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"Accusations suédoises" : Déposition de Julian Assange - 14/15 novembre 2016 (texte complet)

Note du traducteur : on a beau se démener à traduire tout ce que l’on peut, il arrive malgré tout de tomber sur le texte par lequel il aurait peut-être fallu commencer...

14/15 NOVEMBRE 2016 : DEPOSITION [de JULIAN ASSANGE] À L’AMBASSADE D’ÉQUATEUR

PRIVILÈGE LÉGAL

Vous m’avez soumis à six ans de détention illégale et politisée sans inculpation, dans une prison, en résidence surveillée et à quatre ans et demi dans cette ambassade. Vous auriez dû me poser cette question il y a six ans. Le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire et la Cour d’appel suédoise ont jugé vos actions illégales en refusant de prendre ma déposition au cours des six dernières années. Il a été établi que vous m’avez soumis à des traitements cruels, inhumains et dégradants. Vous m’avez refusé une représentation juridique efficace dans ce processus. Malgré cela, je me sens obligé de coopérer même si vous ne protégez pas mes droits.

I. L’ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE SUÉDOISE

Moi, Julian Assange, citoyen australien, je me suis fait saisir mon passeport par les autorités britanniques et je ne peux donc pas fournir de pièce d’identité officielle, je me trouve dans une situation de détention arbitraire selon la décision du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (UNWGAD) du 4 décembre 2015 ; réfugié politique depuis le 19 juin 2012 à l’ambassade de l’Équateur avec asile qui fut accordé par l’Équateur le 16 août 2012, et me présente devant les autorités de la Suède et de l’Équateur dans le cadre d’une commission rogatoire entre ces deux États, demandée par le procureur suédois Marianne Ny, et déclare :

1.1 Je ratifie ce qui a été exprimé par mon avocat équatorien, tant en ce qui concerne cette procédure aujourd’hui que les préoccupations relatives à la procédure engagée contre moi en Suède, y compris le fait que mon avocat suédois n’a pas été autorisé à être présent et que je n’ai pas reçu les pièces à décharge et autres pièces à conviction, qui ne m’ont pas encore été dûment communiquées, notamment dans la préparation de cette déposition.

2.2 Aujourd’hui, 14 novembre 2016, après m’être mis à la disposition des autorités suédoises depuis le début de ce processus scandaleux il y a six ans, j’ai enfin l’occasion de faire ma déposition lors de l’enquête préliminaire suédoise. Je suis reconnaissant à l’Équateur d’avoir tenté de faciliter ce processus étant donné que la procureure suédoise a refusé, depuis 2010, d’accepter ma première déposition sur l’allégation à mon encontre.

3. 3 Je me suis rendu en Suède le 11 août 2010. Durant mon séjour, j’ai rencontré une femme (ci-après dénommée "SW"). Le soir du 16 août 2010, elle m’a invité chez elle. Pendant la nuit et le matin, nous avons eu des rapports sexuels consensuels à plusieurs reprises.

4.4 Je n’en croyais donc pas mes yeux lorsque, cinq jours plus tard, j’ai vu dans un tabloïd suédois le titre d’un article qui disait que j’étais soupçonné d’un crime et l’objet d’un mandat d’arrêt (« arrested in my absence »). Je me suis immédiatement mis à la disposition des autorités suédoises pour clarifier toutes les questions qui pourraient se poser, bien que je n’y étais pas obligé.

5. 5 Le même jour (21 août 2010), le procureur en chef de Stockholm, Eva Finné, a levé le mandat d’arrêt contre moi et a clos l’enquête préliminaire en concluant qu’aucun crime n’avait été commis contre la femme "SW" (sujet de cette procédure). J’en ai tiré la conclusion qu’à part les dommages causés à ma réputation dans le monde entier par des millions de pages web disant que j’étais "recherché pour viol", ma vie, à cet égard, allait revenir à la normale.

6.6 Le 23 août 2010, le Procureur général de Stockholm, Eva Finné, a déclaré qu’elle avait "estimé que les éléments de preuve ne faisaient apparaître aucune infraction de viol".

7.7 Le 25 août, le Procureur général a conclu que "le comportement allégué n’avait révélé aucun crime et que le dossier (K246314-10) serait clos".

8.8 Une semaine plus tard, j’ai appris à ma grande surprise qu’un autre procureur du nom de "Marianne Ny" avait rouvert l’enquête préliminaire sans aucune consultation ni possibilité de me faire entendre - après avoir été innocenté et l’affaire classée.

9.9 Ce procureur a finalement émis un mandat d’extradition contre moi, supposément pour prendre ma déposition, alors que j’avais quitté la Suède avec sa permission et de bonne foi, et que j’avais essayé à plusieurs reprises de voir si le procureur était prêt à prendre ma déposition. Je n’avais pas été et n’ai toujours pas été accusé d’un crime.

10.10 Il a fallu plus de six ans au procureur pour prendre ma déposition. Le retard est entièrement imputable au procureur qui a rouvert l’enquête préliminaire. Conformément à la loi suédoise (chapitre 23, section 4 du Code de procédure), le procureur est tenu de mener l’enquête préliminaire aussi rapidement que possible et lorsqu’il n’y a plus de raison de poursuivre l’enquête, celle-ci doit être interrompue. Au stade de l’enquête préliminaire, le procureur doit tenir compte de toutes les circonstances : celles qui pèsent contre le suspect ainsi que celles qui lui sont favorables, et tout élément de preuve favorable au suspect doit être conservé. L’enquête doit être menée de manière à ce que personne ne soit inutilement exposé à des soupçons, à des coûts inutiles ou à des désagréments.

11.11 Au lieu d’appliquer la loi, le procureur Marianne Ny a maintenu l’enquête préliminaire ouverte sans justification pendant plus de six ans. Elle a délibérément suspendu ses travaux qui auraient fait progresser et conclure l’enquête préliminaire. Depuis plus de six ans, elle refuse de prendre ma déposition et n’a rien fait pour poursuivre l’enquête préliminaire. L’enquête préliminaire est entrée en sommeil il y a plus de six ans. J’ai toujours montré ma volonté de coopérer afin d’accélérer la procédure, même si je n’y suis nullement obligé. Toute l’obligation de faire avancer l’enquête préliminaire incombe au procureur. Cette attitude du procureur a clairement violé les règles impératives du droit suédois.

12.12 Je répète qu’au cours des six dernières années, j’ai continué de demander à ce procureur de recevoir ma déposition, notamment :

 En assistant volontairement à un interrogatoire le 30 août 2010 à Stockholm, où aucune question n’a été posée sur l’accusation, car j’avais déjà été innocenté.

 En restant en Suède plus de cinq semaines de plus que prévu, en demandant à plusieurs reprises si et quand je pourrais faire une déposition, malgré des engagements pressants que j’avais par ailleurs.

 En obtenant que la permission du procureur de quitter la Suède avant le 27 septembre 2010 en toute bonne foi, comprenant que je n’étais pas tenu de faire une nouvelle déposition à ce moment. Le jour où j’ai quitté le pays, trois de mes ordinateurs portables cryptés ont été saisis à l’aéroport d’Arlanda à Stockholm. Les ordinateurs portatifs contenaient des preuves de crimes de guerre en attente de publication et de la correspondance juridique confidentielle.

 En offrant de retourner en Suède pour faire une déposition en octobre 2010.

 En offrant de faire ma déposition depuis Londres par différents moyens, y compris par téléphone ou par vidéoconférence ou par écrit depuis Londres entre octobre 2010 et jusqu’à l’émission inutile d’un mandat d’arrêt européen par le procureur et par son intermédiaire. Le mandat d’arrêt européen a tenté de m’extrader, sans charge, du Royaume-Uni vers la Suède, pour prendre ma déposition. J’offrais spontanément mon témoignage qu’elle prétendait vouloir obtenir lorsqu’elle a demandé mon arrestation.

 En fournissant un échantillon d’ADN il y a six ans, en décembre 2010, lorsque j’ai été arrêté pour la première fois à la demande de la Suède, et qui est à la disposition du procureur depuis six ans. Elle ne s’est même pas donné la peine d’essayer de l’utiliser.

 En offrant de faire une déposition à Londres par le biais de Mutual Legal Assistance, entre autres suggestions, pendant mon assignation à résidence (7 décembre 2010 - 19 juin 2012).

