Deux boîtes de Pandore qui n’en font qu’une
Il est étrange d’observer à quel point un courant de pensée, une mouvance politique ou une idéologie archaïque s’agite frénétiquement au moment où sa base sociale s’étiole et disparait, à mesure que s’installent de nouvelles conditions économiques, sociales, politiques et finalement idéologiques. J’en veux pour preuve les deux boîtes de Pandore manichéennes enfantées par deux évolutions sociales contemporaines.
De la première boîte du sorcier impérialiste a surgi la réaction intégriste-islamiste dans les pays musulmans. D’aucuns la pensent surgie de la mouvance religieuse-radicale. Or, il n’en est rien, ce n’est là que la forme et non le fond de l’opposition que ce courant représente et enrégimente. La réaction intégriste islamiste est la forme qu’a prise la résistance nationaliste chauvine dans ces pays économiquement et industriellement arriérés et en crise économique profonde.
La seconde boîte de Pandore ouverte par la crise économique systémique de l’impérialisme est la résurgence du nationalisme chauvin patriotique dans les pays occidentaux avancés du point de vue des forces productives et des moyens de production.
On observe deux idéologies qui superficiellement semblent contradictoires (l’intégrisme religieux versus l’intégrisme laïc-athée), mais qui en réalité mènent un même combat d’arrière-garde dans les conditions de la crise économique systémique de l’impérialisme. Ces deux tendances idéologiques voudraient laisser croire que le monde peut tourner à l’envers et revenir en arrière, les uns pour les ramener dans un monde paysan, agraire et localement autosuffisant, les autres pour retourner dans un monde capitaliste originel, empreint d’une mythique « libre concurrence nationale patriotique ». Les riches milliardaires, qui savent qu’il ne s’agit là que de chimères (excepté dans un autobus – personne n’avance en arrière), sont heureux que les deux courants de pensée et d’opposition préparent les conditions de la prochaine guerre mondiale dont les peuples feront encore une fois leur « karma ».
Un auteur nommé Samuel Huntington a systématisé cette pseudo dichotomie dans son œuvre intitulée « Le choc des civilisations ». Bienvenue dans le monde de l’illusion réactionnaire. [1]
L’intégrisme-islamiste-nationaliste
Mon premier modèle réfère au tsunami de propagande des médias du mainstream, au service des grands capitalistes monopolistes, dont ils sont d’ailleurs généralement les propriétés exclusives. Pas un jour ne passe sans qu’un politicien véreux n’étale publiquement ses spéculations à propos des intégristes-islamistes agresseurs sans motif de populations que les riches et leurs affidés s’emploieraient à protéger (sic).
Curieusement, dès que l’on gratte le vernis des Hollande, Cameron, Merkel, Obama et Harper, on découvre que ce sont leurs gouvernements, ou les précédents, qui depuis longtemps ont enrégimenté ces djihadistes fous qui, aujourd’hui, sont offerts à la vindicte populaire. Il est entendu que s’il est possible de mettre sur pied de tels escadrons de mercenaires suicidaires, à partir de la Bosnie, de la Tchétchénie ou des multiples pays arabes et des pays musulmans de l’orient, et même – par contagion – s’il est possible de recruter parmi les excentriques de quelques pays impérialistes, c’est qu’il doit y avoir une raison impérative et prédominante. L’intégrisme islamiste n’est qu’un alibi dans tout ceci, pour « justifier » les amalgames racistes, composites, multiethniques et pluri-politiques, tous issus d’une même crise économique obligeant les pauvres à migrer vers les pays de « prospérité » utopiques !
L’intégrisme-islamiste est la réponse des rapports sociaux de production aux transformations des forces productives dans chacun de ces pays en cours de développement capitaliste. L’intégrisme-islamiste est une réaction de survie et d’ajustement d’un système social en cours de transformation radicale.
Nous l’avons déjà écrit à propos de la guerre de reconquête du Mali. La guerre fut déclenchée afin de ramener ce pays dans le giron des néo-colonies de la Françafrique, de laquelle il s’était échappé par un concours fortuit de circonstances impliquant trois groupes de malappris :
1) Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) qui trouva approprié de profiter de la déliquescence de l’État fédéral malien pour s’emparer du contrôle du nord du pays sous-développé, affamé et oublié par Bamako l’éloignée ;
2) les milices armées chassées de Libye, où elles avaient servi l’économie terroriste de l’empire Françafrique ;
3) l’armée malienne, trop occupée à administrer ses trafics illicites (armes, drogues, médicaments contrefaits et esclaves) pour avoir le temps et l’envie de gouverner le Nord Mali. Al Qaida au Maghreb islamique est la dernière partition composée par les services secrets occidentaux et reprise en fanfare par des médias à la solde pour rameuter l’opinion publique occidentale en faveur d’une expédition néocoloniale (1).
