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« Contrairement à la guerre, la paix n’est pas une activité rentable »

Mohsen Abdelmoumen : Dans votre livre magistral «  Britain’s Secret wars » , vous démontrez la face cachée de la politique britannique et son implication directe dans des conflits majeurs via ses services de renseignement. Ne pensez-vous pas que la Grande Bretagne est responsable, comme son allié les USA, du chaos qui règne dans des zones comme le Moyen Orient et le Sahel ?

Le Dr. T. J. Coles : Oui. La Grande-Bretagne a des responsabilités à la fois historiques et contemporaines dans une grande partie du carnage au Moyen-Orient, en Asie centrale et ailleurs. Il y a différents degrés de responsabilité. Lorsqu’un gang commet un crime, par exemple un meurtre et un vol à main armée, chaque membre du gang est condamné par un tribunal en fonction de son degré de participation au crime. La personne qui a appuyé sur la gâchette est le meurtrier, son associé est le complice, etc. Le même principe s’applique ou, si nous nous soucions de moralité, devrait s’appliquer aux affaires internationales. À l’heure actuelle, les États-Unis sont la superpuissance mondiale. Ils assument donc l’essentiel de la responsabilité pour envahir l’Afghanistan, lancer des drones sur des Pakistanais, des Somaliens et des Yéménites, envahir l’Irak et utiliser des terroristes par procuration en Syrie et en Libye.

Mais la Grande-Bretagne et plus récemment la France sont également impliquées. Les dirigeants de ces pays doivent donc également assumer la responsabilité de leurs actes.

En ce qui concerne la Grande-Bretagne, le Royaume-Uni a une longue histoire d’utilisation de la violence contre les Arabes, les Kurdes et les autres peuples de la région. L’Afghanistan n’a jamais envahi le Royaume-Uni, mais les récentes opérations militaires britanniques en Afghanistan marquent la quatrième invasion de ce pays en moins de 200 ans. Historiquement, le Royaume-Uni voulait s’assurer que l’Afghanistan servirait de voie commerciale et de rempart contre les invasions de sa principale prise coloniale, l’Inde. Lors de la Troisième Guerre anglo-afghane (1919), les colonisateurs qui utilisaient les forces aériennes britanniques nouvellement créées s’interrogeaient sur « les règles applicables à ce type de cricket » (Sir John Maffey), ce qui signifie le meurtre fortuit d’Afghans par la puissance aérienne. La même chose s’applique à l’Irak. La Grande-Bretagne a essentiellement envahi l’Irak à la fin des années 1830, lorsque des navires de commerce armés ont navigué sur les fleuves Tigre et Euphrate, apportant ce que les colonialistes ont qualifié de « civilisation » aux « fils de l’anarchie » (secrétaire particulier de Sir Percy Cox, R.E. Cheeseman). Dans les années 1920, la puissance aérienne britannique a été également utilisée contre les Irakiens. Les colonialistes de l’époque appelaient cela « fesser » les vilains irakiens, qu’ils considéraient comme des enfants (administrateur colonial, B.H. Bourdillon). À ce moment-là, les intérêts de la Grande-Bretagne en Irak, en Iran et dans ce qui devint l’Arabie saoudite se référaient aux réserves de pétrole de ces pays.

Ce genre de responsabilité directe pour les atrocités commises contre des sujets coloniaux a perduré jusque après la Seconde guerre mondiale, lorsque les États-Unis sont devenus une superpuissance et ont soumis un nombre croissant de peuples, en particulier en Amérique latine, mais de plus en plus au Moyen-Orient, qui a été reconnu comme étant le centre pétrolier du monde. La Grande-Bretagne et les États-Unis ont tué au moins un demi-million d’enfants irakiens dans les années 1990, puis ont assassiné un autre million de personnes lors de l’invasion « shock and awe » (ndlr : de choc et d’effroi) menée par les États-Unis en 2003 et de la déstabilisation du pays déjà fragile qui a suivi. Les médias occidentaux ont tout simplement supprimé les nouvelles que les gouvernements de marionnettes anglo-américaines, en particulier celle de Nouri al-Maliki, étaient aussi mauvais en termes de violations des droits de l’homme que Daesh, l’État islamique, qui est arrivé sur la scène quelques années plus tard. Sous Al-Maliki, dont les forces étaient armées et entraînées par la Grande-Bretagne et les États-Unis, un millier d’Irakiens ont été condamnés à mort, dont beaucoup d’étudiants, de syndicalistes, de militants, etc. La police torturait des prisonniers avec du verre brisé et des foreuses. De nombreux journalistes ont été tués. Amnesty International et Human Rights Watch en ont parlé, mais la plupart des médias ne l’ont pas fait.

En fait, le public britannique, grâce à l’omission des faits par les médias, sous-estime l’ampleur des dommages causés à l’Irak après 2003, et même avant avec les sanctions. Selon un sondage effectué il y a quelques années, la plupart des Britanniques pensaient que 10 000 Irakiens étaient morts alors que des études épidémiologiques estiment que plus d’un million de personnes ont perdu la vie.

Parmi la soi-disant intelligentsia, il y a une maigre reconnaissance du fait que le genre de crimes commis il y a plus d’un siècle ont bien eu lieu et qu’ils étaient moralement inacceptables. Richard Gott est l’un de ces historiens. D’autres, cependant, comme Niall Ferguson, continuent à utiliser un langage raciste. Il a décrit l’Iraq comme un « bac à sable brûlé par le soleil » et ridiculisé ce qu’il a appelé la « culture politique attardée » du Moyen-Orient (cité depuis son livre Colossus).

Mais essayez de trouver une critique soutenue de la politique étrangère britannique en ce qui concerne les guerres plus modernes, en particulier les moins connues. Il y a à peine dix ans, le Royaume-Uni, en dehors du soutien des intérêts des États-Unis, a participé à un nettoyage ethnique. En 2013, j’ai été le premier chercheur ou journaliste – écrivant dans le journal américain Peace Review – à documenter des livraisons d’armes britanniques au gouvernement cinghalais du Sri Lanka. La Grande-Bretagne a vendu les armes avant, pendant et après le nettoyage ethnique par le gouvernement cinghalais de 40 000 civils tamouls entre mars et avril 2009. Depuis lors, une seule autre personne, le journaliste Phil Miller, a documenté la participation britannique. Mais la recherche de Miller est apparue dans les médias alternatifs, pas dans les médias grand public. Miller – qui me déteste pour une raison ou pour une autre – a récemment pu publier un article dans le Guardian sur le rôle historique de la Grande-Bretagne au Sri Lanka, dans les années 1970, mais il n’a pas pu en dire beaucoup sur les crimes actuels ou récents commis dans ce pays. Telle est la nature des médias. La même chose se passe maintenant en Birmanie (Myanmar). Personne ne rapporte le fait que les forces armées britanniques entraînent l’armée birmane à un moment où elle procède à un nettoyage ethnique du peuple Rohingya.

L’intervention franco-britannique en Libye qui a déstabilisé le Sahel et toute l’Afrique et qui a semé le chaos n’est-elle pas une faute politique grave dont doivent répondre devant un tribunal les responsables politiques à savoir le Président Sarkozy pour la France et le Premier ministre David Cameron pour la Grande Bretagne ?

Il y a un schéma. C’est également reconnu par le journaliste belge Michel Collon. Premièrement, les États-Unis et la Grande-Bretagne organisent, entraînent, arment et instruisent un réseau terroriste. Ensuite, ils qualifient ce réseau terroriste de « combattants de la liberté » ou de « rebelles modérés ». Ils ordonnent ensuite ou autorisent ce réseau à attaquer le gouvernement d’une nation souveraine. Rien de tout cela n’a été rapporté dans les médias occidentaux, ainsi les politiciens et le public qui pourraient autrement savoir ce qui se passe réellement et s’opposer à la guerre restent ignorants de la tourmente géopolitique créée par les terroristes à la solde des Occidentaux. Le gouvernement souverain attaqué par les terroristes tente alors de défendre ses intérêts, en utilisant la violence pour le faire. Ce n’est qu’alors que les médias occidentaux font état de la situation. Ils rapportent la violence du gouvernement qui se défend, ignorant toutes les provocations des terroristes proxys. Enfin, les gouvernements occidentaux travaillant avec les terroristes lancent un appel à « une intervention humanitaire ». Le plaidoyer consiste à sauver des civils innocents depuis un gouvernement étranger qui défend en fait ses propres intérêts.

Autant que je sache, ce modèle a été mis en place en Serbie en 1999. Il y avait une région de Serbie, le Kosovo, composée principalement de Kosovars-Albanais. C’étaient des civils ordinaires qui n’étaient pas particulièrement nationalistes. La majorité semblait vouloir rester serbe. Mais les États-Unis et la Grande-Bretagne voulaient séparer la Serbie car il y avait un pipeline d’énergie qui s’y croisait. Les États-Unis ont donc construit le camp militaire Bondsteel à l’intersection. Celui qui allait devenir secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Schefer, a déclaré des années plus tard que les sociétés énergétiques avaient essentiellement incité l’OTAN à « intervenir » en Serbie. « Soyons heureux que le gaz circule à nouveau », a-t-il déclaré. Ainsi, les États-Unis et la Grande-Bretagne, utilisant la société de relations publiques Ruder Finn, ont constitué l’Armée de libération du Kosovo (UCK) pour attiser les sentiments sécessionnistes au Kosovo. Les dirigeants de l’UCK ne cachaient pas leur intention d’attaquer des cibles gouvernementales et même civiles. En outre, plusieurs rapports de la Bibliothèque de la Chambre des Communes britannique publiés avant le bombardement de l’OTAN le confirment.

