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L’Union européenne en croisade contre l’évasion fiscale, vraiment ?

Entre déclarations de pure forme et rétropédalages, Bruxelles désire-t-elle réellement endiguer la fuite des capitaux, qui coûte chaque année plusieurs centaines de milliards d'euros aux Etats membres ? Le doute est permis.

L’évasion fiscale des multinationales coûterait 14 milliards d’euros chaque année à la France. C’est en tout cas ce que conclut une étude conduite par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) publiée début juin. Or, d’après les estimations de l’organisme, qui milite pour redonner de « l’importance à l’échelon européen dans les politiques de lutte contre l’évitement fiscal des multinationales », « neuf des dix premiers pays d’enregistrement des profits manquants en France sont européens ». Une pratique d’évasion vers nos proches voisins qui illustre à merveille un fait : prétendant s’engager contre ce phénomène partout dans le monde, l’Union européenne en est pourtant l’une des principales responsables sur son propre territoire. Elle permet, voire orchestre, ce qu’elle dénonce.

Le sujet de l’évasion fiscale, en Europe, rappelle à quel point les Communautés puis l’Union européennes se sont construites autour, pour et par l’argent. Et non pour des raisons politiques ou sociales – autrement plus louables. Toujours pas fichus de s’entendre une bonne fois pour toutes sur la nécessité de démanteler les niches intra-européennes, les Etats membres louvoient, parlementent mais n’agissent pas, ou si peu. A l’arrivée : des centaines de milliards d’euros de manque à gagner fiscal pour les capitales européennes.

La critique est loin d’être nouvelle. Et c’est peut-être le plus démoralisant. Vaste serpent de mer depuis des années, le combat contre l’évasion fiscale n’en finit plus d’être repoussé aux calendes grecques. Même quand l’UE fait un pas en avant, c’est pour mieux reculer immédiatement après. Désopilante schizophrénie. Exemple : en 2017, Bruxelles dresse une « liste noire » des paradis fiscaux pour lutter contre le phénomène. On s’attend alors à ce que toutes les places fortes bien connues de la planète y figurent. Raté. Elle ne contient en fin de compte que 5 petits noms d’Etats insulaires. Sur lesquels, selon l’organisation Oxfam, les Vingt-Huit s’apprêtent à mettre un gros coup de « Blanco », puisqu’ils vont donner carte blanche à tous les paradis fiscaux.

De toute manière, cette liste noire, qui tient plus de l’effet d’annonce que du véritable plan politique, ne contenait même pas les niches fiscales européennes. Car il y en a – tout sauf un hasard si Apple, Google et autres Airbnb ont élu « domicile » européen en Irlande, pour ne citer que ce pays. Et les sommes qui atterrissent chaque année dans les coffres paradisiaques du continent ne sont pas minces ; en 2015, les multinationales ont ainsi transféré quelque 600 milliards de dollars (soit 526 milliards d’euros) de bénéfices vers des paradis fiscaux, dont un tiers se trouvaient au sein même de l’UE ! Une fuite des capitaux, pointe du doigt Oxfam, qui « prive les pays riches comme les pays pauvres de ressources essentielles pour financer les services publics indispensables pour lutter contre la pauvreté et les inégalités ».

La problématique des ports-francs

Cette permissivité de l’UE est parfaitement illustrée par les critères d’évaluation de Bruxelles, bien trop souples. Pas assez contraignants. Puisque comme le rappelle Oxfam, « ils passent outre de nombreuses pratiques fiscales dommageables, telles que des taux d’imposition nuls ou très faibles sur les sociétés. » Conséquence : 9 paradis fiscaux vont également disparaître de la « liste grise » de l’UE, sorte de « liste noire au rabais ». Autre illustration de ce laxisme : l’étrange tolérance de Bruxelles vis-à-vis des ports-francs, ces zones interlopes où sont implantés des entrepôts abritant antiquités et tableaux, entre autres choses précieuses. Permettant ainsi à ceux qui désirent échapper aux services fiscaux – qui n’ont aucun droit de regard sur ces établissements – de magouiller en toute impunité. Blanchiment d’argent, fraude fiscale : à eux de laisser libre-cours à leur imagination.

L’UE en compte un, le « Freeport Luxembourg », situé dans un pays réputé pour son laxisme fiscal. Le CV de son propriétaire, l’homme d’affaires suisse Yves Bouvier – reconverti en marchand d’art –, en dit long sur cet endroit : l’homme est passé par la case justice en 2014, à Monaco, pour « escroquerie » et « complicité de blanchiment ». Yves Bouvier est par ailleurs sous le coup d’une enquête du fisc suisse qui lui reproche de lui avoir caché quelque 165 millions de francs suisses.

Décriés, les ports francs peuvent néanmoins compter sur des soutiens de poids : l’actuel président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avait ainsi soutenu la création du « Freeport Luxembourg » lorsqu’il était Premier ministre du Grand-Duché. Proche parmi les proches de Juncker, son ancien ministre de l’Economie Robert Goebbels est aujourd’hui président du conseil d’administration du Freeport Luxembourg. Et l’on s’étonne que l’UE piétine, voire se prenne les pieds dans le tapis, en matière de lutte contre l’évasion fiscale ?

La situation pourrait toutefois évoluer. Le comité TAX3, composé d’eurodéputés engagés contre l’évasion fiscale et les crimes financiers, a publié le 26 mars dernier un rapport révélant le rôle joué par les ports-francs en matière de blanchiment d’argent et de fraude fiscale, et recommandant leur élimination, en tout cas dans leur forme actuelle. Une recommandation adoptée par une écrasante majorité de députés (505 pour, 63 contre). Mais, en l’état, une simple recommandation...

Les citoyens européens, premiers lésés, méritent mieux que des déclarations de forme ou de simples listes – quelles que soient leurs couleurs. Peut-être faudrait-il commencer par traquer les collusions et autres conflits d’intérêts, au sommet de la pyramide européenne, afin de mettre fin au règne de l’argent-roi.

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