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La responsabilité des États-Unis dans les massacres et la corruption au Mexique (Foreign Policy)

La crise provoquée par la tuerie de 43 étudiants montre à quel point le gouvernement de Peña Nieto est dysfonctionnel et corrompu. Cependant, Obama continue à l'appuyer pleinement.

Les manifestants mexicains ne brûlent pas des drapeaux des États-Unis d’Amérique, mais ils le feront bientôt si les États-Unis ne modifient pas leur attitude vis-à-vis de leur voisin du Sud. Qu’ils l’admettent ou non, le président Barack Obama et le Congrès sont les responsables directs de la tragédie des 43 militants étudiants disparus et probablement massacrés dans l’État mexicain du Guerrero, et de la crise qui s’en est suivie .

Les protestations massives qui se sont produites depuis le 26 septembre, jour de la disparition des étudiants, ont déjà eu pour résultat l’emprisonnement du maire d’Iguala – où eut lieu l’incident – et la démission du gouverneur de l’État de Guerrero. Des centaines des milliers de Mexicains exigent maintenant la démission du président Peña Nieto lui-même. Pour le 104ème anniversaire de la Révolution Mexicaine, célébré le 20 novembre, des dizaines de milliers de manifestants ont brûlé une énorme effigie du président sur la grande place du Zocalo, dans la capitale de Mexico, en criant « Dehors Peña ! »

Les hashtags #YaMeCansé (J’en ai marre), envoyés directement à l’actuel gouvernement de Peña Nieto, qui ont été retweetés plus de 146 millions de fois au cours des deux dernières semaines, indiquent clairement l’usure dont a souffert l’actuel gouvernement. Les camarades des étudiants disparus ont lancé un ultimatum au Président pour qu’il démissionne le 1er décembre si à cette date, il n’a pas été capable de retrouver les disparus.

La directive du président Barack Obama ordonnant que soient arrêtées les déportations de millions d’immigrants sans papiers a offert une brève lueur d’espoir à des millions de familles de sans-papiers mexicains vivant aux EU. Mais ce geste limité ne compense en aucune manière l’énorme préjudice que l’actuel gouvernement des EU a causé aux Mexicains.

L’appui aveugle du gouvernement des EU à Peña Nieto a contribué à créer le contexte d’absolue impunité qui a permis tueries et disparitions comme celles d’Iguala. Depuis le début et même avant 2012, le président Obama a été un des plus ardents défenseurs de Peña Nieto et, quand celui-ci a accédé à la Présidence, le président étasunien l’a félicité pour sa victoire électorale. Cependant, depuis sa prise de pouvoir, le 1er décembre 2012, le bilan du mandat du gouvernement mexicain a été abominable.

Les autorités mexicaines enquêtent sur seulement 6,2 % de tous les crimes et délits qui sont commis. La criminalité sous toutes ses formes a augmenté, et le nombre d’enlèvements et de « disparitions » a augmenté de façon spectaculaire .Les homicides se maintiennent à un niveau sans précédent historique, et en 2013 il y a eu presque 23 000 cas.

Mais le plus préoccupant dans cette situation c’est la forte recrudescence de violations des droits humains et d’attaques contre la presse. Human Rights watch,Article 19 de nombreuses ONG locales ont documenté comment la liberté d’expression et de manifestation a été été l’objet de fortes attaques depuis le début du gouvernement de Peña Nieto.

En effet, pendant les protestations et les manifestations du 20 Novembre, dans la ville de Mexico, onze étudiants ont été arrêtés par la police et arbitrairement accusés de terrorisme, crime organisé et trahison par le procureur général, à la suite de quoi ils ont immédiatement été envoyés dans des prisons fédérales de haute sécurité, loin de la capitale, comme s’ils étaient de dangereux boss du trafic de drogue. Entre temps, bien que le maire d’Iguala ait été emprisonné, le chef de la police reste en liberté et en fuite, deux mois après qu’il a vraisemblablement organisé le crime contre les étudiants.

Alors que la situation au Mexique s’aggrave, les autorités étasuniennes ne se résolvent pas à condamner publiquement la corruption et les violations des droits humains qui se produisent sous l’actuel gouvernement de Peña Nieto.

