les ouvrages de Lacroix et Kepel, plus scientifiques, plus complets et plus intelligents.

Evidemment, dame Ockrent ne ferait pas injure au lecteur de gratifier sa dissertation malhabile d’une bibliographie appropriée, devant considérer son apport personnel comme bien au-dessus de quelques références et remerciements. Les siens comportent, en bonne place, Jacques Attali, autre grand « spécialiste » bien connu de l’Arabie saoudite. Cet autre roi du savoir universel mérite d’être cité (page 42) : « je connais le prince (MBS) depuis huit ans. Nous avons été présenté, à Paris par Jonathan Grey (2). J’ai trouvé remarquable, brillantissime, ce jeune homme qui n’était à l’époque qu’un prince parmi d’autres, fils du gouverneur de Riyad : une énergie considérable, une curiosité, une gentillesse exceptionnelle, une modernité, une impatience de voir son pays évoluer. Un grand sens de l’intérêt général et de la géopolitique. Une volonté farouche d’apprendre et de se faire un avis, avec une vision à très long terme, ce qui était étonnant chez un si jeune homme. Nous sommes restés en contact. J’ai suivi son ascension, je le vois régulièrement. J’essaie de lui être utile. Ma raison de le faire ? Nul ne peut se permettre de voir le régime saoudien s’effondrer : sa stabilité est fondamentale pour la sécurité, la stabilité et l’économie du Moyen-Orient et du monde. En outre, l’Arabie saoudite est le phare de l’Islam sunnite : sa modernisation et sa stabilité est une condition indispensable à la paix mondiale. Ce prince incarne la modernité et la stabilité : c’est notre intérêt qu’il réussisse... Et puis l’histoire du père et du fils, du vieux roi et du jeune prince plein de fougue, de compétence et d’idéal, soucieux du respect des traditions et de promotion culturelle, est fascinante ! Elle est digne de Shakespeare ».

Diantre ! On croirait lire les comptes-rendus de la presse saluant le retour d’Edouard Daladier après la signature des accords de Munich... Toujours est-il que c’est aussi la thèse que dame Ockrent essaie de reprendre dans sa conclusion augmentée de l’une des remarques les plus pertinentes qu’il nous ait été données de lire sur la dictature wahhabite : « les voies d’Allah sont impénétrables ».
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Evidemment, l’énoncé de ces carabistouilles a été commis avant la mauvaise reprise saoudienne du Père Noël est une ordure, dans lequel une quinzaine de barbouzes – dépêchée spécialement du royaume à Istanbul – a découpé à la scie à métaux ce pauvre Jamal Khashoggi, lui-même ancien agent d’influence des services saoudiens, ex-jihadiste admirateur d’Oussama Ben Laden avant de se transformer en journaliste défenseur des droits de l’homme et lecteur de Montesquieu.

Avant de refermer cet étonnant pensum, nous n’éviterons pas les incompressibles mots d’ordre de la bien-pensance néo-conservatrice : les Israéliens sont gentils, les Iraniens sont méchants et le Hezbollah libanais est une réincarnation du diable... Dans ce fatras idéologique, aucune mention du livre magistral du diplomate Jean-Michel Foulquier, Arabie saoudite, la dictature protégée, paru chez Albin Michel en février 1995, de celui du politologue René Naba, L’Arabie saoudite, un royaume des ténèbres : l’Islam otage du wahhabisme, paru aux éditions Golias en octobre 2013, ni des ouvrages de référence de l’ancien ambassadeur Michel Raimbaud et d’Alain Chouet, ancien patron du service de renseignement de sécurité de la DGSE.

De toutes façons, avec les « livres » précédents de dame Ockrent – du même tonneau –, on a bien pris la mesure des dons de cette Reine de l’enfoncement des portes entrouvertes : Hilary Clinton est très gentille, Barack Obama est génial, Poutine est maléfique et Trump reste méchant – bien sûr – mais très imprévisible ! En fait, la géopolitique selon Ockrent, c’est à peu près La Planète des singes.

Le pompon pour finir : le 10 octobre dernier, la dame répond aux questions complaisantes des farceurs de la matinale de France-Culture pour la promotion de sa grande œuvre. Dans la filiation de L’Orientalisme magistralement déconstruit par Edward Saïd (1978), elle n’hésite pas à lancer un vibrant appel aux auditeurs de la radio de service public : « il faut s’efforcer de comprendre les Saoudiens et leur civilisation... parce que l’Orient peut encore... nous ensanglanter » (sic). Du lourd, très lourd assez balourd.

Au-delà du fait que depuis les accords Sykes-Picot (16 mai 1916), sans remonter jusqu’aux Croisades, c’est plutôt l’Occident qui « ensanglante » consciencieusement et régulièrement l’Orient, on nage en pleine sidération mythologique. Comme le dit Attali (qui dispose désormais d’un gros contrat de consultant en Arabie saoudite), il est dans notre « intérêt » de « comprendre » qui sont ces gens bizarres ! En conclusion de sa chronique « Bichon chez les Nègres », Roland Barthes nous dit que l’une de nos servitudes majeures est « le divorce accablant de la connaissance et de la mythologie : la science va vite et droit en son chemin ; mais les représentations collectives ne suivent pas, elles sont des siècles en arrière, maintenues stagnantes dans l’erreur par le pouvoir, la grande presse et les valeurs d’ordre » (3).

Dernière mise en garde – toujours en direct sur France-Culture – de l’himalayenne stratège : « gardons à l’esprit que 300 (sic) missiles du Hezbollah sont, quotidiennement pointés sur Israël... » Sur le dossier, la dame a mal relu ses fiches Wikipédia, parce qu’en l’occurrence il serait plus juste de dire plusieurs milliers, en précisant aussi que la chasse et la marine de Tel-Aviv, violen, à peu près tout aussi quotidiennement, l’espace aérien et les eaux territoriales du Liban, sans parler des raids à répétition menés en Syrie, en dehors de toute espèce de légalité internationale. Mais comme ses maîtres néo-cons, la Reine des idées reçues a l’indignation sélective.

On ne peut que le déplorer, ce pseudo-livre participe à l’aggravation du réchauffement climatique, en raison des arbres coupés pour la pâte à papier ayant été utilisée pour sa fabrication... En définitive, pour mieux comprendre les rouages de la dictature saoudienne, on se reportera aux quelques ouvrages précédemment cités, certainement plus opérationnels que les souvenirs d’adolescence d’une bichonne égarée au royaume de la dictature wahhabite.

Etienne Pellot
29 octobre 2018

1 Pierre Péan : Le monde selon K. Editions Fayard, février 2009.
2 Jonathan D. Gray est un milliardaire étasunien, président et chef de l’exploitation de Blackstone Group, une société de gestion d’actifs basée à New York et d’une officine de communication qui s’est beaucoup investie pour améliorer l’image extérieure de la monarchie saoudienne. La lettre Intelligence-Online du 10 octobre 2018 nous rappelle que Christine Ockrent siège au conseil d’administration de Havas depuis 2014, autre société très active en Arabie saoudite.
3 Roland Barthes : Mythologies. Editions du Seuil, 1957.

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