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Jean Ziegler : « Les révoltes pour la nourriture sont aussi un grand espoir »

Le titre du dernier livre de Jean Ziegler, prochainement en librairie en Italie édité par Tropea, ne pouvait être plus explicite : « L’Empire de la honte » (Fayard, 2005, NdT). Face à la crise de la nourriture qui est en train de réduire à la famine des couches de plus en grandes de la population dans les pays du sud, le sociologue suisse n’y va pas à demi mots pour indiquer causes, responsabilités et conséquences. Concepts et informations recueillis par téléphone pour il manifesto.

Professeur, le dernier rapport de la FAO dit que bien que les perspectives de production alimentaire pour la période de 2008-2009 soient favorables, il n’y aura pas de diminutions significatives des prix sur le marché et que le nombre de personnes souffrant de la faim va augmenter. Comment est-ce possible ?

Huit grandes entreprises multinationales détiennent les leviers du commerce des aliments de base. Pour le blé, le plus important est Cargill, dans le Minnesota, qui a contrôlé l’année dernière 25 % de toute la production céréalière mondiale : 553 millions de profit au premier trimestre 2007. Au premier trimestre 2008 la marge bénéficiaire était de 1,03 milliards de dollars. Et puis il y a la spéculation, qui est difficile à quantifier mais qui selon les économistes de la Banque mondiale a une incidence de 37 % sur le prix ; Heiner Flassbeck , directeur de la Globalization and Developpement Strategie Division parle, lui, du double. Responsables de cette situation : les plans d’ajustement structurel imposés par le Fonds monétaire international et par l’OMC, ces politiques agricoles imposées depuis des années aux pays pauvres du Sud, qui sont obligés de privilégier la production de produits agricoles pour l’exportation au détriment de la production locale. L’an dernier, le Mali a exporté 380.000 tonnes de coton et importé 82% de ses stocks alimentaires. Ces organisations sont en grande partie responsables de la catastrophe des populations qui ne peuvent pas payer des prix qui sont trop chers pour leurs économies.

Et puis il y a les agro-carburants, comme vous l’avez souvent expliqué.

Oui, une autre cause de l’augmentation des prix des produits alimentaires de base est due à la production massive d’aliments tels que céréales, maïs et autres utilisés pour la fabrication du bioéthanol et du biodiesel. Les Etats-Unis ont consommé à eux seuls l’an dernier 138 millions de tonnes de maïs pour les agro-carburants, un tiers de leur récolte. Et l’Union européenne a aussi pris la même direction. Giovanni Lipsky, numéro deux du FMI, affirme que l’utilisation de récoltes alimentaires, en particulier du maïs, pour le bioéthanol est responsable de 40 % de l’explosion des prix de la nourriture.

Le 6 juin prochain va se tenir à Rome un sommet spécial de la FAO. Et la polémique suscitée par le président du Sénégal Abdoulaye Wade qui a qualifié cet organisme de « trou noir inefficace et dévoreur d’argent » n’est pas terminée. Quels devraient être les axes de l’intervention ?

Les instituions de Bretton Wood devraient changer de modèle dans leur politique agricole, et donner la priorité aux investissements pour l"agriculture de subsistance et la production locale, favoriser les infrastructures locales. Les paysans et l’agriculture de subsistance ont trop longtemps été négligés, exclus du processus de développement ; c’est un problème qu’il faut affronter immédiatement. Des gouvernements nationaux, des organisations internationales et des agences de développement bilatérales doivent se donner cette priorité. Mais comment faire quand la majeure part des pays qui ont signé les conventions internationales sur les droits sociaux et culturels est aussi, ensuite, membre de ces institutions qui portent la responsabilité de la catastrophe en cours ?

Quels scénarios imaginez-vous ?

