5 juin 2006
Chronique d’une ménagère
Profitant des quelques minutes nécessaires à la cuisson des cookies que j’avais préparés pour mes bambins, je me dirigeai d’un pas empressé vers le bureau de vote, il ne fallait surtout pas que je m’attarde longtemps sinon mes gâteaux seraient trop cuits.
Je savais qu’il fallait voter, mais je ne me rappelais plus pour quel scrutin, ce n’est qu’en entrant dans le bureau de vote que je me souvins que c’était le premier tour des présidentielles.
Alors que tout se brouillait dans ma tête, je n’arrivai plus à mettre des visages sur des noms.
Je me rappelai vaguement que Besancenot était un mec de Besançon, plutôt mignon, qui avait tourné dans une pub pour La Poste, que Ségolène Royal riche châtelaine et cousine de Christine Boutin avait participé à la Star-Ac ou à Kol Hanta mais qui faisait aussi les unes des magazines Paris-Match et Elle.
Sur les conseils quotidiens subliminaux de Jean Pierre Pernault, je savais qu’il fallait bien voter, bien entendu, à droite.
Alors pour qui voter ?
Je pris soigneusement les bulletins de mes candidats préférés et me dirigeai vers l’isoloir :
A ce moment, le doute s’installa et je fus confrontée au même dilemme qu’entre le choix de regarder « les Feux de l’amour » sur TF1 ou les palpitantes péripéties de « Dallas » sur la 2.
De Villiers ? Non, trop moche et trop raide à mon goût.
Le Pen ? Non, trop gras, trop bouffi, de plus il me rappelait mon défunt beau père, ex-membre de l’OAS.
Bayrou ? Non, je ne comprends rien à ce qu’il dit.
Boutin ? Non, je ne voterais pas pour une femme, il ne faut pas exagérer.
Ségolène Royal ? Non, autant voter pour l’original, Sarkozy ou l’original de l’original, Le Pen.
Une fois ces candidats de droite éliminés, il ne me restait plus que le choix entre Sarkozy et de Villepin.
Sarkozy, ça c’est un bon candidat, c’est Monsieur Propre qui fonctionne au Kärcher et qui nettoie plus blanc que blanc, de plus, il sait parler aux gens comme moi.
Je me souviens toujours de son combat titanesque à la télé contre le beau brun Ramadan aux yeux ténébreux mais fourbe et dangereux intégriste au demeurant ; je garde en mémoire cet instant épique où Nicolas débusqua le frère Tariq et le mis KO avec de jolies phrases dont je n’avais pas compris grand-chose, c’était si émouvant qu’un bretzel me resta à travers la gorge et faillit m’étouffer.
Jusqu’à aujourd’hui, je garde un stigmate de cet évènement palpitant et quand je vois Sarko à la télé, j’ai un pincement à la gorge.
Mais le petit Nagà¿-bosca Président de France ? Ehhh Ahhh Oufff, non, Oh non ! Je ne pourrais jamais voter pour un métèque même déguisé en Français ; il ne faut pas me prendre pour une conne, Iznogoud est bien vizir ? Il vit bien à Bagdad dans la zone verte ? Va savoir, c’est peut-être le cousin de Saddam.
De Villepin, que dire de lui ? Français de souche, beau, noble, éloquent, grand. Et surtout cette belle mèche blonde qui pend toujours sur ses sourcils... il est irrésistible !!!
Par réflexe, je glissai tendrement et doucement avec mes mains moites le bulletin de mon beau de Villepin bien au fond de l’enveloppe frémissante et encore entrouverte.
Je sortis de l’isoloir, fière de moi, et déposai avec grâce mon bulletin dans l’urne.
L’esprit apaisé, je revins vite à ma cuisine pour m’enquérir du sort de mes chers cookies
Comment éviter ce scénario-catastrophe ?
C’est ainsi que notre imprévisible ménagère, espèce mutante conçue par SOFRES, BVA, Publicis et consorts, voit le microcosme politique français.
Même si elle est nourrie au 13h de Pernault ainsi qu’aux émissions « culturo-politiques » de Tf1 et de Karl Zéro, elle fonctionne à l’instinct et vote avec ses tripes. Ses prises de parole et son argumentaire squelettique sont gravés dans son inconscient.
La culture du spectacle et du sensationnel, ayant pris le dessus sur l’information, a phagocyté l’espace politique et social ; le monde fictif se confond avec le réel.
Cependant, gardons espoir, l’être humain semble être doté d’un esprit incontrôlable et mû par des pulsions absurdes. Il est, certes, réceptif au conditionnement, mais ses réactions sont parfois imprévisibles.
A l’image de cette ménagère, victime consentante de l’entreprise d’abrutissement collectif, qui, malgré la campagne forcenée pour Sarkozy et son alter ego féminin, Ségolène Royal, peut opter pour leur rival. Réalisant ainsi le pire cauchemar des manipulateurs d’opinions.
Aux arguments politiques succincts et simplistes instillés par des médias machiavéliques et des sondages bidons, notre ménagère peut répondre par un comportement erratique et ubuesque.
Afin d’éviter ce scénario-catastrophe, les faiseurs d’opinion s’emploient à limiter le choix et à éradiquer toute incertitude, même infinitésimale. Le candidat retenu doit être un ultra-libéral et un allié indéfectible des Etats-Unis. Le vacarme médiatique fait autour de l’affaire Clearstream et l’amnistie de Guy Drut sont des coups de semonce destinés au Galouzeau national, des signaux à peine feutrés censés lui castrer toute ambition présidentielle ; car, malgré la politique néolibérale menée par de Villepin, son opposition à la guerre en Irak et sa politique arabe ont fait de lui un candidat indésirable.
La situation idéale pour les milieux atlantistes et pour les éditorialistes de la presse dominante étant d’arriver à une élection à l’italienne, l’électeur sera mis devant un dilemme suicidaire : celui de choisir entre la peste Sarkozienne et le choléra Royal.
Le rôle du vizir-Kärcher étant celui de l’épouvantail, celui du méchant loup. Le pauvre électeur apeuré n’aura donc pour seul choix que d’aller se blottir dans les bras accueillants de la maternelle Ségolène.
Le programme de la préférée des médias dominants et des sondages [1] se base sur une politique libérale et sécuritaire menant inéluctablement vers une régression sociale. La fervente admiratrice de Blair s’est prononcée en faveur du « oui » au référendum sur le traité constitutionnel européen et s’attaque aujourd’hui aux 35h ; elle n’a pas voté contre la loi CESEDA ; la puritaine, celle qui assume la défense des valeurs morales et ne veut pas bousculer les repères traditionnels, chasse sur les terres de l’extrême droite : éducation des parents « défaillants », mise sous tutelle des allocations familiales, enfermement des jeunes perturbateurs dans des casernes,...
Les marionnettistes sont convaincus que le meilleur lubrifiant pour faire passer le suppositoire du néolibéralisme et du suivisme « pavlovien » des États-Unis reste la gauche caviar et la social-libéral est leur candidate idéale.
Leila Salem
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Mon tête-à -tête avec Pasolini, par Leila Salem.