Paris, le 27 Décembre 2014
Monsieur le Ministre,
Je dois vous faire part de ma stupéfaction devant la déclaration du porte parole du Ministère des Affaires étrangères suite à la décision du Tribunal de l’UE d’annuler l’inscription du Hamas sur la liste des organisations terroristes. Il a en effet déclaré : « la France agira pour que dans les meilleurs délais l’inscription du Hamas sur cette liste soit rétablie ».
Le tribunal de l’UE a pris sa décision en s’appuyant sur le fait que les Etats européens n’ont pas été en mesure de produire « des preuves ou des indices sérieux et crédibles » pour fonder le caractère terroriste du Hamas, qui doivent émaner de décisions d’ « autorités compétentes », notamment policières ou judiciaires. Pourquoi alors cette précipitation au moment où la communauté internationale est appelée à faire pression sur la partie qui ne veut pas la paix, le gouvernement extrémiste israélien ?
La diplomatie française se baserait-elle sur la preuve donnée par Nadine Morano qui vient de déclarer que « Les membres du djihad islamique, donc les partenaires du Hamas », « décapitent les occidentaux » ? Si c’est le cas, il faut qu’elle revoie rapidement sa copie pour éviter le ridicule.
Est-ce pour plaire à Netanyahou qui tente régulièrement de faire l’amalgame entre le Hamas et l’EIIL (« Etat islamique en Irak et au Levant ») « L’EIIL est comme le Hamas. Ce sont les branches d’un même arbre et je peux dire que le monde entier a été choqué par les atrocités commises par l’EIIL. Nous avons vu la décapitation d’un journaliste américain, James Foley. Cela montre la barbarie, la sauvagerie de ces gens. Nous faisons aussi face à cette même barbarie. » ?
Ou peut être en se basant sur la charte du Hamas qui ne reconnaît pas Israël ? Là aussi, deux points importants sont oubliés. Le premier est que le Hamas a participé aux élections et au gouvernement issus des accords d’Oslo et le deuxième est que le Likoud de Netanyahou au pouvoir en Israël affirme que « Le gouvernement israélien rejette complètement l’établissement d’un État arabe palestinien à l’ouest du Jourdain. Les Palestiniens peuvent gérer leurs vies librement dans le cadre d’une autogestion, mais pas en tant qu’État indépendant et souverain. »
En 2008 la France avait tenté une ouverture sur le Hamas. Bernard Kouchner, le Ministre des affaires étrangères de l’époque avait déclaré « Bien sûr, qu’il faut discuter avec le Hamas » mais il a dû vite reculer après que le département d’État ait qualifié ces contacts de « ni sages... ni judicieux ».
Faut-il rappeler que l’inscription du Hamas sur la liste des organisations terroristes répondait à une demande étasunienne au lendemain du 11 septembre qui englobait sous le terme générique de « terrorisme » Etats ou organisations n’ayant rien en commun sinon une hostilité affichée aux Etats-Unis ? Et que la prétendue « guerre contre la terreur » engagée alors a déstabilisé en profondeur tout le Moyen-Orient et entrainé destructions et massacres à grande échelle.
Il est tout à fait consternant de voir la France réagir ainsi, comme par un réflexe qui écarte toute analyse politique, alors que la diplomatie européenne et française en particulier a toujours affirmé soutenir le processus d’entente nationale palestinienne. Lequel suppose de permettre au Hamas de s’intégrer dans le champ politique palestinien et non de l’ostraciser.
Qualifier le Hamas de terroriste parce qu’il a pris une part importante à la défense de Gaza l’été dernier devrait en toute logique amener à s’interroger sur les qualificatifs à appliquer à l’armée israélienne responsable des massacres que l’on sait et dans laquelle servent certains Français pas nécessairement des double-nationaux.
Plutôt que de mettre des obstacles devant la nécessaire unité nationale palestinienne, la France doit s’interroger sur son immobilisme face aux groupes terroristes des colons israéliens comme « Le prix à payer » qui ont multiplié les attaques physiques contre les Palestiniens tout en signant leurs « œuvres » de tags haineux et racistes tels que « Mort aux Arabes, aux chrétiens et à tous ceux qui haïssent Israël . ». Ou encore s’occuper de la Ligue de défense juive (LDJ), interdite aux Etats-Unis, qui ose qualifier de « nazis » les députés ayant voté la résolution sur la reconnaissance de l’Etat palestinien.
Les occasions n’ont pourtant pas manqué pendant cette période de fêtes pour que notre diplomatie joue son rôle en faveur d’une paix juste et durable. Comme par exemple rappeler Israël à l’ordre pour ses violations répétées du cessez-le-feu à Gaza ou encore lui demander réparation pour la destruction le jour de Noël des installations d’irrigation financées par l’Union européenne dans la Vallée du Jourdain. Ou encore désigner clairement les auteurs des « violences qui ont conduit à la mort de Ziad Abu Ein », au lieu de demander aux assassins de mener une enquête sur leur propre crime.
Monsieur le Ministre, j’ose espérer que la France ne s’en tiendra pas au rabâchage d’une position totalement contre productive pour la recherche de la paix.
Elle doit au contraire faciliter par tous les moyens à sa disposition le dialogue national palestinien sans lequel il n’y aura pas de solution politique. Elle doit pour cela saisir la perche tendue par l’autorité judiciaire européenne pour considérer la réalité sans œillères et sortir du mauvais feuilleton ouvert en 2001 quand Ariel Sharon disait en substance « nous avons notre Ben Laden, il s’appelle Yasser Arafat ».
C’est la crédibilité de la France qui est en jeu. Puisse-t-elle ne pas la perdre !
Taoufiq Tahani, président de l'Association "France Palestine Solidarité"