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De la prison Abu al Gharib à l’avènement de Daech

Non, je ne me suis pas associé à l’appel de mes compatriotes français musulmans qui ont cru bien faire en criant « pas en mon nom » parce qu’ils n’ont pas, dans un même élan, dénoncer les docteurs Frankeinstein que sont le Qatar, l’Arabie Saoudite, la Turquie et les Etats-Unis , responsables solidairement du chaos moyen-oriental. Et aussi parce que tout musulman, en tant que musulman, n’est pas coupable des errements de tel ou tel de ses coreligionnaires et n’a donc pas à attester son innocence comme s’il devait se désolidariser de « musulmans » qui auraient commis un pêché véniel. Cependant, rien de ce qui est humain ne m’est étranger, toute injustice faite à un être humain ne saurait me laisser indifférent. Les tueurs de Daech sont d’affreux épouvantails, appartenant à une étrange Sainte alliance et leurs sinistres mise en scène ne sauraient nous faire oublier que le drame du Moyen-Orient repose fondamentalement sur l’injustice faite aux peuples de la région, à leur tête le peuple palestinien. Il faut donc dénoncer les véritables responsables.

En effet, à entendre « le clergé intellectuel des Etats occidentaux » (1), relayés quotidiennement par les médias, à entendre les dirigeants occidentaux, Daech serait une génération spontanée de ce qu’il est convenu d’appeler « jihadistes ». Il semblerait que tout ce beau monde civilisé, toujours animé des plus belles intentions humaines, n’a pas vu venir les hordes « barbares ».

D’autre part, quand je vois, dans le cadre de la coalition internationale contre Daech, les dirigeants d’Arabie Saoudite et du Qatar se démener à la suite des tenants « des droits de l’homme et de la civilisation », j’ai l’impression de sortir d’un long coma pendant lequel de grands bouleversements politiques et philosophiques seraient survenus et auraient radicalement transformé les régimes politiques de ces deux Etats du Golfe Arabo-Persique.

Rien de tout cela ! Il n’y a pas de génération spontanée, et grâce à Dieu, je ne sors pas d’un quelconque coma. Le monstre que la coalition internationale prétend vouloir terrasser est assurément la créature d’un docteur Frankeinstein. Mais revenons un peu en arrière, car seul un détour par le passé peut permettre de démasquer ce docteur ou plutôt ces docteurs « Folamour » puisqu’ils sont en fait plusieurs. Deux laboratoires grandeur nature furent les lieux des expériences djihadistes : l’Afghanistan et l’Algérie. Quant aux docteurs Frankeinstein, Deux sont sont idéologues et financiers. Ils sont Saoudien et Qatarien, à la tête de pétro-monarchies d’un autre âge. L’autre, un puissant armurier ; il est états-unien. Aidé par le clergé intellectuel occidental, il excelle à masquer ce qui l’anime, à savoir un impérialisme économique à l’échelle mondiale sous le son des trompettes d’une mission civilisationnelle quasi-divine.

Une mission du type de celles dont le souvenir est encore gravé dans la mémoire de l’héroïque peuple vietnamien, à savoir le bruit des bombardiers B-52 et l’odeur de l’horrible napalm ! Mais le peuple vietnamien serait-il le seul peuple a avoir subi "L’arrogance aveugle de l’Occident »(2) et les atrocités de cette prétendue mission divine des « droits de l’homme et de la démocratie. » ?

Comme le rappelle, Jean Ziegler, "les peuples, se souviennent des humiliations, des horreurs subies dans le passé. » (2). Pour s’en rendre compte, il suffit de penser au peuple irakien qui a subi horreur et humiliation dans un passé tout récent : j’y reviendrai puisque son calvaire se poursuit actuellement.

