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« Free Assange » : l’action coup de poing de Gilets jaunes devant la prison de Belmarsh

Des Gilets jaunes demandent la libération de Julian Assange devant la prison de haute sécurité de Belmarsh, le 25 janvier 2019. (© Twitter : @Fabien_Rives)

Des Gilets jaunes venus de part et d’autre de l’Hexagone ont traversé la Manche pour soutenir le fondateur de WikiLeaks, enfermé à la prison de Belmarsh. RT France revient sur une opération à l’écho médiatique pour le moins discret.

Quelque part derrière l’un des murs de la prison de Belmarsh, depuis l’aile de l’établissement où il vient d’être placé après une longue période en isolement, Julian Assange les aura-t-il entendus ? Les chances étaient minces mais l’espoir a motivé une petite centaine de Gilets jaunes français à faire le déplacement, pour une action coup de poing, ce 25 janvier, autour de cet établissement pénitentiaire de haute sécurité, situé dans la banlieue est de la capitale anglaise.

Un rendez-vous la veille au soir à porte de la Chapelle (nord de Paris), plusieurs heures de route, des arrêts prévus pour prendre quelques passagers sur le chemin, une attente aux douanes de Dunkerque, la traversée nocturne de la Manche en ferry : après un parcours de plus de dix heures, le trajet touche à sa fin. A travers les vitres embuées des cars, les passagers découvrent une petite poignée de camarades britanniques attelés à la construction d’une cabane devant la prison.

Une fois garés, les deux cars s’allègent de deux petites foules qui enjambent le talus encore bien humide de rosée. La vapeur qu’ils expirent trahit le froid matinal. Les plus actifs aident à mettre en place des installations de fortune pour la journée.

Pas question de « laisser mourir en prison la liberté d’expression »

L’initiative n’est pas la première en son genre. Le 2 mai 2019 déjà, soit trois semaines après l’incarcération de Julian Assange à la prison de Belmarsh où il avait par la suite été placé en isolement, un rassemblement devant le tribunal londonien de Westminster avait été organisé par le Gilet jaune Maxime Nicolle et le conférencier Juan Branco – avocat français du fondateur de Wikileaks – afin de s’opposer à la potentielle extradition du journaliste australien aux Etats-Unis. Le terme d’« extradition » est d’ailleurs contesté par Viktor Dedaj, administrateur du site Le Grand Soir et expert des rebondissements de l’affaire Assange, qui participe à l’action de soutien organisée ce 25 janvier devant la prison de Belmarsh.

« Julian Assange est australien, pas américain », rappelle-t-il, soulignant qu’une extradition consiste à « renvoyer quelqu’un sur le sol où il a commis un crime » : « Julian Assange a opéré sur le sol européen [...] à aucun moment donné il ne s’est trouvé sous la juridiction américaine. […] Il convient à mon avis de parler d’enlèvement, de kidnapping ou de rendition, c’est-à-dire d’une remise forcée. »

Et Viktor Dedaj de dénoncer « l’extraterritorialité » du droit américain dans cette affaire : « Les Américains font semblant que leurs lois s’appliquent à des étrangers. Sous vernis juridique, ils viennent chercher un journaliste qui n’a fait que son métier sur le continent européen », estime-t-il. Après la première action du 2 mai 2019 – suivie d’une opération similaire en octobre de la même année – les Gilets jaunes ont cette fois décidé de venir sur le lieu d’incarcération de Julian Assange, dont l’état de santé suscite de vives inquiétudes, comme en témoigne une tribune signée en novembre 2019 par 60 médecins internationaux, ainsi qu’un texte rédigé par le rapporteur de l’ONU sur la torture, qui qualifiait trois semaines plus tôt les conditions d’incarcération de Julian Assange d’« inhumaines ».

Co-organisatrice de l’opération à la prison de Belmarsh, Corinne, Gilet jaune de Nancy, décrit l’enjeu de l’action à ses yeux. « Le but est de mettre la pression en continu, de ne pas rebondir seulement lors des audiences. Un mois avant la fin des dernières audiences sur l’extradition, c’est très important d’avoir des actions concrètes », déclare cette quinquagénaire engagée qui, malgré les intenses contraintes familiales qu’elle traverse, déploie toute son énergie à soutenir la cause de Julian Assange. Fait notable, la veille de l’arrivée des Gilets jaunes français à la prison de Belmarsh, un porte-parole de WikiLeaks annonçait qu’après une rude bataille menée par des avocats et des militants – ainsi qu’une pétition signée par des détenus de la prison – Julian Assange avait finalement été placé dans une aile de l’établissement abritant 40 autres détenus, après plusieurs mois d’isolement.

De fait, la santé du fondateur de WikiLeaks est le premier motif d’inquiétude des citoyens français qui ont fait le déplacement. « Comment peut-on laisser mourir en prison la liberté d’expression ? », s’interroge par exemple l’écrivain militant Philippe Pascot, qui participe à l’action de soutien.

Evoquant également la santé de Julian Assange, Gina estime elle que l’Australien a « plus que jamais besoin de soutien ». « Il faut le sauver à tout prix », poursuit cette Gilet jaune venue de Normandie.

Ici et là, les participants à l’action expliquent sans ambiguïté les raisons de leur présence. « L’enjeu, c’est que des vérités soient connues du grand public », souligne par exemple la lanceuse d’alerte Françoise Nicolas au micro de RT France. « Je suis réellement choqué par ce qui est en train de se passer [...] On se moque de quelqu’un qui a librement révélé une vérité que les puissants ne voulaient pas entendre », explique le réalisateur de films Laurent Bouhnik, dénonçant le peu de réactions à ce sujet de la part du monde artistique dont il fait partie. « J’enrage en tant qu’artiste car je vois le monde artistique qui regarde ça de loin », s’indigne-t-il encore.

