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Ecologie réelle contre écototalitarisme

Il y a quelques années lors de la « COP21 », le plasticien Oliafur Eliasson installait1 devant le Panthéon à Paris douze blocs de glace (80 tonnes au total) couteusement ramenés du Groenland pour fondre lentement sous nos yeux.

De l’eau a coulé sous les ponts depuis l’époque où l’art contemporain se revendiquait comme un art « transgressif », la version la plus aboutie de « l’art pour l’art » contre l’art « engagé » incarné à l’Est par le « monstrueux » (et finalement bien mal connu) réalisme socialiste. Désormais largement financé, promu, soutenu (non plus par la CIA comme à l’époque mais plus ouvertement) par l’Etat, il est lui-même devenu, c’est incontestable, un art « officiel ». Mieux, c’est devenu l’art « engagé » ... d’une seule cause : le climat. Pensée « totale », expliquant tout, s’infiltrant partout, jusque dans l’art, la « défense du climat » est devenue un paradigme, une forme – disons-le – de « totalitarisme ».

Aucun élève du secondaire ne l’ignore : C’est Hannah Harendt qui intégra au « totalitarisme » dont les nazis se réclamaient, ce qui s’apparentait plutôt en URSS aux conséquences sociologiques et politiques d’une révolution culturelle multiforme où le « social » était devenu central. Ce qui est « totalitaire » pourtant, si ce terme a une quelconque signification politique, ce n’est pas l’existence de facto d’une lutte idéologique entre propagande et contre-propagande, mais celle d’une propagande mensongère permettant, en prétendant servir une cause, la satisfaction de besoins diamétralement opposés à celle ci2. Le juriste nazi Carl Schmidt définissait ainsi le Troisième Reich dans les années trente, avec le sens clairement énoncé qu’a pu lui rétrospectivement donner la philosophe antinazie Simone Weil : « Un régime où le pouvoir d’Etat déciderait souverainement dans tous les domaines, même et surtout dans le domaine de la pensée ».

Il en est sans doute ainsi de l’idéologie écologiste, si on admet avant tout qu’une idéologie ne s’annonce jamais comme telle mais toujours comme une « évidence », une « pensée unique » qu’il serait fou de discuter : Depuis une vingtaine d’années, cette idéologie a réussi à s’infiltrer par tous les pores de notre société, s’imposant aux travailleurs pour mieux les exploiter, jusque dans leur façon de penser la contestation même du système...

De « l’éco » à toutes les sauces...

Les oxymores pullulent quand il s’agit d’imposer à des segments de marché le « commerce équitable », ou d’imposer aux contribuables-consommateurs, avec leur consentement, une « écofiscalité » faite « d’écotaxes », pour favoriser une utopique « écomobilité », une « coparticipation » généralisée (augmentation des prix pour lutter pour le climat), des majorations par « l’écofinance » pour développer « l’écohabitation » pourtant inaccessible chez les plus précaires. On gratifie certains d’une « prime éco-énergie », on subventionne les entreprises pour valoriser leur soi-disant « éco-efficience », et se développe maintenant le curieux sobriquet « d’écoentreprises » pour celles qui vont engloutir nos impôts sans contestation possible, via des torrents de subventions des pouvoirs publics complices.

La crise installée, transformant notre peur de l’avenir en « éco-anxiété », la publicité nous abreuve de produits de consommation en tout genre venant de « l’écoconception » et « l’écodesign » devient omniprésent sur les panneaux publicitaires et dans les rayons de supermarché. Des « écolabels » sont attribués en masse aux marques (par elles-mêmes le plus souvent) et « l’écomarketing » s’enseigne maintenant dans les écoles de commerce comme une nouvelle tendance.

