Si dans les 30 ans passés, les historiens étudient les relations égypto-américaines à la veille de la Révolution du 30 juin en Égypte, ils auront du mal à ne pas utiliser les trois mots du titre de cet article pour décrire la ligne de conduite que l’administration de Barack Obama a suivie en cette période. De nombreux observateurs ont accusé l’administration de Barack Obama de confusion face à la situation au Caire après la chute de l’ancien régime.
Au contraire, je crois que les décisions prises par l’administration américaine ne proviennent pas d’une lecture confuse de la situation politique en Égypte, mais d’un plan bien étudié pour contourner les aspirations révolutionnaires de la majorité des Égyptiens qui ont manifesté en masse contre le despotisme anti-démocratique des Frères musulmans. Un régime qui réduit la démocratie à la formule bien connue de toutes les organisations islamistes : un homme, un vote, une seule fois.
Tout au long de l’année, où ils ont gouverné le pays, il n’a fait aucun doute que la politique du régime islamiste était destinée à faire en sorte que l’opposition politique n’ait jamais une chance d’atteindre le pouvoir par les urnes.
Deux événements majeurs ont alors semblé échapper à l’attention de l’administration américaine. Le premier a été la désastreuse Déclaration Constitutionnelle du 22 novembre 2012 ; le second, non moins dangereux, a été le siège de la Haute Cour Constitutionnelle pendant des semaines en décembre dernier.
Depuis le dernier trimestre de 2012 jusqu’à juin de cette année, les choses ont évolué de mal en pis pour ce qu’il s’agit de l’exercice démocratique du pouvoir. Une constitution antidémocratique a été adoptée à la hâte en l’absence de représentants de l’opposition ainsi que de l’Église copte. À cet égard, l’intimidation des coptes égyptiens a été menée sans relâche, en particulier en Haute-Égypte, quelque chose que les administrations américaines successives avaient l’habitude de condamner et d’utiliser comme moyen de pression contre le gouvernement égyptien durant les époques d’Anouar el-Sadate et de Hosni Moubarak. J’ai été témoin de cela moi-même, lorsque j’ai servi à l’ambassade d’Égypte de 1979 à 1983.
Le silence de la Maison Blanche d’Obama face aux antécédents du régime de la Fraternité islamique à cet égard est étrange. Les Coptes égyptiens ont trouvé ce silence non seulement décevant, mais aussi inquiétant.
Beaucoup d’Égyptiens, qui ont à tort salué la pression publique de la Maison Blanche sur Hosni Moubarak afin qu’il quitte le pouvoir en février 2011, ne pouvaient pas imaginer les raisons pour lesquelles l’administration de Barack Obama a fermé les yeux sur l’autoritarisme croissant du régime de Mohamed Morsi. Ces Égyptiens pensaient que le gouvernement américain aurait sérieusement soutenu la création d’un ordre démocratique en Égypte. Leurs espoirs ont été anéantis après les prises de positions publiques de l’administration américaine après le 3 juillet. Ils n’ont sûrement pas bien accueilli ces mots du président Barack Obama dans son allocution à l’Assemblée générale des Nations Unies : "Et notre approche en Égypte reflète un point plus large : les États-Unis vont parfois travailler avec des gouvernements qui ne répondent pas, tout au moins à notre avis, aux attentes internationales les plus élevées, mais qui travaillent avec nous dans le sens de nos intérêts fondamentaux".
Du 3 juillet jusqu’à ce jour Washington n’a cessé d’exhorter l’Égypte et les Égyptiens sur la façon dont les États-Unis voudraient qu’ils se comportent comme de véritables démocrates du point de vue américain de manière à recevoir leur bénédiction. Nonobstant, des sanctions ont été imposées sans les qualifier comme telles en public. Elles consistent à refuser la livraison de chasseurs F-16, de tanks, d’hélicoptères Apache, et à réduire l’aide militaire. Ce qui est fascinant dans ces décisions américaines, c’est qu’elles bloquent la livraison d’hélicoptères Apaches, un des piliers de notre lutte contre le terrorisme dans le Sinaï, et dans le même temps, l’administration américaine a déclaré qu’elle allait continuer à coopérer avec le gouvernement égyptien dans les opérations de contre-insurrection et la sécurisation des frontières internationales dans le Sinaï.
En outre, l’administration a annoncé le jeudi 10 octobre, qu’elle réexaminerait périodiquement son programme d’assistance à l’Égypte, ce qui signifie implicitement que plus de sanctions pourraient être imposées à l’avenir. Le New York Times, dans un éditorial publié le 11 octobre, a écrit que les sanctions sont un avertissement pour les généraux égyptiens et a ajouté que si la réduction d’aide militaire de l’administration de Barack Obama ne fonctionnait pas, d’autres réductions pourraient être nécessaires.
L’approche de la Maison Blanche repose sur l’hypothèse que l’Égypte connaît une confrontation entre des "démocrates" de la Confrérie islamique et ce que les médias américains se plaisent à décrire comme les "généraux". Le peuple égyptien n’est nulle part présent dans les calculs du gouvernement américain.
En outre, l’administration américaine s’est abstenue jusqu’à présent de qualifier les événements du 30 juin de révolution. Ni décrit ce qui s’est passé le 3 juillet comme étant un coup d’État, de peur que cela ne doive arrêter l’aide américaine par la force de la loi.
La question centrale réside dans les véritables intentions de l’administration américaine. Je pense que la situation idéale pour l’administration de Barack Obama serait que l’armée se retire de la vie politique et ouvre la voie pour le retour des Frères musulmans au travers de l’élection d’un gouvernement démocratiquement élu. Ou, pour le dire autrement, l’avenir de la démocratie en Égypte, du point de vue américain, ne doit pas être assuré au détriment de la Fraternité islamique.
Personnellement, j’ai toujours cru que la Maison Blanche sous Barack Obama a travaillé pour l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans en 2012 en considérant que celle-ci permettrait de protéger les intérêts américains au Moyen-Orient et dans le monde musulman.
Le dilemme que confronterait la Maison Blanche dans un avenir proche serait l’élection d’un nouveau président égyptien qui serait éventuellement inspiré par les idéaux de l’ère de Gamal Abdel Nasser. Et c’est peut-être la raison pour laquelle les Américains insistent sur un processus démocratique incluant toutes les parties [NdT : y compris la pire].
Hussein Haridy,
Le mercredi 30 octobre 2013.
NdT : On se souviendra que l’opposition féroce des Frères musulmans à tout mouvement révolutionnaire progressiste et démocratique ne date pas d’hier, déjà le 26 octobre 1954, Mohammed Abdel Latif, un membre des Frères musulmans, tenta d’assassiner Gamal Abdel Nasser alors qu’il donnait un discours à Alexandrie pour célébrer le retrait des forces britanniques de la base miliaire de Suez.
L’auteur, Hussein Haridy, est un diplomate égyptien.
Source : Washington on Egypt : Intimidation, threats and sanctions