Lorsque le chef de la Serbie, Milošević, a réagi par la violence, les États-Unis et la Grande-Bretagne, ou « la communauté internationale », ont fait état d’allégations de plus en plus absurdes selon lesquelles des dizaines de milliers de civils kosovars-albanais avaient été tués par Milošević. Aucune preuve n’a été fournie. Le gouvernement britannique de l’époque a confirmé que 2 000 personnes des deux côtés avaient été tuées dans la guerre civile : pas des centaines de milliers de Kosovars, comme on nous l’a dit. En violation du droit international, l’OTAN a commencé à bombarder la Serbie en mars 1999. L’OTAN a tué quelques milliers de personnes – nous ne le savons pas vraiment car nous n’enquêtons pas sur nos propres crimes – et a laissé des dizaines de milliers de bombes à fragmentation – des petites bombes à grappes pouvant être emportées par le vent – dispersées dans les champs de Serbie sur lesquelles les enfants peuvent marcher et se faire exploser, selon la Croix-Rouge. Voilà pour l’intervention humanitaire.

Le même schéma s’est répété en Libye. Pendant des années, le Royaume-Uni a abrité des fanatiques islamistes comme Anas al-Libya et Ramadan Abdei à Londres et à Manchester. Le journal de droite Daily Mail a rapporté qu’en octobre 2010, les Britanniques entraînaient des forces anti-Kadhafi dans une « ferme » – ce qui signifie camp d’entraînement dans la nomenclature du renseignement. Parallèlement, les Britanniques ont continué à former et à armer les forces de Kadhafi car, en 2004, Kadhafi avait accepté de laisser les sociétés énergétiques occidentales exploiter les ressources libyennes. Mais les mêmes entreprises impliquées dans l’exploitation de l’énergie libyenne se sont plaint du fait que les « réformes » de privatisation de Kadhafi étaient trop lentes. Au même moment, les États-Unis étaient en train d’activer pour un changement de régime en Syrie en finançant l’opposition à Bachar al-Assad. La date d’octobre 2010 est importante car elle précède le printemps arabe libyen d’environ quatre mois. Ainsi, contrairement à ce que prétendent les médias, les « rebelles » anti-Kadhafi ne faisaient pas partie du Printemps arabe. Ces terroristes et d’autres, ou « rebelles » comme les appelaient les médias occidentaux, ont essentiellement détourné le Printemps arabe libyen, par ailleurs pacifique. Avec des armes et un entraînement britanniques, l’armée de Kadhafi a été forcée d’écraser les manifestants, mais aussi les terroristes qui étaient également entraînés et armés par la Grande-Bretagne. C’est la vieille tactique de diviser pour régner. Comme dans le cas de la Serbie en 1999, les politiciens occidentaux ont affirmé, toujours sans aucune preuve, que Kadhafi était sur le point de lancer un « nettoyage ethnique » à Benghazi – où se trouvaient justement basés la plupart des islamistes. En réalité, Kadhafi aurait pu vaincre les proxys occidentaux. Sur ce mensonge, 30 000 civils libyens ont été éliminés par l’OTAN et par les terroristes, selon le gouvernement fantoche du CNT (ndlr : Conseil national de Transition) installé par la Grande-Bretagne, les États-Unis et la France.

La seule différence avec le schéma en Syrie est que l’OTAN n’est pas intervenue et que Daesh s’est affronté aux « rebelles modérés » – terroristes – utilisés par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne pour destituer Assad.

En ce qui concerne le droit international, chacune de ces actions est un crime de guerre. Le gouvernement britannique refuse toujours de divulguer intégralement les conseils donnés par le Procureur général à propos de la Libye, ce qui laisse penser que le Procureur général avait conseillé le Premier ministre, David Cameron, contre l’invasion de mars 2011. Mais les puissants ne font pas face à la justice des tribunaux qu’ils créent et soutiennent. La Cour pénale internationale de La Haye a perdu toute crédibilité, si jamais elle en a eu. Tony Blair et George W. Bush ont commis l’acte d’agression le plus flagrant en envahissant l’Irak en 2003. Les ministres tentent de faire valoir, de manière peu convaincante, que « l’intervention humanitaire », comme dans le cas de la Serbie et de la Libye, est différente ; qu’elles sont en quelque sorte au moins légalement discutables. Mais la réalité est qu’il s’agissait de crimes de guerre. L’Irak, cependant, est un cas encore plus flagrant. Blair et Bush n’ont jamais été jugés, même si le secrétaire général de l’ONU à l’époque, le regretté Kofi Annan, a déclaré que l’invasion était un crime de guerre, et même l’enquête du gouvernement britannique Chilcot l’a dit, en utilisant un langage poli. Ce sont principalement des criminels de guerre des Balkans et des Noirs d’Afrique qui sont jugés à La Haye. C’est un arrangement néocolonial. En réponse, l’Ouganda a lancé un appel aux autres nations africaines pour qu’elles se retirent de la juridiction de la Cour, invoquant son hypocrisie.

Les USA et de la Grande Bretagne, en soutenant et en armant des groupes terroristes qui ont fini par faire des attentats en Europe, ne sont-ils pas coupables devant leurs peuples pour avoir pactisé avec le diable ?

Il existe même un nom semi-officiel pour cela. Les prédicateurs extrémistes, comme Omar Bakri, l’appellent « le pacte ». L’accord non écrit stipule qu’ils travaillent pour les services de renseignement britanniques et qu’en échange, on les laisse tranquilles pour prêcher leurs interprétations extrêmes de l’islam, sans poursuites judiciaires ni expulsions. Mais ce n’est pas vraiment un pacte, étant donné que la Grande-Bretagne a été attaquée de manière successive, supposément par les alliés de ces personnes – en admettant que nous croyons à l’histoire officielle, bien sûr. Bakri lui-même a quitté le Royaume-Uni et a accès aux principaux médias mainstream libanais. Abu Hamza et Abu Qatada ont également été extradés. Ainsi, le « pacte » n’est qu’un écran de fumée pour les journalistes ou les politiciens qui posent trop de questions. La réalité est que ces hommes ne sont que des proxys des services de renseignement.

Le cas le plus flagrant était celui de Salman Abedi. J’ai mentionné son père Ramadan ci-dessus. La ministre de l’Intérieur et aujourd’hui Premier ministre, Theresa May, avait, comme l’avait appelé l’ancien officier du MI6 et expert du renseignement Alastair Crooke, une politique de « porte ouverte » en matière de migration pour les djihadistes. La famille Abedi a été autorisée à voyager du Royaume-Uni en Libye pendant et après la guerre de 2011, jusqu’à être sauvée par le ministère de la Défense. Au moment où Daesh était une force importante en Libye, Salman est devenu majeur et est allé s’entraîner avec eux. Si l’on en croit les médias, il a assassiné 22 Britanniques en mai 2017 dans le cadre d’un attentat suicide à la bombe. Ce seul acte aurait dû à lui seul faire tomber le gouvernement britannique. Les titres de journaux auraient dû se lire comme suit : « Le Premier ministre Theresa May a eu une politique de « porte ouverte » pour les auteurs d’attentats suicides ». Mais rien n’a été dit. Quelques personnes marginales comme Nafeez Ahmed, un excellent journaliste, et Mark Curtis, un brillant historien, l’ont noté. John Pilger de la gauche progressiste et Peter Oborne de la droite libertaire étaient les seules voix mainstream.

Mais ce n’est qu’un cas. Les extrémistes sont liés aux services de renseignement depuis longtemps : Abu Qatada, décrit comme « le bras droit de Ben Laden », Abu Hamza, de la mosquée Finsbury Park, Haroon Aswat, un suspect dans les attentats de Londres en 2005, Michael Adebolajo, supposé co-assassin du fusilier Lee Rigby, etc. La droite crie que le gouvernement au pouvoir, même s’il s’agit d’un gouvernement de droit, est « trop souple » en permettant à ces extrémistes de vivre au Royaume-Uni. La gauche répond : « Ces personnes ne représentent pas l’islam ». Mais aucune des deux parties ne peut admettre que ces personnes sont des marionnettes des services de renseignement. Les services les utilisent pour diverses raisons, notamment en tant que proxys. Ce qui est particulièrement troublant, c’est que dans les documents libres d’accès du ministère de la Défense, que les médias ne rapportent pas, il est reconnu que les « proxys » seront utilisés par les États dans lesquels la guerre directe ne peut pas être engagée, et que de tels proxys « peuvent s’avérer difficiles à contrôler », d’où le risque de retour de flamme pour les civils.

