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Série : Banques - Peuples : les dessous d’un match truqué !

Les banques, ces colosses aux pieds d’argile (5e partie)

« Pour faciliter le financement, les garanties et l’instantanéité de tout ce commerce, le volume des transactions financières devait, lui, croître encore plus vite que le commerce lui-même. Il fallait inventer des formes entièrement nouvelles de finance, développer des dérivés de crédit, des titres garantis, des achats de pétrole à terme et autres, qui font que le système commercial mondial fonctionne beaucoup plus efficacement. A maints égards, l’apparente stabilité de notre commerce et de notre système financier mondiaux réaffirment le principe, énoncé par Adam Smith en 1776, simple et vérifié par l’Histoire : le libre commerce d’individus travaillant pour leur intérêt conduit à une économie croissante et stable. » Alan Greenspan |1|

L’innovation financière présentée par Alan Greenspan comme une panacée a fait un grand flop tout en provoquant des dégâts économiques et sociaux très graves, sans oublier les atteintes aux droits démocratiques des citoyennes et citoyens que la dictature des marchés et les oukases de la Troïka en Europe impliquent. Les traités européens et la politique concrète des gouvernements successifs rognent progressivement les droits démocratiques conquis par les peuples : le pouvoir législatif est soumis à l’exécutif, le Parlement européen est le cache sexe de la Commission européenne, les choix des électeurs sont de moins en moins respectés… Les gouvernants se retranchent derrière les traités afin de reprendre la rengaine de Margaret Thatcher : il n’y a pas d’alternative (TINA, There Is No Alternative) à l’austérité et au remboursement de la dette. Pendant ce temps, ils font le maximum d’une part pour porter atteinte aux droits économiques et sociaux conquis au cours de 20e siècle (voir la partie 3 de cette série) et d’autre part pour empêcher qu’une nouvelle crise bancaire majeure ne survienne. Cependant, ils ne prennent aucune mesure contraignante sérieuse pour imposer aux banques et aux autres institutions financières une nouvelle discipline. Les banques n’ont pas réellement assaini leurs comptes depuis 2007-2008. Pis, elles sont très actives dans le développement de nouvelles bulles et dans la fabrication de nouveaux produits structurés. Dans cette partie |2|, sont passés en revue les acrobaties des banques pour se financer, leur dépendance quasi-totale à l’égard des aides publiques, les bulles spéculatives en progression, les innovations financières spéculatives, les effets désastreux produits par le système bancaire actuel notamment dans le domaine de la crise alimentaire ainsi que les nouveaux risques que son mode de fonctionnement fait courir aux peuples |3|.

Les problèmes de financement à moyen et long terme

Regardons d’abord du côté du financement (c’est-à -dire du côté du passif des banques). Les banques rencontrent de gros problèmes. Les investisseurs institutionnels (fonds de pension, assurances, banques, fonds souverains…) ne leur font pas confiance, ils hésitent à acheter les obligations (covered bonds) que les banques émettent pour se financer à long terme de manière stable. Même si quelques banques comme BNP Paribas et Société Générale (les deux premières banques françaises), ou encore BBVA (la 2e banque espagnole), ont réussi à vendre des obligations, les montants totaux émis en 2012 semblent tout aussi faibles que les années précédentes. D’après le Financial Times, ce serait même la plus mauvaise année depuis 2002 |4|.

Du coup, comme elles ne trouvent pas suffisamment de financement à long terme sur les marchés, elles dépendent de manière vitale du crédit sur 3 ans accordé par la BCE pour un montant de 1 000 milliards d’euros à un taux de 1% |5|, et plus généralement des liquidités mises à leur disposition par les pouvoirs publics des pays les plus industrialisés via les banques centrales (à commencer par la Fed, la BCE, la Banque d’Angleterre, la Banque nationale de Suisse et la Banque centrale japonaise).

Les problèmes du financement à court terme

Une grande partie de leur financement, outre les dépôts de leurs clients dont le volume n’augmente guère vu la crise, doit être trouvée à court terme. Selon le rapport Liikanen, les grandes banques européennes ont besoin de 7.000 milliards de financement au jour le jour |6|. Le montant des dettes bancaires à très court terme a fortement augmenté entre 1998 et 2007, passant de 1.500 à 6.000 milliards. De 2010 à 2012, il s’est maintenu à 7.000 milliards ! Où trouvent-elles ce financement à court terme ? Elles ne le trouvent plus ou si peu sur le marché interbancaire car les banques se méfient trop les unes des autres que pour se prêter de l’argent. Elles dépendent donc des Money Market Funds (qui disposent de 2700 milliards de dollars au jour le jour) dont la disponibilité varie au gré de la crise en Europe |7|. Les MMF ont fermé le robinet à partir de juin 2011 et l’ont rouvert quand la BCE a prêté 1000 milliards |8|. A tout moment, ils peuvent à nouveau fermer le robinet ou en restreindre fortement le débit. La source la plus sûre de financement là -aussi, ce sont les banques centrales. La BCE prête désormais de l’argent massivement à 0,75% (taux en vigueur depuis mai 2012).

La conclusion est claire : sans le prêt de 1000 milliards à trois ans auquel s’ajoutent les prêts quotidiens de la BCE et des banques centrales membres de l’eurosystème (auxquelles il faut ajouter notamment la banque d’Angleterre et la Banque nationale de Suisse), de nombreuses grandes banques européennes seraient menacées par l’asphyxie et la faillite. C’est une preuve supplémentaire du fait que les banques n’ont pas assaini leur bilan. Elles doivent se financer massivement à court terme alors que du côté de leurs actifs, elles détiennent des produits à maturité longue dont la valeur est tout à fait aléatoire. Dans beaucoup de cas, la valeur des actifs inscrite au bilan ne se concrétisera pas lors de l’échéance du contrat et les banques devront enregistrer une perte qui risque d’engloutir les fonds propres.

Pas de financement via la Bourse

Du côté de la collecte de capitaux via la Bourse, la situation est aussi bouchée. Le prix des actions des banques a été en moyenne divisé par cinq depuis 2007 |9| (voir tableaux en annexe). Les investisseurs institutionnels (assurances, fonds de pension, autres fonds de placement, banques…) hésitent très fort à acheter des actions de sociétés qui sont toutes en difficulté. C’est d’ailleurs une preuve supplémentaire de la distance abyssale qu’il y a entre le fonctionnement théorique du capitalisme selon ses promoteurs et la réalité. En théorie, la Bourse doit permettre de collecter, sur du long terme (les actions sont considérées comme des placements long terme qui doivent être conservés au moins 8 ans), des capitaux pour les entreprises qui y sont cotées : cela ne marche pas car la Bourse n’est plus depuis longtemps le lieu où se financent les entreprises mais un espace de pure spéculation. C’est pour cela que les banques ont besoin d’une recapitalisation financée par les pouvoirs publics.