 En offrant de faire une déposition à l’ambassade de l’Equateur à Londres à partir du 19 juin 2012, par exemple par e-mail de mes avocats suédois le 24 juillet 2012 et lors d’une réunion entre mes avocats et les procureurs à Stockholm le 7 mai 2013, il y a plus de quatre ans et plus de trois ans respectivement.

 En proposant de venir en Suède à condition que la Suède donne la garantie que je ne serai pas extradé vers un autre État en raison de mon travail d’éditeur. Cette proposition a également été faite par l’Équateur par voie diplomatique et publiquement en 2012, car je suis un réfugié sous sa juridiction.

13.13 Tout cela démontre, bien que je n’y étais pas obligé, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour témoigner devant le procureur tout en protégeant mon droit d’asile et en me protégeant contre le risque d’extradition vers les États-Unis, où une affaire de sécurité nationale est engagée contre moi. Selon le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, Chelsea Manning, la source présumée de WikiLeaks dans cette affaire, a été soumise à des traitements cruels, inhumains et dégradants en détention aux États-Unis, et a depuis été condamnée à 35 ans de prison [graciée par le président Obama puis emprisonnée à nouveau le 8 mars 2019 - NdT].

14.14 L’État suédois refuse de me fournir les assurances nécessaires contre l’extradition ou tout autre transport vers les États-Unis depuis 2010, lorsque mes avocats l’ont demandé, et depuis 2012, lorsque l’État équatorien l’a demandé. La Suède a également refusé d’accepter que l’asile que l’Équateur m’a accordé m’oblige à me protéger contre l’extradition vers les États-Unis, alors que c’est la norme reconnue en matière d’asile, rendant donc impossible pour moi d’aller en Suède sans renoncer à mon droit fondamental en tant que réfugié politique. Ce refus de reconnaître mes droits en tant que réfugié politique a été le seul obstacle à ma présence en Suède. J’ai explicitement proposé d’accepter l’extradition vers la Suède à condition qu’elle garantisse simplement qu’elle ne me transfère pas vers un autre État. Cette demande a été refusée.

15.15 Néanmoins, j’ai continué à offrir de présenter ma déposition au procureur par le biais de mécanismes qui peuvent être utilisés pour atteindre son objectif déclaré sans mettre en danger mes droits fondamentaux, qu’elle a, jusqu’à récemment, rejetés.

16.16 Il y a deux ans, le 20 novembre 2014, la Cour d’appel de Svea a sévèrement critiqué le procureur pour sa négligence :

« La Cour d’appel note toutefois que l’enquête sur les crimes présumés a été interrompue et considère que le fait que les procureurs n’aient pas examiné d’autres possibilités n’est pas conforme à leur obligation - dans l’intérêt de toutes les personnes concernées - de faire progresser l’enquête préliminaire. »

1.17 Ce n’est qu’en mars 2015 que Marianne Ny a finalement déclaré - après que la Cour d’appel de Suède l’eut déclarée coupable d’avoir manqué à ses obligations et que mon affaire était devant la Cour suprême et qu’il soit devenu évident qu’elle pourrait perdre - qu’elle accepterait, sous certaines conditions restrictives, ma déposition.

2.18 Depuis lors, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (UNWGAD) a rendu sa décision le 5 février 2016 selon laquelle ma situation à l’ambassade équivaut à une détention illégale et arbitraire, en violation des obligations juridiques contraignantes de la Suède en droit international. Le Groupe de travail a constaté que la Suède et le Royaume-Uni n’ont pas tenu compte de l’asile qui m’a été accordé par l’Équateur, me forçant à choisir entre la privation de liberté et le risque de perdre la protection de l’Équateur et d’être extradé vers les États-Unis.

3.19 Il a ensuite fallu à Marianne Ny, après avoir affirmé à la Cour suprême qu’elle changerait de position, plus de 18 mois pour organiser cette rencontre. Je n’ai pas été responsable d’un seul jour de retard dans cette procédure. Tout ce retard incombe au procureur Marianne Ny et aux autorités de l’Etat. Encore une fois, notez que toutes les obligations incombent au procureur.

4.20 En outre, le Groupe de travail a conclu que le procureur suédois avait violé mon droit à une procédure régulière dans la conduite de cette enquête préliminaire et que demander mon extradition vers la Suède comme seule option dans ces circonstances était "excessif et inutile " [paragraphe 97]. En particulier, le groupe a constaté :

"....après plus de cinq ans, il en est encore au stade de l’enquête préliminaire, sans que l’on puisse prévoir si et quand une procédure formelle d’instruction judiciaire commencera..." [ paragraphe 97] "....M. Assange s’est vu refuser la possibilité de faire une déposition, ce qui est un aspect fondamental du principe audi alteram partem, l’accès aux preuves à décharge, et donc la possibilité de se défendre contre les accusations...". |[par. 98] "....la durée de cette détention est ipso facto incompatible avec la présomption d’innocence." [par. 98]

1.

2. 21 En raison des actions du procureur suédois, le Groupe de travail a estimé que ma situation constituait une privation de liberté de plus en plus grave, d’une durée indéterminée et déjà beaucoup plus longue que la peine maximale que je pouvais théoriquement encourir en Suède. Pour ces raisons, le Groupe de travail a estimé que le caractère grave et indéfini de ces privations constituait un traitement cruel, inhumain et dégradant en violation de l’obligation de la Suède en vertu de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La gravité de ce traitement est confirmée par l’avis d’expert de Fernando Mariño, ancien président du Comité des Nations unies contre la torture, qui est consigné dans le dossier officiel de la présente procédure.

3.22 Dix mois après la décision du Groupe de travail, la dureté de la situation continue d’affecter ma santé physique et psychologique. Mes avocats ont informé les autorités suédoises de la détérioration continue de ma santé grâce aux certificats médicaux et aux expertises des Drs Michael Korzinski et Fluxman, du 11 novembre 2015 ; du Dr Ladbrooke du 8 décembre 2015 ; du Dr Michael Korzinski du 15 juin 2016 et du Dr Ladbrooke du 9 novembre 2016.

4.23 C’est là que nous en sommes aujourd’hui, sous la juridiction de l’Équateur, avec des droits de plus en plus limités, comme l’a dit mon avocat équatorien. Après plus de six ans, j’ai enfin la "possibilité" de faire ma déposition, mais sans mon avocat suédois qui a été exclu et qui se trouve dans l’impossibilité d’assurer ma défense, le résultat d’années de négligence et de retards intentionnels et illicites de la part des autorités suédoises.

5.24 Toutes les irrégularités qui ont résulté des actes ou omissions de l’autorité pénale et le retard de six ans à ce jour de cette enquête préliminaire disproportionnée, inhumaine et illégale ont définitivement détruit toutes les possibilités pour moi de me défendre correctement, ce qui est sans doute leur intention.

6.25 Compte tenu de ce qui précède, je tiens à dire avec la plus grande fermeté que, outre les violations de mon droit à une procédure régulière dans le cadre de l’enquête à ce jour, la procédure qui doit être adoptée aujourd’hui pour donner suite à ma déposition porte atteinte à ces droits :

 Mon avocat de la défense suédois n’a pas été autorisé à être présent aujourd’hui, malgré le fait que cette procédure concerne une enquête préliminaire pénale suédoise.

 De l’avis de mon médecin généraliste, je suis inapte à préparer et à participer à cette procédure (après avoir été privé de soins hospitaliers et de lumière du soleil pendant 4 ans et demi).

 Mon avocat équatorien n’a pas eu accès au dossier, et encore moins en espagnol, la langue qu’il comprend, et il n’a pas eu suffisamment de temps pour préparer ma défense.

 Mes avocats et moi-même n’avons pas eu accès au dossier.

 On m’a refusé ma demande de lire les SMS que mes avocats suédois de la défense ont lus, qui sont un élément clé de ma défense, car ils montrent clairement que je suis innocent.

2.26 En raison de toutes les lacunes susmentionnées, le procureur Marianne Ny aurait dû tirer la conclusion évidente qu’elle devait interrompre l’enquête préliminaire.

3.27 Dans ce contexte, je vous rappelle une fois de plus que j’ai déjà été innocenté et que l’enquête préliminaire a été clôturée par le Procureur général Eva Finné en août 2010.