Tout est subitement devenu « naturel » dans nos caddies, tandis que les leaders de la junk food et de l’industrie chimique se parent de logos à feuilles et d’étiquettes verdâtres : Mac Donald’s, Coca Cola, Ariel, mais aussi Total, Renault, etc. etc.
On peut désormais montrer du doigt dans nos quartiers populaires mais aussi hors des frontières dans les pays qui n’ont pas la chance d’appartenir à notre prestigieux continent, ceux qui dérogent, faute d’argent et d’envie, à la consommation « écoresponsable » et au « tri des déchets » (qui alimente le big business du recyclage en évitant les « coûts de main d’œuvre », ou à défaut remplit généreusement les caisses de l’Etat par les contraventions). Ceux qui roulent dans des vieux tacots polluants seront doublement sanctionnés par une « écovignette » prévue à cet effet. A la manière d’une étoile cousue au col, les prolétaires doivent désormais exhiber leur vignette « 3 » ou « 4 » et se voient déjà interdire le stationnement dans les beaux quartiers (comme c’est d’ores et déjà le cas dans la métropole lilloise) : La qualité de vie des quartiers riches n’a pas de prix ! Des radars flashent aussi les voitures polluantes en Belgique, dont les conducteurs payent des amendes substantielles. D’ici à ce qu’on incarcère des syndicalistes en grève pour « crime contre l’environnement » pour avoir brulé des pneus sur un piquet de grève, il n’y a qu’un pas... qui sera vite franchi : On nous promet maintenant des « polices de l’environnement » sur les tracts électoraux notamment macronistes, pour les prochaines municipales, c’est donc une vraie tendance.

Quand il est temps de prendre des vacances, loin des « écogestes » du quotidien et du « zéro déchets » obligatoire dans les magasins hors de prix de centre-ville, c’est « l’écotourisme » qui prend le relai. Si vous êtes malade, il existe à présent des « écoantibiotiques » (qui détruisent toujours nos microbiotes, mais qui sont produits avec des énergies renouvelables et sans déchets), et « l’écopsychologie » pendra en charge vos angoisses puisque nous sommes tous des « êtres malades vivant dans une nature malade ». Jusque dans votre lit, on vous vend désormais « l’écosexualité » (promenez-vous sur Wikipédia si nécessaire pendant la lecture de cet article !) ...
Vous vous révoltez contre cette société de plus en plus invivable, malgré tous ces pansements idéologiques ? De nombreuses théories politiques vous attendent, de « l’écosocialisme » (une révision du marxisme revisité à la mode écolo) à « l’écoféminisme » en passant par les formes les plus radicales « écowarrior » pour les amateurs de sensations fortes ... Il y en aura pour tous les goûts !

La manipulation des masses commence par le « bon sens » et l’épanouissement des bas-instincts

Entendons-nous : le problème de la destruction de l’environnement que nous gérons ou « jardinons » d’une manière ou d’une autre, celui du climat de façon générale, figurent parmi les problèmes majeurs qu’impose l’impérialisme en putréfaction. Mais si les peuples, les prolétariats, les pays du Sud néocolonisés sont en première ligne face à la catastrophe (domination de l’agrobusiness occidental toxique et augmentation des sécheresses dévastatrices), ils en sont toujours désignés aussi (et paradoxalement) comme les premiers responsables par l’écologie politique occidentale ! Pourquoi ne se satisfont-ils pas de « l’austérité heureuse » préconisée par le gourou Pierre Rabhi ? ... C’est bien ce savant tour de passe-passe qui fait du paradigme « pro-climat » un éco-totalitarisme politiquement opérationnel. Il est en effet bien aisé pour des pays impérialistes qui ont délocalisé à tour de bras vers le sud et qui se désindustrialisent exponentiellement, qui par conséquent produisent moins de CO2 qu’avant, de stigmatiser ceux qui n’ont pas encore atteint ce stade !

Bien sûr il ne faut pas confondre le greenwashing généralisé actuel avec l’idéologie « totalitaire » nazie, mais n’oublions pas que pour cette dernière, c’est une réaction juste et légitime dans l’Allemagne des années vingt et trente (la grande crise de 1929 aggravant encore les conséquences sociales dramatiques de l’annexion des mines de la Ruhr par la France et de bien d’autres injustices liées au Traité de Versailles) qui a débouché, sous l’égide du capital financier terroriste, sur la pire barbarie.

Le consentement des masses passe par une stigmatisation redoublée des couches sociales déjà précaires, qui en ont « l’habitude » (le prolétariat toujours désigné comme arriéré, barbare, et chez qui on développe largement la honte et le sentiment d’autophobie), et la valorisation-consolation des couches sociales en cours de précarisation. Comme à la grande période du fascisme dans les années trente, on recherche le soutien de cette petite bourgeoisie avec des arguments adaptés. Leur mépris de classe typique passera par la radicalisation des attitudes écolo, végan, etc. pour se distancier d’un prolétariat « irresponsable », tandis que la chute de leur pouvoir d’achat inexorablement liée à la crise structurelle du capitalisme trouvera dans « l’austérité heureuse » un alibi supportable et même opportunément revendiqué, vecteur d’une conscience de classe (petite bourgeoise) plus forte que jamais.