Nous devrions également nous rappeler que, aussi horribles que soient les attaques de Londres en 2005 et de Manchester en 2017, les peuples du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord sont quotidiennement victimes de ce type de terrorisme, notamment de frappes de drones américano-britanniques et français. Mais au Royaume-Uni, nous ne pensons pas que les tirs quotidiens des drones et la menace d’être éliminé à tout moment constituent du terrorisme. En 2014, environ 2 500 personnes en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Somalie, au Yémen et au Pakistan ont été assassinées par des opérateurs de drones américains : la grande majorité d’entre elles étaient des civils et les autres étaient des suspects, pas des « terroristes ». Les qualifier de terroristes relève des tribunaux internationaux ou nationaux, et non des médias propagandistes. Beaucoup de peuples de ces régions vivent dans la peur constante d’être incinérés instantanément par des machines appelées Predators and Reapers qui tirent des missiles appelés Hellfire dans des opérations comme « Widowmaker« . Les médias occidentaux protègent soigneusement les publics nationaux de la réalité de ce que les drones font sur la chair et les os des hommes, des femmes et des enfants, ainsi que sur leur santé mentale. Aussi, lorsque des actes terroristes de vengeance surviennent en Europe et aux États-Unis, il semble aux populations nationales que ces actes sont venus de nulle part. L’explication donnée par la droite est que les musulmans détestent nos libertés, etc.

Vous avez écrit le livre très intéressant et très documenté “Real Fake News : Techniques of Propaganda and Deception-based Mind Control, from Ancient Babylon to Internet Algorithms”. Les medias mainstream ont été impliqués dans des guerres impérialistes en relayant la propagande de l’armée américaine et de ses alliés. Aujourd’hui, on remarque qu’il y a un débat autour des fake news. Les médias mainstream ont-ils gardé leur crédibilité ? Ne servent-ils pas les intérêts dominants et ce débat sur les fake news n’est-il pas tout simplement faux et biaisé ? Peut-on recevoir des leçons de déontologie journalistique de certains journaux qui prétendent être des références comme le NY Time, CNN, la BBC, etc. alors qu’ils sont des médias de propagande des intérêts dominants, des chiens de garde ?

Les fake news ne se limitent pas aux médias. L’industrie médicale diffuse de fausses informations sur le génie de ses produits, allant même jusqu’à créer de faux journaux pour donner à ses médicaments des critiques positives. Les experts du secteur rédigent des articles et engagent des universitaires pour leur attribuer leur nom. Au début de la guerre, lorsque le film et la photographie ont commencé à être utilisés, la technologie était si nouvelle que les correspondants de guerre pouvaient se permettre de simuler des scènes de bataille en faisant appel à des acteurs. De nombreuses photos de guerre « classique » sont en réalité des reconstitutions. Aujourd’hui, on peut dire que certaines images sont des fraudes, mais à l’époque, elles semblaient réelles à un public peu familiarisé avec la nouvelle technologie. Ensuite, il y a une fake news coloniale : les famines en Irlande au XIXe siècle étaient dues à la rouille de la pomme de terre, alors que la Grande-Bretagne coloniale comprenait parfaitement que la rouille était un élément déclencheur. Les causes sous-jacentes de la famine étaient la transformation de l’agriculture irlandaise par les Britanniques en monocultures destinées à l’exportation et aux marchés intérieurs, comme la pomme de terre, ainsi que l’exportation de produits alimentaires vers le Royaume-Uni pendant la période de famine.

Donc, les fake news ne sont pas nouvelles et leur objectif général est de maintenir le public subordonné au pouvoir.

Est-ce que cela a changé avec Internet, où l’information peut venir de la base ? Pas tant que cela. Si vous regardez les blogs et les sites Web les plus populaires d’il y a dix ou 15 ans – Huffington Post, Politico, le Daily Beast, Vice – vous constaterez que beaucoup ont été créés par des personnalités ayant travaillé pour des journaux grand public. Ariana Huffington, par exemple, était déjà millionnaire lorsqu’elle a cofondé le Huffington Post avec Andrew Breitbart, qui, avec le soutien du milliardaire Robert Mercer, a ensuite fondé Breitbart News. Ainsi, sous le prétexte d’utiliser ce nouveau média révolutionnaire, les sites « alternatifs » étaient dominés par des personnalités de l’establishment. En outre, il est important de rappeler que nous entendons dire que les médias traditionnels – CNN, BBC, New York Times, etc. – ont vu leur audience diminuer. Il est vrai que les revenus des journaux imprimés sont en baisse, mais si vous regardez le classement en ligne, les sites d’information les plus populaires ne sont généralement pas les sources alternatives, mais bien l’establishment : Daily Mail, BBC, New York Times, Yahoo !, dont les sources sont Associated Press, Reuters, etc.

La confiance dans les sources grand public est en baisse depuis des années. Certains sondages suggèrent que même la réputée BBC inspire maintenant moins confiance que Wikipedia, elle-même source de désinformation, comme l’a documenté la journaliste Helen Buyniski. Cette baisse constante de la confiance est due à la simple raison que la couverture médiatique des événements ne reflète pas les expériences quotidiennes des citoyens ordinaires. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, la plupart des médias sont des sociétés privées ayant un intérêt à présenter aux citoyens une image du monde reflétant les intérêts et, plus important encore, les expériences, des principaux actionnaires et dirigeants de sociétés. Des articles occasionnels ici ou là présentent un tableau différent, mais le ton général est favorable aux intérêts de l’élite. Les soi-disant médias « libéraux », comme le New York Times, ont tendance à être culturellement libéraux en termes de soutien des droits des homosexuels ou d’empathie envers les réfugiés. Cela agace la droite, dont les médias sont culturellement « conservateurs », c’est-à-dire anti humains. Mais quand il s’agit de questions clés, telles que les droits des travailleurs ou la réglementation économique – le genre de choses qui pourraient vraiment aider les gens ordinaires -, ni les médias de gauche ni ceux de droite ne reflètent les préoccupations principales de la plupart des gens.

Si nous examinons les problèmes qui intéressent la plupart des gens, ils concernent l’économie, l’emploi et la migration. Une étude réalisée par le Reuters Institute et l’Université d’Oxford a analysé des centaines d’articles de presse publiés après la crise financière de 2008. Ils ont constaté que la grande majorité des informations communiquées étaient neutres ou proches du secteur financier. Cela ne reflétait tout simplement pas la réalité, alors pourquoi quelqu’un aurait-il confiance en ce type de reportage, autant à gauche qu’à droite ? Cela se généralise. En matière de politique étrangère, le consensus général est que la guerre est bonne. Le « conservateur » Fox News a vendu l’invasion de l’Iraq en 2003 dans un paquet de mensonges, tout comme le « libéral » New York Times. Plus récemment, la rhétorique du président Trump, bien que n’étant pas la réalité, s’est prononcée contre les guerres étrangères. Les médias d’extrême droite alternatifs soutiennent ce discours, mais ils le font avec un fort parti pris anti-islamique, allant même jusqu’à l’islamophobie, en fait. Prenez, disons, la couverture de Daesh par Breitbart News. Breitbart a affirmé que dans le numéro 15 de son magazine djihadiste, Dabiq, Daesh avait déclaré qu’elle attaquerait toujours les Occidentaux car la plupart d’entre nous sont non-musulmans. La BBC, considérée comme une organisation de presse libérale, en a également fait état. La seule différence entre les reportages est que la BBC a laissé entendre que tous les musulmans ne sont pas des extrémistes, alors que Breitbart a laissé entendre que le numéro 15 de Dabiq était typique de l’islam.

Le problème est que le numéro 15 était une fraude, probablement publiée par les services de renseignement américains. Daesh a publié une déclaration mettant en garde ses partisans de ne pas lire le numéro 15. La BBC, une organisation respectée, citait donc une fraude comme si elle était réelle. Cette révélation importante sur la tromperie a été rapportée dans un seul journal, à ma connaissance : Vice online. Nous ne pouvons donc pas faire davantage confiance à la soi-disant presse alternative que nous ne pouvons faire confiance à la presse mainstream. Nous devons évaluer les preuves et être sceptiques à propos de tout ce que nous voyons, entendons et lisons, y compris de ce que je dis.

Nous devrions également nous méfier des vérificateurs de faits autoproclamés. Vous ne devriez pas laisser quelqu’un d’autre vérifier les faits en votre nom. Comment savez-vous s’ils vous disent la vérité ? Prenez Snopes et son article sur l’accord nucléaire iranien. Nulle part dans cet article, vous ne voyez les rapports du Bulletin of the Atomic Scientists ou d’autres experts qui affirment que, non seulement l’Iran a le droit de développer de l’énergie nucléaire, mais plusieurs rapports de l’ONU ont confirmé qu’il ne développait pas d’armes nucléaires. Les rapporteurs du Bulletin notent également que les États-Unis ont fait pression sur les Nations Unies pour qu’elles enquêtent de manière inconstitutionnelle sur les installations d’armes iraniennes dans une mesure plus grande que celle requise par les accords. Donc, comme d’habitude, les États-Unis sont un tyran. Mais une question encore plus importante est : de quel droit les États-Unis ont-ils le droit d’imposer un quelconque « accord » à l’Iran ou à n’importe quel pays ? Si nous voulons respecter le droit international, c’est à l’ONU de décider. L’idée que les États-Unis ont un droit naturel de faire adhérer l’Iran ou la Corée du Nord à un accord est également une fake news.

