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Les ravages de la LRU (suite)

photo : Julie Rebouillat Contre-Faits : Collectif de photographes, reporters, activistes et auteurs

Aujourd’hui, un petit bilan. Je m’inspirerai ici des réflexions du collectif Printemps 2010 sur la marchandisation du savoir, le Processus de Bologne et la Stratégie de Lisbonne. La lutte contre la LRU, la privatisation de l’université française passe nécessairement par une lutte à l’échelon européen, et vice-versa.

Coordonné au niveau européen, le Processus de Bologne date de 1999. Comme son nom l’indique, ce n’est pas un objectif mais un mouvement sans fin. Moins la résistance s’organise, plus le mouvement est vigoureux.

Concernant 46 pays, ce processus vise à élaborer « un système européen d’harmonisation, d’évaluation et de comparaison des établissements d’enseignement supérieur en Europe. » Il prépare en outre l’ouverture à la concurrence entre les établissements publics, entre les établissements publics et privés, ainsi qu’à la marchandisation de l’enseignement supérieur.

La stratégie de Lisbonne (2000), mise en place, côté français, entre autre par Lionel Jospin, vise à « accorder la production du savoir à la demande du marché ». En d’autres termes, à transformer l’université en un outil du capitalisme. S’incrivant dans un « espace européen », la recherche est, elle aussi objet de concurrence. Le chercheur est censé devenir un chercheur-entrepreneur. Des incitations fiscales peuvent être accordées aux entreprises qui investissent dans la recherche universitaire.

L’université doit garantir l’" employabilité " des étudiants par la fourniture d’un « savoir utile au marché », les étudiants étant pensés en terme de « capital humain ». Lire à ce sujet l’ouvrage d’Isabelle Bruno A vos marques, prêts, cherchez ! (Éditions du Croquant, 2008).

Le meilleur élève de l’Union européenne est, on ne s’en étonnera pas, le Royaume-Uni. La France s’est montrée très réactive depuis l’accession de Sarkozy au pouvoir. Les résistances les plus fortes se sont faites jour en Grèce, les étudiants de ce pays ayant été très sensibilisés à la prolétarisation qui les attendait à très court terme. Au Royaume-Uni, une année d’études coûte 3000 livres jusqu’à la licence (3450 euros), 10000 livres après la licence (11400 euros). Un cursus menant au doctorat coûte environ 35000 livres (40000 euros) en frais d’inscription.

Un petit détour par le Japon où les étudiants sont amenés à s’endetter. Des seppukus sont à prévoir car nombreux sont ceux qui ne peuvent pas rembourser leurs prêts. 200000 sur 1,2 million de bénéficiaires de ces prêts sont considérés comme mauvais payeurs (trois mois de retard de paiement) et sont actuellement fichés par les pouvoirs publics. Les causes de l’endettement sont la faiblesse des revenus (mais les frais de scolarité ont doublé depuis 1990), l’absence d’emploi, l’endettement des parents et les problèmes de santé. Le Japon est, après les États-Unis, l’un des pays de l’OCDE où la part des dépenses publiques dans les dépenses totales pour l’éducation supérieure est la plus faible : 40 % contre près de 80 % en moyenne pour les pays de l’OCDE.

Outre-Manche, les universités ne sont plus dirigés par les enseignants, ni même par des personnes élues. On voit bien qu’en France, à terme, la tendance en France est la même. Des départements peu « rentables » en terme capitalistique disparaissent, y compris dans les universités les plus prestigieuses (linguistique, philosophie, sociologie, français, allemand etc.). L’enseignement de l’anglais langue étrangère est privatisé pour le profit et dans la logique des milieux économiques. Tout comme les logements étudiants. En tant qu’entreprises privées, de nombreuses universités ont fortement pâti de la faillite des banques islandaises où elles avaient investi dans des valeurs pourries. Les Britanniques sont allés tellement loin que, même si un pouvoir politique fort le décidait, il serait impossible de revenir en arrière.

Accaparés par le financement de leurs études, les étudiants ne se mobilisent guère plus. Leur principal syndicat a accepté récemment le principe de non-gratuité des études. Les étudiants des classes moyennes (il n’y a quasiment plus d’étudiants d’origine ouvrière) travaillent pour les parents des étudiants riches.

En Italie, Berlusconi a fait voter une loi similaire à la LRU en 2004. Les universités peuvent désormais être de droit privé et fixer comme elles l’entendent les frais d’inscription. Il en coûte 8000 euros par an pour un étudiant en lettres à Florence. Ces dernières années, on a fort peu entendu réagir les grandes figures de la gauche intellectuelle (comme Umberto Eco).

