Dans ce numéro de juillet 2016, Serge Halimi explique pourquoi l’Europe est à refaire :
« Monsieur Donald Tusk, président du Conseil européen, doit regretter d’avoir assimilé un éventuel vote négatif des Britanniques à un « début de destruction non seulement de l’Union européenne, mais aussi de la civilisation européenne » (BBC World, 13 juin 2016). Néanmoins, la victoire du Brexit constitue bien un coup de tonnerre pour l’ensemble du Vieux Continent.
Car, cette fois, il sera difficile d’ignorer le suffrage universel en s’appuyant sur une classe politique désavouée par le résultat du référendum du 23 juin afin de rafistoler un arrangement rejeté par le peuple. Nul n’imagine à Londres un déni démocratique aussi flagrant que celui qui fut perpétré en France et aux Pays-Bas au lendemain du vote négatif de mai et juin 2005 sur le traité constitutionnel européen. Il est également douteux que les Britanniques puissent être traités avec autant de mépris que les Grecs, qui, en guise de réponse à leur demande de réorientation du cours de l’Union européenne, furent asphyxiés financièrement et contraints d’accepter une purge sociale aux effets économiques désastreux. »
Pour Rémi Lefebvre , nous assistons à l’autodestruction du parti socialiste :
Subjugué par les dogmes du « marché libre » et rivé aux consignes de Bruxelles, le président François Hollande s’obstine à imposer le démantèlement du code du travail, faute de lutter efficacement contre le chômage. Comme une majorité de syndicats, de Français et de parlementaires rechignent, il tente un passage en force, au mépris même de toute logique électorale.
Selahattin Demirtaş et Laura-Maï Gaveriaux décrivent « La sale guerre du président Erdoğan » :
Dans sa soif croissante de pouvoir, le président turc a lancé une chasse aux sorcières contre ses opposants. L’un des principaux responsables de la gauche témoigne de sa dérive autocratique.
Depuis l’automne 2015, les représailles menées par les forces turques après les combats avec les miliciens du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ravagent le sud-est de la Turquie. De nombreuses villes ont été détruites, et les témoignages recueillis sur place font état de graves exactions contre la population.
Après les retraites dorées, les pantoufles d’or (Pierre Rimbert) :
Affichée en quatre mètres par trois sur les murs des métropoles européennes, cette annonce remplacerait bien des cours d’éducation civique : « Mme Neelie Kroes, conseillère spéciale auprès de la Bank of America Merrill Lynch, ancienne vice-présidente de la Commission européenne chargée de la stratégie numérique et ancienne commissaire européenne chargée de la concurrence, a rejoint le comité chargé de conseiller le service américain de réservation mobile de voitures avec chauffeur Uber. » Précision exquise, ledit comité « doit conseiller l’entreprise sur des questions de régulation, de politiques publiques ou d’image » (La Correspondance de la presse, 9 mai 2016). En d’autres termes, l’ex-plus haute fonctionnaire européenne chargée de réguler l’activité d’Uber travaille désormais comme lobbyiste pour Uber. L’art du pantouflage — vendre au privé une influence acquise dans le public — atteint ici son apothéose.
Quel est l’avenir du PKK ?
« À la mort de Murray Bookchin, en 2006, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a promis de fonder la première société qui établirait un confédéralisme démocratique inspiré des réflexions du théoricien de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire. Une reconnaissance tardive pour ce militant américain auteur d’un projet égalitaire et humaniste.
En Grèce, les privatisations sapent le redressement du pays (Niels Kadritzke) :
« Le revolver sur la tempe, Athènes a capitulé devant les exigences de ses « partenaires » européens en juillet 2015. Les décisions budgétaires et fiscales du pays sont désormais soumises à leur accord préalable. Et le programme de privatisations imposé à la Grèce orchestre le plus important transfert de propriétés jamais opéré dans un pays de l’Union européenne. »
Les Anglais sont partis et pourtant l’Europe est à leur image (Bernard Cassen) :
Bruxelles et Londres ne manqueront pas de trouver un arrangement institutionnel pour organiser le retrait décidé par les électeurs britanniques le 23 juin. Mais le résultat du référendum sur le « Brexit » oblige les dirigeants européens à repenser entièrement un projet commun qui a été réduit au « grand marché », en particulier sous la pression du Royaume-Uni.
En Italie, la condition des travailleurs est de plus en plus précaire (Andrea Fumagalli) :
Défait à Rome et à Turin par le Mouvement 5 étoiles — une formation qui se revendique « antisystème » —, le Parti démocrate du président du conseil italien Matteo Renzi sort affaibli des élections municipales du 19 juin. À croire que sa réforme du marché du travail, le fameux « Jobs Act », a davantage séduit les médias, les milieux patronaux et les sociaux-libéraux européens que les électeurs italiens…
Rarement, en Franfe, une campagne antisyndicale aura été aussi virulente (Serge Halimi & Pierre Rimbert) :
Avant que l’indignation générale ne le contraigne à reculer, le gouvernement de M. Manuel Valls a tenté d’interdire une manifestation syndicale en France – du jamais-vu depuis des décennies. Cette dérive autoritaire doit beaucoup au climat de guerre sociale qu’entretiennent les principaux médias du pays. Subissant la férule de ses propriétaires, la presse renonce au rôle de défenseur des libertés politiques.