À propos de votre livre éclairant « Great Brexit Swindle », ne pensez-vous pas que le vote pour le Brexit a été une arnaque qui sert les intérêts des classes dominantes, banquiers, milliardaires, le 1%, aux dépends des classes défavorisées ?

Les élites britanniques, y compris les politiciens et les entreprises, sont divisées sur l’opportunité de « Quitter » ou « Rester » (Leave or Remain) dans l’UE. La majorité des élites sont clairement en faveur de « Rester », ce qui fait que l’agenda de Quitter est bloqué pour le moment. Cependant, un lobby puissant veut quitter l’UE pour ses propres intérêts financiers, et non dans l’intérêt des travailleurs ordinaires ou même dans l’intérêt de classe des compagnons de l’élite. J’appelle les deux camps, l’un la Faction Heseltine, d’après le partisan néolibéral du « Rester », Michael Heseltine, et l’autre, la Faction Lawson, d’après le partisan ultra-néolibéral du « Quitter », Nigel Lawson ; qui sont tous deux d’anciens ministres conservateurs. Ainsi, l’agenda pro-Quitter était une arnaque de la part d’un petit nombre d’élites dirigeantes, à savoir celles qui souhaitent déréglementer les marchés financiers, la faction Lawson.

Il est important de se rappeler que plus de 50% du financement du parti conservateur provient de fonds spéculatifs et d’autres institutions financières, donc, les politiciens du « Rester » sont soumis à un chantage financier pour faire accepter le Brexit de la part des institutions financières et des donateurs des partis qui veulent « Quitter ».

Il est clair que la majorité des chefs d’entreprise et des hommes politiques souhaitaient rester dans l’Union européenne. Pour eux, la lenteur de la croissance économique dans une Union néolibérale était préférable à l’incertitude du « Quitter ». Les banques d’investissement appellent cela « stabilité » et « prévisibilité », raison pour laquelle elles aiment promouvoir des échanges ou des accords multilatéraux en matière de commerce et d’investissement, comme l’UE, le Partenariat Trans-Pacifique, etc. Mais depuis 20 ans ou plus, une nouvelle classe de profiteurs a pris de l’importance : les services financiers et leurs spécialistes. Les services financiers incluent les compagnies d’assurance, les fonds spéculatifs, les sociétés de liquidité, etc. Ils ont un point de vue opposé aux néolibéraux plus traditionnels. Ils croient que le commerce et les investissements bilatéraux fonctionnent mieux parce qu’ils n’importent ni n’exportent de produits nécessitant un assemblage et une réimportation, comme le sont les producteurs traditionnels. Ils s’appuient sur des transactions numériques nécessitant très peu de ressources humaines. Pour eux, la nouvelle économie, plus rentable, est de l’argent pur : faire de l’argent à partir de l’argent. Ils voient des marchés lucratifs dans les économies en croissance d’Asie. Ce sont des ultra-néolibéraux. Donc, l’UE néolibérale est terrible pour les travailleurs, mais l’économie des marchés financiers ultra-néolibéraux est encore pire.

Le Brexit et les retombées politiques sont dus à cette bataille entre les néolibéraux du statu quo qui pensent devoir continuer à faire partie de l’UE et les ultra-néolibéraux qui veulent la quitter. Des éléments du parti conservateur au Royaume-Uni ont toujours haï l’Europe, car certains des acteurs les plus puissants, notamment la France, ont conservé un certain contrôle de l’État sur leur économie. Au Royaume-Uni, les ultra-néolibéraux veulent le moins de contrôles possibles de la part des États, sauf lorsque ceux-ci profitent à leurs copains. Par exemple, ils étaient contents de l’intervention de l’État pour renflouer les banques après la crise de 2008-2009. Mais ils n’étaient pas heureux lorsque l’UE a imposé certaines règles (MIFID et MIFID II) (ndlr : MIFID = Directive sur les marchés d’instruments financiers) aux transactions financières. La Banque d’Angleterre du gouvernement n’était pas sous le contrôle de la Banque centrale européenne, contrairement à ce que pensaient beaucoup de Britanniques. Mais les financiers privés ont été contraints par les directives de l’UE.

Les intérêts de la faction ultra-néolibérale ont coïncidé avec la colère d’un grand nombre de Britanniques de la classe ouvrière conditionnés par la propagande des médias visant à leur faire croire que l’UE était responsable de leur misère économique. Si les Britanniques avaient été grecs ou irlandais, cela aurait été vrai. Dans ces pays, le choix délibéré d’imposer une austérité financière brutale aux citoyens européens est venu des bureaucrates de l’UE et de la Troïka : la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international dirigé par les États-Unis. Mais la politique fiscale et monétaire britannique n’est pas déterminée par l’UE car la Grande-Bretagne n’a jamais accepté l’euro comme monnaie ni la juridiction de la Banque centrale européenne. En fait, à certains égards, la Grande-Bretagne n’a jamais vraiment appartenu à l’UE. Elle n’a jamais accepté l’Euro comme monnaie, n’a jamais adhéré à l’espace Schengen de libre circulation et a renoncé à un nombre record d’accords. Le gouvernement britannique cite parfois des directives de l’UE comme prétexte pour privatiser des biens publics. Par exemple, la privatisation de Royal Mail, le service postal britannique, a été adoptée en vertu d’une directive de l’UE rendant la privatisation obligatoire. Mais les gouvernements britanniques successifs étaient quand même résolus à privatiser, indépendamment de leur appartenance à l’UE.

Alors que cela se poursuivait sur le plan politique, un grave mécontentement du public vis-à-vis du statu quo se creusait parmi les Britanniques de la classe ouvrière, en particulier les habitants du Nord. La ville de Londres, dans le sud du pays, exerce une influence disproportionnée sur la vie des gens. C’est à Londres que la politique est définie et que les budgets sont finalisés. Les gens ordinaires qui ont peu de contrôle sur leur vie sont à la merci d’élites politiques détestées, centrées sur Londres. Il y a aussi beaucoup de racisme et de xénophobie au Royaume-Uni. Les gens disent que les travailleurs étrangers prennent « leur » travail et « leur » logement. Il y a une part de vérité dans cela. Il y a une pénurie de logements abordables et d’emplois décents et bien rémunérés. Mais au lieu de pousser le gouvernement, via les représentants politiques locaux, à dépenser plus d’argent pour la construction de logements à loyer modéré et d’investir dans les compétences des travailleurs britanniques, le public a été entraîné par les médias de droite – le Sun, le Daily Mail et d’autres – à blâmer les personnes économiquement vulnérables – les immigrants – pour leur situation difficile. Les accords de l’UE sur la liberté de circulation ont permis aux migrants de Pologne et d’ailleurs d’accéder facilement au Royaume-Uni. C’est après le milieu des années 2000 que le véritable euroscepticisme, c’est-à-dire la haine de l’Europe, s’est accéléré au sein de la classe ouvrière britannique. L’absence d’investissements gouvernementaux, en particulier dans le nord, une population vieillissante (les gens ont tendance à aller de plus en plus vers à droite en vieillissant) et un afflux de migrants ont créé un baril de poudre.

Après la crise financière de 2007-2008, l’UE a imposé des réformes financières très mineures aux institutions à l’origine du krach. Certaines d’entre elles n’ont pas aimé cela et ont fait pression sur le parti conservateur britannique pour qu’il quitte l’UE afin d’éviter la réglementation. Ils ont pu exploiter la haine des travailleurs à l’égard de l’UE et nous avons donc le Brexit. Il est très facile de prouver ce qui se passe, mais essayez d’en trouver mention dans les médias.

Dans « President Trump, Inc. », vous évoquez les liens des conseillers de Trump avec les grandes entreprises. La Maison Blanche n’est-elle pas devenue elle-même une multinationale ?

Les politiciens américains ont toujours été dans les poches des grandes entreprises. Mais Trump est allé encore plus loin en écrivant dans son livre « The America We Deserve » (2000) que « les non-politiciens », ce qui signifie les hommes d’affaires – et la plupart d’entre eux sont des hommes -« représentent la vague de l’avenir ». Donc, Trump est ce qui arrive quand les grandes entreprises prennent le dessus.

