Le dalaï-lama et l’immigration en Europe

Une fois de plus, le dalaï-lama s’autorise à prendre position sur un problème d’actualité. Dans une interview donnée le 31 mai 2016 à Till Fähnders, le correspondant politique pour l’Asie du Sud-Est du journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, le dalaï-lama a affirmé depuis Dharamsala que les réfugiés qui affluent en Europe ne devraient être admis que temporairement : « L’Europe, par exemple l’Allemagne, ne peut pas devenir un pays arabe », a-t-il dit en ajoutant en riant : « L’Allemagne est l’Allemagne (1). »

Cette phrase a été reprise à bon escient par la presse internationale, et elle a suscité pas mal de commentaires. Le dalaï-lama l’a lâchée dans un contexte plus anodin, ne manquant pas d’abord de se montrer compatissant : « Quand nous regardons le visage de chaque réfugié, surtout ceux des enfants et des femmes, nous ressentons leur souffrance, et un être humain qui a de meilleures conditions de vie a la responsabilité de les aider. » Et d’ajouter aussitôt : « Mais, d’un autre côté, il y en a trop à présent. »

Trop pour qui ? Ce n’est pas au Liban, à la Jordanie ou à la Turquie que pense « Sa Sainteté ». Pourtant ces pays, bien plus pauvres que ceux de l’Union Européenne visés par ses observations, ont accueilli le plus grand nombre de réfugiés syriens et iraquiens (2).

Quand il trouve que les réfugiés, pour des raisons de « morale », devraient retourner à terme chez eux pour aider à la reconstruction de leur propre pays, on peut s’étonner d’ailleurs qu’il n’ait jamais appliqué cette recommandation aux réfugiés tibétains, installés en Inde, en Suisse ou aux États-Unis depuis presque 60 ans. Contrairement à la Syrie, à l’Iraq, à l’Afghanistan..., la Chine et sa Région Autonome du Tibet ne sont pourtant ravagés ni par des guerres sectaires, ni par des bombes ou des drones américains, et les réfugiés pourraient retourner au pays et contribuer à son développement sans risquer leur vie et celle de leur famille...

Mais il ressort de l’interview que ce qui intéresse vraiment le dalaï-lama, ce n’est pas le sort des réfugiés ni les difficultés et problèmes auxquels les pays d’accueil peuvent se voir confrontés. Ce qui l’intéresse avant tout, ce sont les peurs « identitaires » que l’afflux d’un grand nombre de personnes aux origines culturelles différentes peut susciter.

En effet, quand « Sa Sainteté » déclare que « l’Allemagne ne peut pas devenir un pays arabe », il ne faut pas être docteur en psychologie pour comprendre qu’il ne fait que transposer dans un contexte européen sa vieille grille d’analyse : « le Tibet ne peut pas devenir (un pays) chinois », et quand il enfonce sa tautologie « L’Allemagne est l’Allemagne », ses admirateurs inconditionnels percevront le message subliminal : « Le Tibet est le Tibet ». À partir de là, des slogans xénophobes comme « L’Allemagne aux Allemands ! », « La France aux Français ! » ou « Le Tibet aux Tibétains ! » coulent pour ainsi dire de source.

Le dalaï-lama est passé maître dans l’art de caresser l’opinion publique occidentale dans le sens du poil, en surfant sur une sinophobie largement répandue chez nous. Que l’afflux massif de réfugiés pose un problème à l’Europe, nul ne le niera, mais l’ « Océan de Sagesse » est-il vraiment bien placé pour nous faire la leçon, fût-ce en riant, en matière de cohabitation et d’interculturalité ? Comment ne pas voir, en filigrane de sa dernière déclaration, un relent d’« ethnicisme », pour ne pas dire de racisme, qui n’est pas absent de son combat pour un « Tibet libre » ?

N’a-t-il pas affirmé, lors de la Conférence des religions du Monde à Chicago en 1993 − sans provoquer le moindre haussement de sourcils − que « les frontières séparant les différents peuples à travers le monde n’étaient pas mauvaises si elles préservaient et définissaient les identités génétiques et culturelles » (3) ? N’a-t-il pas exhorté les Tibétaines en exil à épouser des Tibétains afin que les enfants qu’elles mettent au monde soient aussi tibétains ? Ne voit-il pas dans les personnes d’ethnie différente qui vivent dans le Grand Tibet revendiqué par son « gouvernement en exil » la « plus grande menace pour la perpétuation des Tibétains en tant que race autonome » (4) ?

