Dans ce numéro d’avril 2019, Serge Halimi évoque un très nauséabond cordon sanitaire contre les forces de gauche : « Voici des décennies que la puissance électorale de l’extrême droite sert de police d’assurance aux libéraux de gauche et de droite : n’importe quel bourricot modéré franchit sans peine la ligne d’arrivée une fois opposé à une formation politique irrecevable, infréquentable, irrespirable. Lors de l’élection présidentielle française de 2002, le résultat de M. Jean-Marie Le Pen stagna entre les deux tours, passant de 16,8 % à 17,8 %. Dans le même temps, celui de son rival Jacques Chirac s’envola de 19,8 % à 82,2 % des suffrages exprimés. La même opération a permis à M. Emmanuel Macron de l’emporter en 2017, quoique avec une marge moins spectaculaire. Ce qui a réussi contre l’extrême droite, les libéraux comptent le refaire contre la gauche. Ils cherchent donc à bâtir contre sa progression éventuelle un mur des valeurs qui la rendra suspecte à son tour. Et obliger ainsi ceux qui ne supportent plus les politiques du pouvoir à s’en accommoder malgré tout, tant seraient ignobles ses opposants les plus puissants. »
Doit-on avoir peur de la Chine ? demande Kishore Mahbubani : « L’offensive est partie des États-Unis avant de s’étendre à la plupart des pays occidentaux : la Chine, avec ses produits, ses espions et ses ambitions militaires, chercherait à déstabiliser l’ordre international bâti après la seconde guerre mondiale. Pékin, bien entendu, s’en défend. M. Xi Jinping a planifié une opération séduction en Italie, en France et à Monaco lors de son voyage européen, du 21 au 26 mars. La « menace chinoise » existe-t-elle vraiment ?
Akram Belkaïd & Lakhdar Benchibanous font mieux connaîtreles décideurs de l’ombre en Algérie : « Jour après jour, les manifestants algériens rejettent l’hypothèse d’un maintien de M. Abdelaziz Bouteflika à la tête de l’État. L’entourage du président multiplie les manœuvres dilatoires pour préserver le statu quo. La contestation populaire contre le régime met en évidence l’opacité d’un pouvoir partagé entre plusieurs clans. »
Eric Klinenbergexplique comment Facebook s’attaque aux lieux publics : « Signe d’une puissance incontrôlée, Amazon a mis en concurrence les villes américaines pour l’accueil de son deuxième siège – et des emplois correspondants – en échange d’exonérations d’impôts. Là où passe l’industrie numérique, les services publics trépassent. Ils sont remplacés par des plates-formes en ligne dont les fondateurs prétendent fallacieusement œuvrer pour le bien commun.
Vincent Sizairedécrit la surenchère répressive en France (“ Des sans-culottes aux « gilets jaunes » ”) : « Le président Emmanuel Macron a décidé de soumettre au Conseil constitutionnel une loi « anticasseurs » que sa majorité parlementaire a déjà votée. Après des dégradations en série sur les Champs-élysées le 16 mars, il a également choisi de confier à l’armée une partie du maintien de l’ordre. Ce durcissement répressif spectaculaire s’inscrit dans l’histoire d’une République autoritaire. »
José Antonio Garcia Simon & Jaime Vindel expliquent pourquoi Podemos doute : « Hier encore, chaque scrutin espagnol semblait confirmer l’essor de Podemos. Pourtant, rares sont ceux qui s’attendent à une percée de ce parti lors des élections générales du 28 avril. Alors que l’extrême droite a créé la surprise en décembre 2018, comment expliquer le repli d’une formation qui avait tant fait pour redonner espoir aux progressistes européens ? »
Alain Deneault brosse le portrait de la famille Irving, un féodalisme canadien : « Lire un journal imprimé par la famille Irving, dans une maison construite par les Irving, en dégustant des produits cultivés dans leurs fermes et acheminés par leurs camions roulant avec leur pétrole : tel est le quotidien de nombreux habitants du Nouveau-Brunswick, cette province de l’Est canadien soumise à une forme de féodalisme économique. »
Le Guatemala organise l’impunité, selon Clément Detry : « Les réussites du Guatemala dans la lutte contre la corruption ont échappé à bien des radars – mais pas à ceux du président James Ernesto Morales. Inquiété, il vient de chasser la commission internationale formée sous l’égide des Nations unies qui a permis de remporter ces succès. sans doute la proximité de la présidentielle du 16 juin 2019 a-t-elle accéléré le mouvement. »
Georges Lefebvre raconte quand trois jours « ont ébranlé le destin de l’Afghanistan » : « Tout ça pour ça ? En guerre depuis près de vingt ans en Afghanistan, les États-Unis et leurs alliés vont retirer leurs troupes. Du moins, M. Donald Trump l’a promis. Des dizaines de milliers de morts plus tard, un règlement politique et diplomatique du conflit pourrait enfin se profiler. Sacré retournement de l’histoire, qui voit les Russes comme les Américains tendre la main aux talibans. »