La procédure de création de ces groupuscules « intégristes-islamistes-djihadistes » est bien rodée et éprouvée : un barbu méchant, en turban de circonstance, et qui annonce en conférence de presse bien diffusée la création d’une filiale d’Al Qaida, la nébuleuse tant galvaudée. Quelques meurtres d’innocents avec du sang plein les mains et quelques exécutions de brigands de l’autre camp. Si le public occidental en redemande, quelques mains de malfrats coupées ras – qu’on repassera en boucle pendant des mois – et quelques femmes chassées d’une université qui trop souvent n’a jamais existé (exemple : l’« université » de Kaboul, un genre de collège privé pour adolescents attardés fils de diplomates exilés), de quoi soulever la commisération des féministes qui redemanderont du sang, des dents et des turbans de talibans… Pas de talibans au Maghreb islamique ? Qu’à cela ne tienne, les Salafistes feront l’affaire, au Mali aussi bien qu’en Syrie. Tout ce dont ont besoin BHL et Hollande, c’est de l’exotisme, du chauvinisme et du racisme.
Les médias à la solde prennent le relais et ébruitent tous les tourments que ces gens font subir aux mécontents. Ils fabriquent une « vedette » qui devient un « impératif islamiste » incontournable, vers lequel tous les désœuvrés affamés de la contrée paupérisée, et ils sont des milliers, convergent pour se trouver un petit boulot bien payé, exactions incluses (viols, vols, trafics en tout genre) ; sans oublier quelques fils de « bobos » occidentaux fanatisés qui croient fermement à ce scénario de père fouettard et qui s’enrôlent frivolement – ils y laisseront leur peau ces manants assurément ; mais tout cela ajoute à la crédibilité de l’équipée. La solde défrayé par le Qatar ou l’Arabie est bonne et assurée.
La suite est déjà connue puisque remâchée depuis des années. Le groupuscule est financé, armée, entrainé, sponsorisé et parfois dirigé en sous-main par les services secrets français, britanniques ou étatsuniens. Mais pas toujours cependant, l’« émir » sait ce qu’il peut et ce qu’il ne doit pas faire. En Syrie, par exemple, ils ont compris et bien terrorisé la population, mais que voulez-vous l’aviation de l’OTAN n’a pas su refaire le coup de la Libye… vous connaissez : « Kadhafi qui tue son peuple et Sarkozy qui le punit et le tue extrajudiciairement pour le libérer ». En conséquence, en Syrie, les djihadistes seront tous sacrifiés par leurs amis du Qatar et d’Arabie, ce sont les risques du métier de flibustiers ; à moins que les pourparlers qui vont s’engager en juillet à Genève et que Fabius prépare, excité et agité, ne visent justement à négocier leur sortie de ce guêpier enclavé (2).
Au Mali, les nervis islamistes ont « merdé » et ils ont oublié qui dirige la partie. L’armée coloniale française s’est chargée de le leur rappeler – vite fait – et les a dispersés dans la région, au Niger, en Mauritanie, au Tchad, au Nigéria et jusqu’en Libye, où ils sont repartis comme nous l’avions prédit [www.agoravox.fr/tribune-libre/article/oui-la-guerre-c-est-la-france-129030].
Les intégristes islamistes pourront revenir au Mali quand ils auront compris qu’ils doivent partager les profits des trafics avec l’armée du pays et ne jamais se lier d’amitié avec les mouvements d’opposants locaux, à moins d’y avoir été invités.
Seule la conjoncture économique de crise approfondie qui sévit depuis une décennie explique que, dans tous ces pays musulmans, le recrutement de tueurs à gages et de mercenaires soit si populaire. La crise économique pousse des millions de jeunes, parfois diplômés, cantonnés en périphérie du marché du travail et sans aucun espoir de le réintégrer, à s’enrôler. Plusieurs prennent le chemin de l’exil vers le Nord, où ils espèrent améliorer leur sort ; d’autres prennent le chemin du maquis djihadiste, ils seront sacrifiés à Alep ou à Homs, comme ils l’ont été à Gao. Dans quelques mois, ce sera un autre pays, un autre terrain de guerre, peut-être jusqu’à Téhéran. Je me permets un conseil aux fils de « bobos » occidentaux. Ne songez même pas à l’Iran, ce que vous verrez là-bas vous ne l’avez encore jamais vu. Il faudra être déterminé à mourir pour s’aventurer sur la terre des Gardiens de la Révolution. L’armée de Sadam Hussein l’a appris à ses dépens et la cavalerie américaine, qui débarque en sifflant, vaudrait mieux l’oublier. Les assassins américains n’occuperont jamais la terre mère du peuple iranien.