En revanche, toujours selon la théorie, une autre fonction de la Bourse est d’indiquer par l’évolution du prix des actions la valeur réelle des entreprises. De ce point de vue, la chute moyenne de 80% de la valeur boursière des banques constitue un diagnostic très gênant pour leurs patrons et pour les propagandistes du système capitaliste.

Ajoutons que les banques utilisent une partie des liquidités mises à leur disposition par les banques centrales pour racheter leurs propres actions. Cette mesure a deux objectifs : tenter d’empêcher la poursuite de la baisse des cours d’une part, rémunérer les actionnaires d’autre part |10|.

Des banques financées par l’argent de la drogue

Une autre source du financement des banques provient de l’argent de la drogue. Le 26 janvier 2009, Antonio Maria Costa, Directeur de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODOC), a déclaré au magazine autrichien en ligne profil.at |11| que certains crédits interbancaires avaient été récemment financés « par de l’argent provenant du trafic de drogue et d’autres activités illégales ». Dernièrement, en décembre 2012, HSBC (Royaume Uni, deuxième banque au niveau mondial en terme d’actifs) a accepté de payer une amende record de 1,92 milliards de dollars |12| aux autorités américaines pour mettre fin aux poursuites dont elle faisait l’objet notamment pour blanchiment de l’argent que lui ont confié les cartels mexicains de la drogue |13|.

Des bombes à retardement dans les actifs des banques européennes et étatsuniennes

Comme indiqué plus haut, les banques détiennent comme actifs une grande quantité de produits financiers qui constituent de véritables bombes à retardement dont le mécanisme est déjà enclenché.

En Europe, 70% des produits structurés ayant comme support des crédits immobiliers commerciaux (CMBS) arrivés à maturité en 2012 ne sont pas payés |14| ! Ce sont des produits fabriqués entre 2004 et 2006, juste avant l’éclatement de la crise des subprime, qui viennent à échéance en 2012-2014. Selon l’agence de notation Fitch, seuls 24 des 122 CMBS qui venaient à maturité au cours des 11 premiers mois de 2012 ont été payés. En 2013-2014, les contrats qui viennent à échéance représentent un montant de 31,9 milliards d’euros. En 2012, JP Morgan, la première banque des Etats-Unis, a perdu 5,8 milliards de dollars sur ce marché en Europe via son bureau à Londres et les initiatives malheureuses d’un de ses chefs surnommé la Baleine |15|. Cela n’empêche pas la Deutsche Bank et Royal Bank of Scotland de recréer de nouveaux CMBS pour le marché européen ! Pourquoi ces banques se lancent-elles dans ces opérations ? Parce que le haut niveau de risque qu’ils impliquent permet d’avoir un rendement nettement supérieur à celui d’autres titres ou d’autres produits. Affaire à suivre.

Il y a encore dans les bilans des banques d’Europe et des Etats-Unis plusieurs milliers de milliards de dollars de produits structurés liés au marché immobilier résidentiel (MBS, mortgage backed securities), notamment des MBS subprime, ou d’autres catégories d’ABS (asset backed securities). Les banques qui essaient de s’en défaire n’y arrivent généralement pas à moins d’accepter une perte très importante. Fin décembre 2011, les MBS se vendaient à 43% de leur valeur mais il y avait très peu d’acheteurs |16|. Les banques sont systématiquement très discrètes quant au volume exact de MBS qu’elles détiennent encore dans leur bilan, et elles le sont encore plus en ce qui concerne les produits enregistrés hors bilan.

Les CLO, un autre produit structuré inventé dans la phase préparatoire à la crise des subprime, provoque des inquiétudes tout en attirant des banques européennes particulièrement agressives, comme Royal Bank of Scotland, dans le domaine de rendements élevés liés à la prise de risque. CLO signifie collateral loans obligations. Les CLO ont été vendus afin de procurer de l’argent à des investisseurs qui voulaient acheter des entreprises en s’endettant et en jouant au maximum sur l’effet de levier (c’est ce qu’on appelle des LBO). Ces CLO viennent à maturité et ceux qui les possèdent se demandent comment on arrivera à les payer. Le marché des CLO en Europe est totalement anémique mais il a redémarré aux Etats-Unis où il en a été vendu en 2012 pour 39 milliards de dollars. Des banques européennes en achètent car vu les risques pris, le rendement est élevé |17|. Gare à la casse.

De nouvelles bombes en préparation

JP Morgan et d’autres grandes banques se proposent de fabriquer, pour le crédit lié au commerce international, des produits structurés comparables aux CDO du crédit hypothécaire subprime. Rappelons que les Collateral Debt Obligations (CDO) étaient fabriquées à partir d’un mélange de crédits hypothécaires de qualité différente. Les banques qui fabriquaient les CDO avaient pour objectif de se défaire des crédits hypothécaires en les titrisant (c’est-à -dire en transformant un crédit en un titre revendable facilement). |18| JP Morgan souhaite faire la même chose en remplaçant les crédits hypothécaires par des crédits à l’exportation. C’est JP Morgan qui a créé à partir de 1994 l’ancêtre des CDO |19|. Le marché des crédits à l’exportation représente 10 000 milliards de dollars par an. JP Morgan veut convaincre les banques qui font du crédit lié au commerce international de mettre ces crédits dans un produit structuré afin de le revendre comme un CDO. L’objectif officiel est d’alléger le poids des actifs afin de diminuer l’effet de levier de manière à rencontrer les exigences nouvelles des autorités en termes d’augmentation des fonds propres (voir la partie 6 et les accords de Bâle III). En réalité, pour JP Morgan et les autres grandes banques qui veulent innover, il s’agit de créer un nouvel appétit pour un produit innovant sur un marché important et de faire du profit grâce à cela |20|. Là aussi, si la stratégie de JP Morgan fonctionne bien, la probabilité de provoquer des dégâts est élevée car cela risque de produire une nouvelle bulle.

La course effrénée aux résultats provoque des pertes

Quelques exemples montrent l’ampleur des risques que les banques continuent de prendre. Il y a bien sûr la perte enregistrée par la Société Générale en France (4,9 milliards d’euros) suite aux avatars d’un de ses traders, Jérôme Kerviel. On pourrait nous dire que l’affaire remonte à janvier 2008 et que les banques ont tiré la leçon depuis. Pas du tout. En septembre 2011, la banque suisse UBS a annoncé qu’elle enregistrait une perte de 2,3 milliards de dollars, en raison des opérations non autorisées réalisées par Kweku Adoboli, un administrateur de l’équipe de Global Synthetic Equities trading à Londres. Toujours à Londres, comme mentionné plus haut, la Baleine de JP Morgan a fait perdre 5,8 milliards de dollars à « sa » banque. Et ces affaires ne constituent que la pointe de l’iceberg.