4.28 Compte tenu de ces antécédents, j’ai de bonnes raisons de me demander si cette "enquête préliminaire" est menée de bonne foi et si ma déposition fera l’objet d’un examen honnête et impartial. Je soupçonne que l’objectif réel du procureur suédois qui vient ici aujourd’hui n’est pas d’obtenir ma déposition, mais ne serait simplement qu’une ruse pour cocher une case afin de garantir la possibilité technique de m’inculper, quelles que soit mes réponses aux questions.

5.29 Je ne crois pas que la procureure Marianne Ny agisse de bonne foi ou avec l’objectivité et l’impartialité requises par sa charge. Par exemple, après avoir contourné la décision du procureur en chef de Stockholm de classer cette affaire, le procureur Ny a publié au moins 40 communiqués de presse et conférences de presse à mon sujet et où mon nom a été publié, même si je n’ai fait l’objet d’aucune charge et que j’ai déjà été innocenté, ce qui me soumet à un soupçon inutile sans fin, en violation claire de son obligation de ne pas le faire en vertu du chapitre 23, section 4 du Code de procédure suédois.

6.30 Ma conclusion générale est que la conduite de l’enquête préliminaire par le procureur, pour toutes les raisons susmentionnées, a continué à me priver du droit de me défendre.

7.31 Je n’ai aucune obligation de coopérer à cet abus, mais je me trouve dans une situation coercitive. Je suis censé être protégé par la décision de l’UNWGAD qui indique clairement que cette "enquête préliminaire" a violé mes droits humains et que ses tentatives de m’arrêter doivent cesser immédiatement. Cette décision a été rendue il y a presque un an, mais ma situation demeure inchangée. Malgré les nombreuses violations déjà décrites, je me sens obligé de faire ma déposition aujourd’hui afin que le procureur suédois Marianne Ny ne puisse plus trouver d’excuses pour poursuivre ma détention illégale indéfinie, qui constitue une menace pour ma santé et même pour ma vie. Cela fait plus de six ans que je fais pression et que je plaide pour que ce procureur prenne ma déposition. Le procureur trouvé une excuse après l’autre pour ne pas prendre ma déposition. Je n’accorderai aucune excuse à cette procureure pour continuer d’éviter de prendre ma déposition, car je crains qu’elle ne l’utilise comme un moyen de prolonger indéfiniment mon traitement cruel, inhumain et dégradant.

1. II. LES RAISONS POUR LESQUELLES JE ME SUIS RENDU À STOCKHOLM EN AOÛT 2010

2.32 Je suis le rédacteur en chef et l’éditeur de WikiLeaks, un organisme d’édition spécialisé dans l’analyse de documents d’importance politique, diplomatique, historique ou éthique qui risquent la censure. Entre autres pays, WikiLeaks publie et analyse des documents qui concernent les États-Unis, la Suède et le Royaume-Uni, y compris des millions de documents relatifs aux actions des services militaires, de renseignement et étrangers. J’ai reçu de nombreux prix dans le cadre de mon travail de publication, notamment l’Index on Censorship Freedom of Expression Award 2008, The Economist New Media Award (USA) 2008, le 2009 Amnesty International UK Media Award (New Media), le 2010 Sam Adams Associates for Integrity in Intelligence (USA) award, la médaille d’or 2011 de la Sydney Peace Foundation (Australie), le 2011 Martha Gellhorn Prize for Journalism (UK), le 2011 Walkley Award for Most Outstanding Contribution to Journalism (Australie), le Prix Blanquerna 2011 du meilleur communicateur (Espagne), le Prix international Piero Passetti 2011 du journalisme de l’Union nationale des journalistes italiens, le Prix Jose Couso 2011 de la liberté de la presse (Espagne), le Prix international de la vie privée 2012, le Yoko Ono Lennon Courage Award en 2013, le Global Exchange Human Rights Awards en 2013, ainsi que les nominations officielles pour le Prix Mandela des Nations unies (2014) et pour les six dernières années du Prix Nobel de la paix.

3.33 Les États-Unis ont lancé une enquête contre moi au début de 2010 sous l’administration Obama, alors qu’Hillary Clinton était la secrétaire d’État américaine. Cette administration a dépensé des ressources très importantes pour tenter de me poursuivre et d’espionner mon travail de publication malgré son statut protégé par la Constitution. L’enquête du gouvernement américain sur WikiLeaks est décrite dans la correspondance diplomatique officielle comme étant "sans précédent par son ampleur et sa nature".

4.34 Toutes les citations que je mentionne se trouvent dans ma déposition du 2 septembre 2013, que j’écris dans le compte rendu officiel de cette procédure.

5.35 Le gouvernement américain a régulièrement et publiquement confirmé que l’affaire de sécurité nationale contre WikiLeaks reste ouverte et se poursuit, y compris dans les procédures cette année. De nombreuses organisations de défense des droits de l’homme et de la liberté d’expression telles que Human Rights Watch ont critiqué l’administration Obama pour avoir engagé une procédure pénale contre WikiLeaks et moi-même.

1.36 L’enquête contre Wikileaks est menée par le FBI et implique une douzaine d’autres agences, dont la CIA, la NSA et la Defence Intelligence Agency [services secrets de l’armée - NdT]. Le gouvernement américain a décrit l’enquête comme une enquête "pangouvernementale". A Alexandrie, en Virginie, un Grand Jury s’est réuni à huis clos ces six dernières années sous le numéro d’affaire 10GJ3793 pour explorer les moyens de m’emprisonner, moi et sept autres personnes qu’ils ont identifiées comme "fondateurs, propriétaires ou gestionnaires de WikiLeaks". Dans l’affaire Chelsea Manning l’accusation a tenté d’établir que le soldat Manning a agi comme un agent sous mon contrôle plutôt que comme une source journalistique, même si, dans sa propre déposition devant le tribunal, le soldat Manning a dit que ce n’était pas le cas. L’armée américaine a accusé le soldat Manning de vingt-deux chefs d’accusation liés à la divulgation de plus de 700 000 documents classifiés ou confidentiels à WikiLeaks. Le 30 juillet 2013, le soldat Manning a été reconnu coupable de vingt de ces chefs d’accusation et condamné à trente-cinq ans de prison le 20 août 2013.

2.37 Le soldat Manning a été détenu pendant plus de 1 000 jours avant le début du procès. Pendant ce temps, elle est restée 258 jours à l’isolement. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture a estimé que les conditions et la durée de l’incarcération du soldat privé Manning à Quantico, en Virginie, constituaient un "traitement inhumain et dégradant". L’avocat du soldat Manning, David Coombs, a dit que le traitement du soldat Manning était une tentative de la briser pour que Manning m’implique. Le système judiciaire militaire américain a finalement conclu que le soldat Manning avait été illégalement puni à la suite de ce traitement alors qu’il était détenu par les États-Unis. Le soldat Manning a été reconnu coupable d’espionnage, le premier lanceur d’alerte ainsi condamné. Le soldat Manning a été acquitté de l’accusation d’"assistance à l’ennemi", mais le gouvernement américain pouvait encore chercher à utiliser cette accusation contre moi. Le soldat Manning purge une peine de 35 ans de prison.

3.38 Selon le respecté journal britannique The Independent, les États-Unis et la Suède ont entamé des pourparlers informels concernant mon extradition de la Suède vers les États-Unis au début de décembre 2010. Ces discussions sur mon extradition concernaient l’enquête du Grand Jury américain et du FBI contre WikiLeaks, ce qui est aussi la raison pour laquelle l’Equateur m’a accordé l’asile.

4. 39 Les appels agressifs pour empêcher WikiLeaks de paraître étaient la raison de mon voyage à Stockholm. La rhétorique des responsables américains devenait de plus en plus agressive au cours de la période précédant immédiatement ma visite en Suède le 11 août 2010. En juin, un reportage du Daily Beast intitulé " Le pire cauchemar du département d’État" a révélé que le Pentagone "menait une enquête agressive" pour savoir si WikiLeaks était en possession de 260 000 câbles diplomatiques américains et pour savoir où ils se trouvaient.

5.40 Deux jours plus tard, un article intitulé ’Pentagon Manhunt’ [La Chasse à l’Homme du Pentagone – NdT] est paru, décrivant des enquêteurs du Pentagone qui essayaient désespérément de me retrouver dans le cadre de la publication imminente de Cablegate :

"Craignant que Wikileaks ne soit sur le point de publier un lot de câbles secrets du département d’État, les enquêteurs recherchent désespérément le fondateur Julian Assange".