C’est l’effondrement des économies néocoloniales qui explique – dans tous ces pays meurtris ou les ressources naturelles sont spoliées, la plus-value confisquée, les profits rapatriés en métropoles impérialistes – que les rapports de production se réajustent et prennent notamment la forme momentanée de flambées d’intégrismes-islamistes-djihadistes nationalistes. Cherchez le marchand d’armes et vous trouverez la chair à canon.
Le national chauvinisme patriotique en occident
Le national chauvinisme patriotique est aux sociétés occidentales « riches » ce qu’est l’islamisme-intégriste-djihadiste-nationaliste aux sociétés musulmanes « pauvres ». Le national chauvinisme patriotique est la réponse des rapports sociaux de production aux transformations des forces productives dans chacun des pays sous crise économique sévère. Le national-chauvinisme est une réaction de survie et d’ajustement d’un système social en cours de paupérisation et de désagrégation.
Selon les nationalistes chauvins français, piémontais, serbes, croates, bosniaques, hollandais, catalans, basques, bretons, lithuaniens, polonais, magyars, flamands, wallons, écossais et québécois, l’histoire de l’humanité serait l’histoire de la citoyenneté conquise ou acquise par chaque communauté humaine et par chaque citoyen en particulier. Et au Québec singulièrement, ce serait l’histoire des souverainistes québécois opposés aux fédéralistes canadiens. Un individu peut migrer d’un compartiment à l’autre ; un souverainiste se transformer en fédéraliste et inversement, mais un individu ne peut pas échapper à cette division manichéenne. S’il n’est pas séparatiste, c’est qu’il est un fédéraliste qui s’ignore. Il en va de même pour tout autre national chauvinisme dans chacune de ces contrées soi-disant « opprimées ».
Après avoir perdu deux référendums consécutifs, portant pourtant simplement sur un engagement à amorcer des pourparlers civilisés en vue de rapatrier certaines responsabilités fédérales au niveau provincial québécois, l’option nationaliste est aujourd’hui en chute libre. Les conditions « gagnantes » se font de plus en plus absentes, si bien que la propagande souverainiste commence à exaspérer la « société civile québécoise », pour utiliser leur dénomination préférée. Chacun soumet ses spéculations à propos de ces échecs répétés, où un peuple soi-disant opprimé et colonisé « refuse de reprendre pacifiquement-électoralement sa liberté », alors que le gouvernement fédéral s’était engagé à respecter la décision de la population et à amorcer les négociations de repartage des pouvoirs. Imaginez, les citoyens soi-disant opprimés, bafoués, outrés, vexés du Québec-colonisé qui ont refusé, par deux fois au moins, de donner un simple mandat de débat aux politiciens péquistes, même s’ils étaient assurés que les résultats des pourparlers leur seraient présentés lors d’un référendum ultérieur pour être entérinés ou rejetés. Autrement dit, il n’y avait aucun risque de se retrouver avec une « patrie chauvine » que le peuple n’aurait pas souhaitée. Que nenni, non c’est non, et par deux fois. Rien à faire, les chauvins n’ont rien appris de ces multiples rebuffades populaires.
Que la bourgeoisie québécoise, ses capitalistes monopolistes francophones ne soient plus opprimés par les colonialistes canadiens, mais qu’ils participent eux-mêmes à la colonisation des peuples autochtones et des peuples canadiens et québécois (des anglophones du Québec notamment) n’est jamais venu à l’idée de tous ces nationalistes chauvins patriotiques ni à leurs alliés gauchistes, trotskystes et maoïstes.
En termes clairs, il n’y a plus de question nationale québécoise, ni flamande, ni bretonne, ni basque, ni catalane, ni écossaise, il ne demeure qu’une question d’oppression et d’exploitation de la classe ouvrière wallonne, flamande, basque, catalane, écossaise, québécoise et canadienne, dans toutes leurs composantes ethniques et communautaires vis-à-vis les différentes classes capitalistes monopolistes, dont la canadienne dans toutes leurs composantes ethniques et communautaires qui pour ces milliardaires ne comptent pour rien – seul le fric compte - et se compte - et le fric comme chacun sait n’a pas de nationalité et il est désodorisé.