Une bulle spéculative s’est formée dans le secteur des obligations d’entreprise

De nombreux observateurs des marchés financiers et une grande quantité de gestionnaires de fonds considèrent qu’une bulle spéculative s’est développée dans le secteur des corporate bonds, ces obligations que les grandes entreprises émettent pour se financer. Il s’agit d’une bulle dans le secteur des dettes des grandes entreprises privées. C’est un marché de 9.200 milliards de dollars. Pourquoi une bulle ? Les rendements que les banques et autres investisseurs institutionnels obtiennent des bons du Trésor des États-Unis et des titres souverains des principales puissances économiques de l’UE sont historiquement très bas, du coup les zinzins cherchent un secteur où les rendements sont plus élevés tout en paraissant sans risque : les obligations émises par les entreprises non financières offraient en 2011 un rendement de l’ordre de 4,5%, ce qui les a rendus très attractifs. Raison supplémentaire, les banques préfèrent acheter des obligations que d’octroyer une ligne de crédit car elles peuvent revendre les titres sur le marché secondaire |21|. Cette ruée sur les titres a provoqué en 2012 une forte chute des rendements, qui sont passés de 4,5% début 2012 à 2,7% en septembre de la même année.

Une grande entreprise comme Nestlé a pu émettre des obligations à 4 ans pour un montant de 500 millions d’euros en ne promettant que 0,75% d’intérêt annuel. C’est un cas exceptionnel, mais il indique qu’il y a bien un rush vers les obligations d’entreprises. La demande de titres est telle que, selon JP Morgan, le rendement sur les titres à haut risque (junk bonds) était en chute libre pendant l’été 2012, passant de 6,9% à 5,4%. Si la tendance se poursuit, les zinzins risquent de se retirer du marché pour chercher un autre secteur dans lequel obtenir un meilleur rendement |22|.

La soif de rendement est telle que des entreprises réussissent à émettre des titres PIK (Pay in Kind) qui ont eu leur moment de gloire avant 2006-2007 et n’avaient plus eu d’acheteur jusqu’à 2012. Il s’agit d’un titre qui ne donne lieu au paiement des intérêts qu’au moment du remboursement du capital. Évidemment, le rendement promis est élevé mais le risque est grand que l’entreprise qui a reçu le capital ne soit ni capable de le rembourser ni en mesure de payer les intérêts à l’échéance du contrat ! En effet, il y a de quoi se demander en tant que prêteur si c’est bien prudent d’octroyer une somme d’argent à une entreprise qui n’est pas en mesure de payer des intérêts avant la fin du contrat |23|. De nouveau la soif de rendement et la disponibilité de liquidités (grâce aux prêts des banques centrales) entraînent un engouement pour ce type de produits à haut risque.

La pénurie de collatéraux |24|

Jusque 2007-2008, les marchés financiers se sont développés dans un climat d’exubérance. Les banquiers et autres zinzins se prêtaient mutuellement des capitaux et achetaient des produits financiers structurés sans vérifier si le vendeur ou l’acheteur disposait d’actifs en suffisance pour assumer son acte et remplir sa part du contrat quand il arrivait à terme. Par exemple, des banquiers ont payé des primes d’assurance à Lehman Brothers et à AIG pour se protéger contre un risque de non paiement sans vérifier au préalable si Lehman ou AIG avait de quoi les indemniser au cas où le risque couvert se produisait.

Dans la majorité des transactions, l’emprunteur doit mettre un actif en garantie, c’est ce que l’on appelle un collatéral. Ce qui arrivait systématiquement et ce qui arrive encore, c’est qu’un collatéral serve simultanément de garantie dans plusieurs transactions. A emprunte à B telle somme et met en garantie un collatéral. B emprunte à C et met en garantie le même collatéral et ainsi de suite. Si la chaîne se brise à un endroit, on risque d’avoir un problème pour retrouver le collatéral. Tant qu’on était dans l’euphorie et qu’il ne fallait pas faire la preuve que le collatéral était réellement disponible, les affaires poursuivaient leur cours as usual. Depuis 2008, les choses ne tournent plus de la même manière et il arrive de plus en plus souvent que la partie qui exige un collatéral veuille être sûr qu’il est réellement disponible en cas de besoin, que sa valeur est bien authentifiée et qu’il est de bonne qualité. Les collatéraux circulent moins et les moins sûrs sont refusés. |25|

Effectivement, il est raisonnable de ne pas accepter comme collatéral un actif toxique du genre CDO subprime. Cela a abouti à un début de pénurie de collatéraux. La société financière Dexia, en 2011 et 2012, a souffert d’une insuffisance de collatéraux de qualité, ce qui l’a empêché de trouver les financements dont elle avait besoin. En 2012, elle a emprunté pour près de 35 milliards d’euros à la BCE à 1% dans le cadre du LTRO. Les énormes prêts de la BCE n’ont pas suffi à Dexia qui s’est tournée une nouvelle fois vers les Etats belges et français en octobre-novembre 2012 afin d’obtenir 5 milliards d’euros de recapitalisation.

Selon le Financial Times, les banques espagnoles sont devenues expertes dans la création de collatéraux. Elles fabriquent des produits structurés ABS à partir de crédits hypothécaires douteux ou d’autres crédits pas plus sûrs, puis elles les fourguent comme collatéraux à la BCE afin d’obtenir des liquidités |26|. Ainsi, la BCE accepte des collatéraux de basse qualité qui ont été expressément fabriqués pour elle. C’est là une nouvelle preuve de la servilité de la BCE à l’égard des banquiers.

A propos des collatéraux, il faut ici aussi dénoncer les mensonges concernant les titres souverains qui seraient par principe une cause de problème pour les banques. Les titres souverains sont des collatéraux beaucoup plus sûrs que la plupart des titres privés. D’ailleurs, les banques ne se privent pas de les utiliser comme collatéraux de premier choix pour emprunter des capitaux à la BCE.

Les dettes souveraines

Justement, revenons aux dettes souveraines. Jusqu’ici, elles n’ont provoqué aucun désastre bancaire. Cependant, il est clair que dans des pays comme l’Espagne et l’Italie, les banques sont en train d’augmenter fortement les achats de titres de dette émis par leur gouvernement. Elles ont deux bonnes raisons pour procéder de la sorte : d’une part, elles disposent de fortes liquidités prêtées par la banque centrale à très bas taux d’intérêt (entre 0,75 et 1%) ; d’autre part, les titres de leur pays sont rémunérateurs (entre 4 et 7%). Mais la politique d’austérité est tellement brutale qu’il n’est pas certain que les gouvernements espagnol et italien seront toujours en mesure de rembourser. Le problème n’est pas immédiat, mais il ne faut pas exclure des difficultés à l’avenir |27|.

