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Conférence internationale de Pékin sur Droits de l’homme et protection de l’écologie marine dans le processus de modernisation

Le 26 septembre 2023 s'est tenu à Pékin une conférence internationale sur la relation entre environnement, le développement et droits de l'homme, dans le processus de modernisation et de protection de l'écologie marine. Tamara Kunanayakam* y a présenté la communication suivante.

Je remercie les organisateurs de m’avoir donné l’occasion de partager mes réflexions sur le projet ambitieux de la Chine de construire une communauté maritime avec un avenir commun, à un moment où la coopération internationale est indispensable pour relever les défis d’une crise systémique sans précédent, d’une ampleur épique, qui menace l’ensemble de l’humanité.

Je me sens particulièrement concernée car je viens d’une île stratégiquement située dans l’océan Indien – le Sri Lanka – qui a dû payer un lourd tribut pour avoir résisté aux pressions visant à l’amener à suivre le camp d’un hégémon mondial (les États-Unis) de plus en plus agressif et sur le déclin. Les ingérences extérieures dans nos affaires intérieures, les sanctions unilatérales, la déstabilisation politique, le ciblage sélectif au Conseil des droits de l’homme des Nations unies et une longue guerre séparatiste soutenue par l’étranger ont été notre lot au cours des quatre dernières décennies.

Nous sommes dans une situation d’urgence. Il est temps de traiter la crise de l’humanité à la racine. Identifier les responsabilités n’est plus une possibilité parmi d’autres, c’est une nécessité, car les décisions politiques ne sont jamais neutres. Elles reflètent une certaine vision de la société et du monde – et lorsque les visions sont inconciliables, il faut faire des choix – et les assumer !

Ma vision sera une approche du droit au développement, multidimensionnelle et systémique , une approche alternative qui rejette l’idée que la civilisation occidentale définit le progrès et le développement. Elle appelle à une stratégie de développement dans laquelle les personnes sont les sujets centraux du développement et non des objets, la force motrice et les architectes de leur destin. Il n’existe pas de modèle unique ; il ne peut être imposé de l’extérieur. La déclaration des Nations unies sur le droit au développement de 1986 appelle à un développement fondé sur la justice sociale et l’égalité, et non sur les marchés, les profits ou la croissance, un développement dans lequel le progrès social n’est pas obtenu par la concurrence, mais par la solidarité et la coopération. L’approche du droit au développement cherche à s’attaquer aux causes des inégalités et des injustices à la racine, en les identifiant, puis en les éliminant, comme condition préalable à la réalisation du développement pour tous, sans discrimination.

À l’origine de la crise qui se manifeste sous diverses formes – économique, sociale, politique, environnementale, géopolitique, y compris au cœur de l’Occident capitaliste – se trouvent le modèle économique dominant, le capitalisme, et l’ordre mondial fondé sur l’hégémonie étasunienne, dont l’objectif est d’abattre les barrières nationales à l’expansion du capital en quête de profit. La souveraineté est le principal ennemi du capitalisme et de l’hégémonie américaine, d’où l’importance de relever le défi de la sécurité et de la paix maritime pour une protection écologique marine efficace. La défense de la souveraineté, et de son droit intrinsèque à l’intégrité territoriale, est également la pierre angulaire de l’ordre international fondé sur la Charte des Nations unies, sans laquelle la coopération entre États souverains, indispensable à la résolution de problèmes aux ramifications mondiales, serait impossible.

Toute discussion sur la construction d’une communauté avec un avenir commun ne peut donc ignorer les interrelations entre (a) le système économique dominant, le capitalisme ; (b) l’hégémonie américaine et la force militaire – elles vont de pair ; (c) la sécurité maritime ; et (d) le défi environnemental. La progression mondiale du capital s’accompagne toujours d’une idéologie visant à légitimer une expansion sans entrave et le recours à des mesures coercitives unilatérales, y compris les conditionnalités du FMI et de la Banque mondiale, les sanctions et la menace ou l’utilisation de la force militaire.

En ce qui concerne le défi maritime, comment se manifeste la vision unilatérale des États-Unis et de leurs vassaux, le Royaume-Uni et la France en particulier ?

