L’Oréal, que nous aimons depuis que son ancien DRH est devenu ministre de l’Éducation nationale (http://blogbernardgensane.blogs.nou...), vient de se voir attribuer le Trophée du Capital Humain 2010 (http://www.edubourse.com/finance/actualites.php?actu=64032).
Telles sont les métaphores qu’utilisent les exploiteurs pour parler des exploités. La livre de chair de Shylock est désormais un « capital », le travailleur est un « trophée » au bout du fusil de l’actionnaire. Ce trophée a été créé par Le Monde (ohé, Beuve-Méry !) et le cabinet de recrutement Michael Page, « leader du recrutement et de l’intérim » pour récompenser « les meilleures initiatives des entreprises du CAC 40 en matière de capital humain. »
Réservé aux entreprises du CAC 40, le trophée est parrainé par Christine Lagarde. Il a un site (http://www.tropheeducapitalhumain.com/pages/definition.html) qui nous explique, dans la novlangue des maîtres du monde, ce qu’est le capital humain : « Selon la définition de l’OCDE, le capital humain est " l’ensemble des connaissances, qualifications, compétences, et caractéristiques individuelles qui facilitent la création du bien-être personnel, social et économique " . Apparu dans les années 60, le concept part du constat qu’un individu qui dépense du temps et de l’argent pour se former raisonne exactement comme le ferait un investisseur attentif au coût d’opportunité et au taux de rentabilité de son placement. De ce fait, le capital humain est source de plus-value pour l’individu, de la même façon que le capital physique peut l’être pour une entreprise. Or, la théorie du capital humain a démontré, au travers de nombreux travaux de recherche, qu’au-delà des bénéfices individuels, le capital humain est également l’un des principaux facteurs de croissance pour les entreprises et les nations qui le développent. »
Cette année, le jury était présidé par Yves-Thibault de Silguy, parfait modèle bicéphale du haut fonctionnaire et de l’homme d’affaires, comme seule la France, peut-être, sait en produire. Issu de la promotion Guernica (sic) de l’ENA, Silguy fut conseiller de Chirac à Matignon, membre de la Commission européenne sur proposition de Balladur (cette fameuse commission Santer éclaboussée par des actes de très mauvaise gestion en 1995, avec l’implication d’Édith Cresson). Il préside Vinci depuis 2006.
Ému comme une vraie jeune fille, Geoff Skingsley, Vice Président Directeur Général Ressources Humaines de L’Oréal, a déclaré en recevant le prix : « C’est un honneur pour nous que L’Oréal soit reconnu pour ses actions en faveur du capital humain. Ce prix vient récompenser notre politique RH qui a toujours placé l’humain au centre de nos préoccupations, dans le respect de chacun et dans une dynamique à long terme. Grâce au soutien des équipes, à la forte implication de chacun sur le terrain, au dialogue avec les partenaires sociaux, aux synergies et à la solidarité dont ont fait preuve toutes les divisions du Groupe, l’intégration d’YSL Beauté a été réalisée sans aucun licenciement économique. »
Un ancien de L’Oréal me laisse entendre que ces belles paroles verbales, cette "com’ " , relèvent plus de Oui-Oui ou du club Dorothée que du vécu des travailleurs. Le groupe L’Oréal ferme usine après usine (en Espagne, en Angleterre, par exemple). De nombreux fournisseurs et sous-traitants sont au bord de la faillite. L’usine Yves Saint-Laurent Beauté a connu une grève dure pour comportement inhumain vis-à -vis des salariés. A l’appel de la CGT et de la CFDT, 80% des travailleurs ont cessé le travail. Ces manants voulaient profiter des deux milliards d’euros de bénéfices réalisés en 2009 ! Ce site de Lassigny, dans l’Oise, avait réalisé en 2008 un chiffre d’affaires de 270 millions d’euros, ce qui n’avait pas empêché l’Oréal, après son rachat, de supprimer 130 emplois.
Face à L’Oréal, les médias - et les politiques - sont peu diserts. La force de frappe, de déstabilisation du groupe est énorme. Il arrose les médias de publicités, il finance quantités d’événements. Heureusement, aujourd’hui comme hier quand il finançait des groupes d’extrême droite avant-guerre, l’éthique coule dans ses veines.
Bernard GENSANE