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L’Église et l’esclavage : une relation ambigüe

L’attitude de l’Église concernant l’esclavagisme à travers les cinq derniers siècles est marquée d’une inconstance étrange. Cette inconstance était dictée par les conditions politiques et économiques desquelles dépendaient les circonstances de chaque époque, ainsi que par les choix stratégiques de l’institut ecclésiastique.

Vers la fin du XVe, siècle l’histoire allait connaître un phénomène traumatisant sans précédent. Il s’agit de la traite négrière. Des commerçants, des concessionnaires et des administrateurs étaient arrivés aux côtes africaines à la recherche d’hommes valides et de jeunes femmes pour en faire des esclaves et les embarquer vers l’Occident. Il faudrait signaler à ce propos que les pays de la péninsule ibérique étaient les premiers à pratiquer la traite négrière. Plus tard, vers la fin du XVIe siècle, la France, la Hollande, la Grande Bretagne ou encore le Danemark entraient en concurrence dans le commerce des esclaves. Des armateurs avaient l’idée de transporter les Nègres vers l’Amérique pour les vendre ou les échanger contre des produits. C’est le début du commerce triangulaire : expression désignant le processus d’échange et de commerce entre la France, l’Afrique et les Antilles. Des bateaux partaient de l’Hexagone, ils embarquaient des marchandises de toutes sortes : verroteries, des armes, des bijoux...etc. Arrivés en Afrique, les négriers échangeaient leur cargaison contre des esclaves. Le voyage se prolongeait vers les Antilles, où des êtres humains étaient débarqués chaque année en échange de sucre, de vanille et de différents produits tropicaux, rapportés en France pour y être vendus.

A l’époque des grandes conquêtes maritimes, l’Eglise avait considéré la traite négrière comme une chance de pouvoir étendre l’Evangile. Elle semble avoir oublié un commandement de l’Exode qui dit que celui qui dérobera un homme et qui l’aura vendu ou retenu entre ses mains sera puni de mort (Exode XXII : 16). Elle trouvait même des justifications afin de disculper les consciences des traitants chrétiens : la position de l’Eglise catholique par rapport à la Traite négrière n’allait pas être un épiphénomène loin de là, ses encouragements à l’ensauvagement esclavagiste continueraient tout au long de la période négrière, à l’instar de l’activisme doctrinaire de l’éminent théologien français Bellon de Saint Quentin, qui se servait des Saintes Ecritures pour libérer la conscience des traitants qui s’en remettaient à sa science*.

C’est pourquoi l’Église avait pris une position favorable pour le commerce des Nègres. Elle l’avait même soutenu pourvu que les esclaves soient convertis. Le Code Noir demande dès le premier article de faire instruire la religion catholique et de faire baptiser tous les esclaves. C’est en vue d’une large christianisation des Nègres que l’Eglise avait montré sa disposition pour assister l’esclavagisme. Une nouvelle ère commença dans l’histoire de l’humanité : l’ère de l’esclavage bénit et soutenu par l’Eglise puisqu’elle en tire un profit inestimable : la découverte du potentiel commercial énorme qu’offrait la traite des "nègres" était une opportunité que la nouvelle anthropologie religieuse ne pouvait pas laisser échapper d’entre les griffes de Rome car la papauté, qui venait de goûter à une grande hausse de ses richesses grâce aux croisades, devenait de plus en plus exigeante au niveau de son accumulation d’argent. Lesquelles croisades venaient d’établir, par les faits, que des guerres conduites dans et pour les intérêts du Saint Siège étaient toujours justes et que les fruits de ces guerres étaient bons, et par conséquent que toutes ces entreprises étaient "saintes" ! Ainsi, d’après la mentalité des croisades – et celle des croisés – l’anthropologie religieuse coloniale de l’Eglise Catholique, comme toute l’anthropologie chrétienne du moment, ne s’opposait nullement, ni à l’esclavagisme ni à la traite des noirs, bien au contraire, elle prônait que c’était une entreprise "sainte", qu’il fallait la réaliser au nom de Jésus Christ, le Seigneur et Sauveur ! **

