La nouvelle solution du FMI pour sauver son plan
Tous les travaux de la troïka reposent désormais sur un taux de dette publique de 124% du PIB en 2020. À croire que tout tourne autour de cet objectif fantaisiste, tant le Fonds monétaire international (FMI) s’applique à chaque fois à rectifier le tir pour garder cette cible en ligne de mire. La population grecque devrait-elle se satisfaire d’un tel horizon macro économique qui ne tient absolument pas compte de son bien-être ?
Passé les engouements sur la réduction du déficit extérieur, le dernier rapport du FMI sur la Grèce, rendu public fin juillet 2013, confirme que la population grecque reste étranglée par la charge d’une dette publique qui ne cesse d’augmenter. La baisse obtenue en 2012 à "seulement" 156,9 % du PIB, contre 170,3 % l’année précédente est totalement anéantie par un taux qui tourne en 2013 autour de 176 % du PIB. |1|
Alors qu’elle reconnaît à demi-mot son échec retentissant en Grèce, l’institution de Washington affirme de nouveau avoir la solution… Basé sur des pronostics de croissance qui ne cessent d’être revus à la baisse, son scénario "optimiste" repose sur une imaginaire reprise des exportations, des investissements et de la consommation afin d’atteindre ce fameux objectif d’endettement de 124 % du PIB en 2020 avant de passer sous les 110% en 2022, véritable obsession du FMI. Pourtant, ce taux de dette publique ne serait alors que légèrement inférieur à celui atteint 11 ans plus tôt, en 2009, lorsqu’il était de 129,7 % du PIB. Une avancée toute relative donc.
Il est de notoriété publique que les politiques économiques misent en œuvre depuis 3 ans par la troïka se soldent par des échecs flagrants en asphyxiant chaque fois plus la population. Le FMI doit trouver de nouvelles sources d’argent en plus de celles déjà programmées par son plan d’austérité (recettes de privatisations, baisse des dépenses par des coupes claires dans les budgets sociaux, etc.) pour que le pays puisse rembourser ses créanciers. En effet, le FMI estime que les finances publiques grecques auront besoin, en 2014 et 2015, d’une rallonge de près de 11 milliards d’euros pour faire face à leurs besoins de financement. Plus précisément 4,4 milliards d’euros à la fin de l’année 2014 et 6,5 milliards sur l’ensemble de l’année 2015. L’État est sommé de rembourser ses créanciers qui lui ont ouvert des lignes de crédit astronomiques qu’elles qu’en soient les conséquences.
Mais ce n’est pas tout : toujours selon le FMI, un nouvel effacement partiel de la dette publique grecque serait nécessaire dans les deux ans afin que celle-ci puisse redescendre, comme prévu par l’institution, à 124 % du PIB en 2020. Cet allègement serait de l’ordre de 4 % du PIB, soit environ 7 milliards d’euros à charge des partenaires européens. Bien évidemment et comme de coutume, le tout sans qu’aucune des mesures préconisées ne garantisse pour autant la réussite dudit « sauvetage ». D’ailleurs, en dehors de la troïka et du gouvernement grec, qui croit encore en leur efficacité ?
Coup de théâtre et rappel à l’ordre
Le 29 juillet 2013, le comité exécutif du FMI se réunit pour approuver un nouveau versement de 1,72 milliard d’euros (2,27 milliards de dollars) à la Grèce. Une des conditions au prêt porte sur un plan de réduction du secteur public permettant le licenciement de 4 200 employés d’État. |2| Événement inhabituel, le Brésilien, Paulo Nogueira Batista, représentant 11 États d’Amérique centrale et du Sud, |3| s’abstient. « Les développements récents en Grèce confirment nos pires craintes. (…) La mise en place [du programme de réformes] a été décevante dans presque tous les domaines. Les suppositions de croissance et soutenabilité de la dette sont trop optimistes. », dit-il.
Même si le vote de 11 pays d’Amérique centrale et du Sud ne fait pas le poids face aux États-Unis qui conservent leur droit de véto depuis la création de l’institution – ils ne détiennent que 2,61% de droit de vote face au 16,75% des États-Unis – l’affaire bouscule l’habituel ronronnement soporifique propre à ces réunions. Le ministre des Finances brésilien Guido Mantega rassure la directrice du FMI Christine Lagarde sur le champ : cela ne se reproduira plus, le Brésil soutient le FMI dans son action, son représentant n’était pas mandaté pour s’abstenir. |4|
Le ministre rappelle son représentant « immédiatement » afin qu’il explique son comportement... Au lieu d’adopter une attitude de soumission et au-delà de l’incident diplomatique, le Brésil, si son gouvernement le voulait, est tout à fait en mesure d’affronter le FMI d’autant qu’il ne lui doit plus rien. Notons que l’abstention intéressée de Paulo Nogueira Batista fait référence à la crainte d’une perspective de non remboursement par la Grèce du prêt accordé par le FMI et pas à un désir de justice et d’aide désintéressée envers la Grèce.
