ACRIMED : Libération et Marine Le Pen : abus de sondage
Nous voici à une centaine de jours du premier tour de l’élection présidentielle. De nombreuses candidates et candidats sont désormais en campagne, et les apparitions dans les médias de masse se multiplient sous différentes formes. Mais la solide invariable de l’équation médiatique est la commande de sondages, ces thermomètres censés mesurer « l’opinion », assortis de leur publication et de leur interprétation.
Le 9 janvier, Libération nous livrait ainsi son dernier sondage commandé à Viavoice. Le résultat de ce sondage fait la « Une » du quotidien. Son titre révèle ainsi « l’information » que la rédaction estime la plus importante : « 30% n’exclueraient pas de voter Le Pen » (Nous avons gardé la faute d’orthographe pour rester rigoureux dans la citation). Le journal consacre alors quatre pages à Marine Le Pen, faites de témoignages recueillis dans des lieux où les idées de l’extrême-droite s’implantent et de « décryptage » des résultats du sondage.
Encore un sondage
Ce sondage nous propose diverses données, dont celle (essentielle pour les grands médias) de l’intention de vote pour le premier tour de l’élection présidentielle, si celui-ci avait lieu ce dimanche 15 janvier 2012. Voici la question précise : « Si le premier tour de l’élection présidentielle avait lieu dimanche prochain, pourriez-vous voter pour Marine Le Pen ? ». Les réponses se divisent en 5 catégories : 8% « Oui, certainement » ; 10% « Oui, probablement » ; 12% « Non, probablement pas » ; 68% « Non, certainement pas » ; 2% « Ne se prononce pas ». A partir de ces résultats, les commentateurs ont jugé valable le calcul prosaïque suivant : en additionnant les trois premières catégories, on atteint le chiffre magique - et spectaculaire - de 30%, qui peut dès lors occuper la « Une »...
Regardons plus précisément la question et les réponses.
En ce qui concerne la question, tout d’abord. Qu’en aurait-il été si le sondeur proposait plusieurs choix de candidats pour le premier tour ? Avec la question posée précisément par Viavoice, il est demandé si la personne sondée « pourrait » voter pour Marine Le Pen. Cela ne garantit en rien que les sondés voteraient effectivement pour elle face à n’importe quel candidat. Pour que ces résultats soient interprétables (ou du moins, un peu moins ininterprétables), il faudrait reposer cette question avec tous les autres candidats à l’élection présidentielle. En effet, serait-il exclu qu’une personne habituellement proche des idées de François Bayrou « puisse » voter pour François Hollande ou pour Nicolas Sarkozy ? Serait-il exclu qu’une personne proche des idées de Jean-Luc Mélenchon « puisse » voter pour Philippe Poutou ?
Pour preuve, il suffit que la question soit modifiée dans le même sondage pour qu’immédiatement les résultats changent radicalement. Dans la catégorie « souhaits de victoire de candidats », Le Pen passe de 17% en août 2011 à 15% en janvier 2012… Nous sommes donc très loin des 30% des électeurs qui n’excluraient pas (sans « e ») de voter Le Pen.
Les réponses ensuite. Intéressons-nous très rapidement à la sémantique et à l’interprétation des réponses proposées. « Non, probablement pas » semble être un « non » moins affirmatif qu’un « Non, certainement pas » mais qui n’engage en aucune manière un comportement. De plus, sauf erreur de notre part, il y a bien une différence entre un « non » et un « oui ». Toutes ces affirmations, avec les nuances qu’elles comportent, ne peuvent donc absolument pas être mises sur le même plan. De plus, il est tout à fait probable que la valeur attribuée à une réponse pour un sondeur (ou un commentateur de sondage) soit différente de celle que lui attribue le sondé. Quelle différence de valeur un sondé accorde-t-il, par exemple, entre un « probablement » et un « certainement » ? Entre un « oui » et un « non » ? De toute évidence, pas la même que celle de l’expert es sondologie, qui n’a « probablement » pas prévenu le sondé qui répondrait « non, probablement pas » qu’il ferait partie du même ensemble que celui qui a répondu « oui, certainement ».