Si de surcroît, le « communautarisme » (voire le « séparatisme » pour reprendre les mots de Macron) brise l’indispensable union transclassiste pour le climat, si la viande halal contrevient aux principes fondamentaux de la « cause animale », si les pays où l’on en mange ont également un sous-sol riche en énergies non renouvelables productrice de gaz à effet de serre... la petite bourgeoisie porteuse autoproclamée d’intérêts planétaires qui la dépassent, à l’avant-garde de cette lutte pour « sauver la planète », trouvera sans doute facilement (ou a déjà trouvé ?) la « cinquième colonne » basanée qu’il faudra « neutraliser » de toute urgence...
La comparaison ici proposée sera forcément jugée abusive ou excessive. C’est toujours le « bon sens » qui piège insensiblement les masses dans l’idéologie dominante, et la cause défendue est toujours sous sa forme annoncée juste et honorable : par définition, l’identification d’un totalitarisme est toujours rétrospective.

Conditionner avant tout les jeunes générations

Pour annihiler tout sens critique de façon « durable » au sein de toutes ces couches sociales, c’est bien connu, il faut mettre le paquet sur l’éducation et installer le paradigme chaque fois que possible, dès que possible. A titre d’exemple, les nouveaux programmes de SVT (sciences de la vie et de la Terre) au lycée, sont l’occasion de faire du climat une notion centrale, omniprésente quelque soit le sujet abordé. On aborde la géologie avec la question de l’évolution des paysages sous l’effet des variations climatiques. On parle des pandémies et de l’immunité en insistant sur l’arrivée de nouvelles épidémies en Europe reliée au réchauffement climatique. On étudie la génétique humaine avec des exemples d’adaptation progressive des populations aux variations climatiques. Sans parler de la question plus économique que biologique des « services écosystémiques » (cheval de bataille du capitalisme vert « gagnant-gagnant » sur la gestion des écosystèmes naturels) qu’on aborde pourtant en SVT à plusieurs reprises. La liste est longue.

Ex aequo avec la « laïcité militante », les écogestes deviennent structurants dans l’éducation et les « projets d’établissement » en général, avec sans doute en ligne de mire les parents dérogeant à la règle par exemple et que les élèves dénonceront avec, bien sûr, le sentiment de bien faire.

Que penser de sorties nature pour étudier par exemple la « résilience » d’un petit écosystème local après le passage destructeur d’un camp de Roms ? L’exemple existe, et on imagine ce que les élèves retiennent de la communauté concernée, particulièrement « non-écocitoyenne » ... On imagine ce genre d’exemple se généraliser sans que personne n’y voit rien à redire.

Le processus est déjà bien amorcé et si les « manifestations pour le climat » ont tant d’audience auprès des jeunes générations, ce n’est pas sans raison : Où se trouve la subversion voire la transgression dans de telles manifs bien encadrées, qui accueillent parfois des députés macronistes dans leurs rangs et ne subissent jamais de gazages et autres charges de CRS ? On observe déjà dans les classes à quel point ce sont les « bons élèves » qui manifestent le plus d’intérêt pour les questions écologiques et l’engagement militant qu’elles induisent, pendant que les élèves les plus « contestataires » adoptent les attitudes les plus anti-écolo possibles, renforçant encore le fossé sociologique au grand bonheur des diviseurs d’en haut...

Occultant enfin les incontestables succès de l’agroécologie cubaine (totalement absente des manuels de SVT), on insistera au contraire chaque fois que possible sur les catastrophes écologiques de l’URSS (Tchernobyl, Mer d’Aral etc.)3 et la pollution en Chine. Sur le développement de toutes les énergies renouvelables la Chine est pourtant devenue le pionnier incontestable... et jamais cité. C’est donc ici l’occasion d’une nouvelle charge anticommuniste en direction des jeunes, distillant la sinophobie dans toutes les matières où c’est possible (économie, SVT, etc.). Les jeunes doivent adhérer à l’idéologie écologiste, mais ne surtout jamais soupçonner que les solutions se trouvent hors du capitalisme.

Une nouvelle « troisième voie » ?