Les dettes souveraines ne constituent pas le talon d’Achille des banques privées

De manière permanente, les principaux médias appuient le discours des banquiers et des gouvernants sur le danger que représenteraient les dettes souveraines. Pour faire toute la clarté sur le sujet afin d’enlever l’argument de la dette souveraine aux détenteurs du pouvoir qui imposent des politiques antisociales, il est essentiel d’avancer des contre-arguments. C’est pourquoi, dans cette série, des données sont fournies à ce sujet. Dans un récent rapport publié par le FMI |28|, on trouve un graphique sur la part que représentent les dettes souveraines dans les actifs des banques privées de 6 pays clés. Selon ce graphique, les dettes du gouvernement ne représentent que 2% des actifs des banques britanniques |29|, 5% des actifs des banques françaises, 6% des actifs des banques des Etats-Unis et d’Allemagne, 12% des actifs des banques italiennes. Le Japon est le seul des 6 pays mentionnés où les dettes du gouvernement représentent une part importante des actifs bancaires, soit 25%. Ce n’est pas tous les jours que le FMI apporte de l’eau à notre moulin. La conclusion que nous tirons et que le FMI se garde bien de tirer, c’est qu’il est d’autant plus facile d’annuler les dettes publiques illégitimes...

La banque de l’ombre ou le Shadow banking

Une des sources principales de la fragilité des banques est constituée par leurs activités hors bilan qui, dans certains cas, peuvent dépasser largement le volume officiel du bilan déclaré. Les grandes banques continuent à créer et à utiliser des sociétés ad hoc (Spécial Purpose Vehicles, MMF) qui ne sont pas considérés comme des banques et ne sont pas soumises aux règlementations bancaires |30| (déjà très lâches). Jusqu’ici, ces sociétés spécifiques peuvent opérer sans aucun contrôle ou dans le cas des MMF avec un contrôle très léger, en faisant des prêts aux banques ou en réalisant toutes sortes de spéculations avec une multitude de dérivés ou d’actifs physiques (matières premières, produits agricoles) sur les marchés à terme ou sur le marché de gré à gré (OTC) lui-même non réglementé. L’opacité est totale ou presque. Les banques ne sont pas tenues de déclarer dans leurs comptes les activités des sociétés non bancaires qu’elles ont créées. Les plus dangereuses sont les activités menées par les Special Purpose Vehicles car ce sont les plus dissimulées. Si les pertes d’une de ces sociétés provoquent leur faillite, la banque qui l’a créée est forcée par les créanciers de finalement inscrire la perte dans ses comptes, ce qui peut provoquer l’engloutissement de son capital et sa propre faillite (ou encore son rachat par une autre banque ou par les pouvoirs publics, ou encore son sauvetage par les pouvoirs publics). C’est ce qui s’est passé avec Lehman Brothers, Merrill Lynch, Bear Stearn, Royal Bank of Scotland, Dexia, Fortis et plusieurs autres banques après 2008.

La bulle spéculative sur les commodities |31|

Via leurs activités de trading, les banques sont les principaux spéculateurs sur les marchés de gré à gré et à terme de matières premières et de produits agricoles car elles disposent de moyens financiers nettement plus élevés que les autres protagonistes. Visitez le site du Commodity business awards (http://www.commoditybusinessawards.com/nominate.html) et vous trouverez une liste des banques et des courtiers qui jouent un rôle de tout premier plan sur le marché des commodities (que ce soit le marché où elles s’achètent et se vendent physiquement, ou le marché des dérivés qui ont pour sous jacent des commodities). Parmi ces banques, on retrouve le plus souvent BNP Paribas, Morgan Stanley, Crédit Suisse, Deutsche Bank, Société Générale.

D’ailleurs, des banques essayent de se doter d’instruments pour contrôler directement des stocks de matières premières. C’est le cas du Crédit Suisse qui est associé à Glencore |32|, la plus grande société mondiale de courtage en matières premières. De son côté, JP Morgan veut se doter d’un stock de cuivre allant jusqu’à 61.800 tonnes afin de peser sur les cours |33|.

Ce sont des acteurs de tout premier ordre dans le développement de la bulle spéculative qui s’est formée sur le marché des commodities |34|. Quand la bulle éclatera, l’effet boomerang sur la santé des banques provoquera de nouveaux dégâts. Sans parler, et c’est beaucoup plus grave, des conséquences pour les populations des pays du Sud exportateurs de matières premières.

Retour sur le rôle fondamental de la spéculation dans l’envolée des prix des aliments et du pétrole en 2007-2008

La spéculation sur les principaux marchés des Etats-Unis où se négocient les prix mondiaux des biens primaires (produits agricoles et matières premières) a joué un rôle primordial dans l’augmentation brutale des prix des aliments en 2007-2008. |35| Cette hausse des prix avait entraîné une forte augmentation du nombre de personnes souffrant de la faim, dont le nombre avait crû de plus de 140 millions en un an et le chiffre total dépassait le milliard (un humain sur 7). Les acteurs principaux de cette spéculation ne sont pas des francs-tireurs, ce sont les investisseurs institutionnels (les zinzins) : les banques |36|, les fonds de pension, les fonds d’investissements, les sociétés d’assurances. Les hedge funds et les fonds souverains |37| ont aussi joué un rôle, même si leur poids est bien inférieur à celui des investisseurs institutionnels |38|.

Michael W. Masters, qui dirigeait depuis douze ans un hedge fund à Wall Street, en a apporté la preuve dans un témoignage qu’il a présenté devant une commission du Congrès à Washington le 20 mai 2008 |39|. Devant cette commission chargée d’enquêter sur le rôle possible de la spéculation dans la hausse des prix des produits de base, il déclare : « Vous avez posé la question : Est-ce que les investisseurs institutionnels contribuent à l’inflation des prix des aliments et de l’énergie ? Ma réponse sans équivoque est : OUI » |40|. Dans ce témoignage qui fait autorité, il explique que l’augmentation des prix des aliments et de l’énergie n’est pas due à une insuffisance de l’offre mais à une augmentation brutale de la demande venant de nouveaux acteurs sur les marchés à terme des biens primaires (« commodities ») où l’on achète les « futurs ». Sur le marché des « futurs » (ou contrat à terme), les intervenants achètent la production à venir : la récolte de blé qui sera faite dans un an ou dans deux ans, le pétrole qui sera produit dans 3 ou 6 mois. En temps « normal », les principaux intervenants sur ces marchés sont par exemple des compagnies aériennes qui achètent le pétrole dont elles ont besoin ou des firmes alimentaires qui achètent des céréales. Michael W. Masters montre qu’aux États-Unis, les capitaux alloués par les investisseurs institutionnels au segment « index trading » des biens primaires des marchés à terme sont passés de 13 milliards de dollars fin 2003 à 260 milliards en mars 2008 |41|. Les prix des 25 biens primaires cotés sur ces marchés ont grimpé de 183% pendant la même période. Il explique qu’il s’agit d’un marché étroit |42|. Il suffit que des investisseurs institutionnels comme des fonds de pension ou des banques allouent 2% de leurs actifs pour bouleverser la situation. Le prix des biens primaires sur le marché à terme se répercute immédiatement sur le prix actuel de ces biens. Il montre que les investisseurs institutionnels ont acheté des quantités énormes de maïs et de blé en 2007-2008, ce qui a produit une flambée des prix.