6.41 Le 17 juin 2010, le porte-parole du Département de la défense des États-Unis, Geoff Morrell, a déclaré qu’il y avait une

"enquête criminelle en cours [concernant WikiLeaks], impliquant la Division des enquêtes criminelles de l’armée, ainsi que, je crois, d’autres forces de l’ordre."

1.42 Les responsables du Pentagone "ne discuteraient pas des méthodes utilisées pour trouver Assange, et ne diraient pas s’ils avaient des informations pour suggérer où il se trouve maintenant". En lisant ceci, j’ai réalisé que la capacité de WikiLeaks à publier efficacement ainsi que ma propre sécurité personnelle étaient sérieusement compromises.

2.43 Au cours du mois de juillet, j’ai travaillé avec une équipe de journalistes au Royaume-Uni pour publier les journaux de guerre afghans : 75 000 documents secrets du Pentagone sur la guerre en Afghanistan, dont les dossiers détaillés sur la mort de près de 20 000 personnes. Le lendemain de la publication des journaux de guerre afghans par WikiLeaks, le secrétaire de presse de la Maison-Blanche, Robert Gibbs, a déclaré que WikiLeaks "représente une grave menace réelle".

3.44 J’ai publié les journaux de guerre afghans environ deux semaines avant de me rendre en Suède. Au lendemain de la publication, des représentants du gouvernement américain se sont efforcés d’influencer la manière dont les médias ont rendu compte de nos publications. Le but était de délégitimer les protections de WikiLeaks en tant qu’éditeur en vertu du Premier Amendement américain. Par exemple, il a tenté de présenter faussement WikiLeaks comme un adversaire, opposé aux intérêts nationaux américains, une affirmation fausse que je verrai plus tard reprise dans les médias suédois.

4.45 Le New York Times a rapporté que la Maison-Blanche avait envoyé des courriels à ses journalistes avec des suggestions sur les "façons de mentionner" les divulgations de WikiLeaks et de WikiLeaks, dans le but d’inciter les médias à se référer à WikiLeaks en ces termes.

5. La Maison-Blanche a envoyé un courriel avec pour objet "Thoughts on Wikileaks" [Réflexions sur Wikileaks – NdT] contenant un mémo dans lequel la Maison-Blanche

« conseillait aux journalistes sur les termes à employer pour parler des documents des journaux de guerre Afghans (...) En rendant compte de cette question, il convient de noter que Wikileaks n’est pas un organe d’information objectif, mais plutôt une organisation qui s’oppose à la politique américaine en Afghanistan ».

1.47 J’ai également appris par des reportages que les autorités de sécurité de mon pays natal, l’Australie, participaient à l’enquête des services de renseignements américains sur WikiLeaks et moi-même :

"Les autorités de sécurité australiennes assistent une enquête des services de renseignements américains sur le site Web de lanceurs d’alerte Wikileaks et son fondateur et éditeur australien, Julian Assange. La demande de soutien des Etats-Unis dans ce que des sources australiennes de sécurité nationale ont décrit comme "une enquête de contre-espionnage" a précédé hier la publication dramatique par Wikileaks d’un journal d’opérations militaires américaines, décrit comme un "recueil extraordinaire" de 91 000 rapports des soldats américains et alliés qui combattent en Afghanistan.

1.48 Le 28 juillet, trois jours seulement après avoir publié les journaux de guerre afghans et deux semaines avant de me rendre en Suède, le secrétaire d’État américain à la Défense, M. Gates, a appelé le directeur du FBI, Robert Mueller, et a demandé l’aide du FBI pour l’enquête [sur WikiLeaks]. Le ministère américain de la Défense a déclaré :

"Faire appel au FBI pour aider l’enquête garantit que le département aura toutes les ressources nécessaires pour enquêter... en notant que le recours au FBI garantit que l’enquête peut aller là où elle doit aller."

1. 49. Le New York Times a rapporté que le ministre américain de la Défense Robert Gates

"refusé de commenter sur l’enquête a part de dire qu’il avait fait appel aux services du FBI pour assister les enquêteurs de l’Armée, une initiative qui est perçue comme la possibilité d’inculper des personnes qui ne portent pas d’uniforme. […] Une personne qui connaît bien l’enquête a déclaré que les avocats du ministère de la Justice examinent si M. Assange et WikiLeaks pourraient être accusés d’avoir incité M. Assange et WikiLeaks à commettre, ou d’avoir conspiré, des infractions à la loi de 1917 sur l’espionnage qui interdit la divulgation non autorisée de renseignements qui touchent la sécurité nationale.

2.50 Le 1er août 2010, la presse a rapporté que le FBI et la police britannique effectuaient des perquisitions et des interrogatoires au Royaume-Uni, où je me trouvais à l’époque, en rapport avec les publications de WikiLeaks.

1.51 Au cours des jours suivants, la rhétorique et les actions américaines contre WikiLeaks se sont intensifiées. D’éminents commentateurs et d’anciens fonctionnaires de la Maison-Blanche ont défendu les mesures extraterritoriales et la violation du droit international "si nécessaire".

2.52 L’un de ces commentateurs était l’ancien rédacteur des discours présidentiels, Marc Thiessen, qui a publié un article dans le Washington Post intitulé "WikiLeaks Must be Stopped" [Wikileaks doit être arrêté NdT] :

"....le gouvernement dispose d’un large éventail d’options pour traiter son cas. Il peut utiliser non seulement les forces de l’ordre, mais aussi les services de renseignement et les moyens militaires pour traduire Assange en justice."

1.53 Thiessen a fait valoir que les États-Unis devraient faire pression sur tout État dans lequel je me trouvais et que les États-Unis devraient, si nécessaire, m’arrêter même sans le consentement de cet État. Il a cité des conseils juridiques du ministère de la Justice concernant les opérations du FBI à l’étranger :

"Les Etats-Unis devraient faire clairement savoir qu’ils ne toléreront aucun pays - et en particulier les alliés de l’OTAN comme la Belgique et l’Islande - qui offre refuge aux criminels qui mettent la vie des forces de l’OTAN en danger. Avec des pressions diplomatiques appropriées, ces gouvernements peuvent coopérer pour traduire Assange en justice. Mais s’ils refusent, les États-Unis peuvent arrêter Assange sur leur territoire à leur insu et sans leur approbation."

1.54 Thiessen a également affirmé que le FBI pourrait violer le droit international afin de m’arrêter et d’appréhender d’autres personnes associées aux activités d’édition de WikiLeaks. Thiessen a cité une note de service du ministère de la Justice :

« le FBI peut utiliser son pouvoir légal pour enquêter et arrêter des individus pour violation du droit américain, même si les actions du FBI contreviennent au droit international coutumier" et qu’"une arrestation qui est incompatible avec le droit international ou étranger ne viole pas le quatrième amendement". En d’autres termes, nous n’avons pas besoin d’autorisation pour appréhender Assange ou ses complices n’importe où dans le monde.

Arrêter Assange serait un coup dur pour son organisation. Mais il ne suffit pas de le retirer de la circulation, il faut aussi récupérer les documents qu’il possède illégalement et désactiver le système qu’il a mis en place pour diffuser illégalement des informations classifiées.

Dans l’idéal, cela devrait se faire par le biais d’une coopération internationale de forces de l’ordre. Mais si cette coopération ne se concrétise pas, les Etats-Unis peuvent et doivent agir seuls. »

1. 55 Sept jours avant mon départ pour la Suède, j’étais parfaitement conscient que ma sécurité personnelle était en danger. Scott Horton, collaborateur aux affaires juridiques et à la sécurité nationale chez Harper’s, a écrit l’article ’WikiLeaks : The National-Security State Strikes Back’ [WikiLeaks : L’État de sécurité nationale contre-attaque - NdT] :

"[Assange] sera certainement la cible d’un harcèlement mesquin et fera l’objet d’une surveillance constante, et les efforts pour le kidnapper sont presque certainement en train d’être planifiés en ce moment même."