Dépolitisation du débat
Le déferlement de sondages sur la « dynamique » du Front National continue donc. Souvenons-nous que l’année dernière, Libération avait publié en « Une » du 7 mars 2011, « Le Pen à 23% : Le sondage qui dérange ». Le Parisien, la veille, en faisait de même, « Sondage - présidentielle : Marine Le Pen en tête du 1er tour »… alors que nous étions à 13 mois du premier tour du scrutin, avec encore aucun candidat déclaré ! Souvenons-nous aussi de Dominique Strauss-Kahn qui était le « champion » de la gauche et qui a fini disqualifié. Tous ces sondages n’ont guère de pertinence à des dates aussi éloignées des échéances. Mais le pire est que ce genre de pratique peut entretenir, voire contribuer à créer un dynamisme autour de tel ou tel candidat. Tels des prophéties auto-réalisatrices, les sondages peuvent contribuer, en imposant de manière récurrente les personnalités « favorites », à fausser les scrutins.
En effet, la fréquence de ces sondages entérine dans le champ médiatique un affrontement qui paraît inéluctable pour le premier tour de l’élection présidentielle. La tendance est parfois au passage direct au second tour. La « Une » de Libération sur Marine Le Pen, qui véhicule un message à peine subliminal, celui de l’appel au « vote utile », aura en effet tendance à culpabiliser les électeurs en les mettant face à leurs « responsabilités ». Ces procédés, qui se coulent dans le fonctionnement institutionnel même de la Vème République, résument les échéances électorales à des affrontements qui ne sont plus fondés sur la base des projets politiques mais bien sur des personnes, adulées ou honnies.
ACRIMED. Julien Salingue, Lucas Gomez, le 14 janvier 2012
http://www.acrimed.org/article3750.html
Contradictions, variations éclairs et manipulations.
Blog de Jean-Luc Mélenchon, 18 décembre 2011. Extraits.
« Qui sont les déjà déçus de Hollande » demande la une du journal « Le Monde » [17 décembre]. Voici la réponse : « un tiers de ces déçus se reporteraient sur Jean-Luc Mélenchon, un second tiers à part égales entre François Bayrou et Nicolas Sarkozy, les autres ne sont plus surs d’aller voter ». Ainsi, la décomposition politique du bloc cristallisé autour de la candidature socialiste engendre des produits très divers. Mais elle augmente aussi la perplexité. La masse des désorientés et désemparés s’accroit. Loin d’avoir clarifié la scène le résultat dela primaire socialiste l’a obscurcie. Pour autant « les enquêtes d’opinion » qui l’établissent d’une main, le récusent de l’autre. Elles continuent d’afficher une assurance de marbre dans leurs annonces. Le même « institut » qui « observe » un glissement du tiers des pertes de François Hollande vers ma candidature me retire cependant un point dans sa dernière enquête ! En toute logique bien sûr ! Ce n’est qu’un exemple ! Les écarts constatés entre les différentes « instituts » qui publient des résultats ont rarement été aussi importants ! Qui a raison, qui a tort ? Et, puisque tout le monde ne peut pas avoir raison en même temps, peut-être que tout le monde à tort ! Voyons cela de près, dans l’espoir de contribuer à améliorer l’éducation à la méfiance de mes lecteurs.
Entre fin novembre et début décembre, trois sondages ont été publiés à des dates très proches. Un sondage TNS-Sofres le 30 novembre, un IFOP le 1er décembre et un BVA le 6 décembre. Ces trois sondages publient le détail des intentions de vote qu’ils ont recueillies. On peut donc y « observer » le vote ouvrier. Surprise ! Les sondeurs ne sont pas d’accord du tout.
Pour TNS, les ouvriers votent majoritairement pour François Hollande avec 37% des intentions de vote. Marine Le Pen recueille alors 27% des voix suivie par Nicolas Sarkozy à 18%.
L’IFOP annonce des résultats bien différents. Pour ce sondeur, les ouvriers plébiscitent Marine Le Pen à 37%. En deuxième place on trouve François Hollande et Nicolas Sarkozy à égalité : 17%. Donc : 10 points d’écart entre les deux sondages pour le score de Marine Le Pen et 20 points d’écarts pour le score de François Hollande !
BVA donne également ses propres résultats pour le vote des ouvriers : 33% pour Hollande, 31% pour Le Pen et 13% pour Sarkozy… Pourtant, le 22 novembre dernier ce même institut annonçait des résultats forts différents : 43% du vote ouvrier pour Le Pen, 22% pour Sarkozy et 20% pour Hollande. En l’espace de deux semaines, un évènement décisif a du se produire qui a bousculé l’adhésion de la classe la plus nombreuse de notre société. Mais lequel ? Oui, lequel ?