La stratégie militaire des EU, dite « Indo-Pacifique libre et ouvert », qui se joue en mer de Chine méridionale, le nébuleux « ordre fondé sur des règles » qu’elle cherche à imposer et la domination des précieuses ressources des fonds marins par l’idéologie du marché libre représentent la principale menace pour la construction d’une communauté maritime à l’avenir partagé.

J’aborderai chacun de ces points séparément :

(a) La stratégie militaire de l’« Indo-Pacifique libre et ouvert »

La stratégie de l’Indo-Pacifique libre et ouvert n’est pas différente de la logique qui a propulsé l’expansion coloniale occidentale. Il s’agit d’une stratégie militaire dont l’objectif est de combattre la Chine, de s’emparer des précieuses ressources des océans au nom d’une minuscule oligarchie et d’annuler la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982 qui limite sa domination.

La Convention des Nations unies sur le droit de la mer a imposé certaines restrictions à la liberté des puissances maritimes occidentales dominantes de parcourir librement les mers. Un compromis conclu entre ces puissances et les pays en développement a considérablement réduit la zone de l’océan qu’elles avaient autrefois dominée en utilisant la politique illimitée de la liberté des mers du XVIIe siècle. Il a également élargi les espaces relevant de la juridiction nationale des États côtiers. Les eaux territoriales sous la souveraineté de l’État côtier sont passées de 3 à 12 milles nautiques, et une nouvelle zone économique exclusive (ZEE) de 200 milles nautiques a été créée, sur laquelle l’État côtier jouit de droits souverains et d’une juridiction. Les zones situées au-delà de la juridiction nationale ont été limitées à la haute mer, et une nouvelle politique de « liberté de la haute mer » a été mise en place, imposant des restrictions à son utilisation, y compris des dispositions prévoyant qu’elle soit réservée à des fins pacifiques.

Ce n’est pas une coïncidence si le pivot d’Obama vers l’Asie-Pacifique de novembre 2011 a vu la Chine comme la menace principale à un moment où le capitalisme occidental affrontait la Grande Récession de 2008 et où l’hégémonie étasunienne était remise en question par de nouvelles puissances émergentes, parmi lesquelles la Chine et ses partenaires stratégiques jouaient un rôle important. Dès cette époque, la supériorité du socialisme chinois et sa capacité à répondre aux besoins de l’humanité sont devenues évidentes.

L’Indo-Pacifique libre et ouvert est un sinistre système de sécurité en réseau conçu pour dominer deux océans et continents distincts, ainsi que leur espace aérien, leur cyberespace et leurs précieuses ressources marines. L’ancien conseiller adjoint à la sécurité nationale des États-Unis, Matt Pottinger, a décrit l’Indo-Pacifique comme une zone s’étendant « de la Californie au Kilimandjaro ». En d’autres termes, une zone couvrant toute l’étendue des terres et des eaux – de la côte Pacifique occidentale des États-Unis, en passant par la mer de Chine méridionale et l’océan Indien, jusqu’à la côte orientale de l’Afrique, l’Asie occidentale, le golfe Persique et le Moyen-Orient !

(b) L’ordre fondé sur des règles

En juillet 2010, l’administration Obama a déclaré que les opérations dites de « liberté de navigation » menées par des navires de guerre et des avions militaires étasuniens en mer de Chine méridionale constituaient une priorité d’intérêt national. Ces opérations s’inscrivaient dans une stratégie de fait accompli visant à annuler la CNUDM et à imposer un nébuleux « ordre fondé sur des règles » en pénétrant de force dans les mers territoriales et les zones économiques exclusives des États côtiers qui fixent des restrictions à l’utilisation militaire des eaux relevant de leur juridiction. Dans le cas des mers territoriales, sur lesquelles l’État côtier exerce sa souveraineté, Washington prétend cyniquement que la disposition de la CNUDM autorisant le « passage inoffensif » s’applique également aux navires de guerre, et pas seulement aux navires commerciaux. Dans le cas des zones économiques exclusives, il rejette les droits souverains et la juridiction nationale accordés aux États côtiers, les qualifiant d’« eaux internationales » auxquelles s’applique une « liberté des mers » illimitée. Il convient de noter que les termes « eaux internationales » et « liberté des mers » n’existent que dans les documents militaires étasuniens, et non dans le droit international.