A noter qu’en 2008 l’organe de contrôle des marchés à terme, la Commodity Futures trading Commission (CFTC), a considéré que les investisseurs institutionnels ne pouvaient pas être considérés comme des spéculateurs. La CFTC considère les zinzins en tant que participants commerciaux sur les marchés (« commercial market participants »). Cela lui permet d’affirmer que la spéculation ne joue pas un rôle significatif dans l’envolée des prix. Une sévère critique de la CFTC est faite par Michael W. Masters, mais surtout par Michael Greenberger, professeur de droit à l’université de Maryland, qui a témoigné devant la commission du Sénat le 3 juin 2008. Michael Greenberger, qui a été directeur d’un département de la CFTC de 1997 à 1999, critique le laxisme des dirigeants de la CFTC qui font l’autruche face à la manipulation des prix de l’énergie par les investisseurs institutionnels. Il cite une série de déclarations de dirigeants de la CFTC dignes de figurer dans une anthologie de l’hypocrisie et du crétinisme. Michael Greenberger considère que 80 à 90% des transactions sur les Bourses des États-Unis dans le secteur de l’énergie sont spéculatives |43|.

Le 22 septembre 2008, en pleine tourmente financière aux États-Unis, alors que le président Bush annonçait un plan de sauvetage des banques de 700 milliards de dollars, le prix du soja faisait un bond spéculatif de 61,5% !

Jacques Berthelot montre lui aussi le rôle crucial qu’a joué la spéculation des banques dans la montée des prix |44|. Il donne l’exemple d’une banque belge, KBC, qui a mené une campagne publicitaire pour vendre un nouveau produit commercial : un investissement des épargnants dans six matières premières agricoles. Pour convaincre des clients d’investir dans son fonds de placement « KBC-Life MI Security Food Prices 3 », la publicité de KBC affirme : « Tirez avantage de la hausse du prix des denrées alimentaires ! ». Cette publicité présente comme une « opportunité » la « pénurie d’eau et de terres agricoles exploitables » ayant pour conséquence « une pénurie de produits alimentaires et une hausse du prix des denrées alimentaires » |45|.

En attendant, du côté de la justice américaine, on donne raison aux spéculateurs. C’est ce que dénonce Paul Jorion dans une opinion publiée dans Le Monde. Il met en cause la décision d’un tribunal de Washington qui a invalidé le 29 septembre 2012 des mesures prises par la CFTC « qui visaient à plafonner le volume des positions qu’un intervenant peut prendre sur le marché à terme des matières premières, afin qu’il ne puisse pas à lui seul, le déséquilibrer » |46|.

La spéculation sur les monnaies

Les banques sont également les principaux acteurs sur le marché des devises. Elles entretiennent une instabilité permanente des taux de change. Environ 98 % des échanges de devises sont de type spéculatif. Seuls 2% des transactions quotidiennes en devises concernent des investissements, du commerce de biens et de services liés à l’économie réelle, des envois de migrants, des crédits ou des remboursements de dette… Le volume quotidien des transactions sur le marché des devises oscille entre 3000 et 4000 milliards de dollars ! Les banques jouent également à fond sur des dérivés de change qui peuvent provoquer des pertes considérables sans compter les dommages causés à la société à cause de l’instabilité des monnaies.

Voici plus de trente ans, James Tobin, ancien conseiller de John F. Kennedy, proposait de mettre un grain de sable dans les rouages de la spéculation internationale. Malgré tous les beaux discours de certains chefs d’Etats, le fléau de la spéculation sur les monnaies s’est encore aggravé. Le lobby des banquiers et des autres zinzins a obtenu qu’aucun grain de sable ne vienne perturber leur activité destinée à créer du profit. La décision prise en janvier 2013 par une douzaine de gouvernements de la zone euro d’imposer une taxe d’un millième sur les transactions financières est totalement insuffisante.

Le trading à haute fréquence

Le trading à haute fréquence permet de passer des ordres sur le marché en 0,1 milliseconde (c’est-à -dire en un dix millième de seconde !). Le projet de « Loi de régulation et de séparation des activités bancaires », présenté le 19 décembre 2012 à l’Assemblée nationale française par Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des Finances, contient une présentation intéressante du trading à haute fréquence : « Le trading à haute fréquence est une activité de marché déléguée à des ordinateurs commandés par des algorithmes informatiques qui combinent l’extraction de l’information de marché, son analyse et le passage d’ordres à une fréquence toujours plus élevée. Ils peuvent ainsi envoyer jusqu’à plusieurs milliers d’ordres par seconde aux plates-formes d’échange, contribuant occasionnellement à leur saturation. Les risques sont élevés en cas d’erreur de codage provoquant un mouvement financier aberrant (à l’origine de la quasi-faillite de Knight Capital Group en août 2012 par exemple). En 2011, le trading à Haute Fréquence représentait plus de 60% des ordres sur actions passés à la bourse de Paris, pour environ 33 % des ordres donnant effectivement lieu à transaction. »

Le trading à haute fréquence est clairement lié à une démarche spéculative : manipuler les marchés financiers afin d’influer les prix et d’en tirer un profit. Les techniques principales de manipulations sont répertoriées par les spécialistes. Le Quote stuffing consiste à bourrer la cotation d’ordres complètement inutiles afin de forcer la concurrence à analyser ces milliers d’ordres. Il s’agit de ralentir les concurrents en les leurrant. Ces ordres sont ignorés par le système qui les émet, et de toute façon ne seront pas exécutés car en dehors des meilleurs couples achats / ventes. Cela peut donner un avantage là ou chaque milliseconde compte |47|. S’ils veulent vendre un paquet d’actions au prix le plus élevé possible, les traders à haute fréquence peuvent utiliser la technique du Layering. Il s’agit de placer une série d’ordres d’achat jusqu’à un palier et de créer ainsi des couches (layers) d’ordres. Une fois ce palier atteint, la stratégie consiste à vendre massivement et dans le même temps à annuler tous les ordres d’achats restants que l’on a placés. Le Layering repose sur l’espoir d’un remplissage du carnet d’ordre à l’achat par les autres intervenants venant combler l’écart, puis de les surprendre en inversant la tendance |48|.

Le 6 mai 2010, la Bourse de Wall Street a vécu un « flash crash » |49| typiquement provoqué par le trading à haute fréquence comprenant notamment une opération de Quote stuffing. Ce jour-là , l’indice Dow Jones a perdu environ 998,52 points (avant de regagner 600 points) entre 14h42 et 14h52. Une baisse de 9,2% en l’espace de 10 minutes était sans précédent dans l’histoire. Cet incident a mis à jour l’implication du trading à haute fréquence qui représente grosso modo les deux tiers des transactions boursière à Wall Street.

D’autres accidents de ce genre se produiront certainement à l’avenir. Les grandes banques qui recourent activement au trading à haute fréquence s’opposent à son interdiction ou à sa mise sous contrôle strict sous prétexte de maintenir la plus grande fluidité possible dans les marchés financiers.

