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D’Arbenz, 1954, à Zelaya, 2009 : Chiquita en Amérique Latine (counterpunch)

Quand l’armée du Honduras a renversé le gouvernement démocratiquement élu de Manuel Zelaya, il y a deux semaines (NDT ; un peu plus maintenant !), il y eut un soupir de soulagement dans les conseils d’entreprise de Chiquita Banana. Un peu plus tôt cette année, la compagnie basée à Cincinatti s’était jointe à Dole [1] pour critiquer le Gouvernement de Tegucigalpa qui avait augmenté le salaire minimum de 60%. Chiquita se plaint que la nouvelle législation rend ses frais plus élevés qu’au Costa Rica et diminue ainsi les profits de la compagnie : pour être exact, 20 centimes de plus pour produire un cageot d’ananas et 10 de plus pour un de bananes. Chiquita se lamente qu’elle perdra plusieurs millions à cause de la réforme de Zelaya puisqu’elle produit environ 8 ou 22 millions de caisses d’ananas ou de bananes par an, respectivement.

Quand le décret sur le salaire minimum a été publié, Chiquita a cherché de l’aide et appelé le Conseil Hondurien de l’Entreprise Privée, connu sous son acronyme Espagnol COHEP. Comme Chiquita, le COHEP était mécontent des mesures de Zelaya sur le salaire minimum. Amilcar Bulnes, le président du COHEP, disait que si cette mesure était appliquée, elle forcerait les patrons à licencier des employés et ferait monter le taux de chômage du pays. Le COHEP, l’organisation d’affaire la plus importante du Honduras, regroupe 60 chambres de métiers et de commerces dans tous les secteurs de l’économie Hondurienne. Selon son propre site Web, le COHEP est le bras politique et technique du secteur privé Hondurien, qui établit les accords de commerce et assure "un soutien essentiel au système démocratique".

La communauté internationale ne doit pas prendre de sanctions économiques contre le régime de Tegucigalpa issu du coup d’Etat, dit le COHEP, car cela aggraverait les problèmes sociaux au Honduras. Dans son nouveau rôle de porte-parole des pauvres du Honduras, le COHEP déclare que le Honduras a déjà assez souffert de tremblements de terre, de pluies diluviennes et de la crise financière mondiale. Avant de sanctionner le Honduras à coup de mesures punitives, déclare le COHEP, l’ONU et l’Organisation des Etats Américains devraient envoyer des observateurs au Honduras pour analyser comment ces sanctions pénaliseraient les 70% de Honduriens qui vivent dans la pauvreté. En même temps, Bulnes a apporté son soutien au coup d’Etat de Roberto Micheletti et déclaré que les conditions au Honduras n’étaient pas propices au retour d’exil de Manuel Zelaya.

Chiquita : d’Arbenz au Bananagate

Il n’est pas étonnant que Chiquita recherche et s’allie aux forces politiques et sociales les plus rétrogrades du Honduras. Colsiba, la Coordination Latino-Américaine des Syndicats des Bananeraies, dit que la compagnie fruitière n’a jamais accordé la moindre protection à ses travailleurs et s’est toujours abstenue de signer des conventions collectives de travail, que ce soit au Nicaragua, au Guatemala ou au Honduras.

Colsiba compare les conditions infernales de travail dans les plantations de Chiquita aux camps de concentration. Bien que provocante, cette comparaison contient une part de vérité. Les femmes travaillent dans les plantations de Chiquita de 6 heures du matin à 7 heures du soir, leurs mains brûlant dans des gants de caoutchouc. Certains ouvriers sont âgés de 14 ans. Les travailleurs de la banane d’Amérique Centrale ont poursuivi Chiquita pour avoir été exposés au DBCP (DiBromoChloroPropane), un dangereux pesticide utilisé dans les plantations, et qui provoque la stérilité, des cancers et des malformations à la naissance.

Chiquita, anciennement connu comme la United Fruit Company puis United Brands, a une longue et sordide histoire dans la politique de l’Amérique Centrale [2]. Dirigée par Sam Zemuray ou "Banana Man", United Fruit entre dans le business de la banane au début du 20ème siècle. En ce temps, Zemuray a émis la célèbre remarque "Au Honduras, un mulet coûte plus cher qu’un membre du Parlement". Dans les années 1920, United Fruit contrôle 650.000 acres (environ 250.000 hectares) des meilleures terres du Honduras, à peu près le quart des terres cultivables du pays. En plus, elle contrôle d’importantes routes et voies ferrées.