Trump s’est présenté lui-même comme un rebelle, un outsider. C’est un non-sens. Trump est ou était ami avec les Clinton. Il y a des photos de lui jouant au golf avec Bill. Il est passé de « enfermez-la » en se référant à Hillary pendant la campagne, à « Ce sont des gens bien. Je ne veux pas les blesser… » en parlant des Clinton en tant que président élu. Les partisans de Trump et les fanatiques comme Alex Jones souhaitent ignorer ces faits. Trump est aussi un pur opportuniste. Il n’est pas un idéologue d’extrême droite comme Steve Bannon. En 1999, avec Tim Russert sur Meet the Press, on demandait à Trump ce qu’il pensait des républicains. Il a dit qu’ils étaient « trop fous à droite ». La vision de Trump à l’époque reflétait simplement l’humeur du pays, pas son idéologie personnelle. La plupart des Américains étaient relativement démocrates, d’où la victoire électorale du démocrate Al Gore un an plus tard, qui avait été volée pour George W. Bush par le collège électoral. Mais alors que les démocrates sous Obama et la candidate Hillary Clinton se déplaçaient davantage vers la droite, de nombreux électeurs potentiels démocrates ont abandonné le parti. Tandis que cela se passait, une insurrection sous la forme du Tea Party se déroulait à droite et gagnait du terrain. Bien qu’il se soit éloigné du Tea Party parce que ce n’était pas assez à droite, Steve Bannon s’est associé avec eux pendant un moment. Pour rendre sa présidence viable, Trump a estimé que le pays avait été suffisamment radicalisé contre les démocrates et contre les soi-disant « républicains modérés » qu’il a qualifiés de « fous de droite » à la fin des années 90. C’est du pur carriérisme.

Comment Trump a-t-il réussi ? Il a gagné techniquement à cause du système du collège électoral. Mais les racines vont plus loin. Pourquoi y a-t-il assez d’Américains disposés à voter pour ce personnage dégoûtant ? De la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au milieu des années 1970, les États-Unis étaient une sorte de nation au capitalisme d’État. Les banques ont investi dans les collectivités : logement, voitures, avenir des populations, etc. L’économie était relativement stable, à l’exception de quelques récessions relativement faibles. Pour y faire face, il existait d’importants programmes sociaux, comme le projet de la Great Society du président Johnson ou la « guerre contre la pauvreté ». Même le président Nixon a été contraint de promulguer une législation rédigée par des progressistes tels que Ralph Nader. Mais les élites financières ont également poussé à la déréglementation économique. Au cours des décennies suivantes, l’ensemble du spectre politique s’est dirigé vers la droite : les démocrates sont devenus républicains et les républicains sont devenus des fous extrême-droite, ou du moins la faction Trump.

Les conséquences socio-économiques ont été graves. Les pauvres ont en grande partie renoncé à voter car les démocrates, leurs représentants traditionnels, se sont simplement tournés vers les élites de Wall Street pour obtenir un financement. Les classes moyennes et supérieures, le genre de personnes qui ont voté pour Trump lors de l’élection de 2016, ont non seulement vu leur part de richesse diminuer au cours des dernières décennies, elles ont également été témoins de changements démographiques. L’accord de « libre échange » ALENA signé par Bill Clinton a entraîné une augmentation de la migration mexicaine, au moment où 2 millions d’emplois agricoles mexicains avaient été supprimés. L’ALENA a réellement été finalisée par George Bush I, mais les partisans de Trump le nient en disant que Bush était vraiment trop à gauche (!).De plus, la population noire a continué de croître. Ainsi, beaucoup d’Américains blancs appartenant à la classe moyenne, en particulier les ruraux, voient leurs revenus diminuer, leur qualité de vie se détériorer, la vie de leurs enfants se durcir et ce qu’ils voient comme « leur » pays envahi par des « clandestins » et des Noirs. Jusqu’à Trump, les électeurs et les partisans républicains étaient divisés entre les supporters du Tea Party et ceux qui avaient des opinions moins extrêmes. Mais aucune des deux factions n’a particulièrement séduit les électeurs dont le niveau de vie s’aggravait progressivement. C’est pourquoi les principaux donateurs de fonds spéculatifs ont renoncé à leur candidat Ted Cruz et ont transféré leur argent à contrecœur vers Donald Trump, qui a lancé un appel à ces générations d’infortunés avec ses slogans accrocheurs : « Enfermez-la ! », « Nettoyez les marécages ! », « Rendez sa grandeur à l’Amérique ! », etc.

Les seules qualités « rebelles » de Trump sont ses démonstrations publiques de vulgarité. Dans le monde réel, ses principaux donateurs étaient les mêmes personnes qui ont déréglementé et détruit l’économie, le secteur financier. Alors que les médias diffusent des inepties sur sa prétendue sénilité, sa vie sexuelle, ses habitudes alimentaires, etc., les véritables politiques, ses décrets, sont signés à huis clos avec peu de commentaires : la mise en place d’un groupe de travail sur davantage de marchés financiers et de technologies financières – ce qui conduira finalement à un nouveau krach dans une trentaine d’années -, la dissolution de la réglementation climatique pour rendre la qualité de l’air encore pire et extraire plus de combustibles fossiles, la renégociation de l’ALENA pour faciliter l’exportation de davantage de biotechnologies américaines pouvant inclure des produits génétiquement modifiés, l’augmentation du bombardement du Moyen-Orient, et la poursuite du système de missiles visant la Russie, ce qui pourrait conduire à une guerre nucléaire.

Dans votre livre « Fire and Fury », vous faites un constat de ce qu’il se passe en Asie du Sud-Est. D’après vous, que cache le jeu trouble de l’administration Trump qui cible la Chine et la Corée du Nord ?

Trump est critiqué par les médias « libéraux » pour avoir fait ce que tout politicien sensé ferait – ce n’est pas que Trump soit sensé ! -, à savoir prendre des mesures pour désamorcer les tensions avec la Corée du Nord. La situation est extrêmement précaire, avec les sanctions US-UE sur la Corée du Nord poussant la population littéralement au bord de la survie, plongeant de nombreuses personnes – nous n’avons pas les chiffres exacts – dans la famine ; et avec des tests de missiles de la Corée du Nord au-dessus du Japon, proche allié des États-Unis.

Il y a une histoire derrière cela. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont divisé la Corée en deux entités, le Nord et le Sud. Dans le Sud, les États-Unis ont collaboré avec un régime dictatorial qui a assassiné des dizaines de milliers de Coréens. Le prétexte pour soutenir ce régime était l’anticommunisme. Le Nord a été essentiellement cédé au contrôle soviétique sous la forme d’un apaisement des États-Unis envers Staline. Des documents militaires américains maintenant déclassifiés révèlent que les planificateurs de guerre occidentaux ont compris que Staline ne voulait pas envahir le Sud. D’autres documents déclassifiés révèlent que l’invasion du Sud par le Nord en 1950 était une réaction au renforcement militaire entre les États-Unis et la Corée du Sud. Non pas que cela soit justifié, mais cela pourrait être interprété comme une forme de guerre préventive ; le mantra de George W. Bush en 2003 lorsqu’il envahit l’Irak. En réponse à l’invasion prévue du Sud par le Nord, les États-Unis ont, selon leurs propres archives militaires, éliminé 20% de la population du Nord et détruit 90% de ses bâtiments. D’autres documents révèlent que le régime nord-coréen, après avoir appris la leçon de la brutalité absolue de l’empire et de la machine de guerre américaines, a construit des bunkers souterrains fortifiés en cas d’attaques futures.

Depuis lors, les États-Unis ont violé traité après traité avec le Nord. Loin d’être ce pays étrange fermé au monde, comme le prétendent les médias occidentaux, la Corée du Nord a été délibérément isolée par les États-Unis. En violation de l’accord d’armistice, les États-Unis ont implanté des armes, peut-être nucléaires, en Corée du Sud dans les années 1950. Malgré cela, un rapport de la CIA indique qu’il y a eu « une décennie de silence » jusqu’à ce que les États-Unis envahissent le Vietnam et incitent la Corée du Nord à entamer des manœuvres en riposte pour avertir les États-Unis. Quatre phases de renforcement ont commencé, impliquant principalement des exercices militaires américano-sud-coréens qui ont pris de l’ampleur depuis les années 1960. Les États-Unis ont même lancé des attaques de jeux de guerre nucléaire sur le Nord. Mais lorsque George W. Bush est arrivé au pouvoir et a qualifié la Corée du Nord d’ »axe du mal », la diplomatie a disparu. Les États-Unis n’ont jamais tenu leurs engagements de remplacer les réacteurs nucléaires nord-coréens, de fournir du combustible, etc. Ainsi, en réaction, la Corée du Nord a relancé son programme d’armement nucléaire, ce qui – même les experts militaires américains le concèdent ainsi que les évaluations annuelles de la menace adressées au Congrès -, a pour objectif de dissuader les attaques américaines contre elle. Essayez de trouver cela dans les médias.

Mais il est important de rappeler que les États-Unis n’ont aucun droit légal ou moral d’obliger la Corée du Nord à renoncer à son programme nucléaire, pas plus que la Corée du Nord n’a le droit de faire abandonner son propre programme aux États-Unis.