Confrontée à un décrochage de plus en plus marqué mais tout à fait logique entre la fuite en avant du capitalisme en crise et le niveau d’adhésion de « l’opinion publique » en colère, la classe dominante peut désormais s’appuyer, comme jadis, sur une idéologie s’affichant (pour s’installer dans les masses sans trop de difficultés) comme « anticapitaliste », tout en proclamant radicalement son « antiprogressisme » et son anticommunisme (puisque le « productivisme » serait le fait des deux systèmes et non d’un seul). Comme le fascisme un siècle auparavant, l’écologie politique se présente comme une « troisième voie » attractive, tentant de détourner la colère des couches sociales les plus exploitées ou précarisées, tout en répondant par d’autres voies aux exigences économiques et politiques du grand capital.

Les courants, encore minoritaires certes, de l’extrême droite radicale actuelle sont en phase avec le survivalisme et le retour à la nature et à la tradition, que la « modernité » aurait profané. Ce n’est pas un hasard : Ils sont depuis fort longtemps les champions des « troisièmes voies » ni capitaliste ni communiste.

Mais ce n’est qu’un aspect symptomatique. Le grand enjeu du moment pour l’écologie politique est sans doute de remplacer une autre « troisième voie » aujourd’hui en perte de vitesse (tant les défaites sociales se développent aujourd’hui avec les reculs du mouvement ouvrier) : la sociale démocratie, par définition anticommuniste. C’est elle qui sous Weimar pava la voie au fascisme en Allemagne pour éviter à tout prix l’inexorable montée du « péril rouge », et que les communistes ont jadis qualifié sur la forme de « social-fascisme » (littéralement qui « pave la voie au fascisme » sans en être encore bien sûr).
Il faut donc une caution « morale » confusionnisme au départ de toute dérive autoritaire (songeons à l’étymologie du NSDAP ou parti national « socialiste » !), et nous ne serons pas étonnés de voir dans les injonctions d’un Aurélien Barrau (astrophysicien sans expertise sur le climat mais se parant pourtant de la légitimité du savant) les premiers signes d’une tentation autoritaire : Pour celui-ci, les intérêts supérieurs du « climat » justifieraient des décisions politiques drastiques malgré voire contre les intérêts immédiats de la population, quitte à devenir impopulaire. Le catastrophisme, le millénarisme, proclamés jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, sont la meilleure formule d’une politique n’autorisant absolument aucun doute, aucune opposition (par définition irresponsable et criminelle). Quelle définition plus claire peut-on donner des tentations les plus anti-démocratiques et antipopulaires de nos gouvernements actuels ? Quel meilleur terreau aujourd’hui pour développer en face les pires populismes (et d’ailleurs, au fond, les attitudes les plus anti-écologistes) en réaction à ces passages en force politiques ?

Cet autoritarisme écologiste est-il d’ailleurs si « anticapitaliste » ? Si l’industrialisation des pays du Sud, qui leur permet de sortir du sous-développement et de mieux satisfaire les besoins des peuples par une plus grande indépendance nationale vis-à-vis de l’impérialisme occidental, est perçu comme le nouveau danger majeur pour la planète, le capitalisme occidental en perte de vitesse n’a-t-il pas tout à y gagner ? La « lutte pour le climat » n’est-elle pas la justification globale la plus opérationnelle aujourd’hui pour assujettir, stigmatiser et finalement bombarder les pays du sud qui s’industrialisent et concurrencent progressivement les hégémonies vieillissantes, comme on soumettait jadis les « barbares » pour les « civiliser » (tout en stoppant leur développement économique) ?
La « décroissance »4, version revisitée de l’idéologie malthusienne des deux siècles précédents, ne verrait-elle pas d’un bon œil une réduction drastique (y compris pourquoi pas par la guerre) de la démographie humaine, puisque nous serions aujourd’hui trop nombreux sur Terre ?

Le post-modernisme, terreau philosophique de l’écototalitarisme

Car, en définitive, ce qui est en ligne de mire pour les acteurs de l’écologie politique, c’est bien « l’espèce humaine » : C’est elle qui potentiellement, par son développement historique, une fois les luttes de classe niées, reste responsable des dégâts causés à la « nature ». C’est une rupture concrète et maintenant bien enracinée avec la tradition humaniste et le mouvement « progressiste » en général. Nous pourrions même affirmer que cette rupture antihumaniste atteint aujourd’hui un degré tel qu’il s’agirait plutôt désormais « d’humanophobie » (plus ou moins masquée par de « l’antispécisme » par exemple).

