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La Marseillaise (1) : le Front populaire au cinéma

« Le commerce cinématographique classe les films en deux catégories : les films modernes et les films historiques. Les films modernes sont ceux qui prétendent se passer de notre temps. Les films historiques sont ceux qui prétendent se passer avant. [...] Quitte à me faire beaucoup d’ennemis je ne crois pas beaucoup à cette classification. [...] Aussi, (je) propose une grande simplification, c’est de réduire ces deux catégories en une seule et déclarer que les films ne doivent être ni « historiques » ni « modernes », mais tout simplement actuels. »

Cette citation est issue du dossier de presse de La Marseillaise, film français sorti en 1938, et c’est son réalisateur Jean Renoir qui parle. Cette simplification énoncée, bien que partiale, s’applique très bien à son film, à la fois historique en décrivant des évènements de la Révolution française, et moderne car faisant référence à des événements se déroulant durant la production du film et dont les thèmes même du film sont liés à l’actualité. L’œuvre provient des années 30 où l’Europe voit la montée du fascisme : en Allemagne et en Italie bien sûr, en Espagne où Franco vient d’organiser un coup d’Etat, mais aussi en France où diverses ligues fascistes se développent et réalisent des actions violentes contre les « salopards à la casquette » (les ouvriers). Ligues abondamment financées par le patronat français, l’Italie fasciste et l’Allemagne hitlérienne. Milices de l’extrême-droite rimant avec terrorisme, si l’on pense à la Cagoule sévissant à l’époque [1].

Dans les années 30, le Komintern (la Troisième Internationale) commence à abandonner sa précédente stratégie « classe contre classe » [2] pour celui du « front uni antifasciste » sous l’égide notamment des communistes français et du bulgare Georg Dimitrov [3]. Cette nouvelle stratégie fait prévaloir la défense de la démocratie formelle (bourgeoise) face au fascisme [4], en passant par une alliance large au sein de la société, notamment avec les petits-bourgeois. Il s’agit pour les communistes de mener cette alliance, de participer activement à sa mise en place et de pouvoir critiquer de l’intérieur tout atermoiement de la social-démocratie, en montrant que pour aller jusqu’au bout de la logique de front et de la défense de la démocratie, il faut passer par des réformes sociales dures et même à terme par une révolution. C’est aussi par là même un moyen d’amener la social-démocratie et les partis de gauche à avoir un discours révolutionnaire afin de faire concurrence [5] aux PC.

Le Parti Communiste Français va être à l’avant-garde de cette stratégie. Dès un discours du 26 juin 1934 du secrétaire national du Parti Maurice Thorez, le PCF va proposer cette alliance aux autres partis de gauche comme la SFIO et les radicaux. Cela mènera bien entendu à une manifestation unitaire antifasciste le 14 juillet 1935. Celle-ci portant tellement à l’unification et à la paix qu’elle se prolongera dans un programme formalisé mais ambiguë menant à la victoire électorale de mai 1936. Après ce succès, une grande grève des ouvriers permit d’obtenir plusieurs avancées majeures pour les classes populaires et le pays tout entier comme les congés payés de 15 jours, la réduction du temps de travail avec la semaine de 40 heures et l’établissement des conventions collectives. Durant cette période la CGT et la CGTU (à majorité communiste) se réunifient afin de faire un front commun des travailleurs. Nous avons donc mouvement populaire fort qui amène de l’espoir pour une partie non négligeable de la population, tout cela grâce à ce front à la fois antifasciste et progressiste.

Le Parti Communiste Français va opérer avec le Front populaire un retournement historique important pour l’avenir du mouvement ouvrier français. Ainsi lors de la manifestation du 14 juillet 1935, Jacques Duclos du PCF va dans son discours réconcilier les chants “ La Marseillaise ” et “ L’internationale ” et, par là même occasion, le drapeau rouge des ouvriers et le drapeau tricolore, discours repris ensuite par Maurice Thorez et d’autres dirigeants communistes français. Cela peut sembler une petite chose mais elle a son importance : en effet, suite au massacre de la Commune de Paris en 1871 par les Versaillais sous l’égide du drapeau français, il était devenu commun en général dans les mouvements sociaux-démocrates (communistes) de dénoncer patriotisme et nationalisme [6] d’un même élan et, pour le cas spécifiquement français, de rejeter le drapeau français qui avait servi à tirer sur les ouvriers, de même que son chant “ La Marseillaise ”, pour lui préférer le drapeau rouge du sang de l’ouvrier et l’Internationale comme chant. Cette pratique qui avait des raisons historiques n’en a pas moins fait rejeter certains éléments, à l’instar de la Révolution française, comme appartenant purement à la classe bourgeoise. De par cette réconciliation opérée par Duclos, il ne s’agit pas de faire de la démagogie (cette stratégie de reprise des histoires nationales est encouragée par le Komintern pour ne pas la laisser au fascisme) mais de faire une reprise critique du concept de nation, en prenant soin de rejeter tous ses aspects réactionnaires.

Jacques Duclos

Le Front populaire c’est aussi une période de forte émulation cinématographique, y compris au niveau des organisations de gauche qui se mettent à l’instar de la CGT à financer des films, et plus généralement à tout un tas de cinéastes emportés par la liesse populaire comme un certain Jean Renoir qui réalise pas moins de quatre films pour l’année 1936 [7].