Au Honduras, les compagnies fruitières étendent leur influence dans tous les domaines, y compris militaires et politiques, ce qui leur a valu le surnom de pieuvre. Ceux qui ne jouaient pas le jeu de ces corporations étaient souvent retrouvés la face contre le sol dans les plantations. En 1904, l’humoriste O. Henry inventa le terme "Républiques Bananières" pour désigner la célèbre United Fruit Company et ses actions au Honduras.

Au Guatemala en 1954, United Fruit a soutenu le coup d’état militaire fomenté par la CIA contre le Président Jacob Arbenz, un réformateur qui avait mis en train un ensemble de réformes agraires. Le renversement d’Arbenz généra plus de trente ans d’instabilité et de guerre civile au Guatemala. Plus tard en 1961, United Fruit prêta ses bateaux aux exilés Cubains entraînés par la CIA pour renverser Fidel Castro à la Baie des Cochons.

En 1972, United Fruit (alors renommée United Brands) propulse au pouvoir le Général Hondurien Oswaldo López Arellano. Le tristement célèbre scandale du "Bananagate" , pots-de-vin versés par la United Fruit à Arellano, oblige le dictateur à partir. Un grand jury fédéral a accusé United Brands d’avoir soudoyé Arellano avec 1.25 million de dollars, et la promesse d’un second versement identique si le militaire acceptait de réduire les taxes sur les exportations de fruits. Pendant le scandale du Bananagate, le Président de la United Fruit est tombé d’un gratte-ciel de New York, apparemment un suicide.

La prospérité des années Clinton et la Colombie

United Fruit a aussi des affaires en Colombie et pendant ses opérations en Amérique du Sud y a développé des façons de faire aussi marquées. En 1928, 3.000 travailleurs se mirent en grève contre la compagnie pour demander de meilleurs salaires et conditions de travail. La firme refuse initialement de négocier, mais cède finalement sur des points mineurs, déclarant les autres revendications "illégales" ou "impossibles". Quand les grévistes ont refusé de cesser le mouvement, l’armée a ouvert le feu, faisant de nombreux morts.

Vous pourriez croire qu’après cela Chiquita aurait revu sa politique envers les travailleurs, mais vers la fin des années 90 la compagnie s’est adjoint des alliés inquiétants, en particulier des paramilitaires d’extrême droite. Chiquita a payé plus d’un million de dollars à ces hommes. Pour sa défense, Chiquita a déclaré qu’elle payait juste les paramilitaires pour sa sécurité.

En 2007, Chiquita a versé 25 millions de dollars d’amende après une enquête du Département de la Justice sur ces paiements. Chiquita fut la première compagnie de l’histoire des USA jugée coupable de liens financiers avec une organisation terroriste.

Dans un procès contre Chiquita, les victimes de la violence paramilitaire ont affirmé que la compagnie avait encouragé des atrocités comme le terrorisme, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Un défenseur des plaignants a dit que les relations de Chiquita avec les paramilitaires "avaient pour but de s’assurer le contrôle de tous les aspects de la distribution et de la vente des bananes en faisant régner la terreur".

A Washington D.C., le chef de direction de Chiquita, Charles Linder, s’est occupé de démarcher la Maison-Blanche. Linder a été un grand bailleur de fonds du Parti Républicain avant de couvrir d’argent le Parti Démocrate et Bill Clinton. Clinton dédommagea Linder en soutenant militairement et sans réserves le gouvernement d’Andrés Pastrana (Président de la Colombie de 1998 à 2002) qui régna pendant la période de prolifération des escadrons de la mort d’extrême droite. A cette époque, les USA établissaient leurs programmes de libre échange commerciaux avec leurs "amis" d’Amériques Latines, sous la supervision stratégique d’un vieil ami d’enfance de Clinton, Thomas McLarty ou "Mack". McLarty était secrétaire Général et Envoyé Spécial en Amérique Latine de la Maison-Blanche. C’est un personnage intriguant dont je reparlerais bientôt.

La filière Holder-Chiquita

Etant donné le passé trouble de Chiquita en Amérique Centrale et en Colombie, il n’est pas surprenant que la compagnie ait voulu s’associer à la COHEP au Honduras. En plus de courtiser les milieux d’affaires au Honduras, Chiquita a aussi cultivé les relations avec des puissantes firmes juridiques à Washington. Selon le Center for Responsive Politics (Centre pour une Politique Réactive), Chiquita a déboursé 70.000 dollars en frais de lobbying auprès des compagnies Covington et Burling pendant ces trois dernières années.