1.56 Le secrétaire de presse du Pentagone Geoff Morrell a annoncé qu’un groupe de travail anti-WikiLeaks composé de 80 personnes était opérationnel 24 heures sur 24. Un mois plus tard, elle comptait 120 personnes. La "responsabilité distincte" du Groupe d’étude de l’information - surnommé par certains occupants "WikiLeaks War Room" - était la suivante

"....pour rassembler des preuves sur le fonctionnement de WikiLeaks qui pourraient un jour être utilisées par le ministère de la Justice pour poursuivre Assange et d’autres pour espionnage."

2.57 L’article “’The General Gunning for WikiLeaks”" [Haro sur Wikileaks - NdT] décrit le groupe de travail :

"Dans un ensemble anodin de bureaux gouvernementaux non loin du Pentagone, près de 120 analystes du renseignement, agents du FBI et autres sont au travail 24 heures sur 24, sept jours sur sept, sur la ligne de front de la guerre secrète du gouvernement contre WikiLeaks.

Surnommée la Salle de Guerre WikiLeaks par certains de ses occupants, l’opération est en état d’alerte 24 heures sur 24 ce mois-ci..."

1.58 Le même article indique que le général de brigade Robert A. Carr, qui dirige "l’équivalent de la CIA au Pentagone", le Defense Counterintelligence and Human Intelligence Center de la Defense Intelligence Agency (DIA), a été "choisi" par le secrétaire à la Défense Robert Gates pour diriger l’équipe car il "est très respecté ...et un adversaire de taille pour Assange".

1.59 La "mission centrale" du général Carr aurait été "d’essayer de déterminer exactement quelles informations classifiées ont pu être divulguées à WikiLeaks". Le général Carr a témoigné à l’audience de Chelsea Manning le 31 juillet 2013.

1.60 J’ai suivi de près les pressions exercées sur les alliés américains pour qu’ils suivent mes mouvements et arrêtent nos publications. Des sources officielles au sein de l’administration ont révélé à la presse que les États-Unis non seulement envisageaient comment me poursuivre en ce qui concerne les publications de WikiLeaks aux États-Unis, mais demandaient également à leurs alliés de me poursuivre en vertu de leurs propres lois de sécurité nationale :

"Les autorités américaines ont confirmé le mois dernier que le ministère de la Justice enisageaient une série d’accusations contre Assange et d’autres...

Maintenant, les fonctionnaires disent qu’ils veulent que d’autres gouvernements étrangers envisagent le même genre d’accusations criminelles."

Un article publié la veille de mon départ pour la Suède déclarait que " l’administration Obama fait pression sur la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Australie et d’autres gouvernements occidentaux alliés pour envisager d’ouvrir des enquêtes criminelles sur le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, et de limiter considérablement ses voyages au-delà des frontières internationales ", ont déclaré des responsables américains.

1.61 En plus de l’intention déclarée de restreindre ma liberté de mouvement, le gouvernement américain a tenté de convaincre ses alliés de ne pas me laisser entrer sur leur territoire comme un avertissement pour moi, pour ceux qui travaillent avec moi et WikiLeaks, et pour nos supporters :

"Par les voies diplomatiques et militaires, l’administration Obama espère convaincre la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Australie, entre autres gouvernements alliés, qu’Assange ne devrait plus être la bienvenue sur leur territoire, étant donné le danger que son groupe représente pour leurs troupes stationnées en Afghanistan, disent les responsables américains. Ils disent que de sévères limitations sur les voyages d’Assange pourraient servir d’avertissement utile à ses disciples que leur propre liberté est maintenant en danger."

1.62 Le gouvernement australien a publiquement envisagé la possibilité d’annuler mon passeport, apparemment à la suite de pressions exercées sur l’Australie par les États-Unis. Le procureur général australien Robert McClelland a assuré les États-Unis que le gouvernement australien "fournit toute l’assistance nécessaire aux autorités policières des États-Unis", notamment en explorant la possibilité d’annuler mon passeport.

2.63 Les pressions exercées par les États-Unis ont même donné lieu à des tentatives publiques d’influencer des décisions fondées sur des considérations relatives aux droits de l’homme en ce qui concerne WikiLeaks et moi-même. Par l’intermédiaire de l’ambassadeur américain en Suisse, Donald Beyer, l’administration Obama a fait pression sur la Suisse pour qu’elle ne m’accorde pas l’asile politique alors que je participais à l’Examen Périodique Universel du Conseil des droits de l’homme de l’ONU qui portait sur les États-Unis. L’ambassadeur américain Beyer a accordé une interview au journal suisse Sonntag :

"L’ambassadeur des États-Unis en Suisse, Donald Beyer, est également entré dans le débat Wikileaks. Il a mis en garde le gouvernement suisse contre l’octroi de l’asile à Assange, que le fondateur australien de Wikileaks a déclaré vouloir demander. "La Suisse devrait examiner très attentivement la question de savoir s’il y a lieu d’offrir asile à une personne qui fuit la loi".

1.64 Le Daily Beast a rapporté que Washington était prêt à revoir ses relations diplomatiques avec l’Islande parce qu’une partie des opérations de WikiLeaks avaient été menées dans ce pays :

"Un responsable militaire américain a dit au Daily Beast que Washington voudra peut-être aussi revoir de près ses relations avec l’Islande à la suite de la publication des journaux de guerre afghans."

1.65 Dans le contexte de mes préoccupations accrues au sujet des activités américaines au Royaume-Uni dans le cadre de l’enquête WikiLeaks, j’ai décidé de quitter le pays. Lorsque je me suis rendu en Suède le 11 août 2010, la rhétorique agressive à mon égard avait atteint de nouveaux sommets. L’ancien avocat général de la CIA, Jeffrey Smith, a déclaré à la radio publique nationale :

"Je pense qu’il est tout à fait approprié pour nous d’être très agressifs (...) Si j’étais le gouvernement américain, j’essaierais de rendre aussi difficile que possible pour le fondateur de WikiLeaks de continuer à mener ses activités.... Dans la mesure où nous pouvons persuader nos alliés d’envisager des poursuites, je pense que c’est pour le mieux."

1.66 Le jour même de mon arrivée en Suède, le 11 août 2010, j’ai reçu des informations d’une source de renseignements australienne selon lesquelles des actions extrajudiciaires pourraient être prises contre moi par les États-Unis ou leurs alliés. Cela a été rapporté plus tard dans le journal australien The Age :

"Un agent des services de renseignement australiens a averti Wikileaks en privé le 11 août dernier qu’Assange faisait l’objet d’une enquête de l’Organisation Australienne du Renseignement de Sécurité et que des informations le concernant et concernant d’autres personnes associées à Wikileaks avaient été communiquées aux États-Unis en réponse à des demandes par les services de liaison du renseignement. L’agent de renseignement australien aurait également spécifiquement averti qu’Assange risquait d’être victime de "sales coups" de la part de la communauté du renseignement américain."

1.67 Des amis et des personnes qui m’étaient associées ainsi que des volontaires de WikiLeaks ont été régulièrement ciblés aux frontières à partir de ce moment. Les perquisitions et interrogatoires aux frontières ont touché le chercheur en sécurité Jacob Appelbaum, qui avait prononcé le discours d’ouverture à ma place lors de la conférence HOPE le 16 juillet 2010. Dans une interview pour Democracy Now, Appelbaum a décrit le ciblage qu’il subit dans les aéroports :

« Depuis [la conférence HOPE du 16 juillet 2010], ils ont commencé à me détenir, environ une douzaine de fois.... On m’a mis dans une pièce spéciale, où ils m’ont fouillé, m’ont mis contre le mur... ils ont pris mon ordinateur portable... puis ils m’ont interrogé, m’ont refusé l’accès à un avocat. Et quand ils ont procédé à l’interrogatoire, un membre de l’armée américaine était présent, sur le sol américain. Et ils ont refusé de me laisser partir. Ils... ont laissé entendre que si je ne coopérais pas, je serais agressé sexuellement en prison. »

1.

1.68 Quelques jours après mon arrivée en Suède, j’ai commencé à m’inquiéter pour ma sécurité, en particulier à cause des pressions exercées sur les alliés américains, dont la Suède.

2.69 J’étais au courant des tentatives publiquement déclarées de suivre mes mouvements. J’ai utilisé un certain nombre de procédures pour réduire les risques, y compris compter sur la bonne volonté de mes amis et de leur entourage pour ma sécurité et pour protéger la confidentialité de mes allées et venues et de mes communications.

