Au milieu des films israéliens ou Israel-friendly toujours plus nombreux sur nos écrans, l’apparition d’un film palestinien mérite toujours attention. Zindeeq pose cependant une question curieuse : les Palestiniens devaient-ils rester, en 1948, lors de l’instauration de l’Etat d’Israel ?
Les critiques sont généralement déçus par le film qui, "entre lyrisme assumé et engagement politique revendiqué" (Le Monde), fonctionne mal. Mais qu’est-ce qui au juste dysfonctionne ? Ce ne sont pas les procédés esthétiques qui manquent de cohérence (le film se veut, d’un bout à l’autre, poétique et symbolique), mais bien son engagement politique : comment le définir ?
Cinéaste palestinien exilé (et clair porte-parole de l’auteur), M. revient à Ramallah pour interroger des gens qui ont fui leur village lors de la Naqba. Mais ces témoignages n’apparaissent que de façon morcelée et indirecte : quand M. s’ennuie, il les visionne sur le mini-écran de sa caméra portable. Ces images sont bien représentatives du film ; le drame des Palestiniens ne constitue qu’un arrière-plan pour l’histoire personnelle et les problèmes (qu’on a d’ailleurs bien du mal à comprendre) du héros. Il erre toute la nuit dans Nazareth, sa ville natale, sans pouvoir trouver de chambre d’hôtel : partout, on refuse de l’accueillir, à cause de son passeport (parce qu’il est européen ? parce qu’il est né à Nazareth ? on ne le saura pas). Selon certains critiques, c’est un symbole bouleversant du fait qu’il se retrouve étranger dans sa propre ville.
Mais il semble plutôt être devenu étranger à ses frères (on ne peut pas dire : ses compatriotes, puisque les Palestiniens n’ont pas de nationalité). Dès le début, lorsqu’il arrive à Nazareth pour l’enterrement d’un oncle, il refuse de se joindre à sa famille dans l’église : il se proclame athée (c’est le sens de Zindeeq). Il se pose aussi en rebelle (dans le sens puéril qu’a pris ce terme) par sa vie sexuelle : il rencontre plusieurs femmes, avec lesquelles s’engagent aussitôt des ébats érotiques. Cependant, ce n’est pas sur le plan moral qu’il faut porter un jugement négatif, mais esthétique (ces scènes ne présentent aucun intérêt, elles coupent l’action de façon fastidieuse) et politique : accueilli chez une amie juive, il raccompagne sa fille chez elle et l’embrasse ; Elle : "C’est la première fois que j’embrasse un Palestinien" ; Lui : "Et ça fait une différence ?". Khleifi anticipait ainsi sur le film démagogique de Yoland Zauberman, Would you have sex with an Arab ?, qui entonne aussi l’air du Embrassons-nous, Folleville, c’est-à -dire : il ne s’est rien passé, nous sommes d’accord sur l’essentiel (la baise), il est donc absurde de se battre.
Ce nivellement nihiliste se retrouve dans le parallèle qu’instaure Khleifi entre la société palestinienne au moment de la Naqba : "Les milices juives tiraient dans tous les sens", et la société palestinienne d’aujourd’hui, intérieurement divisée par une mystérieuse vendetta (un neveu de M. a tué un homme) ; les rues de Nazareth sont donc parcourues par des groupes de jeunes qui tirent sur tout ce qui bouge. Khleifi porte ainsi sur les quartiers palestiniens le même regard que les medias français sur les quartiers Nord de Marseille ou les cités franciliennes, noyautés par un "islamobanditisme" d’une haute dangerosité. Il montre de fait une déplaisante propension à se désolidariser des Palestiniens : à son amie juive qui lui demande ce qui se passe à Nazareth, il répond :"Ce sont des histoires d’Arabes" ; c’est, sans doute, un humour au second degré, mais qui instaure une complicité entre intellectuels juif et palestinien par-dessus la tête du peuple palestinien.
M. est en effet un grand bourgeois occidentalisé qui n’a plus rien à dire aux siens : retrouvant sa soeur après des années d’absence, il a la tête ailleurs, pensant à ses interviews et ses aventures sexuelles. Cette complicité avec les Juifs bourgeois "progressistes", cette indifférence à l’égard des Palestiniens des territoires occupés se complète par une hostilité affichée à l’égard de Gaza : rencontrant un gamin des rues utilisé comme mendiant par une mafia (palestinienne), il l’interroge sur sa situation : son père est emprisonné - par les Israéliens ? non, par le Hamas.
Que faut-il conclure de ce film ? Khleifi ne semble pas bien fixé là -dessus. Lorsque, revenu dans la maison familiale, il demande au fantôme de sa mère, qui lui apparaît, pourquoi ils sont restés à l’arrivée des Juifs, il insiste obsessionnellement sur l’idée de honte : il semble vouloir nous convaincre que les Palestiniens qui sont restés n’ont pu le faire qu’au prix de sordides compromissions. Pour qui roule-t-il donc ? fallait-il que les Palestiniens fissent place nette aux tout nouveaux Israéliens ? Son propos laisse pour le moins perplexe. Aussi termine-t-il son film par une scène pseudo-onirique : son assistante, belle fille bien en chair, avec laquelle il marivaude tout au long du film, apparaît déguisée en Vierge Marie marchant sur les eaux. On ne peut que s’étonner de cette utilisation gratuite d’une figure religieuse dans une scène pseudo-miraculeuse par un cinéaste qui se proclame athée (curieuse coïncidence : c’est la même ficelle qui permet à Namir Abdel Messeeh, tout aussi ouvertement athée, de terminer son film tout aussi filandreux, La Vierge, les Coptes et moi).
Le film de Ken Loach sur la guerre entre Irlandais et Britanniques, Le Vent se lève, nous donnait un schéma de compréhension pour toutes les guerres d’indépendance : la bourgeoisie nationale se bat dans un premier temps contre l’occupant, mais il y a toujours une phase où il se révèle que son vrai combat est contre le peuple de son propre pays. Dans ses films, Khleifi a toujours montré une attitude consensuelle envers les Israéliens, qui sont finalement un rempart contre le peuple palestinien. Il nous fait d’autant plus désirer le retour sur les écrans d’Elia Suleiman, après Le temps qui reste.
Rosa Llorens
Nota bene : il y a un excellent compte-rendu du film, qui avait été présenté au Festival de Chicago du Film palestinien en 2010, sur le site : The Electronic Intifada : Surreal Stuggle in Michel Khleifi’s Zindeeq, de Maureen Claire Murphy.