En ce qui concerne la stratégie de Trump, je pense que nous devons examiner la situation dans son ensemble. En matière de politique étrangère, le Pentagone est responsable. Il y a des lobbyistes, et les médias sont très favorables à la guerre. Les membres du Congrès qui votent contre les budgets militaires et la guerre, s’il en existe, sont considérés comme étant non-patriotes. Le Pentagone se considère comme le garant militaire d’une architecture mondiale permettant aux États-Unis de diriger le monde. Ils appellent cela la « domination à spectre complet » et citent les satellites qui permettent à Internet, aux banques, aux GPS, aux contrôles du trafic aérien, aux transports maritimes, etc., de fonctionner. Leur mission est de « protéger » cette infrastructure et, ce faisant, de façonner le monde pour les intérêts des entreprises américaines. Jusqu’aux années 1980, la Corée du Sud était une sorte d’économie capitaliste. Elle était soumise à des contrôles étatiques, et les échanges et les exportations se faisaient via des tarifs relativement normaux avec le reste du monde. Mais dans les années 1990, cela a changé. La Corée du Sud est maintenant une économie néolibérale. Le même schéma se répète, mais avec moins de succès en Chine, qui est maintenant une économie semi-néolibérale contrôlée par l’État. La Corée du Nord s’y dirige très lentement. Ainsi, toute la région évolue vers un néolibéralisme dirigé par les États-Unis.

Je ne peux pas le prouver, mais je suppose que les États-Unis veulent une Corée unie et néolibérale agissant comme un rempart stratégique contre la Chine : pour faire en sorte que la Chine poursuive le genre de politiques néolibérales qui profitent aux entreprises américaines comme Apple et pour s’assurer que, militairement, la Chine ne prenne pas trop d’envergure. Les États-Unis n’autoriseraient pas soudainement la paix et la possibilité de réunification des deux Corées si cela ne servait pas certains intérêts encore peu clairs.

Votre livre important “Human Wrongs : British Social Policy and the Universal Declaration of Human Rights” va à l’encontre des idées reçues relayées par la propagande et les medias mensonges (vous citez notamment le décès de 20 000 retraités par an qui ne peuvent pas payer leur chauffage, 40 000 personnes qui succombent chaque année par la pollution de l’air, les limites imposées à la liberté d’expression, la surveillance massive des Britanniques par l’État profond, etc.). Ce livre a le mérite de montrer le vrai visage de la Grande Bretagne. Ne pensez-vous pas que c’est un non-sens de parler de droits de l’homme et de démocratie en Grande Bretagne ?

Ce n’est pas insensé de parler des droits de l’homme en Grande-Bretagne. La Grande-Bretagne a plus de droits de l’homme nationaux que, par exemple, l’Arabie saoudite. Mais il est absurde de penser que les droits ont été donnés par les élites. L’histoire des droits est longue. Dans divers livres d’histoire comme celui d’A.L. Morton, “A People’s History of England” ou d’E.P. Thompson “The Making of the English Working Class”, nous voyons que les origines des syndicats, du mouvement des femmes, de l’affranchissement des travailleurs, etc., ont été durement gagnées par la résistance populaire. Par exemple, en 1700, seulement 3% de la population, la classe aristocratique, avait le droit de vote. En 1800, les soi-disant Combination Acts ont été adoptés afin d’empêcher les travailleurs de former des associations. Celles-ci sont devenues connues sous le nom de syndicats. L’année prochaine marquera le 200e anniversaire du massacre de Peterloo – le massacre de 15 personnes qui avaient protesté contre les conditions socio-économiques de l’époque. En 1884, avec l’adoption de la Third Reform Act, les hommes de la classe ouvrière de plus de 21 ans obtinrent le droit de vote. Les droits qui existent aujourd’hui ne doivent pas être négligés, mais davantage de droits doivent être acquis. Les élites peuvent adopter davantage de lois pour entraver les syndicats, mais elles ne peuvent pas, par exemple, massacrer les Britanniques dans la rue comme elles l’ont fait il y a 200 ans.

Cependant, par rapport aux autres pays européens, les droits de la Grande-Bretagne font gravement défaut. Sur toutes sortes de mesures, allant de la mortalité maternelle et infantile au bien-être et à l’espérance de vie des enfants, le niveau de la Grande-Bretagne est très bas. En fait, la Grande-Bretagne est comme un pays d’Europe de l’Est, de l’ex-Union soviétique. La raison en est le néolibéralisme économique et, contrairement aux pays européens, qui sont également néolibéraux dans une certaine mesure, à la disparition du contrôle de l’État sur l’économie. Après la Seconde guerre mondiale, la Grande-Bretagne était tellement dévastée qu’un investissement national et une reconstruction étaient nécessaires. Le parti travailliste naissant, alors âgé de 45 ans à peine, a réussi à convaincre suffisamment de personnes pour soutenir la reconstruction de l’État dans son ensemble. Le Service national de Santé a été créé et la sécurité sociale garantie pour tous. Les conservateurs (Tories) ont détesté cette idée, mais ils ont reconnu que tous deux bénéficiaient d’un soutien populaire. Dans les années 1970, le soi-disant Nouveau Conservatisme (New Conservativism) a été créé. Le Parti travailliste s’est déplacé plus à droite, avec l’aide de l’argent américain – Giles Scott-Smith a une bonne documentation à ce sujet. Dans les années 1980, le socialisme était dépassé et même considéré comme dangereux. Une austérité financière et des lois antisyndicales de plus en plus brutales ont été adoptées dans le contexte d’une culture de « la cupidité, c’est bien ».

Les conséquences socio-économiques ont été terribles. Depuis l’année 2010 et avec l’ajout de plus d’austérité à la suite de la crise financière, 120 000 personnes sont décédées des suites de restrictions sociales. C’est un bilan mortel que l’État islamique ne peut que rêver d’infliger. Et c’est un choix. Si nous comparons la Grande-Bretagne à d’autres économies telles que l’Allemagne, la France et l’Italie, qui appliquent des contrôles plus stricts, nous constatons moins de morts et moins de misère sociale. La situation évolue maintenant avec le néolibéral Macron au pouvoir en France, mais la situation reste manifestement meilleure en Europe.

J’ai écrit le livre « Human Wrongs » en réponse au 70e anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (DUDH). Le type de politique sociale que j’ai mentionnée a des conséquences extrêmes pour les plus pauvres. En fait, la Grande-Bretagne a violé les 30 articles de la DUDH ces dernières années ; et cela ne concerne que les seuls problèmes nationaux, sans parler de la politique étrangère. Ceux-ci incluent le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture, à des droits plus subtils, comme le droit à un logement décent et le droit à un salaire suffisant. Les personnes au pouvoir veulent exploiter la population autant que possible, même s’il en résulte un effondrement de la société. Dominic Raab, un conservateur et secrétaire de l’éphémère Brexit, est avocat de formation. Il a écrit un livre expliquant qu’à son avis – typique d’un conservateur -, les droits ne devraient pas aller au-delà d’aléas tels que « la liberté ». Dans son livre « The Assault on Liberty », Raab dit clairement que la gratuité des soins de santé et un logement décent ne devrait pas s’étendre au niveau des droits, contrairement à ce que dit la DUDH.

Ne pensez-vous pas que la situation dramatique dans laquelle se trouve Julian Assange depuis des années est inhumaine et que l’acharnement inouï qui le cible révèle le vrai visage de ces fausses démocraties occidentales ?

La torture mentale d’Assange aux mains du Royaume-Uni, qui l’a effectivement emprisonné, et des États-Unis, qui n’ont pas levé la menace de l’arrêter et peut-être de l’exécuter, donnent l’exemple aux dénonciateurs potentiels : faites cela et soyez puni.

Mais WikiLeaks a un arrière plan. Il y a un mouvement mondial, en grande partie financé par le même genre d’élites qui nous ont donné Donald Trump, pour faire tomber les gouvernements. On l’appelle ridiculement « anarcho-capitalisme », comme si l’anarchisme et le capitalisme pouvaient jamais aller de pair. WikiLeaks a commencé dans ce contexte. Pour autant que je sache, l’organisation n’a pas reçu un sou des partisans de Trump, mais ces soi-disant « libertaires » et « anarchistes » sont les mêmes personnes qui ont soutenu WikiLeaks. Vaughan Smith au Royaume-Uni en est un exemple ; un riche, l’élite de propriétaires terriens qui veulent briser le système et qui a offert une certaine protection à Assange aussi longtemps que possible. Si vous regardez les premières révélations de WikiLeaks, elles ont tendance à se concentrer sur les gouvernements des pays pauvres, tels que la Somalie et le Kenya, dénonçant la corruption. Cela intéresserait vraisemblablement le département d’État américain, qui aime condamner la corruption à l’étranger en tant qu’arme contre des pays qui n’ont pas ou ne respectent pas les contrats commerciaux conclus avec les États-Unis. Cependant, WikiLeaks a également mis à nu les États-Unis. Leur but était d’exposer tout le monde. Assange ne semblait pas se soucier de qui il avait reçu un financement. Des courriels révèlent qu’il était parfaitement heureux de « tondre », selon ses mots, la CIA et d’autres organisations. Le pseudonyme d’Assange était « Mendax », qui signifie « menteur » en latin.

Personne n’a demandé pourquoi les médias mainstream étaient attentifs, par exemple, en donnant une plate-forme à WikiLeaks et en ignorant des sites de dénonciation plus importants, comme Cryptome.

