" Je suis un citoyen européen ! " Voilà un beau titre ! me direz-vous ? Je vous le concède. Mais laissez-moi vous expliquer le fond de ma pensée. Cette phrase m’est apparue en cette matinée ensoleillée de 1er mai, comme un brin de muguet dans les mains d’une amazone, une vision fantomatique alors que je sortais de ma douche. Peut-être devrais-je préciser que ma douche est l’endroit où je confesse mes exactions quotidiennes, ma zone de purification, c’est ma salle des machines où je remets les compteurs à zéro. C’est là que bizarrement le film de mes journées se projette sur l’écran de ma conscience. Certes, refermons cette parenthèse pour en revenir à ce qui la précède. Je suis un citoyen européen, à priori une banale suite de mots, cinq en l’occurrence, constituant une phrase, sensée formuler un fait. Je vous propose de nous y intéresser en infiltrant le front des apparences pour dévoiler ce qu’elles cachent derrière leur voile. Penchons-nous sur cet énoncé, tout comme on pourrait s’attarder sur le choix d’une tenue pour un premier rendez-vous, envisageons, comparons, affirmons, soyons léger mais sérieux. Je veux dire par là que c’est une question essentielle car personnelle. Elle nous concerne directement, l’ignorer s’apparenterait en quelque sorte à se tirer une balle dans le pied. J’espère que vous me suivez. Rassurez-vous, je ne vous emmène pas bien loin.
N’en déplaise à certaines âmes aliénées, je suis un citoyen européen. Je me revendique comme tel sans prendre le moindre risque. Je suis né en Espagne. A mes huit jours, j’ai émigré en Belgique, avec mes parents, qui eux s’y trouvaient déjà depuis une quinzaine d’années. J’ai fait toutes mes études à Bruxelles et j’y travaille depuis bientôt quinze ans. J’y ai grandit et j’y ai rencontré mes amis. J’y ai donc, pour faire court, partagé la quasi totalité de ma vie. Ce qui m’amène à le réaffirmer, n’en déplaise à certaines plumes capricieuses ou récalcitrantes, je suis un citoyen européen.
Il est à relever que les questions qui me préoccupent le plus à ce stade ne sont pas sociales ou économiques. Celles qui me paraîssent primordiales sont les problématiques de mentalités et par conséquent les valeurs que l’on estime être celles d’un citoyen européen. Et ce qu’elles signifient réellement pour le citoyen, intérieurement et extérieurement, à travers le double prisme de sa vie et de l’espace dans lequel il évolue. Impossible de pouvoir se prononcer sur le premier, par contre pour ce qui est du second, on ne peut ignorer que l’Europe est aujourd’hui confrontée à des enjeux cruciaux. Sa position dominante associée à celles encore plus importante des Etats-Unis et ses capacités de rayonnement dans le reste du monde, tant culturelles que systémiques, ne sont plus ce qu’elles étaient. Ce qui d’un point de vue purement éthique et loyal, me réjouit. Mais qui d’un autre côté m’inquiète lorsque je constate la façon dont ses pilotes ont négocié les virages de l’Histoire. L’échiquier mondial a toujours été en mouvement, idéologiquement parlant, rien de neuf jusqu’ici de ce côté là . En revanche, je pense que depuis la chute du bloc communiste, les centres de gravité ne sont plus axés sur l’idéologie, qu’elle soit capitaliste ou communiste, mais sur des pivots bien moins réunificateurs et bien plus destructreurs, à savoir les conflits identitaires. Et l’Europe en est l’exemple le plus frappant, déchirée qu’elle est entre son passé glorieux et son manque de confiance en son avenir. Ce qui la pousse à se replier sur elle-même et à se parasiter de l’intérieur, de peur de se diluer, elle préfère se terrer dans les égouts de l’Histoire. Et c’est à cette vérité que notre génération doit redonner de la substance et de l’air pour qu’elle puisse revivre et s’épanouir. Rêve idéaliste ? Sommes-nous vraiment condamnés, enchaînés dans nos propres pièges ?
Bien qu’ils existent certainement des chaînons intermédiaires ou des chaînons manquants, les maillons clés de la chaîne me semblent clairement définis : le champs libre que s’est vu offrir le capitalisme est progressivement devenu le terrain de jeu d’une mondialisation galopante et d’un individualisme rampant. Tendance qui se maintient sous nos yeux défaitistes. C’est l’heure du chacun pour soi. Et que l’on ne me qualifie pas de démagogue. Tous autant que nous sommes, nous véhiculons ces contradictions. Nous croyons en certaines valeurs, parce qu’elles nous semblent justes, mais nous ne sommes pas prêt à sacrifier la moindre portion de ce que nous pensons être notre liberté pour rester en accord avec elles. Les ingérences, les conflits, les boycotts, les injustices, l’impérialisme ou comme dirait plus généralement Amin Maalouf le dérèglement du monde dont sont complices et donc responsables nos gouvernements est inacceptable, honteux et carrément inhumain.
C’est là que le premier obstacle intervient devant celui qui prend conscience de la réalité et qui l’accepte comme étant la sienne, au delà de son quotidien personnel et de son trajet entre son appartement, son lieu de travail et son JT. Je suis un citoyen européen ou je suis un citoyen français, belge ou néo-zélandais, peut importe. Ce que cela traduit est l’affirmation d’une identité et d’une appartenance. C’est une manière indirecte de revendiquer son adhésion, son acceptation tant des actes commis que des conséquences provoquées par le gouvernement que l’on a élu, celui de son pays et à fortiori par l’Europe. Pour ne citer qu’un seul exemple, le gouvernement des affaires courantes de mon pays, la Belgique, envoie des avions de chasses bombarder un autre pays, la Libye, sous des prétextes qui lui sont propres, au sens stricte du terme, alors qu’il n’est même pas capable lui-même de se remettre en question et de former un gouvernement au sein de ses propres rivalités communautaires.
Je pourrais m’étendre indéfiniment et m’égarer dans les dénonciations que d’autres voix portent bien mieux, mais là n’est pas l’objet de ma démarche, je laisse aux spécialistes le soin de zoomer sur les détails. En fait, pour conclure, plus j’y pense, plus je me rends compte que mon sentiment d’appartenance a progressivement évolué au fil de mes lectures, de mes rencontres et de mes réflexions. Certes, je me sens pleinement concerné par ce qui se déroule ici et ailleurs sur cette terre et je n’ai pas d’autre choix, le matin lorsque je me regarde dans le miroir, que d’opter pour l’expression de ma vérité, dans toutes ses contradictions et toute sa cohérence. Je ne me sens pas du tout responsable des horreurs perpétrées sous les ordres des dirigeants de mon pays et je tiens à m’en dissocier complètement, de sorte de pouvoir me définir comme un spectateur, témoin et de pouvoir me réaliser par les valeurs qui sont à la fois miennes et universelles. Fondamentales et humaines. Voilà pourquoi j’ai finalement décidé de rectifier le titre de ce billet, car il m’apparaît évident aujourd’hui que je ne suis pas un citoyen européen. ! Je suis un citoyen du monde.
Badi Baltazar