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L’hypocrisie des élites médiatisées

Le philosophe slovène Slavoj Žižek écrivait récemment dans Libération « L’hypocrisie des libéraux occidentaux soutiennent publiquement la démocratie et quand le peuple se soulève contre les tyrans, ils sont profondément inquiets  ». Il aurait pu rajouter dans sa magistrale démonstration que cette même hypocrisie est lourdement présente chez les intellectuels français et autres "élite médiatisée" - d’Alain Finkielkraut à André Glucksmann, de Bernard Henry Levy à Alexander Adler et tant d’autres. Ces philosophes, dont le combat devrait être partout dans le monde, au coeur des luttes contre les tyrannies, les dictatures et les impunités, ont trahi les révolutions arabes, par leur silence éloquent et complaisant.

On le sait maintenant que les soutiens extérieurs aux révoltes arabes ne sont pas venus de ces intellectuels médiatisés, mais d’autres intellectuels français trop souvent écartés des cercles influents pour leur engagement à contre courants du politiquement correcte (1).

Pourquoi cette faute ? La réponse réside dans les stratégies humanitaires empruntées par ces philosophes trop souvent opportunistes et sélectives ainsi que dans leur volonté à donner une posture géopolitique à des discours essentiellement identitaires.

Une contestation sélective et communautariste, une surenchère verbale destructrice

Ces intellectuels et bien d’autres étaient naguère en première ligne pour défendre la liberté d’expression et les causes justes, désormais, ils apportent aujourd’hui leur soutien à des causes conservatrices et communautaires : guerre en Irak et en Afghanistan, militent pour l’invasion de l’Iran et défendent la politique israélienne au moment ou celle-ci est accusée de bafouer les règles élémentaires du droit humanitaire et international.

Affichant sur les plateaux, indépendance et liberté d’esprit, ils se mobilisent en réalité en propagandistes grâce à leurs multiples réseaux influents, contre tous ceux qui dénoncent la politique de colonisation et d’oppression du gouvernement d’Israël. Stéphane Hessel, humaniste, à l’avant-garde de toutes les luttes contre les oppresseurs et les tyrans, a subi leur censure infâme pour empêcher les échos de son indignation contre la colonisation des territoires palestiniens et les raisons du boycott des produits provenant de ces territoires spoliés.

Alors qu’en Israël, des artistes, des auteurs et des cinéastes s’opposent à se déplacer ou à se produire dans ces territoires, car attitude contraire au droit international et que partout dans le monde, de plus en plus de démocrates juifs refusent de cautionner la politique du gouvernement Netanyahou, car elle est contraire à leur propres valeurs, nos philosophes utilisent la vieille stratégie du bunker pour censurer toute pensées critique envers Israël.

Leur mobilisation bruyante pour empêcher la lapidation de l’iranienne Sakineh se réfugie dans le silence lorsqu’il s’agissait de dénoncer l’agression contre la flottille pour soulager le blocus de Gaza ou de condamner les prêches haineux du Rabin Ovadia Yossef, dirigeant religieux du parti Shass au pouvoir ou la publication récente et en toute liberté de "La Torah du Roi" incitant à la haine raciale et à la violence (2).

J’attendais donc avec une certaine curiosité leurs réactions aux révoltes tunisiennes et égyptiennes. Elles sont venues pour la plupart bien tardivement, lorsque le peuple tunisien a congédié le dictateur.

La révolution tunisienne : une joie différée, une dictature regrettée.

Le silence ancien, frileux et gêné s’est vite transformé dans les bloc-notes de Bernard Henri Levy dans Le Point, en exclamation de joie et de louange à la révolution tunisienne. L’adhésion est respectable mais insuffisante car fondée sur des erreurs et des omissions orientées. En expert géopolitique, le philosophe prédit dans cet élan enthousiaste, un effet domino pour « Demain, la Libye de Kadhafi, La Syrie de la famille Assad. Peut-être l’Iran d’Ahmadinajad ». Peut-être aussi le Maroc que le philosophe biffe volontairement ou inconsciemment de la liste, alors que tous les démocrates marocains dénonce un royaume « rongé par la corruption et oxydé de misère » (3). Autre argument hâtif : le moteur de la révolution tunisienne fut boosté non par le prolétariat, ni par les pauvres ou les classes moyennes surdiplômés mais par les usagers de Facebook et de Twitter.

