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Jean Germain, éternellement valable

Chaque fois que je le croisais rue Nationale à Tours (il se rendait à l’Hôtel de ville et je poussais dans un landau une de mes filles), je me disais : c’est vraiment un kleiner Mann. Cet homme qui rasait les murs n’était vraiment pas très avenant avec sa calvitie avancée et sa bouche molle. Sa petite taille n’était pas compensée par un port altier ou une démarche ample.

Bien sûr, l’impression était fausse, et je le savais bien. On ne devient pas président de l’université de Tours sur un claquement de doigts. On ne renvoie pas à ses chères études l’inamovible Jean Royer par un coup de dés. Comme dans toutes les grandes villes, le pouvoir à Tours a ses passages obligés. Pour exercer de grandes responsabilités, il ne faut pas être l’ennemi de la franc maçonnerie … ni celui de la base aérienne. A ma connaissance, Germain ne pilotait pas.

Cette histoire – folklorique vue de loin, mais les grandes villes ont leur côté Clochemerle – de faux mariages chinois traînait depuis des années. Germain savait qu’un jour il devrait franchir les portes de l’imposant palais de justice situées à cinquante mètres de son bureau. Il savait qu’alors on oublierait que, pendant ses trois mandats, Tours s’étaient modernisée et embellie.

Emporté par les effets de manche typiques de sa profession, l’avocat de Germain a prononcé des paroles qui, à terme, desserviront la mémoire de son client. Il a plagié Mitterrand en parlant de Germain « jeté aux chiens ». Nullement : durant l’instruction de l’affaire, la presse nationale ne s’est jamais acharnée sur le maire de Tours. Et le Sénat avait refusé de lever son immunité. Germain vivait dans le « déshonneur » ? Il avait donné son accord à une opération commerciale douteuse et à une mascarade à laquelle il participait de son plein gré, au profit d’une amie dont il avait facilité la carrière. Il ne pouvait pas suivre tous les dossiers ? Balivernes ! Rien ne lui échappait. Il savait tout.

Tout individu a ses limites. Germain n’aura pas eu la force de venir se défendre, non pas sur le banc d’infamie, comme le dit son avocat, mais devant la justice humaine.

Il se trouve qu’à une époque de ma vie, en quelques mois, plusieurs personnes qui m’étaient chères se sont suicidées. J’ai été amené à réfléchir à ce que Camus appelait « le seul problème philosophique vraiment sérieux ». Je suggère cette réflexion qui en vaut bien une autre : quels qu’aient pu être les souffrances, les ratés, les petitesses, les traumatismes d’un individu, en se supprimant, celui-ci nous dit qu’il sera désormais éternellement valable.

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