En Espagne, une loi de 2004 a privatisé l’université, en la rendant financièrement « autonome » et en donnant toujours plus de pouvoir aux entreprises sur les établissements. Il n’y a plus de diplômes nationaux. Comme en France, la formation des enseignants est, petit à petit, vidée de son contenu pédagogique.

En Allemagne, l’augmentation des droits d’inscription date de 2005. L’entreprise privée commence à régner en maître. Les manifestations de 2005 et 2006 n’ont pas empêché la poursuite du « processus ».

En Belgique, les frais d’inscription s’élèvent à 800 euros par an. Les grosses universités sont en trains d’absorber les petites. La conscientisation étudiante est quasi nulle. Sans parler de leur mobilisation. Il n’y a pas de syndicat étudiant en Belgique ! Les enseignements non « rentables » passent progressivement à la trappe. Certaines chaires sont désormais subventionnées par des entreprises (des marchands de bière, par exemple).

En Grèce, la forte mobilisation estudiantine de 2008 a fait provisoirement reculer le pouvoir.

Le Danemark est le pays où le processus de privatisation est le moins avancé. L’éducation est gratuite. Tous les étudiants sont boursiers (600 euros par mois pendant six ans). Néanmoins, l’entreprise privée a mis le pied dans la porte. Dans les conseils d’administration, un membre sur deux vient du privé (contre zéro, il y a peu). Le gouvernement vient d’autoriser l’existence d’universités privées et la possibilité pour l’entreprise privée de s’approprier les résultats de la recherche universitaire.

Dans toute l’Europe, l’ouverture aux capitaux privés est idéologique. Palliant le désengagement voulu des États, il permet au secteur privé de peser sur la gestion, les orientations des établissements. Il s’agit également, par le biais de méthodes « managériales » en provenance du privé, d’affaiblir le corps universitaire. Il faut briser l’esprit d’autonomie des enseignants-chercheurs, anéantir leur liberté d’expression, les évacuer de toute prise de décision les concernant, les obliger à réaliser des performances selon des critères jamais définis, et, en tout cas, non universitaires, les priver d’un véritable statut et, à terme, les empêcher de recruter leurs pairs dans la transparence et la démocratie.

La grande rupture idéologique et, peut-on dire, épistémologique, entraîné par le Processus de Bologne et la stratégie de Lisbonne est la disparition du savoir au profit des compétences. Le temps où le savoir produit par l’Université appartenait à tous est révolu. Pour la Commission européenne, « dans le champ des connaissances, production rime avec protection et exploitation. » L’économie de la connaissance chère à la classe dirigeante européenne est basée sur la rareté du savoir. La stratégie de Lisbonne est une guerre de la classe dominante contre le savoir à la portée du plus grand nombre (voir, à ce sujet : http://www.dailymotion.com/search/azam/video/x8rxrj...). Lire également A. Vinokur, " Vous avez dit autonomie ?, Mouvements, n° 55-56, septembre-décembre 2008.

Politiquement, ce qui est programmé n’est rien moins que la fin du service public.

La privatisation des universités va déboucher sur de nécessaires stratégies de visibilité, d’affichage d’images. Il conviendra de recruter des stars parmi les enseignants-chercheurs, des managers médiatiques comme présidents d’établissement, des spécialistes des affaires, du patrimoine et de la finance. Au États-Unis, la part des frais d’administration est passée de 30% en 1976 à 50% en 2001. Au détriment de l’enseignement et de la recherche.Sur le marché du savoir, les étudiants sont désormais des clients. Mais aussi des producteurs. L’enseignement supérieur n’étant plus un service public, la logique d’aide au mérite du riche primera toujours sur celle d’aide au besoin du pauvre.

L’argent allant à l’argent, les financements publics et privés iront en priorité vers les établissements les plus « attractifs » et les mieux dotés. Largement dotés ou pas, les établissements seront censés se caler sur les besoins des bassins d’emplois et des entreprises les finançant.

La souffrance des personnels sera elle aussi un processus sans fin. Le savoir étant devenu une marchandise, il sera de plus en plus segmenté et n’aura plus rien à voir avec la notion de culture. Les libertés académiques et démocratiques (comme la représentativité des personnels) reculeront. Les personnels seront précarisés. Aux États-Unis, la proportion de vacataires est passée de 43 à 70% en trente ans.

Bernard GENSANE

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