Quel raccourci techniciste qui donnerait à ces nouvelles technologies un pouvoir révolutionnaire ? Comment ne pas prendre en compte dans cette analyse hâtive, ces milliers de tunisiens ordinaires, brandissant des baguettes de pains, pour clamer leurs revendications sociales ? Comment omettre le rôle décisif des organisations syndicales dans l’anticipation et la mobilisation de l’insurrection populaire ? Comment ne pas relever que la majorité des centaines de morts victime de la répression du système Ben Ali, étaient des jeunes chômeurs, paysans, artisans ou ouvriers. Tous ces faits contredisent le pouvoir exclusif des réseaux sociaux dans le déclenchement de l’insurrection tunisienne.
Certes, il ne s’agit pas de nier leur rôle facilitateur et mobilisateur dans la coordination des marches populaires, mais signalons que les milliers de manifestants, ont été beaucoup plus sensibles au seul média crédible à leurs yeux : El Jazeera. L’unique chaîne dans le paysage arabe à critiquer les dictatures bien avant les insurrections tunisiennes et égyptiennes.

Dans le même registre condescendant, l’essayiste Alexandre Adler, promoteur de la politique désastreuse des chocs des civilisations et des croisades anti-arabes dira dans Nice- Matin que la Tunisie « demeure une expérience encourageante au Maghreb. Si cette société n’était pas une démocratie, elle n’était pas non plus son contraire ». Et pour justifier l’argument, il invoque « l’émancipation des femmes, et l’instauration d’un Code civil » oubliant au passage de rappeler que la paternité de ces acquis revient à l’ancien Président Habib Bourguiba et que les prémices de cette modernité, comme l’a rappelé si justement la journaliste Olfa Balhassine dans Libération, ont été diffusées dès le XIXème siècle dans les Institutions tunisienne par les beys réformateurs de l’époque.

Il poussera la servilité jusqu’à minoriser « la captation des richesses par Ben Ali et son clan » bien inférieur à celle des pays voisins. Dans un autre passage, il soutien sans complexe que « Même dans la pire période de Ben Ali, les Tunisiens ont toujours été plus libres que leurs voisins ». Encore des conclusions truffées d’erreurs et méprisantes pour les millions de tunisiens qui n’ont jamais connu cette liberté.

La révolution Egyptienne : une vision culturaliste, un discours haineux.

Quel paradoxe ? Quelle hypocrisie ? Alors que jamais dans l’histoire du monde arabe, on avait assisté à des révolutions populaires aussi fécondes, Alain Finkielkraut, Bernard Henry Levy et Alexandre Adler se mobilisent pour agiter le chiffon rouge du péril vert et entonner leur refrain favori et catastrophique sur une issue inévitable à l’iranienne de la révolution Egyptienne. Thèse, non sans quelques fondements et beaucoup de démocrates notamment arabes ne résistent pas à l’analyse, si celle ci n’était pas instrumentalisée à des fins culturalistes et géopolitiques.

Ces auteurs surfent en vérité sur une vision culturaliste qui divisent l’humanité en entités fictives, nous : les occidentaux avec notre modèle démocratique occidental et sa force civilisatrice et eux : les musulmans et les arabes, sans tradition démocratique et par conséquent inassimilable avec les valeurs de la démocratie, voire indésirable dans ses territoires. Ils construisent en fait un processus mystificateur à l’intérieur duquel l’identité arabe est figée par un ordre absolu et transcendant qui lui interdirait tout dépassement moderne. Cette grille de lecture est politiquement et idéologiquement orientée, car elle ne vise pas la complexité du monde arabe et ses aspects contradictoires fondateurs, mais des caricatures et des clichés du "peuple enfant’ immature à la démocratie.