Il semblait qu’Assange pensait pouvoir utiliser le système, mais c’est le système qui l’a utilisé. Ne vous méprenez pas : WikiLeaks a fait un travail fantastique. Je visite fréquemment le site et cite ses fuites dans mes propres livres. Mais s’intéresser aux soi-disant causes libertaires signifiait qu’Assange devait soutenir ceux qui se prétendaient libertaires. Notez que WikiLeaks a peu de dénonciations sur Trump. WikiLeaks a publié des courriels soigneusement choisis lors de la campagne présidentielle d’Hillary Clinton, ce qui a entraîné une baisse encore plus marquée de son taux d’approbation, qui était déjà bas. Cela a joué un rôle dans le fait que Trump devienne président. Les progressistes en ont été alarmés, notamment le grand journaliste Allan Nairn et la présentatrice de Democracy Now !, Amy Goodman – tous deux d’anciens collègues. Ils ont mis Assange sur les charbons ardents lors d’une interview à cause de sa politisation de WikiLeaks. À ce moment-là, WikiLeaks s’exposait pour ce qu’il est : un outil pour les élites plus anarchiques, comme j’ai essayé de le dire depuis des années.
Personne à « gauche » ne voudrait publier mes découvertes parce que tout le monde veut croire en un héros, en l’occurrence Assange.

Mais, comme je le dis, quelle que soit sa politique, WikiLeaks a fait un excellent travail et a fait honte à la presse mainstream. Dans un premier temps, le New York Times et le Guardian ont été les piliers du succès d’Assange. Ensuite, ils se sont retournés contre lui. Les seuls à le défendre étaient les progressistes. Mais quand il a publié les courriels de Clinton à temps pour les élections présidentielles, les progressistes se sont retournés contre lui. Si les soi-disant libertaires qui soutiennent Trump pensaient que Trump sauverait Assange, après avoir précédemment déclaré son « amour » pour WikiLeaks, ils se sont terriblement trompés. Assange est maintenant pris au piège dans une sorte de vide juridique. Les Britanniques ont violé des articles de la DUDH, mentionnés ci-dessus, en arrêtant Assange ; un point signalé par l’ONU, qui a déclaré que son traitement par la Grande-Bretagne était contraire au droit international.

Vous attirez l’attention sur l’activisme contre les accords de libre échange dans Privatized Planet : Free Trade as a Weapon Against Democracy, Healthcare and the Environment. Ne pensez-vous pas qu’il faut un front uni de résistants contre le capitalisme et l’ultralibéralisme mondialisés qui mènent l’espèce humaine à l’extinction et la planète à l’agonie ? Est-ce trop tard pour peser sur les rapports de forces et pour ramener les peuples à décider de leur avenir ?

Il est difficile de former un front uni contre la mondialisation des entreprises pour plusieurs raisons. Le principal est que les emplois des gens dépendent des entreprises. Au Royaume-Uni, et je suppose que c’est la même chose ailleurs, 9 entreprises sur 10 échouent au cours des deux premières années. 8 entreprises sur 10, en gros, emploient moins de 20 personnes. La mondialisation est donc un privilège des grands employeurs monopolistiques. Cela signifie que la plupart des gens comptent sur les plus grandes entreprises pour leur travail. Comment les gens doivent-ils manifester contre le système même qui les emploie ? C’est un dilemme crucial.

Vient ensuite la question de l’intérêt. Jusque dans les années 1970, la plupart des Américains et des Européens bénéficiaient de la mondialisation des entreprises et d’une économie réglementée. La plupart des gens étaient de la classe moyenne. Ils ont eu la possibilité d’acheter une maison et d’élever des enfants, qui auraient ensuite un meilleur avenir. Ce n’était bien sûr pas le cas de tout le monde : les minorités ethniques constituaient, dans l’ensemble, la principale exception. Mais généralement, la description est correcte. Dans les années 1970, cela a commencé à changer. En réponse, des soi-disant héros comme Donald Trump se présentent et font appel aux éléments fondamentaux de la classe moyenne ; ceux-là même qui pourraient encore une fois bénéficier du corporatisme. Alors, comment pouvons-nous faire appel à de telles personnes et les encourager à faire pression pour une forme plus égale de mondialisation globale ?

Il y a toutes sortes d’événements qui se déroulent dans le monde entier. Si les travailleurs pouvaient s’informer de ces événements par le biais de médias démocratisés, les chances de solidarité et de coopération avec les élites seraient plus grandes. Au début des années 2000, il y a eu des grèves du textile au Bangladesh contre les conditions de travail déplorables dans ce pays. Si les travailleurs britanniques, qui vendaient les vêtements fabriqués au Bangladesh, avaient été informés de ces conditions, ils auraient pu apporter leur soutien. Au lieu de cela, l’armée bangladaise a été appelée dans l’Opération Clean Heart pour réprimer le soulèvement social. La Grande-Bretagne a fourni les armes. Quelques années plus tard, dans l’Inde voisine, des femmes ont manifesté devant l’une des banques centrales de l’Inde pour annuler les dettes qui conduisent les Indiens à vendre leurs organes pour survivre. Cela avait été rapporté par Reuters, si je me souviens bien, mais avait reçu peu d’attention ailleurs. La syndicalisation est l’un des outils clés pour surmonter les abus sur les êtres humains et sur l’environnement par les entreprises. La Colombie est l’un des cas les plus graves. Les entreprises britanniques, ou du moins les sociétés en copropriété, ont vraiment exploité la guerre civile et l’oppression gouvernementale de prétendus éléments marxistes. Le géant pétrolier BP, le brasseur SABMiller et la société minière AngloGold Ashanti opèrent en Colombie. L’armée colombienne et ses liens chez les paramilitaires – maintenant les gangs – ont défini les conditions dans lesquelles les opérations des entreprises sont extrêmement rentables. Les syndicalistes, les étudiants, les politiciens de gauche, les défenseurs de l’environnement et d’autres sont brutalisés, intimidés, kidnappés, torturés et même tués. Il existe des liens entre les syndicats britanniques et les syndicats colombiens, un lien qui fait prendre conscience de la situation critique des Colombiens au Royaume-Uni.

Mais nous devons faire attention à ne pas croire les objectifs déclarés de dirigeants comme Trump. Trump a déchiré les traités de mondialisation des entreprises tels que le PTP (Partenariat Trans-Pacifique) et l’ALÉNA renégociés pour une raison simple : ces « accords » n’étaient pas suffisamment rentables pour les entreprises américaines. Le PTP comportait des échappatoires fiscales permettant aux pays étrangers de faire payer aux États-Unis des taxes dissimulées sur la valeur ajoutée. Le public qui ne connaissait ni ne se souciait des détails des soi-disant accords de libre-échange a été dupé en croyant que Trump se préoccupait des travailleurs américains. Le fait est que l’équipe de Trump préfère les accords individuels ou bilatéraux. Dans une configuration bilatérale, les États-Unis sont la dominante des deux pays, dont la Chine – l’essor économique de la Chine est en grande partie un mythe, étant donné que les principaux investisseurs sont américains. Mais dans une association politique, comme l’UE ou le PTP, les États-Unis sont plus faibles. Les intérêts des travailleurs américains, c’est-à-dire de ne pas adhérer au PTP, coïncidait avec les intérêts des grandes entreprises ; avoir un accord de « libre échange » comprenant des dispositions contre les taxes cachées. C’était un peu comme le Brexit : il a profité à certaines élites et a coïncidé avec l’opinion publique. En outre, de plus en plus d’entreprises comptent sur l’automatisation. Les pays étrangers n’ont tout simplement pas l’infrastructure nécessaire pour assembler des produits américains avec des robots. Les entreprises américaines sont donc en train de se relocaliser. Trump peut se vanter de cela en affirmant qu’il ramène des emplois en Amérique.

L’espoir majeur voire l’action est concrétisé par un engagement politique. Syriza de Grèce a totalement vendu le peuple grec au FMI, à la Commission européenne et à la Banque centrale européenne – la troïka. Mais au moins, il y a des politiques de gauche. Ses échecs ont ouvert la voie à la droite, la Nouvelle Démocratie, qui est actuellement en tête des sondages. Podemos en Espagne est un autre exemple de progrès modérément gauchiste qui, en cas de succès, pourrait être poussé encore plus loin par un activisme de base. Bien que n’étant pas encore au pouvoir au Royaume-Uni, le Parti travailliste de Corbyn est désormais le plus grand parti politique en termes d’adhésion de la base en Europe. L’Autriche et l’Italie dirigées par des gouvernements d’extrême droite présentent également des dangers. Les partis d’extrême droite et d’extrême gauche professent un programme antimondialisation, mais ne s’engagent pas pleinement à mettre fin à leur soutien à la mondialisation des entreprises.

Nous devons agir vite car il n’est pas du tout certain qu’un programme d’entreprise néolibéral puisse survivre. L’année dernière, j’ai écrit un article pour Truthout décrivant les nombreux peuples autochtones du monde, les « tribus », comme nous les appelons avec dédain, qui sont littéralement menacées d’extinction. C’est ce que notre civilisation et sa dépendance à la cupidité des entreprises ont fait, menant littéralement des milliers de peuples menacés au bord de l’extinction. Leur situation critique est un avant-goût des choses à venir. Si nous examinons les données sociales dans les sociétés qui ont été touchées d’abord par des crises financières, puis par des programmes néolibéraux, nous constatons des taux de mortalité massifs. Le néolibéralisme tue littéralement. Le néolibéralisme est un système de cupidité institutionnalisé qui mesure tout en termes de valeur financière. Un système mondial basé sur ces principes inhumains ne pourra pas survivre longtemps.