C’est pourquoi le Pape Eugène IV accorda au Portugal, et spécialement à son prince Henri le Navigateur (le nom est assez révélateur !) le titre de propriété de toutes les terres à l’est de Côte Ouest au-dessus du Sénégal. Cela n’empêche que l’Église avait imposé quelques conditions pour légitimer l’esclavage. En voici des exemples : tous les esclaves seront baptisés [...] ordonnons aux habitants qui achèterons des Nègres nouvellement arrivés, de les faire instruire et baptiser ; enjoignons aux Conseils... d’y tenir exactement la main. Assister aux offices religieux est obligatoire pour les esclaves. Les maîtres ne doivent pas les employer pendant les jours du Seigneur.*

Toutes ces conditions n’étaient qu’une théorie puisque pour la réalité, il en allait autrement. Les représentants de l’Eglise missionnaire évitaient de mécontenter les colons. Ils limitaient le nombre de fêtes religieuses parce que les Noirs désœuvrés étaient un sujet à comploter. Ils se montraient également conciliants quant à la non-assistance au culte car les esclaves tirent si bien en longueur pour leur retour que la journée se trouve totalement perdue pour leur maître***.

En outre, le clergé médiocre et affairiste, peu préoccupé par la justice sociale dans les colonies, et ne se souciant guerre de changer les tares du colonialisme, s’est consacré au commerce dans des domaines variés et à la possession des esclaves. Les affaires du commerce faisaient passer au second plan l’évangélisation. Un abbé condamnait le climat d’affairisme dans lequel beaucoup de prêtres vivaient. Il notait à ce propos que le clergé était propriétaire d’esclaves et capitaliste. Les prêtres, suivant en cela l’exemple donné par le préfet apostolique, achetaient, vendaient des esclaves, soit pour leur service particulier, soit pour retirer par le travail ou la location de ces propriétés humaines l’intérêt des économies qu’ils n’osaient pas tous placer dans les maisons de commerce du pays... Oui... quinze ecclésiastiques... et les premiers du clergé de la Réunion ont trempé, leur supérieur en tête, dans ce commerce... ***

Une idéologie religieuse dominait à l’époque. Elle consiste à valoriser l’humanité de l’être selon sa religion. Aux yeux de l’Église, il n’existe sur Terre que deux sortes de gens à savoir les chrétiens et les païens. Toute personne non chrétienne était païenne. Les Noirs étaient donc des païens. L’Eglise avait pris une position hostile envers ces créatures sauvages, sans âme et possédées des diables. Tuer l’un d’eux équivalait à abattre une bête sauvage. Après la chute de Constantinople en 1453, le Pape Nicolas V autorisa officiellement le roi du Portugal à faire de tous les "Noirs" – donc des "païens" – des esclaves, à saisir leurs biens puisqu’ils sont les ennemis du Christ ! Voyons la confirmation de cette hostilité vis-à-vis des noirs et les faveurs accordées aux monarques dans la bulle du Pape : des faveurs et grâces spéciales étant conférées aux princes et rois catholiques, qui [...] non seulement restreignent les excès sauvages des sarrasins et autres infidèles [...] mais aussi pour la défense et l’augmentation de la foi, ils doivent persécuter et faire disparaître ceux-ci, ainsi que leurs royaumes et leurs habitations, même si ceux-ci sont situés dans des régions lointaines qui nous sont encore inconnues [...] (ils ont) la libre et ample faculté de : envahir, chercher, capturer, déporter et soumettre tous les Sarrasins [Sarrasins = Noirs], et autres ennemis du Christ n’importe où, de prendre possession de leurs royaumes, principautés, et de leurs possessions, et de tous leurs biens meubles et immeubles, et de réduire leur personne à l’esclavage perpétuel, et prendre la souveraineté de leurs royaumes, principautés, et de leurs biens afin de bénéficier de l’usage et des produits de ceux-ci. **** Le décret papal ordonnait aux chrétiens d’esclavagiser les peuples d’autres mondes en vue de l’expansion de la foi chrétienne. Assurément, ces propos étaient très éloignés du commandement de Jésus concernant l’amour du prochain. La contradiction était flagrante entre les principes de la religion et la position de l’Eglise.