Le trading pour compte propre

L’activité de trading des banques pour leur propre compte, appelée « proprietary trading » dans le jargon financier anglo-saxon, est capitale pour les banques. Elle leur procure une grande partie de leurs revenus et de leurs bénéfices mais est porteuse de risques très importants. Cette activité de trading consiste à utiliser les ressources de la banque (fonds propres, dépôts des clients, emprunts) pour prendre des positions (à l’achat ou à la vente) sur les différents marchés financiers : actions, taux d’intérêt, devises, marchés dérivés, futures ou options sur ces instruments, marchés à terme des matières premières et des produits agricoles (y compris aliments), marché immobilier. Le trading est clairement une activité spéculative car il s’agit de profiter de mouvements de prix à court terme que leurs actes contribuent grandement à provoquer. Une illustration des ces activités spéculatives est fournie par la perte de 4,9 milliards d’euros enregistrée par la Société Générale en 2008 suite aux agissements d’un de ses traders, Jérôme Kerviel, qui avait pris des positions sur près de 50 milliards d’euros. Dans le cas des déboires de JP Morgan, la Baleine de Londres, responsable de son département « proprietary trading », avait engagé les fonds de la banque pour un montant de 100 milliards de dollars. Les montants mis en jeu par les banques dans le « proprietary trading » sont tels que les pertes qu’ils peuvent générer sont de nature à menacer leur survie même.

Le short-selling, une pratique spéculative de plus

Le short-selling (ou vente à découvert) consiste à vendre un titre sans le posséder au moment de la vente, mais avec l’intention de le racheter ultérieurement, avant de le livrer à l’acheteur. Pour la Banque de France : « Cette pratique peut être divisée en deux catégories :

 le covered short-selling : il s’agit du cas où le vendeur a emprunté le titre qu’il s’est engagé à vendre avant de réaliser son opération de short-selling (ou qu’il a établi un accord qui lui assure qu’il pourra l’emprunter). Concrètement, le titre qu’il emprunte sera vendu et il s’engage à délivrer un titre de même nature au prêteur ;

 le naked short-selling ou uncovered short-selling : il s’agit du cas où le vendeur n’a ni réalisé d’emprunt préalable ni conclu d’accord lui garantissant l’emprunt d’un titre avant de vendre ce titre. Le vendeur devra donc acheter un titre identique afin de le livrer à l’acheteur. » |50|

Selon la Fédération bancaire française, « le mécanisme de vente à découvert est utile au bon fonctionnement des marchés.(…) Il augmente ainsi la liquidité du marché » |51|. On croit rêver !

Qui pratique le short-selling et pourquoi ?

Le short-selling est pratiqué par un grand nombre de participants de marché tels que les banques, les hedge funds, les gestionnaires de fonds traditionnels (fonds de pension, compagnies d’assurance)… Il est purement spéculatif : le banquier ou un autre zinzin qui y a recours anticipe une baisse du prix du titre vendu. Au moment de livrer le titre, si sa prévision s’avère juste, il l’achètera à un prix inférieur à celui du prix de vente et réalisera ainsi un gain financier. Ce type de pratique contribue à l’instabilité des marchés. Pendant l’été 2011, la chute brutale des cours des actions bancaires a été amplifiée par les short selling. On comprend pourquoi, pour différentes raisons, ces activités devraient purement et simplement interdites |52|.

L’effet de levier

Comme elles utilisent l’effet de levier |53| de manière systématique, leurs fonds propres |54| sont très faibles en rapport aux engagements qu’elles prennent. C’est d’ailleurs, de leur point de vue, l’objectif recherché : avoir le moins de fonds propres possibles proportionnellement au bilan. En effet, même si le bénéfice global est faible quand on le calcule en % des actifs, il peut donner un rendement sur fonds propres élevé si ceux-ci sont très petits. Imaginons un bénéfice de 1,2 milliard d’euros sur un volume d’actif de 100 milliards, cela donne 1,2% de profit. Mais si les fonds propres s’élèvent à 8 milliards d’euros, le bénéfice représente en fait 15% de rendement sur fonds propres. Si, par la suite, la banque développe l’effet de levier et emprunte sur les marchés financiers 200 milliards, le volume des actifs passe à 300 milliards, les fonds propres n’ont pas augmenté, ils sont toujours de 8 milliards, mais le passif a augmenté avec les 200 milliards de dettes nouvelles. Imaginons que la banque fasse le même taux de bénéfice qu’avant l’augmentation de sa dette et de ses actifs, soit 1,2%, cela donne 3,6 milliards d’euros. Comparés aux fonds propres de 8 milliards, cela donne un rendement sur fonds propres de 45%. Voici la raison fondamentale pour augmenter l’effet de levier grâce au recours à l’endettement.

Nous l’avons vu dans les parties 2 et 4 de cette série, des pertes en apparence minimes peuvent entraîner rapidement une faillite et la nécessité d’un sauvetage. Dans l’exemple théorique présenté plus haut, une perte de 8 milliards sur des actifs totaux de 300 milliards (c’est-à -dire une perte de 2,66%) ferait disparaître totalement le capital et provoquerait la faillite. C’est arrivé à Lehman Brothers, à Merrill Lynch, à Royal Bank of Scotland, etc. Le FMI, dans son Rapport sur la stabilité financière globale publié en octobre 2012, estime que l’effet de levier des banques européennes était de 23 mais cette estimation, précise le FMI, ne prend pas en compte les dérivés. Il s’agit du rapport entre les actifs tangibles (sans les dérivés) et les fonds propres. 23 pour 1, c’est un ratio extrêmement élevé ! |55| L’effet réel de levier est plus important car les banques ont en hors bilan à la fois des dettes et des actifs (notamment des dérivés pour un montant très élevé).

Conclusion : Les grandes banques continuent à jouer avec le feu car elles sont persuadées que, chaque fois qu’elles en auront besoin, elles seront secourues par les pouvoirs publics. Elles ne rencontrent sur leur chemin aucun obstacle sérieux de la part des autorités (cet aspect sera développé dans la partie 6). En même temps, leur comportement les met en permanence au bord du gouffre. Malgré leur campagne de communication pour retrouver la confiance du public, elles n’ont aucune volonté d’adopter une logique autre que la recherche du maximum de profit immédiat et du maximum de pouvoir pour influer sur les décisions des gouvernants. Leur force est le reflet de la décision des gouvernants actuels de les laisser faire. Ce n’est que pour la galerie qu’ils adoptent un ton moralisateur à l’égard des banques et qu’ils leur demandent d’être responsables et moins gourmandes en terme de bonus et d’autres formes de rémunération.