Un survol rapide de l’évolution politique du monde musulman et particulièrement du monde arabe depuis un demi-siècle permet de se rendre compte que ce n’est qu’au début des années 60 que le fondamentalisme musulman ou ce qu’on appelle tel a pris un réel essor dans le cadre des luttes politiques liées à la construction des Etats post-coloniaux, le rôle des « islamistes » étant d’affaiblir les courants nationalistes arabes progressistes et laïcs, soupçonnés à tort ou à raison d’être les « suppôts du communisme ». Leur audience est restée néanmoins assez faible dans les pays musulmans jusque dans les années 80, après la guerre d’Afghanistan et le Révolution iranienne. Leurs principaux soutiens financiers et militaires étaient et demeurent les pétro-monarchies et les puissances occidentales. Nombre de leurs leaders ont souvent trouvé refuge en Occident. Dans ces mêmes années 80, Londres fut vraiment la capitale du fondamentalisme musulman, notamment égyptien et algérien en dépit des protestations répétées des dirigeants de ces pays. La capitale britannique fut la plaque tournante des Moudjahidines d’Afghanistan et du Pakistan. Il est de notoriété publique que Ben Laden n’est nullement la création d’un Saddam ou d’un Kadhafi mais belle et bien de la CIA. Ces alliances politiques entre pétro-monarchies et puissances occidentales avaient pour objet stratégique la liquidation des éléments modernisateurs, les élites nationalistes et laïques, des sociétés à majorité musulmane. Ces élites-là furent combattues et finalement écrasées par les Occidentaux et leurs alliés locaux. Ce qui explique la montée de l’autre front de défense de ces nations, à savoir le fondamentalisme religieux devenu en quelque sorte réaction de défense identitaire. Le coup d’Etat militaire, mené sous la direction de la CIA, et qui a renversé en 1951 le gouvernement du docteur Mossadegh pour cause de nationalisation du pétrole iranien et de quête de la souveraineté nationale est à cet égard un cas d’école. La CIA mit sur le trône chah Mohammad Reza Pahlavi, un serviteur zélé de Washington jusqu’à son renversement par la révolution islamique de 1979.

Edwy Plenel , dans une colère contenue, en des termes sans ambiguïté, le résume avec clairvoyance ainsi « il suffit de se retourner en arrière sur près de quatre décennies en revisitant le bilan catastrophique de l’action, au Proche et Moyen-Orient, mais aussi autour de la méditerranée, des puissances se réclamant de l’Occident depuis que l’islam politique a surgi en 1979 avec la révolution iranienne, pour prendre la mesure des conséquences désastreuses de cet aveuglement. Tandis que la question palestinienne restait en insupportable souffrance. » (3)

L’aveuglement dont parle Edwy Plenel réside dans le froid cynisme d’une puissance prête à fabriquer des barbares pour garantir sa domination.

La « nouvelle » Libye en est un exemple. Elle sombre de jour en jour dans le chaos et visiblement est en train de devenir un non-Etat, les broussailles tribalistes reprenant de leurs droits et se faisant menaçantes pour longtemps, pourtant « les intellectuels faussaires » (4), continuent à affirmer que l’intervention fut un succès ! La preuve ? Disent-ils, Il n’ y a plus de dictateur ..! Le même argument a été et continue à être asséné s’agissant de l’Irak. Argument inconsistant illustrant une pauvre et cynique pensée oh ! combien dangereuse.

Je ferai l’économie d’une histoire même succincte de la période de la guerre du Golfe, de l’embargo et du mensonge sur l’existence d’armes de destruction massives qui a entraîné une guerre illégale et me bornerai à rappeler les propos scandaleux de Mme Madeleine Albright, Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères sous la présidence de Bill Clinton qui déclara que, pour éliminer Saddam Hussein, la mort de plus de 500.000 enfants occasionnée par le programme « pétrole contre nourriture » relevait d’un « choix très difficile », et précisa : « mais nous pensons que c’est le prix à payer ». On ne ferait pas mieux pour programmer dans le silence un assassinat collectif.

Le prix qu’évaluait Mme Albright a des conséquences qui ne touchent ni le clergé intellectuel occidental ni les dirigeants occidentaux, mais encore une fois les peuples de la région.

Il faut avoir la mémoire courte ou tenir l’ensemble des peuples de la planète dans un singulier mépris pour oublier la profonde signification de la paire de chaussures lancées, en guise d’interview, à la face de George Bush, par le journaliste irakien, Mountazer al-Zaïdi, devenu le héros de tout un peuple.