Trois nouveaux sondages ont été publiés, à la fin de la semaine du 18 décembre, par l’IFOP, OpinionWay et Harris Interactive. L’incohérence des résultats sautent aux yeux. Pour l’IFOP, en à peine deux semaines, les ouvriers auraient complètement changé leurs intentions de vote. Alors que l’institut nous expliquait que 37% des ouvriers voteraient pour Marine le Pen, ils ne sont plus que 28% aujourd’hui. Par contre, 27% voteraient pour François Hollande alors qu’ils étaient 17% la semaine dernière. Sans doute se sont-ils réjouis de l’abandon de la retraite à soixante ans !
Encore plus fort : les prédictions sur les intentions de vote pour le Front de Gauche selon l’âge des électeurs. Il y a deux semaines, l’IFOP nous expliquait que 2% des 18-24 ans exprimaient une intention de vote Front de Gauche contre 10% pour les 25-34 ans. Cette semaine, la situation serait complètement inversée : 8% des 18-24 ans voteraient Front de Gauche contre 1% pour les 25-34 ans. Un pour cent : mieux vaut en rire ! De son côté, Opinionway affirme que seulement 1% des électeurs socialistes voteront pour le Front de Gauche ! Ils n’ont pas dû lire la une du « Monde » ni fréquenté le moindre bistrot en zone socialiste ! Quand à Harris Interactive, cet institut a trouvé la bonne solution pour ne pas que l’on critique ses méthodes : il a tout simplement choisi de contourner la loi. A l’heure où j’écris ces lignes et alors que les résultats du sondage ont déjà été publiés dans la presse, l’institut n’a toujours pas mis en ligne sur son site internet la notice technique du sondage. Pourtant la loi du 19 juillet 1977 relative à la diffusion des sondages l’exige ! Mais comme cette loi est appliquée par la commission ratapoil chargée des sondages où officie derrière son clavier, aux heures de pointe, un individu submergé mais consentant, les fraudeurs peuvent dormir tranquilles.
Mais au bout du compte, c’est l’usage et l’impact de ces « enquête » qui compte. Les commentateurs de ces résultats les avalent tout rond. On pourrait imaginer qu’ils s’étonnent de voir des résultats variant de plusieurs dizaines de points. A défaut de les dénoncer, ils pourraient s’interroger ou au moins nous alerter sur l’existence de résultats contradictoires. Il n’en est rien. Tout au contraire. Ils agissent et commentent comme s’ils étaient en face d’une certitude établie. Depuis plusieurs semaines, ils font le choix de relayer en boucle la même information purement construite. Par exemple pour eux, Marine Le Pen serait « en tête chez les ouvriers ». On vient de voir ce qu’il en est pour les instituts de sondages. La formule donc fonctionne en fait comme une assignation à résidence politique !
Une petite anecdote va montrer comment il s’agit souvent d’une véritable crampe mentale. Ce jour-là , le quotidien gratuit « Métro » affichait les portraits de quatre candidats à la présidentielle selon le classement d’un improbable sondage sur le degré d’opinion positives qu’ils sont censés recueillir. En tête Hollande, puis Sarkozy, puis Le Pen, stable à 30 % puis Joly en recul de neuf points, également à trente pour cent. Photos à la clef. Je lis l’articulet qui accompagne cette iconographie. J’y découvre alors que je fais l’objet de 37 % d’opinion positive, en progrès. Cela me placerait en deuxième position des opinions favorables. Pourquoi ne suis-je pas représenté dans l’iconographie ? Facétieuse, une camarade appelle donc le journal pour en connaitre la raison. La personne qui répond est tout à fait aimable. Elle est désolée car elle admet que ce n’est pas très normal. Renseignement pris par elle, voici « l’explication ». L’espace a dû être raccourci pour placer un encadré. Donc on a retiré un des personnages. Moi. Pourtant je n’étais pas au bout de la rangée. Selon ce classement j’étais le deuxième, juste après Hollande ! Mais, Hop, le coup de ciseau passait là ! Je m’amusais en pensant à cette photo où Staline fit subir le même sort photographique à Léon Trotski pourtant présent aux côtés de Lénine sur ce cliché célèbre ! Mais bien sur toute comparaison entre la presse libre éthique et indépendante de notre paradis démocratique et celle d’une période de dictature ne saurait avoir aucun sens !