Ce que Karl Marx écrivait en 1867 dans Le Capital s’applique encore aux banques d’aujourd’hui : « Dès leur naissance les grandes banques, affublées de titres nationaux, n’étaient que des associations de spéculateurs privés s’établissant à côté des gouvernements et, grâce aux privilèges qu’ils en obtenaient, à même de leur prêter l’argent du public. » |56|

La capacité de nuisance des banques est colossale. Pour celles et ceux qui croient encore sincèrement qu’une autre banque capitaliste est possible, il est temps d’ouvrir les yeux et de prendre conscience qu’il s’agit d’une chimère. Il est nécessaire de retirer l’intégralité du secteur bancaire des mains des capitalistes (sans leur verser d’indemnités) et d’en faire un service public contrôlé par les utilisateurs, par les travailleuses et travailleurs du secteur, par les mouvements citoyens. |57| C’est le seul moyen de garantir le respect intégral des obligations d’un service public de l’épargne et du crédit visant le bien commun.

Dans la partie 6, seront passées en revue les nouvelles réglementations en matière bancaire.

Eric Toussaint

maître de conférence à l’université de Liège, est président du CADTM Belgique (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org) et membre du conseil scientifique d’ATTAC France. Il a écrit, avec Damien Millet, AAA. Audit Annulation Autre politique, Seuil, Paris, 2012.

SOURCE : http://www.cadtm.org/Les-banques-ces-colosses-aux-pieds

Partie 1
Partie 2
Partie 2
Partie 4

Annexe : Évolution du cours des actions de 17 banques

Tableaux réalisés par Yvette Krolikowski (CADTM)

|1| Alan Greenspan, Le Temps des turbulences, 2007, Jean-Claude Lattès, Paris, 2007, p. 472.

|2| La première partie de la série, intitulée « 2007-2012 : 6 années qui ébranlèrent les banques » a été publiée le 19 novembre 2012 ; la seconde partie intitulée « La BCE et la Fed au service des grandes banques privées » a été publiée le 29 novembre 2012, voir http://cadtm.org/La-BCE-et-la-Fed-a... ; la troisième partie intitulée « La plus grande offensive contre les droits sociaux menée depuis la seconde guerre mondiale à l’échelle européenne » a été publiée le 23 décembre 2012, voir http://cadtm.org/La-plus-grande-off... ; la quatrième partie intitulée « Descente dans le milieu vicieux des banques » a été publiée le 14 janvier 2013, voir http://cadtm.org/Descente-dans-le-m...

|3| L’auteur remercie Olivier Chantry, Brigitte Ponet, Patrick Saurin et Damien Millet pour leurs conseils.

|4| Financial Times, 27-28 octobre 2012.

|5| Ce prêt que la BCE a octroyé à 800 banques européennes pour un montant de 1000 milliards d’euros à 1% de taux d’intérêt et pour une période de 3 ans a été analysé dans la seconde partie de cette série sous le titre : « La BCE et la Fed au service des grandes banques privées » (publiée le 29 novembre 2012, voir http://cadtm.org/La-BCE-et-la-Fed-a... )

|6| Voir Erkki Liikanen (chairperson), High-level Expert Group on reforming the structure of the EU banking sector, October 2012, Brussels. Erkki Liikanen est le gouverneur de la banque centrale de Finlande. Onze experts composaient un groupe de travail constitué par le Commissaire européen Michel Barnier afin de poser un diagnostic sur la situation des banques européennes et de proposer des réformes du secteur bancaire européen. Un des intérêts du rapport Liikanen, c’est qu’il confirme officiellement les turpitudes des banques, les risques ahurissants qu’elles ont pris pour faire un maximum de profit. Le groupe créé en février 2012 a remis son rapport en octobre 2012. Voir : http://ec.europa.eu/internal_market...
Les donnés concernant les besoins de financement au jour le jour proviennent du graph 2.5.1, p.27. Dans la suite de ce texte, ce document sera appelé le Rapport Liikanen.

|7| Les MMF ont été présentés dans la partie 4 de cette série.

|8| Voir « La BCE et la Fed au service des grandes banques privées », publié le 29 novembre 2012, http://cadtm.org/La-BCE-et-la-Fed-a...

|9| Rapport Liikanen, graph 2.4.1.

|10| Les actionnaires qui vendent des actions à leur banque transforment un titre de papier en argent liquide. Du point de vue fiscal, il est plus intéressant de percevoir un revenu en revendant une partie des actions qu’on détient que de percevoir un dividende.

|11| http://www.profil.at/articles/0905/...

|12| Le montant de l’amende est élevé par rapport aux amendes habituelles payées par les banques mais en regard de ses actifs, HSBC, paie une aumône. La somme versée par HSBC aux autorités américaines représente moins d’un millième de ses actifs : 1.920.000.000$ (soit 1.443.000.000€) alors que ses actifs s’élèvent à 1.967.796.000.000 €.

|13| On reviendra sur cette question dans la partie 7 de cette série.

|14| Financial Times, « Europe’s property loans unpaid », 4 décembre 2012, p. 23, http://www.ft.com/cms/s/0/2183f122-...

|15| Financial Times, "Mortgage-backed securities make a comeback" , 15 octobre 2012,
http://www.ft.com/intl/cms/s/0/ee87...

|16| Financial Times, 21 décembre 2011, p. 24

|17| Financial Times, "Traders warn of sting in tail for crisis-era securities" , 15 November 2012, p. 24

|18| Il s’agissait également de réduire certains le poids de certains produits dans le volume total des actifs pour les remplacer par d’autres avec un meilleur rendement.

|19| Voir Gillian Tett, L’Or des fous, Paris, Le jardin des Livres, 2011.

|20| Financial Times, « Banks test CDO-style finance for trade », 9 avril 2012.

|21| D’ailleurs, le volume des crédits bancaires aux ménages et aux entreprises a tendance à baisser ou à très faiblement augmenter. C’est lié au fait que les banques durcissent les conditions de prêts. Les banques préfèrent acheter des titres (même à haut risque) que d’ouvrir ou d’augmenter une ligne de crédit aux ménages et aux entreprises. Les petites et moyennes entreprises n’ont pas la possibilité d’émettre des obligations sur les marchés financiers, elles rencontrent donc de graves problèmes pour se financer.

|22| Voir notamment Financial Times, « Fears grow bond rush will turn to price rout », 22 novembre 2012 et Financial Times, "Funds warn of stretched European debt rally" , 17 octobre 2012.

|23| James Mackintosh, « Change would pop the corporate bond buble », Financial Times, 25 novembre 2012. Voir également l’article mentionné plus haut.

|24| Collatéral : Actif transférable ou garantie apportée, servant de gage au remboursement d’un prêt dans le cas où le bénéficiaire de ce dernier ne pourrait pas satisfaire à ses obligations de paiement. Source : Banque de France.

|25| Voir Manmohan Singh, « Beware effects of weakening chains of collateral », Financial Times, 28 juin 2012.

|26| Financial Times, « Collateral damage », 25 octobre 2012

|27| C’est d’ailleurs pourquoi la thèse centrale de ce texte consiste à dire qu’il faut à la fois répudier la dette publique illégitime et socialiser les banques. En réalisant cette double opération (et en prenant d’importantes mesures complémentaires), il est parfaitement possible de donner une issue positive à la crise.