L’envoi des missionnaires pour propager un christianisme déformé et des Évangiles mal interprétés avait pour objectif d’inciter le sujet colonial à se désintéresser des richesses et d’amasser ses "trésors" au Ciel ainsi que d’abandonner tout esprit de révolte. Nous disons ici christianisme "déformé" et "mal interprété" puisque les missionnaires œuvraient à mettre tout au service de l’administration coloniale. En voici la justification dans un extrait d’une lettre du ministre belge des colonies, M. Requin en 1920, adressée aux missionnaires envoyés au Congo : “ La tâche que vous êtes conviés à accomplir est très délicate et demande beaucoup de tact. Prêtres, vous venez certes pour évangéliser mais cette évangélisation doit s’inspirer de notre grand principe : avant tout, les intérêts de la métropole. Le but essentiel de votre mission n’est donc point d’apprendre aux Noirs à connaître Dieu. Ils le connaissent déjà. Ils parlent et se soumettent à Mangu, Zambé ou à Ngalkola et que sais-je encore ? Ils savent que tuer, voler, coucher avec la femme d’autrui, calomnier, injurier etc. C’est mauvais. Ayons le courage de l’avouer, vous ne venez donc pas leur apprendre ce qu’ils savent déjà. Votre rôle consiste essentiellement à faciliter la tâche aux administrateurs et aux industriels. C’est donc dire que vous interpréterez l’évangile de la façon qui sert mieux nos intérêts dans cette partie du monde. ” *****

Ce n’est que vers le XIXe siècle que l’aile évangélique de l’Église s’est levée contre l’esclavage. Les campagnes associatives et les décrets gouvernementaux avaient devancé de loin l’Eglise et ses missions pour l’abolition de ce phénomène. En ce qui concerne la dénonciation, elle n’avait été proclamée que tardivement vers la fin du XXe siècle avec la visite du Pape Jean Paul II à Gorée, "sanctuaire de la douleur noire", pour accuser "le péché de l’homme contre l’homme". Un R. P. S. au sein de l’institut ecclésiastique reconnaît l’implication de l’Église dans la propagation de l’esclavagisme : “ Nous étions au cœur de l’esclavage, nous étions directement responsables de ce qui est arrivé, nous pouvons même dire que nous possédions des esclaves, nous en avions même labellisés certains, c’est pourquoi je pense que nous devons reconnaître notre histoire et présenter nos excuses. ”

Si l’aveu de la responsabilité est franc, le long silence gardé par l’Église pendant des dizaines de décennies est significatif. Charles Vaudet se moque de la réticence de l’Église à abolir l’esclavage en disant : “ Rappelons-nous encore que les derniers esclaves appartenaient aux missionnaires catholiques et protestants. Du reste, ce qu’il y a de certain, c’est que le Jésus des chrétiens n’a jamais eu un mot de protestation contre l’esclavage, au contraire, il estime que lorsque l’esclave a fait ce que le maître lui a commandé, celui-ci ne lui doit aucune reconnaissance. ”

On pourrait dire que l’histoire restera témoin de la complicité, ou du moins, du rôle passif, qu’avait joué l’Eglise face au phénomène le plus honteux de l’humanité. Cette attitude envers l’esclavage n’était pas isolée de la stratégie de l’Église et de certains de ses missionnaires qui décidaient non selon les principes, mais selon les circonstances.

Adil GOUMMA

* Akam AKAMAYONG, “ L’église catholique bénit la traite négrière ”. Article publié dans : http://feobus.centerblog.net/

** Kayemb NAWEJ. Poison blanc : Un Noir chrétien est un traître à la mémoire de ses ancêtres, Ed. Kayemb Uriel Nawej. 2007, p. 37.

*** Claude PREUDHOME , L’Histoire religieuse de La Réunion, Ed. KARTHALA, Paris, 1984, p. 31.

****Kayemb NAWEJ, Poison Blanc, op. cit. p. 38.

***** Nel Niemi Tsopo. “ Le rôle de l’Église dans l’horreur de la colonisation ”. Article publié sur le site : www.brukmer.be

****** Léonce LEBRUN, “ L’Eglise anglicane s’excuse ”, Article publié sur le site www.afcam.org

******* Charles VAUDET, Le Procès du Christianisme, Ed. Coda, 2005. Cité dans : www. atheisme.free.fr

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