Je ne sais trop comment elle a récupéré mon adresse postale, mais la fille de Michel Sardou vient de m’écrire une lettre circulaire qu’elle m’a fait parvenir au titre d’un " Institut pour la Justice " , situé rue d’Amsterdam à Paris.
Cynthia Sardou raconte qu’elle a subi une expérience effroyable la nuit de Noël 1999 : elle a été violée par plusieurs individus sous la menace d’un couteau sous la gorge. Elle était âgée de vingt-six ans.
Elle explique que le « chemin de croix » a véritablement commencé après l’agression. D’abord lorsqu’on lui a dit qu’elle avait peut-être contacté le virus du SIDA. Puis, lorsque, lors du procès, on lui a suggéré qu’elle avait éventuellement éprouvé du plaisir à être violée. Sans parler des expertises psychiatriques qui lui furent imposées, comme si elle était l’accusée. Comme elle était la fille de son père, sa vie privée fut disséquée et livrée en pâture à la presse. Les violeurs, quant à eux, furent reconnus par les experts « en déficit affectif », « manquant d’assurance ». Tel qu’elle le raconte, les rôles avaient donc été complètement inversés.
Les violeurs furent condamnés à dix ans de prison, ou plus.
La justice relâcha le premier après deux ans d’incarcération. Un deuxième fut libéré peu après, sans même qu’on en informe la victime. Pendant des années, Cynthia Sardou a donc vécu dans la peur d’être retrouvée par ses agresseurs.
Il serait honteux de prendre le drame qu’a vécu cette jeune femme à la légère. Bien qu’ayant toujours en mémoire les chansons de son père en faveur de la peine de mort, des " Ricains " et de toutes les valeurs de la beaufitude réunies (appels à la fausse virilité inclus), je suis en pleine empathie avec cette personne à jamais souillée et meurtrie.
Là où je ne la suis plus, c’est lorsqu’elle excipe de son amitié pour Nicolas Sarkozy, qui lui a demandé de faire partie de la Délégation aux victimes, et de Rachida Dati, qui lui a ouvert les portes du ministère de la Justice. Son objectif est, avec l’aide, j’imagine, de ses précieux amis, de lancer un référendum pour « secouer la France entière » afin de « protéger des innocents » contre les récidivistes.
Est-ce parce que je suis moi-même le père de trois filles et le grand-père de deux petites-filles (mais les garçons peuvent aussi être victimes de viols), qu’il m’aurait été possible d’être sensible à ses motivations ?
Je ne puis, cela dit, à la lecture du texte de son référendum, accompagner cette démarche. Non, a priori, parce que l’initiative vient de la droite dure, ou qu’elle est soutenue par elle. Mais parce que le texte de ce référendum est biaisé par toute une série de questions fermées (avec, parfois, des assertions fausses) qui vont systématiquement dans le même sens : la répression non différenciée à l’égard des délinquants, des criminels, mais aussi de ceux qui rendent la justice.
Je cite le questionnaire de Cynthia Sardou, les questions appelant une réponse par oui ou par non :
1) Avant de lire cette lettre, étiez-vous au courant que les criminels récidivistes, même les plus dangereux, sont systématiquement remis en liberté avant la fin de leur peine ?
2) Un criminel condamné à dix ans de prison devrait-il effectivement y rester dix ans ?
3) Selon vous, les auteurs de meurtre accompagné d’actes de barbarie doivent-ils être écartés de la société tant qu’ils représentent une menace pour autrui ?
4) Faut-il avertir les parents de jeunes enfants quand un violeur pédophile qui sort de prison s’installe près de chez eux ?
5) Pensez-vous que la responsabilité d’un magistrat qui relâche un criminel doit pouvoir être engagée quand sa décision a eu pour effet la mise en danger d’autrui ?
6) Faut-il créer des prisons médicalisées pour les criminels atteints de troubles mentaux ? (actuellement, ils sont mis soit dans des prisons normales, soit dans de simples hôpitaux psychiatriques dont ils peuvent s’échapper à chaque instant)
7) Faudrait-il en France, comme dans tous les autres pays européens, demander aux détenus de travailler pour contribuer à leurs frais de détention, et à d’éventuelles réparations pour leurs victimes ?
8) Selon vous, pour résoudre le problème de la surpopulation dans les prisons, faut-il a) relâcher un plus grand nombre de criminels et de délinquants avant la fin de leur peine comme l’a annoncé Rachida Dati le 10 juin 2008, b)construire de nouvelles places de prison ?
9) Seriez-vous prêt à apporter votre soutien financier à l’Institut pour la Justice, afin qu’il organise des campagnes d’information et de sensibilisation des citoyens, et qu’il fasse valoir votre point de vue auprès des pouvoirs publics ?