3.70 Mes contacts en Suède s’étaient arrangés pour que je reste dans deux endroits sûrs pendant les quelques jours où j’avais l’intention d’y rester. Un de ces endroits appartenait à une journaliste que je connaissais et l’autre à une personnalité du parti social-démocrate qui m’était inconnue et qui avait prêté son appartement pendant son absence, du moins c’est ce qu’on m’avait dit. Cependant, comme ces deux lieux avaient été prévus à l’avance avant mon arrivée, ils ont été découverts rapidement. J’ai finalement séjourné dans trois autres lieux sûrs entre le 11 et le 20 août 2010.

4.71 Je me suis rendu en Suède pour mettre en place une stratégie juridique visant à protéger nos serveurs, dont certains se trouvaient en Suède. J’ai cru que ces actifs étaient menacés en raison de l’intense pression politique exercée par les États-Unis et décrite ci-dessus. J’ai rencontré le Parti Pirate suédois, alors représenté au Parlement européen, qui a accepté d’héberger des copies des serveurs WikiLeaks sous le nom de son parti afin de mieux protéger notre travail de publication. J’ai également pensé qu’il était préférable de quitter le Royaume-Uni à ce moment-là parce que le FBI était connu pour mener des opérations dans le cadre de l’enquête sur nos publications. J’avais l’intention de rester en Suède moins d’une semaine.

5.72 Ma dépendance à l’égard d’autres personnes pendant mon séjour en Suède s’est aggravée lorsque, peu après mon arrivée à Stockholm, mes cartes bancaires personnelles ont été bloquées. Le 13 août 2010, le compte Moneybookers de l’organisation WikiLeaks n’était plus accessible. Le même jour, j’ai contacté l’entreprise, qui m’a répondu : "à la suite d’une publicité récente et de l’ajout subséquent (sic) de l’entité Wikileaks aux listes noires en Australie et aux listes de surveillance aux États-Unis, nous avons mis fin à la relation commerciale". J’ai demandé des informations complémentaires à MoneyBookers les 13 et 16 août concernant la fermeture, y compris les listes noires et les listes de surveillance auxquelles mes comptes et/ou le compte WikiLeaks avaient été ajoutés, mais ces informations m’ont été refusées.

6.73 Le gel du compte Moneybookers de WikiLeaks a été un premier exemple de ce qui, en décembre 2010, allait devenir un blocus économique mondial extrajudiciaire concerté contre WikiLeaks par des sociétés de services financiers américains, notamment VISA, MasterCard, PayPal, Bank of America, Western Union et American Express. Le blocus a fait l’objet de plusieurs actions en justice, d’une enquête de la Commission européenne, d’une résolution du Parlement européen et d’une condamnation par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression et le Rapporteur spécial de la Commission interaméricaine des droits de l’homme pour la liberté d’expression. Le 24 avril 2013, la Cour suprême d’Islande a estimé que le blocus contre WikiLeaks était illégal.

7.74 En raison de la coupure soudaine de mes fonds personnels et ceux de l’organisation à mon arrivée en Suède, j’ai dû compter sur d’autres personnes non seulement pour me loger, mais aussi pour me nourrir, pour ma sécurité et pour obtenir un crédit téléphonique. Malheureusement, je connaissais très peu de gens en Suède et ceux que je connaissais n’étaient que rarement présents dans le pays.

8.75 Le 13 août 2010, l’un des principaux journaux suédois, Svenska Dagbladet, a publié un article intitulé "Le ministère de la Défense se prépare pour la prochaine fuite", dans lequel il a indiqué que le ministère suédois de la Défense avait un groupe spécialisé "Préparation à la prochaine publication de WikiLeaks" et avait analysé 76 000 publications antérieures de WikiLeaks concernant les troupes suédoises en Afghanistan.

9. 76.cinq jours plus tard, la télévision d’Etat suédoise (SVT) a publié un reportage intitulé "Nous risquons de voir les relations avec les Etats-Unis se détériorer", dans lequel il était avancé que la présence de WikiLeaks en Suède aurait un effet négatif sur les relations stratégiques entre la Suède et les Etats-Unis.

III. LA PÉRIODE DU 14 AU 20 AOÛT 2010

1. 77 J’ai rencontré "SW" lors de ma visite à Stockholm. La première fois que je l’ai rencontrée, c’était le matin du 14 août 2010, lorsqu’elle est venue à une conférence que j’ai donnée sur ce que mon travail a révélé sur la guerre en Afghanistan, où la Suède a des troupes sous commandement américain. Elle s’est assise au premier rang et m’a photographié. Elle est venue au petit déjeuner privé après mon exposé, où l’une des organisatrices a déclaré qu’elle était bénévole pour leur organisme, bien qu’elles aient prétendu plus tard que ce n’était pas vrai. En raison des menaces de sécurité qui pesaient sur moi en raison de mon travail, j’étais dans une situation précaire. Je comptais sur la gentillesse des étrangers et sur la sécurité et la discrétion qu’ils étaient prêts à m’offrir. J’étais dans un pays nordique étranger, dont je ne parlais pas la langue. Je n’avais pas accès à de l’argent liquide parce que les cartes bancaires avec lesquelles je voyageais avaient été bloquées en raison des mesures politiques extrajudiciaires prises par des sociétés de services financiers contre mon organisation et moi-même (mesures qui sont bien documentées et qui font l’objet de nombreux litiges).

2.78 Des personnalités pro-guerre appelaient à mon assassinat et à ma capture, et l’administration américaine avait déclaré publiquement que mes mouvements étaient surveillés. "SW" semblait touchée par ma situation et semblait aussi s’intéresser à moi de façon romantique. Comme elle ne faisait pas partie de mes proches, il semblait que ceux qui me voulaient du mal n’essaieraient probablement pas de me trouver en surveillant ses mouvements. Elle a dit qu’elle travaillait au Musée national, alors je lui ai demandé de me le faire visiter, pour essayer d’établir sa bonne foi. Au Musée, un film IMAX jouait, pendant lequel elle m’a embrassé et a porté mes mains à ses seins. Elle m’a demandé si je vivais chez la femme "AA", une politicienne suédoise, et elle m’a semblé préoccupée d’une manière que je trouvais étrange.

1.79 A son initiative, nous nous sommes retrouvés le soir du 16 août 2010 et elle a suggéré d’aller dans un hôtel à Stockholm. Pour des raisons de sécurité, j’ai dit que je préférerais aller chez elle, même si c’était en dehors de Stockholm. Elle m’a ensuite invité chez elle. Nous sommes allés en train et elle a payé mon billet puisque mes cartes bancaires avaient été bloquées.

2. 80. "SW" a dit très clairement qu’elle voulait avoir des rapports sexuels avec moi. J’étais préoccupé par l’intensité de l’intérêt de "SW" et j’aimais aussi profondément une autre femme, ce qui me tourmentait et me laissait émotionnellement distrait. "SW" connaissait une quantité inhabituelle de détails à mon sujet, et semblait ennuyée lorsque j’étais au téléphone à la recherche de nouvelles liées aux déclarations officielles du gouvernement américain contre moi. J’ai senti qu’elle était irritée quand je ne lui donnais pas toute mon attention.

3.81 Je sentais qu’il y avait un risque que ma position soit révélée et qu’elle puisse agir de façon imprévisible si elle croyait que je la rejetais. Pendant cette nuit-là, et de nouveau le matin, nous avons eu des rapports sexuels consensuels à quatre ou cinq reprises. Ses paroles, ses expressions et ses réactions physiques m’ont clairement fait comprendre qu’elle encourageait et appréciait nos interactions.

4.82 Je découvrirai plus tard qu’elle avait rassemblé des dizaines de photos de moi dans les semaines qui ont précédé notre rencontre. Son récent compte FLIKR était rempli de pages et de pages de photos de moi et de personne d’autre.

