RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher
18 

Luciano Canfora : "Holodomor, l’atlantisme plie l’histoire à ses fins".

Luciano Canfora, l'un des plus grands philologues italiens, est un philologue classique, un helléniste et un historien. Il est professeur émérite de philologie grecque et latine à l'université de Bari et coordinateur scientifique de l'École supérieure d'études historiques de Saint-Marin. Il est membre du comité de rédaction de plusieurs revues, tant scientifiques que populaires, telles que le Boston Journal of Classical Tradition, la revue espagnole Historia y crítica et la revue italienne de divulgation géopolitique Limes (groupe GEDI). Il est membre de la Fondazione Istituto Gramsci et du comité scientifique de l'Enciclopedia Treccani. Depuis 1975, il dirige également la revue Quaderni di Storia (éd. Dedalo, Bari), la série de textes La città antica de l'éditeur Sellerio, la série Paradosis pour les edizioni Dedalo et la série Historos pour Sandro Teti Editore. Il est un auteur prolifique de philologie, d'histoire et de politique, de l'Antiquité à l'époque contemporaine. Militant depuis plusieurs années au sein du Parti de l'unité prolétarienne pour le communisme (PdUP), il a adhéré en 1988 au Parti communiste italien (PCI) ; quelques mois après la dissolution du PCI, il a rejoint le Parti de la refondation communiste (PRC). Il a été candidat aux élections européennes de 1999 sur la liste du Parti des communistes italiens (PdCI) dans la circonscription du Nord-Ouest, du Centre et du Sud de l'Italie, sans être élu. En ce qui concerne la guerre en Ukraine, Canfora a qualifié l'Euromaïdan de "coup d'État". [Le Sénat italien a récemment débattu et approuvé un ordre du jour pour la reconnaissance de l'Holodomor.]

L’HISTORIEN - Pour les historiens, il ne s’agit pas d’un génocide : ce ne sont pas des décisions pour le Parlement.

"Un problème historiographique ne peut être résolu par des votes au Parlement". Luciano Canfora, universitaire et essayiste grec de renom, s’est longuement penché sur l’utilisation politique de la mémoire. Dans l’un de ses essais de 2010, "L’utilisation politique des paradigmes historiques", il montre que le révisionnisme est une constante à chaque époque, les puissants s’efforçant de réécrire l’histoire afin de s’accréditer en tant que vainqueurs. La motion signée par le FdI [Fratelli d’Italia, Extreme Droite, le parti de Meloni] et le Pd [Partito Democratico, centriste et liberal] au Sénat visant à reconnaître comme génocide l’Holodomor, la famine causée par la collectivisation forcée des campagnes imposée par Staline sur le territoire de l’Ukraine et d’autres républiques de l’URSS entre 1932 et 1933, qui a coûté la vie à des millions de personnes, entre également dans cette catégorie, affirme-t-il. Une motion a été adoptée par le Parlement en novembre, ainsi que par le Bundestag à Berlin, l’Europarliament et la Verchovna Rada à Kiev, où Zelensky a activement défendu la cause.

Professeur, au Sénat, FdI parle de "fait incontestablement établi, à savoir le génocide du peuple ukrainien par Staline et les communistes soviétiques". Le jugement historique sur le sujet est-il si serein ?

L’idée que l’Holodomor était un acte délibéré de Staline pour exterminer les Ukrainiens attend encore des preuves scientifiques. L’historiographie débat encore des causes de cette grande famine. Personne ne nie le fait, mais l’intentionnalité ne peut être prouvée. L’histoire de l’URSS doit être étudiée, les problèmes historiques sont résolus dans les archives, et non par la superficialité télévisée des "bons et des méchants".

Qu’y a-t-il à condamner dans cette initiative ?