L’Australie exporte ses réfugiés, selon Lena Bjurström : « Au nom de la lutte contre les passeurs, Canberra sous-traite une partie de sa gestion des demandeurs d’asile à des pays tiers. Cette politique d’externalisation inspire les gouvernements européens et indigne les défenseurs des droits humains, tant les réfugiés s’y réduisent à une monnaie d’échange. »
Pour Christelle Gérand, la rose assèche les lacs d’Éthiopie : « Le 12 mars dernier, le président Emmanuel Macron a effectué la première visite d’un chef d’État français à Addis-Abeba depuis 1973. Balayant les critiques quant au manque de libertés, il a préféré souligner la réussite économique du pays. Mais, si la forte croissance de l’Éthiopie attire les investisseurs, cette performance a un prix social et écologique élevé. »
Que penser du pseudo-théorème selon lequel les extrêmes se rejoignent (Constantin Brissaud ) : « La formule a été tant rabâchée qu’on pourrait la croire fondée sur le bon sens géométrique : dans un cercle comme en politique, les extrêmes se rejoignent. Depuis la Révolution française, ce pseudo-théorème sert d’arme de disqualification massive, dont la liste des victimes ne cesse de s’étendre. »
Marie Bergström évoque l’amour et le sexe à l’heure du numérique : « C’est à l’école, au travail ou chez des amis que la plupart des Français trouvent l’âme sœur. À cette liste s’ajoutent désormais les sites de rencontres. Accusés de dévoyer l’amour dans les eaux glacées du calcul économique, ces entremetteurs du Web permettent surtout de chercher des partenaires à l’abri du regard de ses proches. Une discrétion qui change la manière de vivre sa sexualité. »
Evelyne Pieillera découvert les nobles causes d’un milliardaire : « Pourquoi un financier, naguère à la tête d’une agence de notation – de celles qui infléchissent la politique d’un pays en jugeant si sa dette est soutenable –, décide-t-il de contribuer à la démocratisation de la culture ? Il n’est pas certain que les initiatives de M. Marc Ladreit de Lacharrière soient dénuées de visées tant mercantiles qu’idéologiques. »
L’archéologie préventive organise une grande braderie (Judith Chetrit) : « Les excavations nécessaires aux travaux publics peuvent mettre au jour des vestiges majeurs, recouverts depuis des siècles par des sédiments… ou les faire disparaître à jamais. L’archéologie préventive permet de sauver une part de ce patrimoine. Mais le désengagement de l’État français depuis 2003 affecte durement ses missions. »
Richard Monvoisin et Nicolas Pinsault débusquent les paradoxes de l’effet placebo : « Le remboursement de l’homéopathie pourrait être remis en cause par le gouvernement français, qui a demandé à la Haute Autorité de santé de statuer sur la question. Pour comprendre le succès des médecines non fondées sur des preuves, il convient de mettre en lumière les effets de contexte dont elles savent tirer profit, quand la médecine savante est souvent contrainte de les subir. »
Souvenons-nous de la naissance du polo-vélo, un sport populaire (Daniel Paris-Clavel ) : « On remplace le cheval par le vélo, et on invente le polo-vélo. C’est un plaisir inédit, et bientôt une façon de s’approprier un attribut symbolique de la classe dirigeante. L’essor de cette discipline fut lié en France au développement des associations sportives ouvrières, animées par des valeurs de fraternité, et non de compétition. »
Pour Sylvain Leder, votre mort vaut de l’or : « J’me suis dit : “Lifeline, c’est pour moi !” / J’ai amassé les liasses en un claquement de doigts / Tu sais qui est encore sexy ? / Oui, c’est moi ! » Entourée d’éphèbes tout juste vêtus de shorts dorés, la vedette américaine du feuilleton Amour, gloire et beauté Betty White, 89 ans, se trémousse sur un thème musical davantage conçu pour séduire les amateurs de boîtes de nuit que les mélomanes. À intervalles réguliers, la musique s’interrompt. L’actrice reprend alors son refrain : « Tu sais qui est encore sexy ? / Oui, c’est moi ! »
Cette annonce publicitaire de la société Lifeline (« planche de salut ») a été diffusée en 2011. Comme ses concurrents Coventry First, Magna Life Settlements ou Abacus, le fonds de placement propose de racheter leur assurance-vie aux seniors américains. En dépit de la chanson qu’elle a composée pour Betty White, Lifeline n’ignore pas que l’actrice approche de l’heure fatidique. Par bonheur, la société a trouvé le moyen d’en tirer profit. »