Et cette rupture paradigmatique n’est pas la première dans l’histoire : en tant de crise c’est même un classique. La catégorie de l’humain est subordonnée à celle de « nature » idéalisée, comme elle était jadis subordonnée à celle de race supérieure (reléguant les autres comme des nuisibles à peine humains). L’opposition antidialectique entre « nature et culture », qui fait de l’homme une forme « à part », non naturelle, inopportune, nous enjoint à revenir aux sources des « lois naturelles » contre le « droit », comme on cherchait jadis à ressourcer la race aryenne, « naturellement » forte et féconde (la loi du plus fort) contre les assauts perpétuels des populations jalouses et « parasites » non aryennes : la préservation d’une « race » fantasmée contre le reste de l’humanité n’est-elle pas une forme d’humanophobie jumelle de celle que nous connaissons aujourd’hui, puisque reléguant la notion d’humain au second plan ? Il faut se méfier d’une idéalisation de la « nature pour la nature », d’une nature qui aurait des « droits » inspirés de ses « lois » (loi de la jungle !) : cette vision conduit en droite ligne aux pires barbaries, et nous en avons déjà fait plusieurs fois l’expérience historique.

Cette vision « antiprogressiste », percevant dans toute aspiration au progrès un germe de totalitarisme, est la conséquence directe du développement (largement promu et financé) du post-modernisme et de la french théorie. La toute puissance de la catégorie d’individu, de surhumain (antihumanisme, antiégalitarisme), de la « morale des forts » contre le collectif, l’humain, la « morale des dominés », est le fondement du philosophe le plus à la mode aujourd’hui : Nietzsche. Et ce n’est sans doute pas un hasard si le « nietzschéisme de gauche » (sic) oublie si opportunément que l’auteur de Par-delà le bien et le mal et « La volonté de puissance »5 fut l’icône du Troisième Reich, la caution philosophique des antisémites de l’époque.

A chaque période de crise dans l’histoire, des courants idéologiques traduisant la nostalgie du passé (et la peur sinon la haine de l’avenir) ont pris le dessus. L’écologie politique, comme le fascisme hier, ne déroge pas à cette règle... et le post-modernisme lui a bien préparé le terrain (comme le romantisme nietzschéo-wagnérien hier).

Hostilité vis-à-vis de la science, non naturelle et profanatrice, de l’égalitarisme et de l’esprit collectif d’une espèce auto-couronnée et qui serait destinée à détruire la nature (« péché originel » qu’on peut dater globalement du néolithique !), de la « froideur » productiviste, retour aux « lois naturelles », à la toute puissance de la Nature, à sa beauté, sa résilience, sa bienveillance, sa « force » : l’écologie politique s’inscrit bien dans ce qu’on appelle la tradition « réactionnaire » au sens littéral du terme.

En tête de gondole : le principe post-moderne d’individuation, né dans le sillage d’un Foucault ou d’un Derrida, bref de tous les philosophes (parmi lesquels on trouvera aussi BHL ne l’oublions pas !) qui se sont dressés contre la « domination marxiste » en philosophie et la toute-puissance du « progressisme » (totalitaire) à l’époque du grand reflux contre révolutionnaire antisoviétique de la fin du vingtième siècle. Ce principe rejette catégoriquement l’idée qu’une minorité puisse dominer ou exploiter la majorité et pose au contraire que c’est toujours la « masse » qui domine et stigmatise (dans son identité) les minorités. Il ne s’agit plus de se libérer du joug d’une élite de nantis, mais d’imposer son identité, sa singularité (véganisme, secte paléo, etc.) à la majorité bornée comme une subversion salvatrice. Plus aucun frein à la haine contre les « masses » donc, potentiellement responsable de tous les « crimes contre la nature » par manque de cœur (et non de science), et que chaque individu survalorisé, intégralement narcissique, pourrait maudire en toute impunité.