C’est dans ces deux cadres de réconciliation populaire de l’histoire révolutionnaire française et du mouvement ouvrier, ainsi que de l’essor d’un cinéma progressiste, que va se produire le film dont nous allons parler aujourd’hui : La Marseillaise de Jean Renoir. Sorti en 1938, le long-métrage narre l’histoire d’un bataillon de révolutionnaire marseillais lors de la première Révolution française montant à Paris pour demander l’arrêt de la politique contre-révolutionnaire du roi et de la violence des aristocrates, dans la cadre d’une guerre de la Prusse et des aristocrates émigrés contre la France.

Le film se déroule du 14 juillet 1789 jusqu’au début de la bataille de Valmy le 20 septembre 1792. Sur trois ans, le film tente de synthétiser plusieurs moments importants de la Révolution française menant tous à la destitution du roi, dont nous allons tenter de faire un bref résumé afin que le lecteur ne soit pas perdu lors de l’analyse du film. Après la Révolution du 14 juillet 1789, la France passe d’une monarchie de droit divin à une monarchie constitutionnelle, les révolutionnaires étant très inspirés par le modèle anglais. La hiérarchie en trois castes de fait de la société (nobles, religieux et tiers états) est abolie et les titres de propriétés féodales et leur lot de privilèges sont retirés. C’est le triomphe de la bourgeoisie révolutionnaire et la provocation chez le petit peuple d’un certain enthousiasme pour la Révolution et ses perspectives. A contrario, les nobles dépossédés réagissent violemment à ce nouveau pouvoir politique et commencent de plus en plus à vouloir le retour d’une monarchie française d’Ancien Régime, pouvoir qui garantissait leur droit en tant que classe. Plusieurs désertent la France et partent à l’étranger, notamment pour la Prusse afin d’avoir l’aide de ce puissant allié pour reprendre le pays. C’est la période de l’émigration. Le 20 et 21 juin 1791, le roi tente de s’échapper de Paris afin de lancer une contre-révolution, fuite qui échoue donc et écorne son image. Après une Assemblée constituante, une constitution est enfin adoptée le 3 septembre 1791 instaurant définitivement la monarchie constitutionnelle et donnant au roi, en tant que représentant de l’exécutif, un pouvoir de véto sur plusieurs lois. C’est par ce pouvoir de véto que le roi va s’opposer de manière systématique aux lois de l’Assemblée nationale, s’attirant la foudre des députés les plus patriotes et du peuple français. La Révolution française va déclarer le 20 avril 1792 la guerre aux monarchies d’Europe et se lance à l’attaque, cependant la guerre tourne vite en défaveur de la Révolution et les armées étrangères dont prussiennes commencent à rentrer en France. Plusieurs généraux de l’armée en profitent pour trahir et rejoindre l’ennemi afin de remettre le pouvoir total au roi. Face à cette situation de plus en plus chaotique et au comportement du roi, le peuple et certains révolutionnaires remettent en cause l’utilité du roi et l’idée d’une République se répend. Cela culminera lors de la montée de plusieurs bataillons de volontaires des régions à la capitale pour combattre l’ennemi, ces mêmes bataillons qui vont participer à la prise de Tuileries du 10 août 1792 où le roi sera déchu de ses droits et la République, in fine, proclamée. C’est à cette période qu’apparaît le chant de “ La Marseillaise ” écrit par Rouget de Lisle pour les armées du Rhin et qui sera repris par les bataillons de Marseillais en arrivant sur Paris, donnant son nom à notre hymne national.

A suivre.

[1] La Cagoule, enquête sur une conspiration d’extrême droite, documentaire de William Karel, disponible sur la chaine YouTube de Gédéon Seguier.

[2] Stratégie d’affrontement entre le prolétariat et la bourgeoisie, passant par une dénonciation de la social-démocratie faisant le jeu du fascisme. Dans le cadre de cette stratégie, tout accord électoral avec les partis de gauche bourgeoise est suspect mais pas interdit. La théorie de cette stratégie fait prévaloir aussi une continuité entre le processus de fascisation et le fascisme, sans saut qualitatif.

[3] Voir le septième congrès de l’Internationale Communiste en 1935.

[4] Voir le discours « Fascisme et classe ouvrière » prononcé par Georg Dimitrov au septième congrès de l’IC précité.

[5] « Quelle stratégie : front populaire ou classe contre classe ? », conférence de Victor Sarkis, chaîne YouTube des JRCF, 26/07/2020.

[6] A noter que, tandis qu’en France suite au discours de Duclos c’est le terme de patriotisme qui est beaucoup plus mis en avant face au nationalisme, considéré comme étant du domaine du réactionnaire, le terme « nationaliste » est des fois repris dans un sens positif par des communistes de pays colonisés au cours du vingtième siècle. A ce sujet, voir la vidéo de la communiste vietnamienne Luna oi !, « Nationalism », sortie le 25 juin 2021.

[7] Le crime de monsieur Lange, Partie de campagne, La vie est à nous et Les Bas-fonds.

»» https://lecuirassedoctobre.fr/2021/...
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« Les déchirures » de Maxime Vivas
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Sous ce titre, Maxime Vivas nous propose un texte ramassé (72 pages) augmenté par une préface de Paul Ariès et une postface de Viktor Dedaj (site Le Grand Soir).. Pour nous parler des affaires publiques, de répression et d’impunité, de management, de violences et de suicides, l’auteur (éclectique) convoque Jean-Michel Aphatie, Patrick Balkany, Jean-Michel Baylet, Maïté Biraben, les Bonnets rouges, Xavier Broseta (DRH d’air France), Warren Buffet, Jérôme Cahuzac, Charlie Hebdo, (…)
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