(c) L’idéologie du marché libre et les ressources de l’océan

Quant à la facilitation du pillage par les grandes sociétés des précieuses ressources des fonds marins, les États-Unis et leurs alliés occidentaux ont cyniquement manœuvré pendant les négociations de l’ONU sur le droit de la mer pour obtenir le contrôle des entreprises sur la zone des océans située au-delà de la juridiction nationale et reconnue comme patrimoine commun de l’humanité. Lors des négociations sur l’exploitation minière des grands fonds marins dans cette zone, les pays en développement ont plaidé en faveur d’une Autorité internationale des fonds marins multilatérale jouissant du monopole de l’exploitation des ressources des fonds marins. Ils étaient opposés à un modèle de marché libre qui ramènerait la valeur des ressources de ces fonds aux prix du marché libre, mesurerait l’efficacité en termes de concurrence et de viabilité commerciale et se fonderait sur des décisions prises sur la base de considérations techniques plutôt que sur des jugements politiques. L’Occident, quant à lui, a insisté sur la viabilité commerciale et les incitations pour les entreprises privées, assimilant le marché libre à la « liberté des mers ». Pour résoudre le conflit, les États-Unis ont proposé un « système parallèle » de compromis permettant aux deux modèles de fonctionner simultanément. Cependant, après avoir acculé les pays en développement à accepter le système parallèle, les États-Unis et leurs alliés occidentaux sont revenus sur les concessions qui avaient permis d’obtenir le système parallèle. Une fois ces concessions annulées, les États-Unis ont rejeté le régime pourtant déjà réduit et ont refusé de signer le traité.

Le résultat de cette trahison a été un accord de mise en œuvre sur le modèle commercial, avec le report du monopole de l’entreprise jusqu’à ce qu’elle puisse fonctionner sans subventions – ce qui veut dire jamais – ou du moins pas tant que nous n’aurons pas un nouvel ordre international juste ! Cet accord pourrait avoir des conséquences considérables sur les futurs accords juridiques portant sur des questions aussi importantes que le transfert de technologie et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique.

Comment négocier avec un adversaire dont l’histoire est faite de duplicité et de trahison ?

Conclusion

Compte tenu des obstacles considérables qui se dressent sur notre route, comment avancer vers la construction d’une communauté maritime avec un avenir commun ?

Nous ne pouvons plus nous contenter d’approches fragmentaires qui, dans le meilleur des cas, ne traitent que les conséquences, et encore de manière partielle ou temporaire. La situation exige que nous relevions le défi, que nous identifiions les causes avec honnêteté, que nous analysions la situation avec lucidité et que nous prenions des mesures courageuses.

Il est évident que le capitalisme, motivé par la recherche du profit, est incapable de répondre aux besoins et aux aspirations de la majorité de la population mondiale, ainsi qu’à la capacité de notre terre à maintenir la vie. Il est clair que l’hégémonie américaine, facilitée et protégée par le capitalisme, et dont la vision est un ordre mondial unilatéral basé sur l’idéologie de l’exceptionnalisme étasunien et de la destinée manifeste, s’oppose au multilatéralisme basé sur la Charte des Nations Unies. Elle s’oppose donc aussi au besoin urgent de coopération internationale, fondé sur le respect du principe de souveraineté et d’égalité souveraine des États. Le capitalisme et l’hégémonie américaine constituent l’obstacle principal au développement, à la paix, aux droits de l’homme et à la vie sur Terre.

Ce qu’il faut, c’est la volonté politique de clarifier les concepts, de s’engager dans une bataille d’idées, de faire des choix et de traduire les paroles en actions concrètes. En fin de compte, c’est l’équilibre des forces qui déterminera quelle interprétation des concepts prévaudra, quelles idées s’enracineront et sous quelle forme les actions se concrétiseront.