L’art de la détermination

Les citoyens soutenant le fondateur de WikiLeaks sont venus de plusieurs villes de France : Marseille, Nancy, Amiens ou encore Lille. « Ce qui arrive à Julian Assange fait partie d’un système mondial qui est en train de tout tuer », déclare de son côté la Gilet jaune Nicole, venue de Nantes. Sylvie, de Saint-Nazaire, estime pour sa part que la presse mainstream ne parle pas assez du périple que traverse actuellement le journaliste australien. De son côté, Emmanuel, Gilet jaune parisien, juge le travail accompli par Julian Assange nécessaire à une « vraie démocratie » dans laquelle « les citoyens ont besoin de faire des choix éclairés. C’est le rôle des médias d’éclairer les citoyens », analyse-t-il en référence aux révélations effectuées par WikiLeaks.

Malgré l’absence de déclaration officielle, l’action se déroule dans le calme, à l’image des rapports cordiaux qui s’installent dès le début entre Gilets jaunes français et policiers anglais. Bien qu’attachés au respect du cadre légal britannique, les participants à l’opération multiplient les tentatives de faire parvenir leur message de soutien à Julian Assange, qui se trouve derrière l’un des murs de la prison.

De fait, les slogans de soutien au fondateur de WikiLeaks reviennent comme un mantra. « Free Julian Assange », scandent pendant des heures les Gilets jaunes au cours de leurs multiples allers et retours autour de l’établissement de haute sécurité. Plusieurs lieux sont explorés, des passages de fortune s’apparentant à des brèches sont trouvés mais, malgré quelques initiatives audacieuses, la législation du pays sera respectée. Après avoir mené des opérations de sensibilisation auprès des automobilistes dans la matinée, les Gilets jaunes sont plus tard récompensés par des klaxons de soutien, entendus à plusieurs reprises au cours de la journée.

Silence médiatique pour cette fois

Souhaitant être du voyage, RT France a pu constater sur place l’absence de relais médiatiques, qui n’avaient pourtant pas manqué lors des précédentes actions de soutien à Julian Assange coïncidant avec les échéances juridiques le concernant. Absence de faits d’actualité marquants au sujet de Julian Assange ? Action répétitive qui aura fini par lasser les médias traditionnels ? En tout état de cause, au-delà de notre présence, seuls les smartphones de petites structures indépendantes à l’instar du média de Gilets jaunes « Vécu » filmeront le déroulement de l’action en début de journée. Plus tard dans l’après-midi, trois journalistes de médias étrangers (Sputnik, Ruptly, al-Jazeera et Press TV) seront aperçus.

En revanche, l’action de Gilets jaunes venus de l’autre côté de la Manche n’aura visiblement pas attiré la curiosité du paysage médiatique français. Quant aux médias traditionnels britanniques, les militants anglais venus se joindre à l’action regrettent leur absence. Croisé en fin d’après-midi, Bryan s’exprime à ce sujet. « Je sais qu’il y a des journalistes courageux au Royaume-Uni mais, pour la plupart, il semble qu’ils se cachent sous leur bureau par peur de soulever la question », se désole-t-il.

Malgré l’abandon des poursuites par la Suède, Assange reste dans le viseur de Washington

Faute de preuves après l’ouverture d’une enquête préliminaire pour viol, le parquet suédois avait communiqué le 19 novembre l’abandon des poursuites contre le fondateur de WikiLeaks. Si le calvaire juridique suédois de Julian Assange a souvent été présenté comme une affaire de viol, Viktor Dedaj, souligne qu’après avoir consulté les dépositions des deux femmes en question concernant les rapports sexuels qu’elles ont eus avec Julian Assange, « le mot viol n’y est jamais prononcé ».

Coïncidence ? Selon des documents révélés en 2014 par le lanceur d’alerte Edward Snowden, les premières suspicions du parquet suédois visant le journaliste australien pour « sexe par surprise » ont eu lieu au mois d’août 2010, au moment précis où l’administration de Barack Obama venait de solliciter des pays alliés pour l’ouverture d’enquêtes pénales à l’encontre des membres de WikiLeaks et des soutiens de l’organisation. Washington n’avait à l’époque pas apprécié des publications de WikiLeaks compromettantes pour l’administration américaine.

Redoutant plus que tout son transfert vers les Etats-Unis, Julian Assange avait alors choisi en 2010 de se réfugier dans la petite ambassade d’Equateur à Londres, bénéficiant d’un asile politique accordé par Rafael Correa, alors président du pays. Après avoir été confiné presque sept ans – plus précisément 2 487 jours – dans le bâtiment diplomatique, Julian Assange s’est vu retirer son asile politique par Lenin Moreno, le successeur de Correa, le 11 avril 2019, date à laquelle il est immédiatement placé à la prison de Belmarsh par les autorités britanniques. Lors de son incarcération, il a vu sa santé se détériorer significativement au fil des mois. Le fondateur de WikiLeaks encourt aux Etats-Unis une peine allant jusqu’à 175 ans d’emprisonnement pour avoir aidé à rendre publics des centaines de milliers de documents militaires et diplomatiques. En tout état de cause, celui à qui l’on doit les révélations sur les meurtres de journalistes en Irak par l’armée américaine, sur l’espionnage américain des présidents français de 2006 à 2012 ou encore sur les conditions de détention à Guantanamo, n’a jamais mis les pieds sur le sol américain.

Fabien Rives

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