Et Samdhong Rinpoché, qui fut, de 2001 à 2011, le « premier ministre » de son « gouvernement en exil », n’a-t-il pas en cela suivi l’exemple de son chef ? Il s’est en effet insurgé contre les mariages mixtes entre Tibétains et non-Tibétains en déclarant : « un des défis pour notre nation est de garder pure la race tibétaine » (5).

Que Dharamsala continue à rêver d’un « Grand Tibet » régi par le Dharma devrait à tout le moins nous interroger. Que deviendraient alors les Hui musulmans qui ont deux mosquées à Lhassa et qui, grâce à la République laïque chinoise, peuvent librement exercer leur culte ? Subiraient-ils le même sort que les Rohingya éjectés du bouddhiste Myanmar ?

Mais, s’agissant du Tibet et du dalaï-lama, l’esprit critique devient une denrée rare. Nos contemporains, sans doute légitimement déçus par les Églises et aspirant à une sagesse non matérialiste, qu’ils soient de droite, de gauche ou du centre en passant par les écologistes, sont prêts à boire la moindre parole de celui qui se définit lui-même comme « un marxiste en robe de moine » et qui possède un impressionnant recueil d’adages passe-partout qui lui tiennent lieu de philosophie.

Depuis qu’il a en 2011 renoncé, selon ses dires, à tout rôle politique, on ne compte plus les interventions du dalaï-lama dans les questions ... politiques. Ne serait-il pas temps pour lui d’imiter Benoît XVI, de se retirer dans un monastère et de se taire enfin ?

André Lacroix

13 juin 2016

1. http://www.faz.net/aktuell/politik/dalai-lama-tenzin-gyatso-im-interview-zur-fluechtlingskrise-14260431.html ; en français : http://www.vsd.fr/actualite/migrants-le-dalai-lama-estime-qu-il-y-a-trop-de-refugies-en-europe-14283 ou http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/06/01/pour-le-dalai-lama-il-y-a-trop-de-refugies-en-europe_4930336_3216.html.

2. Ainsi, en février 2016, l’UNHCR (Agence nationale des Nations unies pour les réfugiés) comptabilisait plus de 4,6 millions de réfugiés syriens dans les pays limitrophes (90% des déplacements à l’extérieur). « Une petite partie tente l’aventure en Europe qui accueille huit fois moins de réfugiés que les pays voisins de la Syrie (10 %). Plus de 7,6 millions de Syriens sont déplacés à l’intérieur du pays selon les chiffres du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’Onu, l’Ocha. » Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/migrants/20160208.OBS4195/cartes-turquie-liban-europe-ou-vont-les-refugies-syriens.html.