L’écologie réelle, seule réponse à l’écototalitarisme

Le pouvoir a donc prétexté d’une conséquence majeure de son propre système, l’épuisement et la destruction de l’environnement, pour renouveler à la fois l’offensive (« capitalisme vert ») et sa pseudo-alternative anarcho-réformiste (« écosocialisme », « extinction rébellion », « antispécisme », etc.) à tendance nettement anticommuniste. Se tenir dans la posture de l’ennemi commun aux deux pôles de cette savante contradiction serait sans doute la pire des erreurs politiques : La question écologique est bien un enjeu vital de subsistance dans le Sud, non pas au nom d’un « respect » romantique de la « nature telle qu’elle est » (puisqu’elle se transforme en permanence, y compris et peut être surtout sans l’homme), mais pour rendre « durable » les souverainetés nationales chèrement conquises et jamais garanties, voire comme à Cuba le système socialiste lui-même, ne serait-ce que par la préservation locale des ressources énergétiques et alimentaires contre les embargos impérialistes.

Bien sur à Cuba ou encore en Chine, la protection des ressources naturelles, par une planification écologique sur le plan de l’énergie ou par le développement de l’agroécologie, se bâtit pas à pas, peut être trop discrètement et humblement à nos yeux, pendant que les effets d’annonce au Nord ne se traduisent jamais dans le réel et précèdent en général des reculs inouïs sur les engagements hâtivement proclamés : Car « l’écologie réelle » n’est pas une idéologie, encore moins un paradigme, mais une science, une quête pour trouver un équilibre dynamique entre le développement humain et celui de la nature environnante, garantissant durablement la satisfaction des besoins fondamentaux de chaque humain à partir de ressources renouvelables et des infinies potentialités du vivant qui nous entoure, quand celles-ci ne sont pas épuisées ou détruites par le court-termisme et l’anarchie de la production capitaliste. Cette science nécessite un investissement colossal et de long terme : elle implique donc une planification sérieuse, à des années-lumière des symboliques et maigrelettes éoliennes financées par des miettes de capital dérisoires (et détruisant nos paysages). Seul un pouvoir populaire révolutionnaire peut mener à bien cette lutte pour l’harmonie entre l’homme et la nature que la lutte des classes entravera toujours, tant qu’elle existera. L’écologie ne se proclame pas comme un mantra ou une prière, un vague espoir facile à détourner ou contourner. Elle se construit collectivement et scientifiquement, par un progrès scientifique et technique démultiplié par le renversement des classes dominantes et de leurs intérêts particuliers. Et tant qu’il n’en sera pas ainsi, l’écologie politique ne pourra qu’accélérer et aggraver les catastrophes qu’elle prétend éviter !

(1) Ice Watch, 2016. Oliafur Eliasson
(2) L’idéologie nazie se fondait sur la nécessité d’une « auto-défense » du peuple allemand persécuté par le capitalisme de la grande crise de 1929 et les conséquences sociales dramatiques de l’annexion des mines de la Ruhr par la France et de bien d’autres injustices liées au Traité de Versailles. Voir à ce sujet Johann Chapouteau : La révolution culturelle nazie.
(3) Ces catastrophes sont pourtant à mettre à l’actif d’un tournant post-khrouchtchévien lié à l’alignement assumé de l’industrie et de l’agriculture soviétiques sur le modèle étasunien, rompant notamment avec l’aérobiologie qui y avait cours jusque là (voir Guillaume Suing : L’écologie réelle, une histoire soviétique et cubaine, Delga, 2018).
(4) Rappelons au passage que, selon Jean Ziegler par exemple, aucune famine n’est jamais causée par une démographie excessive face à des ressources limitées, et qu’avec la production actuelle, nous pourrions potentiellement nourrir au moins 15 milliards d’humains. C’est bien la transition démographique liée à un mieux être matériel dans les pays du Sud (et non à une limitation artificielle et non consentie de leur développement économique) qui stabilisera l’humanité face aux ressources limitées de la planète.
(5) Ce n’est pas non plus un hasard si on insiste à ce point sur le fait que La volonté de puissance serait un faux. Le « complotisme » n’est pas toujours honni : il est au contraire tout à fait opportun quand il s’agit de taire la véritable racine idéologique du paradigme ultraindividualiste actuel. Du reste personne ne doute que cet ouvrage est une compilation quasi-posthume de notes véritables de Nietzsche (qu’on prétend surtout « hors contexte » plutôt que falsifiées). La petite sœur nazie du philosophe, incriminée pour ces trucages, serait d’ailleurs, d’après le philosophe spécialiste de Nietzsche Domenico Losurdo, moins antisémite que lui !

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