Il faut être barbare, et décidément ne rien retenir des leçons de l’Histoire, et de l’Histoire contemporaine en particulier, pour croire qu’on peut humilier impunément un peuple comme le décrit un témoin irakien anonyme « J’ai vu l’imam de la plus grande mosquée de Fallujah. Il avait 75 ans. Ils ne se sont pas contentés de le traîner nu, ils lui ont aussi fait porter de la lingerie féminine. Et une autre, encore : ils ordonnèrent à un prisonnier d’uriner avec un sac sur la tête. Quand ils le lui enlevèrent, il vit que c’était son père qui était dessous, et ils photographiaient la scène ». « Une des femmes soldats se déshabilla devant l’imam d’une autre mosquée - dit Ali- et lui demanda d’avoir un rapport sexuel avec elle. Comme il refusait, bien sûr, la femme prit un pénis artificiel et le viola ».

Comme hier El kaïda, instrument de la lutte contre l’Union soviétique en Afghanistan, Daech est une création des principaux acteurs de ladite coalition internationale contre Daech, instrument d’une nouvelle configuration géo-politique moyen-orientale fondée sur l’affaiblissement sinon la destruction de tout Etat ou force politique qui ait une velléité de sauvegarder sa souveraineté politique et économique. Cette coalition internationale qui se présente en définitive comme une étrange Sainte alliance a pour but stratégique d’affaiblir l’influence iranienne en Irak. D’autre part, à partir de la ville syrienne Ain Elarab (Kobané pour les Kurdes), de créer les conditions militaires pour, objectif premier poursuivi mais caché, abattre le régime syrien, puis affaiblir le Hezbollah et d’une manière plus générale la résistance libanaise et palestinienne. (5).

Contenir l’Iran dans ses frontières et ainsi réaliser, l’ objectif stratégique : perpétuer l’ordre impérialo-sioniste sur un « nouvel Moyen-Orient » bâti sur les décombres du Moyen-Orient de Sykes-Picot. Cela prendra du temps mais les Etats-Unis comme l’Etat d’Israël, « ne sont pas dans le système internationale, ils sont au-dessus. Surplombant les nations, ils sont prêts à être les porteurs de la Loi. » (6)

Quelle est la place de la France dans ce désordre régional ?

La France qui nous avait habitués, sinon à une attitude impartiale du moins à une attitude mesurée, plus soucieuse de légalité et de paix, fait désormais piètre figure. Souvenons-nous de la position mémorable qui avait été celle du Président Chirac et de son Ministre des Affaires étrangères Dominique De Villepin, à savoir le non à la guerre. Mesurons aujourd’hui tout le chemin parcouru par l’ensemble des dirigeants qui se sont succédé depuis lors à la tête de la France, abstraction faite de leur étiquette politique, pour constater qu’ils ont rabaissé la « patrie des droits de l’homme » à un simple sous-traitant états-unien ... De toutes les analyses de la classe politique française sur la situation actuelle au Moyen-Orient, seule celle de D. De Villepin mérite une attention. Elle est lucide et pertinente mais son application ne peut être l’œuvre d’un Etat « fondu dans l’Otanie, avec son commandant en chef à la Maison Blanche. Il décide, et on fait (ou alors on ne fait rien). » (7)

Pendant ce temps, l’Etat d’Israël...

Mohamed El Bachir

(1) Jean Bricmont : Noam Chomsky, activiste. Suivi de Les intellectuels et l’État, Aux forges de Vulcain, 2014

(2) Jean Ziegler : La haine de l’Occident. Editeur Albin Michel :2008.

(3) Edwy Plenel : Pour les musulmans.Essai . Editeur La découverte : 2014.

(4) Pascal Boniface : Les intellectuels faussaires. Jean-Claude Gawsewitch Editeur : 2011.

(5) El Bachir Mohamed : Liban : guerre civile ou déflagration régionale – Mondialisation. CA

(6) Richard Barnet : The Roots of war, cité par Edward Said dans Culture et impérialisme. Fayard Monde Diplomatique : 2000

(7) Régis Debray : “ Erreur de calcul ”. Monde diplomatique (Octobre 2014).


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