Vous avez édité « Voices for peace« , un livre cosigné par plusieurs personnalités dont j’ai interviewé certaines, comme Kathy Kelly et Noam Chomsky. Selon vous, les voix de ces personnalités ne sont-elles pas très importantes dans le combat qui est livré par les résistants à travers le monde ?

Ces voix sont des représentants importants. Chaque auteur a apporté différentes choses à l’humanité de différentes manières. Dans les années 1970, le journaliste John Pilger a collecté des millions de dollars pour aider les victimes de la famine cambodgienne. Il a littéralement sauvé des vies. Aujourd’hui, John fait un autre travail essentiel pour sensibiliser les consciences aux mensonges du gouvernement. Kathy Kelly est associée à de nombreux groupes, en particulier Voices for Creative Non-Violence en Afghanistan, fournissant des couvertures, un soutien émotionnel, etc. Brian Terrell est un activiste anti-drone engagé qui a été arrêté à plusieurs reprises. Bruce K. Gagnon a été un pionnier en matière de sensibilisation à la militarisation de l’espace et continue sur sa lancée en organisant des manifestations, des entrevues et en écrivant des articles. Pour les Palestiniens, le fait d’avoir des Juifs israéliens comme Ilan Pappé pour défendre leurs droits constitue un encouragement psychologique important.

Le livre commence par parler d’activistes de la base, comme ceux qui déposent des bouteilles d’eau dans les déserts de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, afin que les réfugiés mourants puissent survivre, ou les braves volontaires qui se procurent des bateaux et sillonnent les eaux européennes pour rechercher des hommes, des femmes et des enfants réfugiés qui se noieraient sans leur aide ou seraient victimes d’hypothermie. Ces militants ont un sens aigu de l’humanité et de la compassion. Ils n’ont pas besoin de personnalités telles que Chomsky pour les motiver, mais des noms bien connus sont importants pour les représenter, ainsi que leurs causes, directement ou indirectement, auprès d’un public plus large. La présentation par de grands noms est un moyen d’attirer l’attention sur un travail important et souvent effectué sur le terrain par d’autres, mais aussi effectué par beaucoup de personnes figurant dans le livre.

Vous êtes directeur et fondateur de l’Institut Plymouth pour la recherche sur la paix (Plymouth Institute for Peace Research). Pouvez-vous présenter votre organisme à nos lecteurs ?

PIPR (Plymouth Institute for Peace Research) a été fondé en 2014 par mon partenaire et moi-même afin de commémorer le début de la Première Guerre mondiale et d’attirer l’attention sur les guerres et l’oppression qui se déroulent aujourd’hui. PIPR est un site web. C’est une organisation indépendante autofinancée, autrement dit, son financement est presque nul. C’était un choix délibéré, car je ne voulais pas que l’agenda soit façonné par les bailleurs de fonds – ce n’est pas que je n’avais pas d’offres. Contrairement à la guerre, la paix n’est pas une activité rentable. Mes livres sont la seule chose à vendre sur le site. Il n’y a pas de publicité. Le site contient des archives de documents contenant ce que je considère comme les documents les plus importants : le plan d’expansion des drones de l’armée américaine, le programme « maîtriser la météo » de l’armée de l’air américaine pour tester les technologies de lutte contre le changement climatique, la déclaration de guerre au monde du Commandement spatial américain, son programme de « domination totale du spectre », et d’autres.

Le site propose également des vidéos, notamment un documentaire de la BBC traitant des attaques terroristes perpétrées par le MI6 et la CIA en Europe après la Seconde Guerre mondiale, l’opération Gladio. Il y a une page de liens vers d’autres organisations – que je considère être – progressistes et anti-guerre, comme Amnesty International et Code Pink. Il y a une page des membres honoraires. Parmi les membres honoraires, il y a : Suaad Genem, une Israélo-Palestinienne qui a été chassée de son pays natal en raison de ses engagements envers les partis politiques laïques qui défendent les droits des Palestiniens, Kathy Kelly que j’ai mentionnée ci-dessus, John Pilger, et le Dr. Cynthia McKinney, ancien membre du Congrès et activiste. Certains membres honoraires n’ont rien apporté au site et ont été supprimés. D’autres se sont révélés être des charlatans et ont également été retirés. La page des événements soutient Bruce K. Gagnon de Space4Peace. Nous publions également des articles sur divers sujets. Au cours des dernières années, nous avons agi en tant que site miroir du groupe de Kathy, Voices for Creative Non-Violence, en republiant les articles sur leur site, dont la plupart concernent leur travail sur le terrain en Afghanistan.

PIPR a été créé lorsque mon partenaire et moi vivions à Exeter, au Royaume-Uni, et participions à un certain nombre d’activités liées à la paix à proximité ou à l’intérieur de la ville : Palestine Solidarité, anti-esclavage, Campagne contre le désarmement nucléaire, etc. Il a semblé judicieux d’établir et d’utiliser PIPR comme une sorte de plateforme dans laquelle ces activités apparemment disparates pourraient se fondre sous la bannière générale de la paix. En termes d’activisme pratique et local : nous avons marché en signe de protestation et organisé des veilles contre la nouvelle démolition de Gaza par Israël en 2014, nous avons rejoint les manifestations contre l’usine de drones UAV Engines à Shenstone, au Royaume-Uni, nous avons soutenu les événements Music for Peace d’Exeter, nous avons tenu des stands pour vendre des livres et distribuer des tracts sur la paix au festival Exeter Respect, nous avons pris la parole lors du festival des martyrs de Tolpuddle dans le Dorset, au Royaume-Uni, et donné des conférences ailleurs, y compris à la Cambridge Stop the War Coalition.

Passer d’Exeter à une zone plus rurale a rendu plus difficile le maintien de l’activisme de base, d’où mon intérêt actuel pour l’écriture. Au moment où se terminaient les commémorations de la Première Guerre mondiale, telles qu’elles se présentaient, le site a atteint son objectif. À son apogée, nous obtenions environ mille visites uniques par jour, sans publicité ni promotion. Cela tient uniquement à la popularité des personnes interrogées et des contributeurs, y compris ceux mentionnés ci-dessus, ainsi qu’Ilan Pappé. Nos plus grandes réussites académiques ont été d’interviewer Noam Chomsky et de publier l’article de Bruce K. Gagnon, cité par le projet Censored de la Sonoma State University dans son livre Censored 2016. L’attention du public a été attirée par hasard sur PIPR lorsque le livre Fire and Fury de Michael Wolff, qui partage son titre avec l’un de mes livres, a été annoncé par Newsweek. Ce dernier a publié un article sur des livres portant le même titre que Wolff. PIPR a été mentionné dans l’article. C’est une honte que le grand public nous considère comme étant d’un intérêt périphérique suscité par la coïncidence du succès du livre mainstream de Wolff. Le livre de Wolff est principalement composé de ragots sans fondement. Mais cela en dit long sur la culture de la renommée ainsi que sur le respect et l’attention accordés aux personnes de haut rang.

T. J. Coles

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Qui est le Dr. T. J. Coles ?

T. J. Coles est chercheur postdoctoral au Plymouth University’s Cognition Institute. Il s’occupe de problèmes liés à la cécité et aux déficiences visuelles. Chroniqueur pour AxisOfLogic.com, il a écrit sur la politique et les droits de l’homme pour un certain nombre de publications, dont CounterPunch et Truthout. Il a écrit plusieurs livres dont Union Jackboot (avec Matthew Alford) et Manufacturing Terrorism (Clairview Books), Britain’s Secret Wars, Human Wrongs, Real Fake News, Voice for Peace, The Great Brexit SwindlePresident Trump, Inc. and Fire and Fury.

Il est directeur de Plymouth Institute for Peace Research (PIPR).

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RÉVOLUTIONNAIRES, RÉFUGIÉS & RÉSISTANTS - Témoignages des républicains espagnols en France (1939-1945)
Federica Montseny
Il y a près de 80 ans, ce sont des centaines de milliers d’Espagnols qui durent fuir à l’hiver 1939 l’avancée des troupes franquistes à travers les Pyrénées pour se réfugier en France. Cet événement, connu sous le nom de La Retirada, marquera la fin de la révolution sociale qui agita l’Espagne durant trois ans. Dans ce livre, on lit avec émotion et colère la brutalité et l’inhumanité avec lesquelles ils ont été accueillis et l’histoire de leur survie dans les camps d’internement. Issu (…)
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Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières sur le pied de guerre. Si le peuple américain permet un jour aux banques privées de contrôler le devenir de leur monnaie, d’abord par l’inflation, ensuite par la récession, les banques et les compagnies qui fleuriront autour des banques priveront le peuple de tous ses biens jusqu’au jour où ses enfants se retrouveront sans toit sur la terre que leurs parents ont conquise.

Thomas Jefferson 1802

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