La négation de notre existence, qu’elle se produise du fait d’un coup de ciseau dans les photos ou du fait d’une sous présence de fait dans les médias comme le montre les statistiques du CSA correspond à un effet de système. Une idéologie implicite est à l’oeuvre ! A un bout on trouve des gens pour qui nous sommes tellement hors système que notre entrée dans le paysage ne coïncide avec aucune norme connue d’eux. S’ils nous effacent, pour eux inconsciemment, « ce n’est pas grave », tout simplement parce que ça nous ne signifions rien pour eux. Ou bien ce que nous signifions est pire que tout de leur point de vue. Donc il pratique l’occlusion mentale.
A l’autre bout, il y a par contre des « militants médiatiques » conscients. Ceux-là ont fait un choix. Pour que la pince à « vote utile » fonctionne et colle chacun à sa place il faut structurer l’imaginaire collectif. D’un côté les raisonnables, dont on organise une confrontation superficielle pour mieux souligner à quel point ce sur quoi ils sont d’accord est une évidence. Ainsi quand un journal titre : « Sarkozy et Hollande : deux conceptions de l’Europe ». Tu parles ! Dupon et Pondu ! Le « phénomène » Bayrou achève de border le tour de table ainsi préfabriqué. Là , c’est un vrai coup de gonflette. En un mois l’homme est censé avoir doublé dans les intentions de vote ! Il gagne six points dans les sondages. On se demande pourquoi. C’est sa quatrième déclaration de candidature en trois mois. Et il venait de faire une prestation ratée sur France 2 qui a été le premier échec d’audience de cette émission. Le lendemain, son meeting au pays natal ne réunit qu’à peine mille personnes. Ce résultat est d’autant plus suspect que l’institut concerné par cette divination n’explique pas pourquoi il avait déjà coté le même Bayrou à 12 % cet été avant de le ramener à 6% en octobre et de le replacer de nouveau à 12 %. Mais qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. Voici Bayrou au « centre du jeu » comme le dit un titre de grande diffusion. Dans ces conditions le système d’alliance majoritaire est bien dessiné. L’austérité de droite ou l’austérité de gauche ? Laquelle des deux sera soutenue par l’austérité du centre ? Quel suspense ! Frissons garantis.
Une fois mise en scène cette « confrontation » des « raisonnables » comme dit Bayrou, il reste à la verrouiller avec une opposition qui contienne son propre révulsif. C’est là que commence le numéro « Marine Le Pen seule candidate des milieux populaires ». Ce n’est plus une observation, c’est une assignation. La bonne société indique de quel côté répugnant se situe le peuple. Le choix du diable n’est pas neutre. Ce n’est pas le Front de Gauche. Car les vrais connaisseurs savent quelle est la situation. La Marine Le Pen est en panne, comme je l’ai dit. Son meeting à Metz n’a rien donné : à peine mille décatis dans une salle morose. Ses militants ne tiennent pas le terrain à part dans quelques poches locales limitées autour d’elle dans le Pas de Calais et autour de son père en PACA. Deux endroits où le Parti Socialiste leur réchauffe les plats sur les braises de ses « affaires ». Son opération en direction des syndicalistes est un bide total. Et pour un socialiste ou un ancien électeur communiste des années 70, qui s’égarent chez elle et qu’immortalise une caméra, trente passent au Front de Gauche en silence et sans spotlight. Sur le terrain, le seul encadrement présent au quotidien est celui des syndicalistes et des associatifs de quartier qui sont ultra majoritairement au Front de Gauche. Comment le sauraient-ils, ces gens qui ne connaissent du terrain que les images que leur donnent les sondages ? Mais en répétant en boucle le refrain « Le Pen populaire » il est incontestable que cela pèse sur les perplexes. On leur dit comment exprimer leur colère.
Vers Le Pen plutôt que vers le Front de Gauche ! Ce n’est pas nouveau. C’est la ligne « plutôt Hitler que le Front populaire ».
Jean-Luc Mélenchon
http://www.jean-luc-melenchon.fr/2011/12/18/plutot-hitler-que-le-front-populaire/