Durant les deux dernières années, Obama a conclu chacune de ses rencontres avec le président mexicain Peña Nieto par de vigoureuses poignées de main et des manifestations d’admiration et d’estime envers son « amigo » [1]. Lorsque Peña Nieto a commis l’erreur de voyager en Chine et en Australie pour participer à la réunion de l’Association de Coopération Economique Asie-Pacifique (APEC) et à celle du G20, au cours de la présente crise, Obama l’a reçu les bras ouverts, et tous deux participé au coude à coude au rituel de plantation d’arbres dans le lac chinois de Yanqui. Vue duMexique, la scène d’bama et Peña Nieto pelletant la terre de concert donnait l’impression qu’ils étaient en train de combler les nombreuses fosses communes découvertes récemment près d’Iguala.

Le Département d’État, a l’habitude d’émettre des avertissements aux voyageurs se rendant au Mexique, et sa porte-parole, Jen Psaki, a fait récemment quelques déclarations en passant au sujet des disparations des étudiants mexicains, rappelant la nécessité de « maintenir le calme » et de « présenter les personnes impliquées à la justice ». Mais aucun membre du gouvernement d’Obama ni aucun leader du Congrès ne s’est aventuré jusqu’à mettre Peña Nieto devant ses responsabilités au sujet des meurtres et disparitions du 26 septembre.

Cependant, la complicité du gouvernement des EU dans la crise de violences, corruption et violations des droits humains au Mexique va bien au-delà des simples poignées de mains amicales et des plantations d’arbres. Au cours des six dernières années, les EU ont accordé plus de 3 milliards de dollars d’assistance, en plus d’énormes dépenses secrètes, militaires et de sécurité. Des agents des EU participent directement à la guerre mexicaine contre le trafic de drogue, et il existe de nombreux « centres de fusion » en territoire mexicain qui permettent de partager les renseignements, tandis que des drones étasuniens survolent constamment le territoire mexicain. L’an dernier, le gouvernement d’Obama a ordonna la fermeture du site web GODADDY, un réseau d’opposition au gouvernement mexicain, donnant ainsi satisfaction à une demande non fondée dudit gouvernement. Et le Wall Street Journal, vient de révéler que des agents étasuniens camouflés sous des uniformes militaires mexicains participent directement à des missions spéciales.

Washington et Mexico justifient cette intense participation des EU dans les affaires intérieures du Mexique en matière de lutte contre le crime en affirmant que le gouvernement de Peña Nieto mérite cet appui pour lutter contre les puissants cartels de la drogue et pour réformer la police fédérale. Mais l’affaire d’Iguala prend leur discours à contrepied.

Selon la version officielle, les étudiants ont été assassinés pour les empêcher de perturber le discours de Maria de los Angeles Piñeda, épouse du maire d’Iguala, José Luis Abarca.

La police locale a d’abord arrêté les étudiants ; ensuite elle les a livrés aux membres d’un cartel de la drogue, qui apparemment les ont fait brûler pendant 12 heures sur un énorme bûcher, pour pouvoir effacer toute trace de preuves. Les étudiants étaient pacifiques, ils étaient désarmés et n’étaient contact avec aucun cartel de trafiquants de drogue.

Bien que cette version détourne l’attention vers une responsabilité des autorités locales, en réalité elle révèle une profonde complicité dans ces crimes au niveau fédérale. Selon la législation mexicaine, le gouvernement fédéral est l’instance chargée de prévenir, enquêter et punir le crime organisé et le trafic de drogues, que les auteurs agissent indépendamment ou en collusion avec des autorités municipales, étatiques ou fédérales. Seule l’active complicité des autorités fédérales a pu permettre que le maire d’Iguala et son épouse fussent si proche du cartel qu’ils eurent suffisamment de pouvoir pour ordonner cette monstrueuse attaque qui conduisit à la mort d’étudiants innocents. Effectivement, Abarca a déjà été accusé de la mort de deux militants, il y a deux ans, et on raconte que son épouse est la sœur d’un des principaux dirigeants du cartel local de la drogue. Si les autorités fédérales avaient assumé sérieusement leurs responsabilités, elles auraient livré aux tribunaux les criminels gouvernant Iguala, et auraient ainsi évité les morts du 26 septembre.

