Malgré l’intention dissimulée de blanchir la Troïka, le rapport préliminaire du Parlement européen ne peut s’empêcher de signaler de multiples irrégularités. Cette évaluation comprend des questionnaires envoyés aux principaux responsables, qui, en toute impunité, ne répondent pas ou bien ne le font qu’à moitié.
Dépendant du Comité des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, le projet de rapport, signé par Othmar Karas et Liem Hoang Ngoc, oublie curieusement et inexplicablement, le sauvetage du secteur bancaire espagnol en juin 2012 représentant jusqu’à 100 milliards d’euros (desquels on dit qu’il a été utilisé 41,3 milliards).
Le rapport préliminaire, qui devrait être rendu définitif peu avant les élections européennes, en avril, signale de grandes irrégularités de la troïka, et justifie son action à plusieurs reprises. Parlant de « l’immense défit de la troïka », il défend l’idée selon laquelle « le temps s’épuisait, les obstacles légaux devaient être écartés, la peur d’une fusion du noyau de la zone euro était palpable, il fallait adopter des accords politiques... ». La possibilité de mettre en œuvre des mesures alternatives est rejetée en soutenant :
« l’assistance financière à court terme a évité une cessation de paiement désordonnée de la dette souveraine qui aurait eu des conséquences économiques et sociales extrêmement graves ainsi que des effets indirects dans d’autres pays d’une magnitude incalculable... ».
Le document signale que « due à une nature ad hoc, il n’existait pas de base juridique adéquate pour la création de la troïka sur la base du Droit primaire de l’Union ». Fait confirmé indirectement par la Commission quand elle écrit que « le modèle de la troïka a été pris en charge par le législateur de l’UE (voir l’article 7 de la Régulation de l’UE nº 472/2013) », ce qui implique qu’avant 2013, ce n’était pas le cas. Nous savons cependant que tous les programmes de la Troïka, sauf celui de Chypre, ont démarré avant cette date.
Par ailleurs, le rapport souligne la double fonction de la Commission européenne (comme agent des États et comme institution de l’Union européenne) et de la BCE (en tant que conseiller technique et créancier) dans la troïka et ses évidents conflits d’intérêt, en tant que juge et partie. Selon le traité de fonctionnement de l’UE, le mandat de la BCE est limité à la politique monétaire, et par conséquent, « la participation de la BCE dans n’importe quelle affaire en relation avec les politiques budgétaires, fiscale et structurelle se situe dans un terrain légal incertain ». D’où découle « la faible responsabilité démocratique de la troïka » dans les pays concernés.
Le rapport avertit que « le mandat de la troïka a été perçu comme opaque et non transparent » et se montre particulièrement critique envers les mémorandums (Memorandum of Understanding), dont il déplore le manque de transparence dans les négociations.
La Troïka élude les questions et désigne les États comme responsables
Les présumés responsables des sauvetages, Commission européenne, BCE, FMI, Eurogroupe et Conseil européen, répondent, quand ils le font, au questionnaire envoyé par le Parlement européen de manière légère et largement insatisfaisante. Ils se rejoignent tous en rejetant la responsabilité sur les autres. Par exemple, le FMI s’est refusé à répondre en argumentant qu’il n’a pas de compte à rendre aux parlementaires, ce qui peut paraître surprenant quand on sait que c’est lui-même qui impose ses politiques aux Parlements. Herman Van Rompuy a répondu qu’il « n’est pas impliqué », alors qu’en tant que président du Conseil européen, il représente les États membres de l’UE.
Pour sa part, le président de l’Eurogroupe a évité la question en disant que les institutions de la Troïka sont les plus à mêmes de répondre, alors que dans le même temps, la BCE renvoie la balle à l’Eurogroupe : « En ce qui concerne des mesures concrètes pour des pays spécifiques, il serait plus approprié que ce soit l’Eurogroupe qui réponde ».
Tous ces responsables sont impliqués depuis des années dans les politiques d’austérité menées par les gouvernements sous le mandat opaque de la troïka. Ils appuient ces politiques en exerçant une forte pression sur ces États pour qu’ils les mettent en application. Au moment de répondre aux questions de nos représentants du Parlement européen, ils éludent leurs responsabilités et rejettent la faute sur les États dont ils ont volé la souveraineté. La CE comme la BCE l’affirme clairement : « La paternité de la conception du programme appartient aux autorités ».
Nous savions déjà que ces institutions et leurs hauts fonctionnaires jouissent d’une totale impunité devant la justice, maintenant nous savons qu’ils vont jusqu’à refuser de répondre aux questions sur leurs implications. Fuiraient-ils leurs responsabilités face à une opinion populaire chaque jour plus révoltée par les conséquences humanitaires de ces politiques ?
Jérôme Duval, Fátima Martín