Un sauvetage… jusqu’à la noyade ?
Il faut bien comprendre que la troïka, avec son « sauvetage » à la Grèce, ne cherche en réalité qu’à lui imposer une cure libérale radicale tout en endettant encore plus l’État afin de museler définitivement les pouvoirs publics. Ainsi, cette nouvelle tranche du FMI s’inscrit dans un vaste plan d’endettement accru de la Grèce à l’égard de la troïka. En effet, la Grèce a reçu le 31 juillet une tranche de prêt de 4 milliards d’euros de la part des autorités européennes : 2,5 milliards d’euros ont été versés par la zone euro via le Fonds européen de stabilité financière (FESF), et un prêt de 1,5 milliard qui arrivera à échéance en 2048, versé par le Mécanisme européen de stabilité (MES), appelé à terme à remplacer le FESF, généré par les banques centrales des pays européens sous forme de restitution à Athènes des intérêts sur la dette grecque. Autrement dit, une partie des intérêts que la Grèce a versé aux pays de l’UE, qui lui ont prêté de l’argent dans le cadre du mémorandum de 2010, lui sera reversée sous forme de prêt. L’Europe libérale va-t-elle pousser le cynisme jusqu’à demander des intérêts sur les intérêts versés par la Grèce ? Ces prêts sont odieux car, outre qu’ils étaient liés à des violations de droits humains, ils étaient alors rémunérés à des taux très élevés (environ 5%). Quand l’Allemagne ou la France se finançaient à 10 ans à 2%, ces pays s’enrichissaient en prêtant à 5% à la Grèce.
Dans la foulée de la fermeture de la télévision publique grecque, |5| on trouve parmi les conditions aux prêts, une nouvelle loi sur la fonction publique, adoptée le 18 juillet à quelques heures de la visite à Athènes du ministre des finances allemand, Wolfgang Schaüble – visite pour laquelle le centre d’Athènes s’est transformé en ‘no man’s land’ surveillé par la police. Cette loi institue le licenciement massif des fonctionnaires en pleine contradiction avec la Constitution grecque et permet le sacrifice de plusieurs milliers d’employés qui devront travailler huit mois avec un salaire réduit avant d’accepter une nouvelle proposition, sous peine d’être mis à la rue. Au total, 4 200 personnes sont concernées : officiers de police municipale, enseignants, gardiens d’écoles... Une loi sur la réforme du code des impôts adopté dans l’urgence le 25 juillet 2013 complète la loi votée le 18 juillet. En maigre compensation, le gouvernement a obtenu des négociations avec la troïka un abaissement provisoire de 10 points de la TVA sur la restauration, à 13 % contre 23 % depuis plus d’un an.
Par ailleurs, entre autres mesures, la troïka prévoit de privatiser les services de transport public d’autobus longue distance, les sociétés de gestion et d’assainissement d’eau à Athènes (EYDAP) et Thessalonique (EYATH), la compagnie de gaz (DEPA), la plus grosse entreprise de raffinerie et distribution de pétrole (ELPE, Hellenic Petroleum S.A), la loterie nationale, l’organisation grecque de pronostics de football (OPAP)…
Après ses échecs successifs pour renverser les crises en Asie en 1997 (en Thaïlande, Indonésie et Corée du Sud) ou ailleurs, le FMI poursuit sa croisade contre la souveraineté des peuples en Europe dont la Grèce est son laboratoire expérimental. Les dernières déclarations du FMI affirmant vouloir réduire les politiques d’austérité ne valent rien et sous couvert d’objectif de réduction de la dette, l’institution de Washington est prête au pire sous le regard avide du parti nazi grec. Afin d’entamer un virage en défense du peuple grec, il faut annuler la dette de la Grèce à l’égard de la troïka car elle est odieuse |6|. Il faut également annuler les autres dettes illégitimes et abroger toutes les mesures anti sociales imposées depuis 2010. La troïka, qui enfonce la Grèce dans une crise humanitaire assassine, doit dégager, vite.
Jérôme Duval