Mais les défaillances du gouvernement fédéral sont encore plus immédiates. Les militaires mexicains ont une base du 27ème bataillon d’infanterie, stationnée à Iguala, à moins de cent mètres du lieu où les étudiants furent abattus et séquestrés. De fait, depuis des décennies il y avait une présence militaire constante dans l’État du Guerrero, depuis la guerre sale de contre-guérilla des années 70. La nuit de la séquestration, le 26 septembre, le commandant dudit bataillon assista au discours de Maria de los Angeles Piñeda, mais apparemment il ne nota rien d’extraordinaire. Ni lui-même ni ses soldats n’intervinrent durant les trois heures de fusillades et les douze heures supplémentaires de crémation de chair humaine.

Pendant des années, l’application de la loi dans l’État du Guerrero a résulté d’une alliance entre les autorités municipales, d’État et fédérales. Dans ce sens, le reporter du journal The Guardian, Jo Tuckman, rapportait la veille du massacre que le Washington Post avait publié le contenu d’un entretien avec Peña Nieto, dans lequel ce président se vantait en affirmant que « les autorités fédérales et les gouvernements locaux n’étaient pas rivaux, mais au contraire, travaillaient dans l’unité contre le crime. » En d’autres termes, le président lui-même admettait que le gouvernement fédéral collaborait étroitement avec les forces de police locales.

La réponse erratique de Peña Nieto quant au massacre démontre l’ampleur de son implication. De la même façon que les militaires la nuit du massacre et que le président Obama aujourd’hui, Peña Nieto commença par se mettre à l’abri en faisant de la politique, assurant que les disparitions étaient un fait strictement local dont le gouverneur du Guerrero devait assumer la responsabilité. Cela convenait politiquement au président, puisque cela lui permettait de faire porter les accusations contre le Parti Révolutionnaire Démocratique (PRD), d’opposition, qui contrôle Iguala et l’État du Guerrero.

Il fallut dix jours au procureur général de Peña Nieto, Jesus Murillo Karam, pour commencer à instruire l’affaire et ouvrir officiellement une enquête sur celle-ci. Depuis lors, le gouvernement fédéral s’est refusé à enquêter sur la possible participation militaire dans la disparition des étudiants.

La réponse du gouvernement fédéral pourrait être qualifiée d’incompétence criminelle, mais seulement par ceux qui ont un peu de mémoire. C’est la seconde fois en seulement cinq mois que le Mexique a été confronté à un fait d’homicide massif avec une implication gouvernementale. Le 30 juin, des militaires ont tué 22 jeunes au cours d’une intervention bâclée. Au cours des trois mois suivants, les autorités fédérales se sont couvertes en affirmant mensongèrement que les victimes avaient été tuées au cours d’un échange de tirs, même après qu’une enquête de Associated Press, confirmée par des témoins locaux, avait amené le gouvernement à engager des poursuites contre les soldats. Les militaires continuent à nier être responsables du massacre. Le Secrétaire à la Défense, Salvador Cienfuegos Zepeda, a déclaré publiquement que l’armée ne se laisserait pas "intimider" par ces accusations "erronées" et "injustes". Lorsqu’on on a demandé des explications sur le massacre au porte- parole du Département d’Etat, celui-ci a commencé par dire : « Nous sommes des partenaires engagés du Mexique dans la lutte contre le crime transnational organisé », avant de renvoyer au gouvernement mexicain.

Maintenant, avec le massacre d’Iguala, les militaires ont décidé apparemment, un fois de plus, d’éviter d’être soumis à une enquête. Si le gouvernement étasunien continue à couvrir Peña Nieto, l’espace d’impunité sans précédent qui s’ouvrirait pourrait être si vaste que ni Mexico ni Washington ne pourraient se remettre de cette crise pendant des années.

John M. Ackerman

Source : Foreign Policy

John Ackerman est professeur de droit et chercheur à plein temps à l’Université nationale autonome de Mexico (Unam), directeur de rédaction de la Mexican Law Review, chroniqueur dans plusieurs journaux mexicains (La Jornada et Proceso) et actuellement (2014-2015) professeur invité à la Sorbonne Nouvelle (Institut des hautes études de l’Amérique Latine) et à Sciences-Po.

Traduit par Claude Carillo

[1] En espagnol dans le texte (NdT)

»» http://tlaxcala-int.org/article.asp?reference=14177
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