|28| IMF, Global Financial Stability Report, Restoring Confidence and Progressing on Reforms, October 2012 http://www.imf.org/External/Pubs/FT... , p. 52

|29| Il s’agit des dettes du gouvernement britannique en possession des banques britanniques. Idem pour les autres pays.

|30| Rapport Liikanen, p. 77.

|31| Les commodities regroupent le marché des matières premières (produits agricoles, minerais, métaux et métaux précieux, pétrole, gaz…). Les commodities comme les autres actifs font l’objet de négociations permettant la détermination de leurs prix ainsi que leurs échanges sur des marchés au comptant, mais aussi sur des marchés dérivés.

|32| Glencore est une compagnie de négoce et courtage de matières premières fondée par le trader Marc Rich. Elle est basée en Suisse à Baar, dans le canton de Zoug, bien connu des fraudeurs de haut vol. Marc Rich a été poursuivi à plusieurs reprises pour corruption et évasion fiscale. En 2011, le groupe dit employer plus de 2 700 personnes affectées au marketing et 54 800 personnes (dans 30 pays) affectées directement ou indirectement aux opérations industrielles de Glencore. Selon les données disponibles, Glencore contrôlait en 2011 environ 60 % du zinc mondial, 50 % du cuivre, 30 % de l’aluminium, 25 % du charbon, 10 % des céréales et 3 % du pétrole. Cette société très controversée a reçu en 2008 le prix du Public Eye Awards de la multinationale la plus irresponsable. Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Glencore. Glencore était en 2012 en pourparlers de fusion avec Xstrata, autre société suisse spécialisé dans le courtage. Voir http://affaires.lapresse.ca/economi...

|33| Financial Times, « JPMorgan copper ETF plan would "˜wreak havoc’ », 24 mai 2012, p. 15

|34| Bien sûr, parmi les puissants protagonistes du marché des matières premières et des produits alimentaires, il faut ajouter les grandes entreprises spécialisées dans l’extraction, la production et la commercialisation des commodities : dans les minerais, Rio Tinto, BHP Billiton, Vale do Rio Doce ; dans le pétrole, ExxonMobil, BP, Shell, Chevron, Total… ; dans les aliments, Cargill, Nestlé… et bien d’autres.

|35| Le texte de cet encadré est largement extrait de : Eric Toussaint, « Une fois encore sur les causes de la crise alimentaire », 9 octobre 2008, http://cadtm.org/Une-fois-encore-su...

|36| Notamment BNP Paribas, JP Morgan, Goldman Sachs, Morgan Stanley et, jusqu’à leur disparition ou leur rachat, Bear Stearns, Lehman Brothers, Merrill Lynch.

|37| Les fonds souverains sont des institutions publiques qui appartiennent, à quelques exceptions près, à des pays émergents comme la Chine ou à des pays exportateurs de pétrole. Les premiers fonds souverains ont été créés dans la deuxième moitié du XXe siècle par des gouvernements qui souhaitaient mettre de côté une partie de leurs recettes d’exportation provenant du pétrole ou de produits manufacturés.

|38| Au niveau mondial, au début de l’année 2008, les investisseurs institutionnels disposaient de 130 000 milliards de dollars, les fonds souverains de 3 000 milliards de dollars et les hedge funds de 1 000 milliards de dollars.

|39| Testimony of Michael W.Masters, Managing Member/Portfolio Manager Masters Capital Management, LLC, before the Committee on Homeland Security and Governmental Affairs United States Senate http://hsgac.senate.gov/public/_fil...

|40| « You have ask the question "Are Institutional Investors contributing to food and energy price inflation ?" And my answer is "YES" ».

|41| « Assets allocated to commodity index trading strategies have risen from $13 billion at the end of 2003 to $260billion as of March 2008" .

|42| « En 2004, la valeur totale des contrats futurs concernant 25 biens primaires s’élevait seulement à 180 milliards de dollars. A comparer avec le marché mondial des actions qui représentait 44.000 milliards, ou plus de 240 fois plus. ». Michael W. Masters indique que cette année-là , les investisseurs institutionnels ont investi 25 milliards de dollars dans le marché des futurs, ce qui représentait 14% du marché. Il montre qu’au cours du premier trimestre 2008, les investisseurs institutionnels ont augmenté très fortement leur investissement dans ce marché : 55 milliards en 52 jours ouvrables. De quoi faire exploser les prix !

|43| Voir Testimony of Michael Greenberger, Law School Professor, University of Maryland, before the US Senate Committee regarding "Energy Market Manipulation and Federal Enforcement Regimes" , 3 juin 2008, p. 22.

|44| Jacques Berthelot, « Démêler le vrai du faux dans la flambée des prix agricoles mondiaux », 15 juillet 2008, p. 51 à 56. En ligne : www.cadtm.org/spip.php ?artic...

|45| http://www.lalibre.be/index.php?vie...

|46| Paul Jorion, « Le suicide de la finance », Le Monde, 9 octobre 2012.

|47| http://www.nanex.net/20100506/Flash...

|48| Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Transa...

|49| Le FDIC et la SEC des Etats-Unis ont produit un rapport détaillé du « Flash Crash » du 6 mai 2010 : « Findings Regarding the Market Events of May 6, 2010 », http://www.sec.gov/news/studies/201...

|50| Voir p. 42 : http://www.banque-france.fr/fileadm...

|51| Fédération bancaire française (FBF), Rapport d’activités 2010, Paris, 2011.

|52| La question des Credit Default Swaps (CDS) sera abordée dans la partie 6. Elle a par ailleurs été abordée de manière assez détaillée dans Eric Toussaint, « CDS et agences de notation : fauteurs de risques et de déstabilisation », publié le 23 septembre 2011, http://cadtm.org/CDS-et-agences-de-...

|53| Voici la définition de l’effet de levier par la Banque de France : L’effet de levier mesure l’effet d’un recours plus ou moins important à l’endettement sur la rentabilité financière, pour une rentabilité économique donnée. En acceptant un recours à l’endettement, les actionnaires d’une entreprise ou d’une institution financière s’attendent à un retour encore plus important en bénéfice en raison du risque supplémentaire pris. Voir p. 112 : http://www.banque-france.fr/fileadm...

|54| Fonds propres : Capitaux dont dispose une entreprise, autres que ceux qu’elle a empruntés. Les fonds propres sont repris au passif d’un bilan de société. Source : http://www.lesclesdelabanque.fr/Web...
Les Fonds propres comprennent également les réserves, c’est-à -dire les bénéfices mis en réserve.

|55| IMF, Global Financial Stability Report, Restoring Confidence and Progressing on Reforms, October 2012 http://www.imf.org/External/Pubs/FT... , p. 31

|56| Karl MARX, 1867, Le Capital, livre I, Å’uvres I, Gallimard, La Pléiade, 1963, chapitre 31.

|57| Comme indiqué dans la partie 4, un secteur bancaire coopératif de petite taille devrait coexister avec le secteur public.


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