Au cœur de la crise et de l’intensification des conflits géopolitiques et des guerres, y compris la guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie en Ukraine, nous assistons déjà à un changement dans l’équilibre des forces – l’émergence d’un nouvel ordre mondial multipolaire sous l’impulsion de la Chine, qui promeut une vision d’une nouvelle forme de coopération où il n’y a pas de perdants, seulement des gagnants. Nous observons également une accélération des processus émancipateurs, tels que la dédollarisation, l’expansion des BRICS et le succès de l’initiative de « la Ceinture et la Route », qui fêtera bientôt son 10e anniversaire et implique plus de 150 pays et plus de 30 organisations internationales, touchant plus de 60 % de la population mondiale et environ 35 % de l’économie mondiale. Nous assistons également à une nouvelle vague de mouvements cherchant à se libérer des formes insidieuses de domination et de contrôle étrangers, comme c’est le cas au Sahel.

Avec les bouleversements sociaux et politiques qui affectent le monde capitaliste, la menace la plus importante pour l’ordre fondé sur les valeurs et les modèles institutionnels occidentaux est désormais le socialisme chinois, qui a réussi à réaliser ce qui a été décrit comme le miracle du XXIe siècle : l’élimination de l’extrême pauvreté en 2020, sortant 800 millions de personnes de sortir de la misère.

En comparaison, la pauvreté a continué de croître dans les régions les plus riches du monde capitaliste. Aux États-Unis, selon les chiffres officiels, la pauvreté a augmenté de 4,6 % en 2022, et la pauvreté des enfants a plus que doublé, augmentant de 7,2 %. Selon Oxfam, dans ce pays, le plus riche du monde, près de 40 millions de personnes (11 %) vivent dans la pauvreté. Une enquête récente du Wall Street Journal a révélé que chaque année, des centaines d’enfants meurent ou sont gravement blessés dans les services d’urgence des États-Unis, dont seulement 14 % sont certifiés comme prêts à traiter les enfants. L’Europe a également connu une augmentation alarmante du nombre d’enfants et de familles vivant dans la pauvreté. Selon un rapport du FMI, le nombre d’enfants souffrant de pauvreté dans l’UE a augmenté de 19 % en 2020, soit près d’un million. En Allemagne, l’un des pays les plus riches du monde, le nombre d’Allemands vivant dans l’extrême pauvreté a même augmenté de 40 % en 2019 pour atteindre 11,1 % de la population totale ; 13,8 millions d’Allemands vivent dans la pauvreté ou risquent de passer sous le seuil de pauvreté. En France, selon Oxfam, au moins 17 % de la population vit sous le seuil de pauvreté monétaire (alimentation et énergie).

Même la Banque mondiale a admis que la Chine est devenue le plus grand contributeur à la réduction de la pauvreté dans le contexte mondial. Selon ses chiffres de 2022, la Chine a contribué à environ trois quarts de la réduction de la pauvreté dans le monde.

La forme que prendra le nouvel ordre mondial qui se dessine reste à déterminer. Il existe déjà des instruments juridiques internationaux qui peuvent donner un sens à l’action collective en faveur d’un changement radical, notamment la Déclaration sur le droit au développement des Nations unies de 1986.

Dans quelques jours, nous commémorerons le 74e anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine. Le 1er octobre 1949, à 15 heures, dans son discours de proclamation, le président Mao Zedong a déclaré : « Nous, les 475 millions de Chinois, nous sommes maintenant debout et l’avenir de notre nation est infiniment lumineux ». Lors de notre visite à Qingdao ce week-end, nous avons pu constater par nous-mêmes les réalisations spectaculaires du peuple chinois et nous avons été frappés par la confiance que votre dirigeant fondateur avait en son peuple.

En retournant demain dans nos pays respectifs, nous emporterons avec nous l’image inspirante d’un peuple qui a une vision humaine et s’est engagé à construire une communauté maritime avec un avenir commun. Il nous appartient maintenant de veiller à ce que l’équilibre des forces penche en faveur de l’humanité ! Celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre.

Tamara KUNANAYAKAM

* Tamara Kunanayakam a été Présidente du Groupe de travail intergouvernemental de l’ONU sur le Droit au Développement, ancienne Ambassadrice et représentante permanente du Sri Lanka auprès des Nations Unies.

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