L’augmentation du nombre des réfugiés à cause de la faim. La multiplication des révoltes en Egypte, aux Philippines, en Afrique, en Indonésie. Avant l’explosion de cette situation, il y avait déjà 854 millions de personnes gravement dénutries. Aujourd’hui nous sommes face à ce que Marx aurait défini comme une crise structurale, qui, pour les masses populaires, est aussi un espoir.

interview de GERALDINA COLOTTI

Edition de vendredi 23 mai 2008 de il manifesto

http://abbonati.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/23-Maggio-2008/art35.php3

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

Voir aussi :
http://www.dailymotion.com/video/x14d8m_lempire-de-la-honte-jean-ziegler_events

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COMMENTAIRES  

29/05/2008 15:46 par vladimir

Résolution du Parlement européen du 22 mai 2008 sur la hausse des prix des denrées alimentaires dans l’UE et les pays en développement (extraits) :

La résolution affirme notamment que l’assemblée européenne :

«  est préoccupée par les effets que la spéculation sur les produits alimentaires de bases, notamment par les fonds alternatifs (hedge funds) de matières premières, engendre pour la faim et la pauvreté ; invite la Commission à analyser l’impact de la spéculation sur les prix des denrées alimentaires et à présenter des mesures appropriées sur la base de cette analyse ; »

«  souligne que l’approvisionnement en denrées alimentaires de toutes les personnes partout dans le monde doit prendre le pas sur tout autre objectif ; souligne que les denrées alimentaires devraient être disponibles à des prix raisonnables, conformément à l’article 33 du traité CE ;

«  rappelle la nécessité d’assurer une régulation intérieure et mondiale des marchés agricoles, dans l’intérêt du pouvoir d’achat des consommateurs, des revenus des agriculteurs, des industries de transformation et d’une politique alimentaire durable de l’Union ;

«  rappelle que le premier objectif de la PAC est de garantir la stabilité des marchés, la sécurité et des prix raisonnables pour les consommateurs et souligne la nécessité d’une PAC après 2013, afin d’assurer une politique alimentaire durable de l’Union tout en respectant le caractère durable, la sécurité et la qualité des produits agricoles ;

«  souligne que les stocks actuels de céréales de l’Union permettraient de tenir 30jours au maximum et se demande si le niveau de nos stocks alimentaires est suffisant, en particulier si des crises devaient se produire ; demande à la Commission d’élaborer des stratégies visant à mettre en place des stocks alimentaires pour prévenir les crises à l’avenir ;

«  souligne qu’il convient de donner la priorité aux denrées alimentaires sur les carburants, et que la production de biocarburants doit être liée à des critères de durabilité stricts ; fait observer que ces critères doivent être respectés pour la réalisation des objectifs proposés en matière de biocarburants ;

«  admet que le subventionnement par l’Union des cultures destinées à la production de biocarburants ne se justifie plus, mais souligne, en y insistant, que 2 à 3% seulement des terres agricoles de l’Union sont actuellement affectées à ce genre de production et que les médias accusant les biocarburants d’être à l’origine de la crise alimentaire actuelle font preuve d’exagération, du moins en ce qui concerne l’Union ; reconnaît cependant que la politique menée dans certains pays comme les États-Unis, qui consiste à consacrer davantage de terres à la culture du maïs aux fins de la production de bioéthanol, a eu des répercussions sur le prix et la disponibilité du maïs et d’autres céréales sur le marché alimentaire mondial ; »

«  invite les États membres de l’Union et la communauté internationale à répondre rapidement à l’appel d’urgence extraordinaire lancé par le Programme Alimentaire Mondial (PAM) et à aider celui-ci à relever les nouveaux défis de la lutte contre la faim ; considère néanmoins qu’il convient de réduire la dépendance à l’égard des opérations d’aide alimentaire et souligne donc la nécessité d’une action à moyen et long terme en vue de prévenir de nouvelles conséquences dommageables et de s’attaquer aux racines de cette crise ;

«  demande une augmentation urgente et substantielle des investissements dans l’agriculture, l’aquaculture, le développement rural et l’agro-industrie dans les pays en développement. »

Pour lire l’ensemble de la résolution.

http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P6-TA-2008-0229+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR

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