En outre, la stratégie communautaire empruntée par ces philosophes, se transforme dans leurs analyses en posture géopolitique. Dans le droit fil des thèses du gouvernement Israélien, ils qualifient le mouvement des frères musulmans Egyptiens comme un danger existentiel pour l’Etat d’Israël. Alain Finkielkraut alerte dans Libération : « S’ils devaient prendre le pouvoir, le traité de paix avec Israël pourrait être dénoncé » puis s’empresse d’ajouter « En Egypte, les manifestants s’interrompent pour faire la prière » !!

L’essayiste Alexandre Adler enfonce le clou et annonce dans le Figaro (4) une dictature intégriste au Caire et diabolise l’opposant démocrate Mohamed El Baradei qui s’efforce de forcer la démocratie dans son pays, en le qualifiant de « pervers polymorphe » parce qu’il aurait « tout fait à la tête de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) pour couvrir ses amis iraniens dans leurs menées prolifératrices ». A qui fera-t-on croire que ce haut fonctionnaire international, laïc, démocrate et prix Nobel de la paix, ait été complaisant avec les Iraniens ? Oui l’Islam politique multiforme existe en Egypte, en Tunisie et ailleurs, tout comme les partis extrémiste et raciste Israel Beiteinu et religieux Shass au pouvoir en Israël et tolérés allègrement par nos philosophes.

Toujours alerte à Justifier l’injustifiable ou de faire endosser au reste du monde la culpabilité d’Israël, ces auteurs, agissent en réalité d’une manière excessivement communautaristes. Dès lors, ils ne mettent plus de gants pour regretter des despote dociles et complaisants à l’égard d’Israël et agir par rapport à son seul intérêt géopolitique, sacrifiant au passage l’espoir de millions de démocrates mobilisés pour exiger le seul idéal commun à toute l’humanité : la démocratie.

C’est donc sans grande surprise, qu’on retrouve chez cette élite combative, la même hypocrisie signalée par Slavoj Žižek. Plutôt que de dénoncer la complicité calculée des dictateurs arabes avec le fondamentalisme musulman, d’encourager la transition démocratique qu’ils ont tellement célébrée dans les pays de l’Est et de réfléchir ensemble, à partir des conditions désormais nouvelles, d’une réconciliation inéluctable arabo-israélienne, les philosophes médiatiques n’hésitent pas à exacerber des analyses xénophobes et légitimer des thèses discriminatoires. Triste déclin d’une philosophie embrigadée qui reposerait plus sur des discours identitaires et fanatiques que sur des raisonnements construits.

Lotfi MAHERZI

Professeur des universités
Université de Versailles Saint Quentin
Institut Maghreb Europe, Paris 8

(1) Cf La pétition Tunisie : un appel au gouvernement Français 

(2) Extrait du prêche du grand Rabbin : "Que tous ces méchants qui haïssent, comme Abou Mazen ( le président palestinien) et tous les palestiniens, disparaissent de notre monde, que la peste les frappe’. Extraits de "La torah du Roi’ : "Il peut-être licite de tuer les bébés et les enfants des "ennemies d’Israël, car il est clair qu’ils nous porterons préjudice lorsqu’ils auront grandi’ Courier international : N° 1036, 9 septembre 2010

(3) Point de vue : Karim Boudjemaa : Le Maroc aussi est rongé par la corruption et oxydé de misère. LEMONDE 1 février 2011

(4) Figaro 29 janvier 2011

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Abrégé du Capital de Karl Marx
CAFIERO, Carlo
« Le capitalisme n’est et ne sera pas là de toute éternité. » Cet Abrégé, rédigé en 1878, nous livre l’essentiel de l’analyse contenue dans le Livre I du Capital de Karl Marx. Ce compendium de la critique du système capitaliste - « où ce ne sont pas les moyens de production qui sont au service du travailleur, mais bien le travailleur qui se trouve au service des moyens de production » - a été rédigé à destination d’un public populaire. Écrit dans un style simple et sans l’appareil (…)
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Croire que la révolution sociale soit concevable... sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., c’est répudier la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira "Nous sommes pour le socialisme", et qu’une autre, en un autre lieu, dira "Nous sommes pour l’impérialisme", et que ce sera alors la révolution sociale !

Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution.

Lénine
dans "Bilan d’une discussion sur le droit des nations", 1916,
Oeuvres tome 22

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