5. 83. Le matin, elle est sortie chercher le petit-déjeuner pour nous. Après avoir pris le petit-déjeuner ensemble, j’ai quitté la maison en bons termes. À aucun moment, lorsque j’étais avec elle, elle n’a dit que je lui avais manqué de respect de quelque façon que ce soit ou que j’avais agi contre son gré, si ce n’est pour ne pas m’être suffisamment intéressé à elle, en accordant plus d’attention à ma sécurité ou à mes tentatives pour dormir. Elle m’a raccompagné à la gare à bicyclette et nous nous sommes embrassés pour nous dire au revoir. Elle m’a demandé de l’appeler pour qu’on puisse se revoir et j’ai dit que je le ferais. Elle a appelé le lendemain ou le surlendemain. Nous avons parlé amicalement, mais nous avons été rapidement déconnectés à cause d’une connexion téléphonique défaillante. Je ne l’ai pas rappelée en raison de problèmes pour obtenir une carte téléphonique (à cause du blocage de mes cartes bancaires) et de la situation sécuritaire urgente.

6.84 Je lui ai parlé le vendredi 20 août, après qu’un ami suédois m’ait prévenu qu’il avait entendu dire que "SW" était à l’hôpital et qu’elle voulait me parler. Comme je ne l’avais pas rappelée et qu’elle avait déjà fait des efforts considérables pour attirer mon attention, j’ai d’abord craint qu’elle n’ait tenté de se faire du mal pour attirer mon attention. Alors je l’ai appelée. Elle m’a dit qu’elle était à l’hôpital et m’a demandé de venir la rejoindre pour me faire passer des tests de dépistage de maladies sexuellement transmissibles afin qu’elle n’ait pas à s’inquiéter en attendant ses propres résultats (le VIH, par exemple, a besoin de plusieurs mois pour se déclarer).

7.85 Mais j’étais occupé ce jour-là à essayer de faire face à l’escalade des menaces politiques et juridiques du Pentagone contre moi. J’ai dit que je ne pouvais rien faire avant le lendemain (un samedi). Elle a dit qu’il était normal en Suède d’aller à la police pour obtenir des conseils sur les MST et que si je ne venais pas à l’hôpital, elle irait à la police pour demander si je pouvais être forcé de subir un test. Je lui ai dit que je trouvais étrange et menaçant d’évoquer la police. Elle a déclaré qu’elle n’était préoccupée que par les tests et qu’ils n’avaient aucune signification cachée. J’ai accepté de faire le test par bonne volonté et pour la rassurer, même si je lui ai dit que je ne pourrais le faire que le lendemain, samedi.

8.86 Nous étions d’accord et nous nous sommes arrangés pour nous retrouver le lendemain dans le parc voisin à l’heure du déjeuner quand j’aurais le temps de faire le test. Elle a dit qu’elle allait bien et semblait à l’aise.

9.87 Vous pouvez imaginer mon incrédulité quand je me suis réveillé le lendemain matin en apprenant que j’avais été inculpé en mon absence pour "viol" et que la police me "pourchassait" dans tout Stockholm.

10.88 Son comportement envers moi la nuit en question et le matin suivant a montré clairement qu’elle voulait activement et avec enthousiasme que j’aie des rapports sexuels avec elle. C’est aussi ce que montrent les SMS que "SW" a envoyés à ses amis au cours de la soirée où j’étais chez elle et au cours de la semaine, et que la police suédoise a recueillis sur son téléphone. Bien que le procureur se soit battu pendant des années pour m’empêcher, moi, le public et les tribunaux de les voir, mes avocats ont été autorisés à les voir au poste de police et ont pu noter un certain nombre d’entre eux, notamment :

 Le 14 août 2010 "SW" a envoyé le texto suivant à un ami : Je le veux. Je le veux. Suivi de plusieurs autres contenus similaires (tous se référant à moi) dans la période précédant les événements en question (13:05) ;

 Le 17 août, "SW" a écrit que nous avions eu de longs préliminaires, mais que rien ne s’était passé (01:14) ; puis que ça s’est amélioré (05:15) ;

 Le 17 août, après que tous les rapports sexuels aient eu lieu, "SW" a écrit à une amie que tout s’était "bien passé" à part les MST/risque de grossesse (10:29) ;

 Le 20 août, "SW", alors qu’elle se trouvait au poste de police, a écrit qu’elle "ne voulait pas porter plainte contre Julian Assange" mais que "la police tenait à mettre la main sur lui" (14:26) ; et qu’elle était "choquée quand ils l’ont arrêté" car elle "voulait seulement qu’il fasse un examen" (17:06) ;

 Le 21 août, "SW" a écrit qu’elle "ne voulait pas accuser" Julian Assange "de quoi que ce soit", (07:27) ; et que c’était "la police qui a inventé les accusations (sic)" (22:25) ;

 Le 23 août, "AA" (l’autre femme dont l’affaire a été abandonnée en août 2015) a écrit à "SW" qu’il était important qu’elle rende publique son histoire pour qu’ils puissent alerter l’opinion publique. (06:43) ;

Le 23 août, "SW" a écrit que c’est la police, et non elle-même, qui a tout commencé (16:02) ;

 Le 26 août, "AA" écrivit à "SW" qu’elles devraient vendre leurs récits à un journal (13:38) ;

 Le 28 août, "AA" a écrit qu’ils avaient un contact dans le plus grand tabloïd suédois (12:53) ; et "SW" a écrit que leur avocat négociait avec le tabloïd (15:59) ;

2.89 Ces SMS montrent clairement ce qui s’est réellement passé entre "SW" et moi. Il s’agit clairement de rapports sexuels consentis entre adultes. Les échanges entre "AA" et "SW" parlent d’eux-mêmes.

3.90 L’accusation du procureur dans la procédure d’extradition était que l’une de ces relations sexuelles avait commencé le lendemain matin alors que "SW" dormait (dans le même lit après une nuit de relations sexuelles consenties) et qu’à son réveil, elle avait consenti aux relations en question, mais que les premiers instants, elle ne pouvait théoriquement consentir en raison du sommeil.

4. 91. C’est faux. J’étais certain que "SW" ne dormait pas. J’étais également certain qu’elle avait expressément consenti à des rapports sexuels non protégés avant le début de ces rapports. C’est ce qu’attestent également les messages SMS de "SW". Par exemple, mes avocats me mentionnent le message SMS suivant à son amie :

 17 août, 08h42 : JA ne voulait pas utiliser de préservatif.

5. 92 Le lendemain, elle envoie un SMS explicite à son amie qu’elle n’avait pas dormi, en fait.

 18 août, 06h59 : Je dormais à moitié.

IV. DÉVELOPPEMENTS ULTÉRIEURS

1.93 Bien que la police ait initialement ouvert une enquête pour "viol" concernant une femme AA, son témoignage ne contenait aucune allégation selon laquelle elle avait été violée. Dans sa déposition à la police, elle a déclaré qu’elle avait consenti à avoir des rapports sexuels et qu’elle avait ensuite envoyé un tweet le 22 avril 2013 "Je n’ai pas été violée".

2.94 La presse a été immédiatement et illégalement informée qu’il y avait un mandat d’arrêt contre moi pour ce qui était rapporté comme le "viol de deux" femmes. Le procureur a immédiatement confirmé à la presse, illégalement et sans explication ni recours, qu’il y avait un mandat d’arrêt contre moi. L’infraction du procureur a déclenché une avalanche de reportages. En quelques jours, il y a eu des millions de références en ligne qui associaient mon nom au mot "viol".

3.95 Les accusations de la police ont immédiatement été utilisées pour attaquer le travail de WikiLeaks et ma réputation d’éditeur. Le ministre américain de la Défense, Robert Gates, a célébré la nouvelle de mon mandat d’arrêt pour "viol" avec un sourire, disant aux journalistes que l’arrestation "me semble être une bonne nouvelle". Différents récits sur Twitter, officiellement associés au Pentagone, me décrivaient comme un "violeur" et un "fugitif". Cette calomnie a ensuite été utilisée comme moyen d’attaquer la réputation de mon organisation.

4.96 J’ai annulé mes autres rendez-vous et je suis resté en Suède. J’ai répondu aux questions de la police le 30 août 2010 au sujet de la seule accusation restante. L’exposé conjoint des faits et des questions soumis à la Cour suprême des États du Royaume-Uni indique :

"Le 30 août 2010, l’appelant, qui était volontairement resté en Suède pour coopérer à l’enquête, s’est présenté à un interrogatoire de police dans le cadre de l’enquête préliminaire en cours concernant le rapport de AA. Il a répondu à toutes les questions qui lui ont été posées."