Covington est une puissante firme juridique qui conseille les sociétés multinationales. Eric Holder, le Procureur Général actuel, un co-président de la campagne d’Obama et ex-Procureur Général Adjoint sous Bill Clinton, était jusqu’à peu un conseiller de cette firme. Chez Covington, Eric Holder a défendu Chiquita comme conseiller principal dans son procès avec le Ministère de la Justice. De son perchoir au nouveau et élégant siège de la direction de Covington, près de l’immeuble du New York Times à Manhattan, Holder a préparé Fernando Aguirre, le directeur général de Chiquita, pour un entretien avec "60 Minutes" [3] sur les escadrons de la mort Colombiens.

Holder fit plaider la compagnie fruitière coupable sur un point, "son implication dans des transactions avec une organisation terroriste mondiale reconnue". Mais le juriste, qui touchait un salaire conséquent à Covington, plus de 2 millions de dollars, négocia un marché de rêves dans lequel Chiquita ne paya que 25 millions de dollars sur cinq ans. Scandaleusement, aucun des six officiels de la compagnie qui avaient approuvé les paiements n’alla en prison.

Le cas curieux de Covington

Creusez un peu et vous trouverez que Covington non seulement représente Chiquita, mais est aussi une sorte de centre névralgique utilisé par la droite dans ses tentatives de promouvoir une politique étrangère déstabilisatrice en Amérique Latine. Covington a mené une alliance stratégique importante avec Kissinger (Chili, fameuse année 1973) et les Associés McLarty (oui, le même Mack McLarty que celui de Bill Clinton), une firme internationale de conseil en stratégie renommée.

De 1974 à 1981 John Bolton à été associé chez Covington. En tant qu’ambassadeur des Etats Unis aux Nations Unies sous George Bush, Bolton fut un critique féroce de la gauche en Amérique Latine, par exemple d’Hugo Chavez au Venezuela. De plus, il y a peu, John Negroponte est devenu le vice-président de Covington. Negroponte est un ancien secrétaire d’Etat Adjoint, directeur du Renseignement National et ambassadeur des USA aux Nations Unies.

Negroponte, en tant qu’ambassadeur des USA au Honduras de 1981 à 1985, a joué un rôle majeur dans l’aide des USA aux rebelles de la Contra qui voulaient renverser les Sandiniste au Nicaragua. Des défenseurs des droits de l’homme ont accusé Negroponte d’ignorer les violations de ces droits commises par les escadrons de la mort du Honduras, qui ont été payés et en partie entraînés par la CIA. Bien sûr, quand Negroponte était ambassadeur, l’immeuble qu’il occupait à Tegucigalpa est devenu un des plus grands centre névralgique de la CIA en Amérique Latine avec un décuplement de son personnel.

Bien qu’il n’y ait aucune preuve reliant Chiquita au coup d’Etat récent au Honduras, il y a une convergence de faits troublants et de politiciens importants impliqués pour exiger une enquête plus poussée. Du COHEP à Covington, en passant par Holder, Negroponte et McLarty, Chiquita a recherché des amis haut placés, amis qui n’ont aucun penchant pour les politiques progressistes sur le travail soutenues par le régime de Zelaya à Tegucigalpa.

NIKOLAS KOZLOFF

Traduction Laurent EMOR pour le Grand Soir http://www.legrandsoir.info

Nikolas Kozloff est l’auteur de Revolution ! South America and the Rise of the New Left (Révolution / L’Amérique du Sud et la montée de la nouvelle gauche) (Palgrave-Macmillan, 2008). Consultez son blog sur http://senorchichero.blogspot.com .

[1] Historiquement la Dole est la "Hawaiian Pineapple Company" qui s’installe à Hawaï en 1851 où elle est soupçonnée d’avoir participé à l’éviction de la dernière reine d’Hawaii et aidé les États-Unis à en faire un de ses territoires.

[2] Lire "Le pape vert" de Miguel Angel Asturias (Albin Michel, 1956)

[3] 60 Minutes, un magazine télévisé d’information américain produit par CBS News et diffusé par CBS est régulièrement en tête des sondages d’audience.

»» http://www.counterpunch.org/kozloff07172009.html
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