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Catastrophe aérienne

Une analyse de Philippe Arnaud :

En regardant la télévision, ces deux derniers jours, j’ai éprouvé un curieux malaise à propos du traitement de l’information sur la catastrophe de l’Airbus A330. D’où vient ce sentiment ?

- D’abord de l’instrumentalisation d’un malheur "aérien", qui semble être devenu, depuis le 9 septembre 2001, l’un des "scénarios" préférés des rédacteurs en chef, et qui met en oeuvre toutes les ressources du 8e art : envoyés spéciaux, reconstitutions, plans fixes, panoramiques,
plans rapprochés, vues de visages et de panoramas, interviews, témoignages, duplex en direct depuis le Brésil, etc. On sent un peu trop les professionnels se réjouir de "l’aubaine" de sortir du tout venant quotidien du petit écran et de faire du cinémascope grand écran.

- Ensuite, la mise en scène ostentatoire de la solidarité envers les parents des victimes : leur prise en charge par des "cellules spécialisées", le déplacement des officiels auprès d’eux, leur protection policière. Comme une façon de dire : "Quel malheur ils ont eu ! Mais qu’est-ce qu’on est bons avec eux !".

- Enfin, la communication insidieuse du sentiment de l’avoir échappé belle. Ce sentiment est d’autant mieux ressenti que les voyages aériens
sont, aujourd’hui, fréquents et aisés (par exemple grâce aux compagnies "low costs"), et que, même si on n’est pas familiers des aéroports, on peut se voir offrir un voyage : comme jeune marié, comme cadeau d’anniversaire de mariage ou de départ à la retraite, ou, dans son cadre professionnel, pour des besoins du service ou comme récompense. Bref, que cela aurait pu arriver à n’importe qui...

- Ce sentiment est renforcé par la recherche fébrile de tous ceux qui ont "échappé à la mort", soit parce qu’ils étaient arrivés en retard, soit parce qu’ils avaient différé (ou anticipé) leur départ, soit parce qu’un aléa de dernière minute (le chef qui refuse le jour de congé, la maladie inopinée) empêche de prendre l’avion, contrariété bien vite muée en énorme soulagement. Cette recherche des "chanceux" est le pendant exact des reportages sur les gagnants du Loto - focalisation des médias sur le bonheur individuel exceptionnel, équivalent moderne des contes de fées de jadis, où la citrouille se transforme en carrosse, où le prince épouse la bergère. |Toutes choses mises en exergue, il y a plus de 30 ans déjà , par Pierre Goubert, dans son mémorable ouvrage sur l’Ancien Régime, où il montrait que, malgré le progrès immense des techniques, la mentalité n’avait pas évolué de l’époque de Louis XV - au moins - jusqu’à nos jours].

- Le dernier point qui augmente encore (pour le téléspectateur) le sentiment du "miracle" d’être en vie, est le réveil de la peur ancestrale de la mer, que signalait Jean Delumeau, en 1978, en ouverture de son ouvrage sur "La peur en Occident - XIVe - XVIIIe siècles". En effet, en dépit de la maîtrise intellectuelle du globe, qui nous permet de dominer la mer par les photos satellite, par Google Earth, en dépit de la maîtrise physique de l’espace par les avions, les bateaux, les satellites, les câbles transocéaniques, l’humain, privé de ces instruments - de "ses" instruments - retrouve l’angoisse de ses ancêtres devant les "immensités pélagiques". Peur de l’infini de la surface, peur du désert liquide, peur du noir des abysses, au-dessus desquelles on se sent précairement suspendu (et deux fois plus précairement quand on est en avion), peur du froid de l’eau, peur des bêtes inconnues des profondeurs, peur des tempêtes et peur de la houle.

- L’idée qu’on ne puisse plus retrouver l’être cher, l’idée qu’il est "dévoré" par la mer (comme lorsqu’on est "dévoré" par la montagne par suite d’une chute dans une crevasse - de glace, donc également d’eau, élément liquide angoissant) donne le sentiment d’être mort deux fois. D’où - c’est le cas de le dire - le sentiment assez égoïste éprouvé par les téléspectateurs du "Suave mari magno, turbantibus æquora ventis..."

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Bernard Stiegler est un penseur original (voir son parcours personnel atypique). Ses opinions politiques personnelles sont parfois un peu déroutantes, comme lorsqu’il montre sa sympathie pour Christian Blanc, un personnage qui, quels qu’aient été ses ralliements successifs, s’est toujours fort bien accommodé du système dénoncé par lui. J’ajoute qu’il y a un grand absent dans ce livre : le capitalisme financier. Cet ouvrage a pour but de montrer comment et pourquoi la relation politique (…)
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