Dans un entretien aux « Echos », l’avocat pénaliste Alan Dershowitz, professeur de droit à Harvard, qui a notamment défendu Claus von Bülow, Mike Tyson et O. J. Simpson, porte un jugement sévère sur le travail du procureur.
Avez-vous été surpris par la décision du procureur d’opter pour l’abandon des poursuites ?
Pas particulièrement à la lumière de ce que j’avais lu récemment dans la presse. Mais, plus généralement, oui j’ai été surpris car de très nombreuses affaires vont habituellement jusqu’au procès sur des bases beaucoup plus ténues. Il me semble que DSK a obtenu une sorte de traitement spécial. En général, dans un cas typique où une femme déclare avoir été violée et où il y a des questions sur sa crédibilité, l’affaire va jusqu’au procès surtout s’il y a la preuve d’un rapport physique. Il a eu droit à des égards particuliers comme cela arrive dans le cadre d’affaires hypermédiatisées. C’était un cas d’espèce beaucoup plus solide pour l’accusation que celui contre Mike Tyson. Or, Mike Tyson a passé plusieurs années en prison sur la base des déclarations d’un menteur qui avait précédemment accusé à tort quelqu’un de viol.
Comment jugez-vous la manière dont le bureau du procureur Cyrus Vance Jr a conduit la procédure ?
Erratique. Il a été trop brutal au début et trop faible à la fin. C’est inhabituel. Il n’aurait jamais dû inculper DSK aussi rapidement, ni le mettre en prison de la manière où il l’a fait au début, en le faisant défiler devant la presse (« perp walk »). C’était terrible. Il y a eu une précipitation dans le jugement sur l’opportunité de poursuivre, puis une précipitation dans la décision de renoncer à poursuivre. C’est un cas d’espèce exemplaire sur la marge de manoeuvre de l’accusation que je vais enseigner à mes étudiants.
Quelles sont les chances de succès du recours civil introduit par l’avocat de la plaignante ?
Plutôt bonnes, particulièrement du fait qu’il aura lieu devant un tribunal du Bronx où le jury ne sera pas très favorable à DSK et aura plus de sympathie pour la prétendue victime. Ce qui serait très embarrassant c’est si Kenneth Thompson gagne le recours civil et que le jury décide de manière unanime qu’il y a bien eu viol. Le critère de la preuve est différent. Ce qui fera une grande différence c’est qu’il s’agit alors d’une question d’argent et non d’aller en prison.
Croyez-vous encore à la possibilité d’une transaction financière dans le cadre de la procédure civile ?
C’est possible. De toute évidence, Kenneth Thompson s’est mis à dos le bureau du procureur. Mais cela ne devrait pas jouer dans le cadre d’une procédure civile. Cela dit, s’il y a une transaction, même discrète, tout le monde le saura et ce sera perçu comme une forme d’admission de culpabilité.
Le fait que la plaignante ait menti sur un viol préalable dans le cadre de sa demande d’asile n’a-t-il pas joué un rôle majeur ?
Apparemment, les experts de l’immigration disent que le fait d’invoquer une agression sexuelle est très banal dans le cadre des demandes d’asile. Beaucoup de gens qui mentent sont néanmoins violés. J’ai même écrit un roman là -dessus (« The Advocate’s Devil »).
Propos recueillis par P. DE G., Les Echos