Je réponds par une provocation. Je propose un vote pour reconnaître le génocide des soldats romains à Cannes, en 216 avant J.-C., par les "féroces" Carthaginois. Je suis consterné parce que ce n’est pas seulement une façon ridicule de traiter les questions historiques, mais c’est aussi une façon pour ceux qui sont au pouvoir de prétendre qu’ils ont gagné rétroactivement. L’atlantisme le plus à droite a gagné plusieurs manches dans la dernière période, et impose maintenant des représentations historiques ad usum Delphini. D’autres se chargeront de défaire ce canevas et de présenter les choses autrement, peut-être dans 600 ou 700 ans. Face à cette forme de surpuissance, l’ancienne gauche ne sait jamais réagir intelligemment, elle joue les seconds rôles. On peut déplorer des faits historiques, mais on ne peut le faire au mépris des vérités les plus élémentaires. Je rappelle que le Parlement européen s’est déjà illustré en mettant dans le même sac stalinisme et hitlérisme. Pourquoi ne votons-nous pas la reconnaissance du génocide de près de 20 millions de morts russes pendant la Seconde Guerre mondiale, après une agression subie par l’Allemagne du IIIe Reich, lorsque l’Ukraine a collaboré avec Hitler ? Je suis du côté de Fabius Maximus le procrastinateur, qui ne voulait pas de la bataille de Cannes : d’autres l’ont voulue, et elle s’est terminée par le massacre que l’on sait.

Pourquoi voter sur l’Holodomor maintenant, alors qu’il y a toujours une guerre entre la Russie et l’Ukraine ?

Nous devons trouver des justifications idéales pour être en guerre, alors que nous prétendons ne pas l’être. Tout cela alors que plus de la moitié de l’opinion publique italienne ne veut pas de la guerre. Il y a quelques jours, j’ai lu dans le Corriere della Sera, sous un titre alarmant, que 61 % des Italiens déclarent ne pas faire confiance à Zelensky : c’est un élément important pour comprendre pourquoi l’Italie pratique actuellement l’Holodomor. On ne cesse d’inventer de nouveaux arguments pour renforcer le camp atlantiste.

Il Fatto Quotidiano – 27/07/2023 - RICCARDO ANTONIUCCI

»» https://italienpcf.blogspot.com/202...
URL de cet article 38812
   
Même Thème
L’écologie réelle
Guillaume SUING
Des premières aires naturelles protégées (zapovedniki) en 1918 jusqu’au plus grand plan d’agroforesterie au monde en 1948, avant que Nikita Khrouchtchev ne s’aligne sur le modèle intensif américain dans les années soixante, c’est toute une écologie soviétique qui fut jadis raillée par les premiers zélateurs occidentaux de l’agriculture « chimique ». Cette « préhistoire dogmatique », pourtant riche d’enseignements pour l’époque actuelle, est aujourd’hui totalement passée sous silence, y (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

"L’un des grands arguments de la guerre israélienne de l’information consiste à demander pourquoi le monde entier s’émeut davantage du sort des Palestiniens que de celui des Tchétchènes ou des Algériens - insinuant par-là que la raison en serait un fonds incurable d’antisémitisme. Au-delà de ce qu’il y a d’odieux dans cette manière de nous ordonner de regarder ailleurs, on peut assez facilement répondre à cette question. On s’en émeut davantage (et ce n’est qu’un supplément d’indignation très relatif, d’ailleurs) parce que, avant que les Etats-Unis n’envahissent l’Irak, c’était le dernier conflit colonial de la planète - même si ce colonisateur-là a pour caractéristique particulière d’avoir sa métropole à un jet de pierre des territoires occupés -, et qu’il y a quelque chose d’insupportable dans le fait de voir des êtres humains subir encore l’arrogance coloniale. Parce que la Palestine est le front principal de cette guerre que l’Occident désoeuvré a choisi de déclarer au monde musulman pour ne pas s’ennuyer quand les Rouges n’ont plus voulu jouer. Parce que l’impunité dont jouit depuis des décennies l’occupant israélien, l’instrumentalisation du génocide pour oblitérer inexorablement les spoliations et les injustices subies par les Palestiniens, l’impression persistante qu’ils en sont victimes en tant qu’Arabes, nourrit un sentiment minant d’injustice."

Mona Chollet

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.