1.97 J’étais très inquiet pour ma sécurité personnelle et pour la sécurité des opérations de WikiLeaks pendant mon séjour en Suède, mais je suis resté encore cinq semaines après l’ouverture de l’"enquête préliminaire" afin de blanchir mon nom et de coopérer avec l’enquête policière. Ce n’est qu’après avoir obtenu l’assurance du procureur Marianne Ny que je pouvais quitter la juridiction que je me suis préparé à quitter le pays.

1.98 Moins de 24 heures après l’émission du mandat d’arrêt, le procureur général de Stockholm a été nommé pour reprendre l’enquête et a annulé le mandat d’arrêt, déclarant : "Je ne crois pas qu’il y ait de raison de soupçonner qu’il ait commis un viol".

2.99 Peu après que le procureur Marianne Ny eut ressuscité l’accusation de "SW", le chef du service de renseignement militaire suédois ("MUST") a publié un article intitulé "WikiLeaks est une menace pour nos soldats". J’étais de plus en plus préoccupé par les relations étroites que la Suède entretenait avec le gouvernement américain en matière militaire et de renseignement.

3.100 Grâce aux câbles diplomatiques, j’ai également appris l’existence d’arrangements secrets et informels entre la Suède et les États-Unis. Les câbles ont révélé que les services de renseignement suédois ont un comportement hors-la-loi en ce qui concerne les intérêts du gouvernement américain. Les câbles diplomatiques américains ont révélé que le ministère suédois de la Justice avait délibérément caché au Parlement suédois des échanges de renseignements particuliers avec les États-Unis parce qu’il croyait que ces échanges étaient probablement illégaux.

4.101 Les câbles diplomatiques américains, les rapports des principales organisations de défense des droits de l’homme et les conclusions de l’ONU m’ont fait savoir que la Suède s’était rendue complice de torture en raison de sa participation aux « renditions » secrets [pratique - courante à l’époque - qui consiste à kidnapper un individu pour le transférer dans un centre secret d’interrogatoire – NdT] de la CIA de 2001 à au moins 2006 (ce que je révélerai ultérieurement). Le « rendition » des réfugiés politiques suédois Agiza et Alzery a été vivement condamnée par le Comité contre la torture de l’ONU, Amnesty International, Human Rights Watch et d’autres. Les agents de l’État suédois impliqués et leurs homologues américains jouissent toujours d’une impunité totale. Aucune accusation n’a été portée, bien que la complicité de l’État suédois ait été bien établie dans le cadre d’un procès civil. J’ai appris par la suite que la Suède était en partie impliquée dans les « renditions » de la CIA de ses propres citoyens à Djibouti en 2013. Mon avocat suédois Thomas Olsson représente l’un d’entre eux.

5.102 Par l’intermédiaire d’une source de renseignements, j’ai appris que le 19 août 2010, le Service de sécurité suédois (SÄPO) avait demandé des informations me concernant à une organisation de renseignements australienne. L’organisation de renseignement australienne (ASIO) a répondu à cette demande en fournissant des informations me concernant le 21 août 2010.

6. 103 Le 29 novembre 2010, WikiLeaks a commencé à publier Cablegate, 251 287 câbles diplomatiques du Département d’Etat américain. Les dépêches diplomatiques classifiées concernent tous les pays du monde. Sur le plan du contenu, il s’agissait du plus grand lot de documents classifiés jamais publié.

7.104 Le lendemain, le porte-parole du département d’État, P.J. Crowley, a déclaré : "nous menons une enquête poussée" sur WikiLeaks et qu’un "War Room" du département d’État, différent du "War Room" du Pentagone, avait été mis sur pied.

8.105 Le 30 novembre 2010, deux jours après que WikiLeaks ait commencé à publier Cablegate, Interpol, à la demande du procureur suédois Marianne Ny, a adressé une alerte rouge à 188 pays pour mon arrestation dans le cadre de l’"enquête préliminaire" suédoise (pour laquelle aucune accusation ou mise en accusation n’existait). A la demande du procureur suédois, Interpol a également rendu cette notification publique.

9.106 Le 2 décembre 2010, le procureur suédois a délivré un mandat d’arrêt européen au Royaume-Uni, qui a été traité par la Serious Organised Crimes Agency (SOCA) britannique.

10.107 J’ai perdu ma liberté le 7 décembre 2010, le lendemain du jour où les autorités britanniques ont approuvé le mandat d’extradition suédois. Je me suis présenté au poste de police, après avoir pris un rendez-vous préalable. J’ai été arrêté et placé à l’isolement dans l’unité de haute sécurité de la prison de Wandsworth, la CSU.

11.108 Le lendemain de mon incarcération, le journal britannique The Independent a rapporté que des responsables américains et suédois avaient entamé des pourparlers informels concernant mon extradition de Suède vers les États-Unis dans le cadre de l’enquête du Grand Jury américain et du FBI contre WikiLeaks.

12.109 Au bout de dix jours, les tribunaux britanniques ont décidé que je devais être libéré sous caution. En réponse, le procureur suédois Marianne Ny a demandé à ses représentants au Royaume-Uni, le Crown Prosecution Service (CPS), de faire appel pour me maintenir en prison, mais les tribunaux britanniques ont jugé sa demande excessive.

13.110 J’ai été transféré en résidence surveillée après avoir fourni aux autorités britanniques 340 000 livres sterling (près d’un demi-million de dollars) et avoir fait installer un appareil de surveillance électronique sur ma cheville.

14.111 Le 13 janvier 2011, le Crown Prosecution Service (CPS) du Royaume-Uni a écrit à Marianne Ny, lui assurant « Soyez assurée que nous ne traitons pas cette affaire comme une simple demande d’extradition. »

15. 112. J’ai dû me rendre au poste de police 551 jours d’affilée. J’ai continué à publier malgré tout.

16.113 J’ai demandé l’asile à l’ambassade de l’Équateur le 19 juin 2012. L’ambassade a ensuite été encerclée par la police, ce qui a coûté au contribuable britannique 12,6 millions de livres sterling jusqu’en octobre 2015.

17.114 Le 28 octobre 2014, le ministre d’État britannique Hugo Swire a déclaré au Parlement que " si elle [Marianne Ny] souhaite se rendre ici pour interroger M. Assange à l’ambassade de Londres, nous ferions absolument tout pour lui faciliter la tâche, et nous l’accueillerions volontiers".

18.115 Le 14 novembre 2014, j’ai soumis mon cas au Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (UNWGAD).

19.116 Le 20 novembre 2014, la Cour d’appel de Suède (Svea) a conclu que le procureur suédois avait manqué à son devoir en n’acceptant pas ma déposition.

20.117 Le 12 octobre 2015, le Royaume-Uni a annoncé qu’il retirait présence policière autour de l’ambassade car elle n’était plus "proportionnée".

21.118 Le 14 octobre 2015, le chef de la police de Londres, Bernard Hogan-Howe, a déclaré au quotidien The Standard que la présence policière visible était retirée autour de l’ambassade car "cela semble une réponse disproportionnée" et "nous pensons que le public ne la soutient pas nécessairement".

22.119 Par la suite (6 février 2016), le London Times rapportera que le retrait de la présence policière était également dû à « la crainte que les agents du groupe de protection diplomatique qui montaient la garde ne soient perçus comme des geôliers » pendant l’enquête de l’UNWGAD. Cependant, la déclaration du 12 octobre révèle que la police "visible" avait en fait été remplacée par un "plan secret" "renforcé".

23.120 Le 5 février 2016, le Groupe de travail a constaté que j’étais illégalement privé de ma liberté depuis le 7 décembre 2010 à la suite des actions du procureur suédois.

Réponse aux questions suivantes :

Vous m’avez soumis à six ans de détention illégale et politisée sans inculpation, dans une prison, en résidence surveillée et à quatre ans et demi dans cette ambassade. Vous auriez dû me poser cette question il y a six ans. Le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire et la Cour d’appel suédoise ont jugé vos actions illégales en refusant de prendre ma déposition au cours des six dernières années. Il a été établi que vous m’avez soumis à des traitements cruels, inhumains et dégradants. Vous m’avez refusé une représentation juridique efficace dans ce processus. Malgré cela, je me sens obligé de coopérer même si vous ne protégez pas mes droits.

Traduction "pourquoi, mais pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

»» https://justice4assange.com/IMG/html/assange-statement-2016.html
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