Comment expliquer cette cécité des nationalistes chauvins patriotiques ? C’est que leur clientèle politique de prédilection, la petite bourgeoisie bureaucratique et du secteur des services est en cours de paupérisation accélérée – adieu la grosse cylindrée, le loft dans la cité, le chalet en forêt et bonjour la décroissance involontaire, la simplicité « volontaire » et les fins de mois de misère. Elle n’espère qu’une chose cette petite bourgeoisie, ne pas être sacrifiée dans la galère de la récession qui s’en vient, là droit devant, tout au bout de l’artère ex-prospère.
Les étudiants, leur deuxième clientèle préférée, n’en finissent plus de se battre pour conserver leur dignité et leur droit d’accès à l’université, attaqués par les nouveaux gouvernements comme il en fut des précédents. Les frais afférents s’envolent et les droits de scolarité décollent. Les étudiants ont d’autres chats à fouetter que la souveraineté de poulailler et l’oriflamme fleurdelisée dont se sont entichés les chevaliers de l’indépendance du mont-de-piété.
Les ouvriers luttent pour conserver leurs emplois et boucler leur fin de mois, tout en se demandant comment mettre fin aux collusions généralisées entre politiciens de toutes couleurs, les constructeurs, les ingénieurs, les mafieux de la construction et des services publics privatisés.
Les chômeurs combattent pour maintenir leur droit aux prestations d’assurance, alors que les assistés sociaux luttent contre les coupures de prestations du Parti Québécois souverainiste, qui lui s’affiche comme un bon gouvernement des riches, préparant en cela sa réélection problématique. Rien de nouveau au pays des souverainistes comme vous pouvez le constater.
Enfin, la portion de la grande bourgeoisie impérialiste québécoise qui soutenait la perspective de négocier une nouvelle entente souverainiste-fédéraliste n’a que faire de ces rêvasseries du « pays d’oripeaux » à bâtir sur les ruines de la crise imminente et immanente. Elle sait pertinemment, cette grande bourgeoisie, que les deux paliers de gouvernement des riches feront ce qu’il faut pour les tirer d’affaire (comme le démontre d’ailleurs la loi péquiste de réforme de l’exploitation minière et le droit accordé aux pétrolières de forer pour siphonner le pétrole d’Anticosti, et ce n’est pas fini…). N’ayez crainte, ceux-là failliront comme les autres.
Plus le soutien populaire à l’option nationaliste-chauvine-patriotique s’enfonce dans la fosse abyssale circonscrite par les sondages, et plus le nombre de groupuscules et de cellules radicales en soutien à l’exorcisme nationaliste chauvin patriotique foisonnent, se chicanent et s’agitent, comme si ces militants n’avaient pas observé qu’il est fini le temps de la « patrie de la colonisation des terres amérindiennes », du pays à défricher du chanoine Groulx et d’Adrien Arcand les fascistes, de Bourgeault et d’Amir Khadir qui lui subodore le précipice en avant et suggère que l’indépendance est par devant !
Pendant ce temps – au milieu de ce salmigondis - les anarcho-syndicalistes, les révisionnistes aux longues litanies, les sociaux-démocrates prestidigitateurs, les réformistes socialistes, les trotskystes et les maoïstes pseudo « révolutionnaires » n’osent se lever contre le chauvinisme-nationaliste-patriotique et se tiennent coi de peur de subir les foudres des féministes souverainistes hystériques ; de subir le déni de la Convergence des divergences et autres pugilats nationaux-socialistes qui voient le sol s’ouvrir sous leurs pas et ne trouvent rien de mieux à rétorquer que ce ridicule slogan : « Tolérons l’oppression nationale afin de conserver l’unité de la classe ouvrière canadienne ». Que voilà un panier de crabes dans une boîte de Pandore nationaliste chauvine patriotique manichéenne (4) !
Les ouvriers quant à eux ont déjà répliqué – « Votre souveraineté de polichinelle pour les riches, on la rejette et on vous rossera encore une fois au prochain référendum perdant ». Le temps est venu pour l’indépendance de la classe ouvrière qui doit demeurer aussi loin que possible de ces petits bourgeois pâmés-non sevrés. C’est dans cette direction que pointent les rapports de production impérialistes en décrépitude avancée. Le national chauvinisme patriotique est aux sociétés occidentales « riches » ce qu’est l’islamisme-intégriste-djihadiste aux sociétés musulmanes « pauvres ». Les deux, également prostrés, sont à contrer (5).
Robert Bibeau