Mona Chollet se méfie du revenu garanti et ses faux amis :
« Du Forum économique de Davos à la Silicon Valley en passant par les assemblées du mouvement Nuit debout en France, le revenu de base est sur toutes les lèvres depuis quelques mois. La Finlande affirme vouloir l’instaurer ; les Suisses ont voté sur le sujet en juin. Mais, entre l’utopie émancipatrice que portent certains et la réforme limitée que veulent les autres, il y a un monde… »
Philippe Revelli décrit un nouveau triangle des inégalités : Singapour, Malaisie, Indonésie :
L’accord facilitant les relations d’affaires entre Singapour, la Malaisie et l’Indonésie fait figure de modèle réduit du monde globalisé. Les discours officiels sur la complémentarité entre les trois pays justifient l’exploitation sans vergogne de leurs différences de développement.
Loïc Ramirez expliquent pourquoi les pénuries et la corruption minent la société vénézuélienne :
À mesure que les pénuries s’aggravent, le Venezuela s’enfonce dans le chaos économique. Victorieuse lors des législatives de décembre 2015, la droite tente d’organiser un référendum afin de révoquer le président Nicolás Maduro, successeur d’Hugo Chávez. Une victoire lors d’un tel scrutin suffirait-elle à redonner confiance aux militants de gauche ?
Sophie Hohmann & Marlène Laruelle se penchent sur l’exploitation du nickel en Russie arctique
Sans grands égards pour les peuples autochtones ni pour un environnement fragile, l’Union soviétique a très tôt exploité les ressources énergétiques et minières au-delà du cercle polaire en déplaçant une importante main-d’œuvre forcée ou pionnière. Les cités arctiques russes comme Vorkouta sont-elles amenées à disparaître ? Ou perdureront-elles, comme Norilsk, en attirant de nouveaux volontaires pour une aventure aussi exaltée que douloureuse ?
Sophie Hohmann & Marlène Laruelle estime qu’il faudrait un aménagement du territoire liquide ?
Découper la mer en zones spécialisées, comme on aménage les terres ? Portée par une directive européenne qui entrera en application en septembre, cette idée part d’un constat : certains espaces juxtaposent des activités parfois incompatibles (transport, pêche, gazoducs, aires protégées, exploitation éolienne ou pétrolière). Illustration en mer Baltique d’une planification dictée par des considérations économiques.
En Chine, la télévision, est devenue un anxiliaire de justice (Zhang Zhulin) : auxiliaire de justice
Depuis son arrivée à la tête du Parti communiste chinois, fin 2012, le président Xi Jinping n’a cessé de renforcer son pouvoir. Au nom de la lutte contre la corruption, il écarte toute personne soupçonnée de mettre en cause l’autorité du Parti, selon la vieille méthode des aveux publics, remise au goût du jour pendant la Révolution culturelle. Mais aujourd’hui, les confessions se déroulent sous l’œil des caméras.
Le romancier Dimitri Verhulst nous emmène à Lesbos :
Son roman « Hôtel Problemski » (Christian Bourgois, 2005) décrivait de façon mordante la vie des demandeurs d’asile hébergés dans le centre d’accueil belge d’Arendonk. Avec cette nouvelle, rédigée au début de l’année 2016, l’écrivain flamand Dimitri Verhulst choisit au contraire de ne les évoquer qu’en faisant briller cruellement leur absence : dans les îles grecques, les vacanciers ont de tout autres préoccupations.
Sébastien Lapaque évoque la voix de la fraternité chez Eduardo Galeano :
Réveiller l’esprit de liberté, raconter de petites histoires qui aident à voir la grande, rendre sensibles les raisons de pleurer et les raisons de rire au cœur de notre commune réalité : ce fut l’objectif d’Eduardo Galeano. De l’évocation de la culture populaire à la célébration des horizons à inventer, l’écrivain uruguayen a entre-tissé lyrisme et parole politique.
Pour Philippe Blanchon & Jean-Baptiste Malet, la pêche en haute mer est un univers impitoyable :
« Par l’endettement et la coercition, des dizaines de milliers de travailleurs, dont nombre d’enfants, sont chaque année réduits en esclavage sur les bateaux, écrit le journaliste Ian Urbina dans une enquête au long cours publiée dans le New York Times en 2015. En moyenne, un grand navire coule tous les quatre jours. Entre deux mille et six mille marins meurent chaque année, généralement en raison d’accidents évitables, dus à des mesures de sécurité défaillantes. » Pour illustrer la violence qui règne à bord des flottes, Urbina a publié une vidéo tournée dans l’océan Indien où des pêcheurs, fusil en main, exécutent sommairement d’autres pêcheurs accrochés à une épave. Une scène glaçante qui résume la mise en concurrence effrénée des travailleurs de l’industrie halieutique.