Mais, face à cette situation, quelles sont les alternatives ? Un autre mode de production, de distribution et consommation d’aliments est-il possible ? Avant d’aborder ces questions, il est important de signaler quelques-unes des principales causes structurelles responsables de cette situation.
En premier lieu, un des facteurs qui expliquent la situation de famine des communautés est l’usurpation de leurs ressources naturelles. La terre, l’eau, les semences… ne sont plus un bien public car elles ont été privatisées. La production d’aliments est passée de l’agriculture familiale à l’agriculture industrielle et est devenue un mécanisme d’enrichissement du capital. La nourriture, qui avait pour valeur fondamentale de nous nourrir, a maintenant une valeur marchande. Pour cette raison, et malgré le fait qu’il n’y a jamais eu autant de nourriture, nous n’y avons pas accès à moins d’en payer un prix chaque jour plus élevé.
Si les agriculteurs n’ont plus de terre pour se nourrir, ni d’excédents à vendre, aux mains de qui se trouve l’alimentation mondiale ? Aux mains des multinationales de l’agroalimentaire qui contrôlent tous les échelons de la chaîne de commercialisation. Il ne s’agit pas seulement d’un problème d’accès aux ressources naturelles mais également du modèle de production. On pourrait dire que l’agriculture actuelle est intensive, « drogo » et « pétro » dépendante, kilométrique, délocalisée, industrielle… Tout l’antithèse d’une agriculture respectueuse de l’environnement et des personnes.
En deuxième lieu on trouve les politiques néolibérales appliquées depuis des décennies dans le but d’aider à un plus grand libéralisme commercial, la privatisation des services publics, le transfert monétaire Sud-Nord (par le paiement de la dette externe), etc. L’OMC, la BM, le FMI ont été, entre autres, certains des principaux acteurs.
Ces politiques ont permis l’ouverture des marchés du Sud et l’entrée de produits subventionnés, lesquels, étant vendus en-dessous du prix de revient, donc à un prix inférieur au prix du produit local, ont détruit l’agriculture locale. Ces politiques ont transformé les cultures diversifiées à petite échelle en monocultures pour l’agroexportation.
En troisième lieu, il nous faut signaler le monopole de la chaîne de distribution des aliments. Des megasupermarchés tels que Wal-Mart, Tesco ou Carrefour imposent le prix d’achat des produits à l’agriculteur et le prix de vente au consommateur. Dans l’Etat Espagnol, par exemple, le différentiel moyen entre le prix au producteur et au consommateur est de 400%, la grande distribution empochant les bénéfices. Par contre l’agriculteur vend toujours moins cher sa production, et le consommateur paie davantage à l’achat.
Propositions
Mais des alternatives existent. Pour faire face à l’appropriation des ressources naturelles, il faut favoriser la souveraineté alimentaire : les communautés doivent contrôler les politiques agricoles et alimentaires. La terre, les semences, l’eau… doivent être rendues aux petits agriculteurs pour leur propre consommation et pour la vente de leurs produits aux communautés locales. Ceci nécessite une réforme agraire intégrale de la propriété et de la production de la terre ainsi que la nationalisation des ressources naturelles.
Les gouvernements doivent favoriser la production à petite échelle car elle permettra de régénérer les sols, d’économiser les carburants, de réduire le réchauffement global et d’être maîtres en ce qui concerne notre alimentation. Actuellement, nous dépendons du marché international et des intérêts de l’agroindustrie.
La relocalisation de l’agriculture au profit de l’exploitation familiale est le seul moyen de garantir l’accès de tous aux aliments. Les politiques publiques doivent promouvoir une agriculture locale, durable, biologique, sans OGM, et, pour les produits qui ne peuvent être produits localement, il convient de mettre en place une politique de commerce équitable à l’échelle internationale. Il faut protéger les agro-écosystèmes et la biodiversité, gravement mis en péril par le modèle d’agriculture actuel.
Pour faire face aux politiques néolibérales il faut générer des mécanismes d’intervention et de régulation capables de stabiliser les prix du marché, de contrôler les importations, d’établir des quotas, d’interdire le dumping, et pendant les périodes de surproduction, de faire des réserves spécifiques pour les périodes de manque. Au niveau national, chaque pays doit être son propre maître dans la prise de décision de son degré d’autoproductivité et prioriser la production de nourriture pour la consommation domestique.
Dans le même ordre d’idées, il faut refuser les politiques imposées par la BM, le FMI, l’OMC et les traités de libre échange bilatéraux et régionaux, tout comme interdire la spéculation financière, les opérations à terme, sur la nourriture et la production d’agrocombustibles.
Face au monopole de la grande distribution, nous devons exiger régulation et transparence tout au long de la chaîne de commercialisation d’un produit. La grande distribution a des effets très négatifs sur les petits producteurs, les fournisseurs, les travailleurs, l’environnement, la consommation… Pour cette raison nous devons mettre en place des alternatives au lieu d’achat : aller au marché local, être membre des coopératives de vente agroécologiques, parier sur les circuits courts de commercialisation… qui auront une répercussion positive localement et seront en relation directe avec les travailleurs agricoles.
Il faut s’orienter vers une consommation responsable, car si nous avions tous, par exemple, la même consommation qu’un citoyen des Etats-Unis, il faudrait cinq planètes terre pour satisfaire les besoins de la population mondiale. Mais le changement individuel ne suffirait pas sans une action politique collective basée, en premier lieu, sur la mise en place d’une solidarité entre la campagne et la ville. Si le territoire est dépeuplé et sans ressources, personne ne cultivera la terre, et par conséquent, personne ne produira notre nourriture. La construction d’un monde rural en bonne santé incombe également aux habitants des villes.
Et en deuxième lieu il faut établir des alliances entre les secteurs touchés par la globalisation capitaliste et agir politiquement. Une alimentation saine ne peut être possible sans une loi interdisant les OGM, la déforestation inconsidérée ne prendra fin que si l’on poursuit en justice les multinationales qui exploitent l’environnement… pour ce faire il est important de mettre en place une législation qui priorise les besoins des individus et de l’écosystème face au bénéfices économiques.
Un changement de paradigme dans la production, la distribution et la consommation des aliments ne sera possible que dans un cadre plus large de transformation politique, économique et sociale. La création d’alliances entre les opprimés du monde : les agriculteurs, les travailleurs, les femmes, les émigrés, les jeunes… est une condition indispensable pour avancer vers cet « autre monde possible » que préconisent les mouvements sociaux.
Esther Vivas est auteur de "En campagne contre la dette" (Syllepse, 2008), co-coordinatrice des livres en espagnole "Supermarchés, non merci" et "Où va le commerce équitable ?" et membre de la rédaction de la revue Viento Sur (www.vientosur.info).
** Article paru dans América Latina en Movimiento (ALAI), nº433. Traduit par Josette Moncourier.
EN COMPLEMENT
Cuba : agriculture biologique et relocalisation de l’économie
http://www.legrandsoir.info/spip.php?article6246
La bonne vie à la Havane : la révolution verte de Cuba, par Andrew Buncombe / The Independent
http://www.legrandsoir.info/spip.php?article5369