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Les badauds

Il y avait là presque tout le pays. Ils s’entassaient, se poussaient, certains même étaient là avec leurs enfants, qu’ils posaient sur leurs épaules. Il y en avait qui étaient venus d’un peu loin (jamais assez), parce que pour un spectacle, c’était un vrai spectacle !

Il faut dire que la vision en valait la peine. Devant eux s’étendait une sorte de tas, sur des kilomètres, dont on avait du mal à discerner les détails. C’était noirâtre, un peu boueux, un amoncellement d’objets hétéroclites, de voitures renversées, de bouts de murs, de papiers peints déchirés, restes d’habitations pulvérisées par l’évènement. Et puis, surtout, ça et là, il y avait des petites taches qui, à bien y regarder (ils tordaient tous le cou pour mieux voir) ressemblait à s’y méprendre à des bouts... de corps. Parce que, même s’il ne se l’avouaient pas, c’était pour ça qu’ils étaient tous là, ils ne seraient pas venus au bord de ce cloaque s’il n’y avait pas eu aussi la promesse de voir quelques corps encore chauds.

Ah ! Pour avoir chaud ils avaient dû avoir chaud ! Avec une explosion pareille, c’est sûr qu’ils avaient pas eu besoin de chauffage (mais ça faisait longtemps qu’on ne se chauffait plus, on n’en avait pas les moyens et puis, de toute façon il n’y avait plus de fuel).

C’était exactement comme ils disaient dans le poste. Deux minutes pour arriver, une fraction de seconde pour tout détruire. Encore hier, ils en avaient parlé. Ça avait été une conversation sympathique et bon enfant, pas trop technique non plus, pour que tous les télespectateurs puissent comprendre. C’était tous de grands spécialistes, c’est sûr, puisqu’ils ils étaient payés pour ça, être grands spécialistes. On parlait de choses hypersoniques (ça voulait dire qu’elles dépassaient de beaucoup la vitesse du son) en en faisant des mégatonnes (note de l’auteur : un peu facile, je l’admet, j’ai succombé). On riait aussi un peu, comme le jour où l’un des spécialistes s’était trompé et avait déclaré que ces choses allaient plus vite que la vitesse de la lumière. Les autres spécialistes n’avaient pas réagi, sans doute parce qu’ils n’avaient pas entendu, ou mal compris, mais le sympathique animateur avait dû recevoir l’info dans son oreillette et il avait corrigé le boute-en-train. Il y avait eu aussi quelques dirigeants compétents qui avaient commenté la situation d’un revers de la main (la vocifération puis le balayage d’un revers de la main : la quintessence de l’action politique et diplomatique).

Il avait noté tous les détails dans son carnet. Ça lui plaisait d’être au courant de ce genre de choses, lui aussi il était devenu spécialiste. Il pouvait vous débiter la liste des arsenaux sans hésitation, comme ça, comme un poème qu’il aurait récité à l’école quand il était enfant (il aimait apprendre des choses par coeur).

Mais oui, il en était sûr.

- Regarde ! dit-il à sa femme, un bras ! Il y a un bras qui dépasse !

Elle hésitait, elle avait du mal à voir, il y avait tant de gens devant elle ! Elle se mit sur la pointe des pieds, et en tendant le cou, elle s’écria :

-Oui ! je vois ! Tu as raison, c’est un bras ! Et il y a une chaussure aussi ! La main (encore au bout du bras) était quasiment posée dessus. C’était drôle, est-ce qu’il avait sa chaussure à la main quand cela était arrivé ? Mais on ne voyait pas le reste, on ne saurait pas si la personne (homme ou femme ?) avait encore sa chaussure au pied, vu que le pied n’était pas visible (ni la jambe d’ailleurs). Vraiment c’était du beau spectacle !

Maintenant que l’on s’était habitué, ça devenait plus facile d’apercevoir d’autres bouts. Les uns montraient du doigt, en criant pour attirer l’attention, et la foule ondulait vers la direction indiquée. Il y avait des AAAAAHHH et des OOOOOOOHHHH un peu dégoûtés mais on ne se lassait pas. Personne n’osait s’avancer toutefois parce que l’air n’est pas bon dans ces endroits-là. On peut devenir malade assez vite, et même, insidieusement, des mois ou des années plus tard. Comme on avait déjà eu le vaccin pour ça, on allait pas tenter le diable ! Cette idée si spirituelle le fit sourire, mais il la garda pour lui. Il ne voulait pas inquiéter sa femme qui, de temps en temps, avait des petits coups de blues. On se demandait bien pourquoi...

Le soir tombait, il était temps de rentrer maintenant, déjà qu’il n’y avait plus beaucoup d’éclairage public, économie oblige. On reviendrait demain.

La foule commençait à se disperser.

Alors l’homme prit sa femme par l’épaule et se dirigea en claudiquant vers le gouffre béant qui figurait l’entrée de son immeuble. Il était content, il avait retrouvé l’avant-bras de son épouse et sa propre chaussure. Avec un peu de chance, sa jambe (et son pied ?) traînerait aussi dans les parages... Et puis il y aurait peut-être une autre emission dans le poste ce soir, avec des spécialistes, il aimait tant ça, les spécialistes...

PS : la fenêtre, c’est par là.

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Bernard Klein. Les expressions qui ont fait l’histoire. Paris, E.J.L. 2008
Bernard GENSANE
Ce qu’il y a d’intéressant avec les phrases historiques, c’est que, souvent, elles n’ont pas été prononcées par les personnes à qui on en a attribué la paternité. Prenez la soutière (je sais, le mot "soutier" n’a pas de féminin, mais ça ira quand même) du capitalisme américain qui siège au gouvernement français, Christine Lagarde. Elle a effectivement, lors de la flambée du prix des carburants, conseillé au bon peuple d’utiliser le vélo plutôt que la voiture. Mais la reine Marie-Antoinette, (…)
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Un socialiste est plus que jamais un charlatan social qui veut, à l’aide d’un tas de panacées et avec toutes sortes de rapiéçages, supprimer les misères sociales, sans faire le moindre tort au capital et au profit.

Friedrich Engels

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