3. D’après Ahmed Saïfi Benziane, La bouillabaisse tibétaine, site « Le Grand Soir », 07/04/2008.

4. Cf. son autobiographie en langue allemande : Das Buch der Freiheit, pages 253 et 368.

5. Interview au South China Morning Post, 30/08/2003.

COMMENTAIRES  

25/06/2016 21:59 par Aris-Caen

Je n’ai aucune affinité avec le dalaï-lama, cet agent de la CIA, mais il me revient à l’esprit ces mots de Brecht :
"Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple."
Et j’ajouterai ; et pourquoi pas 2 millions de nouveaux venus en Europe par an pendant 20 ans grâce aux guerres impérialistes ?
Voici un article trouvé chez Jean Lévy "Faut-il SOUTENIR politiquement les SANS-PAPIERS et les RÉFUGIÉS ?". Il y est dit que :
- Il apparait certain que la revendication de la mobilité internationale de la main d’œuvre est celle du patronat. Il s’agit d’un des piliers du néo-libéralisme. Le but est de mettre en concurrence les travailleurs entre eux, de faire baisser les salaires, et aussi de déstructurer le prolétariat en le divisant en communautés ethniques adverses
- Soutenir politiquement les migrations est donc utile électoralement à l’extrême droite.
- Il est par contre indiscutable que les migrations font pression à la baisse des salaires et des conditions de travail.
- Sans-papiers et réfugiés sont des travailleurs, au moins potentiels, et il est donc normal que les organisations de défense des travailleurs s’occupent de leur cas. Mais ils ne sont pas à ce stade des travailleurs en lutte organisée, et leur but reste individuel et individualiste : leur rêve n’est pas la promotion de leur classe mais leur promotion individuelle. Leur rêve n’est pas de lutter contre l’exploitation, mais d’être exploité dans des conditions meilleures, pensent-ils, que dans leur pays d’origine.
- Leur individualisme se voit aussi très souvent dans le fait qu’ils considèrent que les efforts pour leur éducation et leur santé qui ont été faits par leur pays d’origine ne leur donnent aucune obligation envers lui. Or les migrations sont dans les faits un élément central du pillage du Tiers-Monde : pillage de sa « ressource humaine ».
- Pour terminer un dernier point : le droit de l’homme inaliénable, concernant la liberté de circulation, est celui de pouvoir sortir et revenir dans son propre pays ; ce n’est pas celui de pouvoir entrer dans tous les autres pays.
http://canempechepasnicolas.over-blog.com/2016/01/faut-il-soutenir-politiquement-les-sans-papiers-et-les-refugies-par-gq.html
et ici :
http://www.reveilcommuniste.fr/2016/01/faut-il-soutenir-politiquement-les-sans-papiers-et-les-refugies.html

26/06/2016 12:07 par vagabond

Une seule réponse, les rohingyas.

26/06/2016 23:10 par T 34

Il y a quelque temps il voulait dialoguer avec daech.

27/06/2016 15:21 par Scalpel

@ Aris-caen
Un agent de la CIA...et pas des moindres...
On ne sait avec qui l’infâme soufflera sa 81ème bougie d’anniversaire, mais pour la 80ème...ce fut CHEZ débiliou himself...(en récompense de quels services ?).
Copier/coller sur Mozilla : UPR le Dalaï-Lama fête son 80e anniversaire avec George w Bush au Texas
Le lien ne passe pas.
@ T34
Quoi de plus naturel que de fraterniser entre créatures de la CIA ? :-)

27/06/2016 15:36 par Scalpel

Sur le membre éminent de Lama-fia, ceci de particulièrement éclairant :
lu sur UPR.fr

Comme le dit le proverbe chinois, « les vérités qu’on aime le moins à apprendre sont celles qu’on a le plus intérêt à savoir. »

"La succession du Dalaï-Lama est assurée… à Washington

Enfin, je rappelle que M. Tenzin Gyatso doit son pouvoir au fait qu’il est censé être la réincarnation de son prédécesseur.

Depuis le XVIIe siècle, en effet, à la mort d’un dalaï-lama, un conseil de « tulkus » (c’est-à-dire des maîtres réincarnés) se réunit pour désigner, parmi plusieurs dizaines de jeunes enfants, la réincarnation de leur chef spirituel. Il s’agit d’un point central de la croyance du bouddhisme tantrique.

Seulement voilà : M. Tenzin Gyatso a décidé, en mars 2011, que le principe de la réincarnation était une institution vieillotte et qu’il allait choisir son successeur de son vivant !

Cette décision ahurissante est à peu près comparable à celle qui consisterait à voir le pape nous annoncer qu’en définitive il renonce à croire en la Résurrection au motif qu’il faudrait « dépoussiérer Pâques devenu une institution vieillotte ».

Ce n’est pas tout : M. Tenzin Gyatso a donc choisi son successeur – sous le couvert d’une « élection » parmi les membres de sa communauté en exil. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que son successeur a de quoi plaire à ceux qui le payent.

Le futur Dalaï Lama s’appelle M. Lobsang Sangay et il a un pedigree formidable.

Il a bénéficié d’une « Bourse Fullbright », qui sont financées directement par le Département d’Etat du gouvernement américain ( cf. http://en.wikipedia.org/wiki/Fulbright_Program ) et dont les liens avec la CIA sont un secret de Polichinelle (cf. par exemple ce livre).

M. Lobsang Sangay a ensuite suivi des cours à Harvard et vit principalement aux États-Unis, comme « Premier ministre du Tibet en exil » ( cf. http://en.wikipedia.org/wiki/Lobsang_Sangay )"

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